Lecours et CLSC-CHSLD des Sommets |
2011 QCCLP 368 |
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[1] Le 7 avril 2009, monsieur Gilles Lecours, (le travailleur), dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 31 mars 2009, à la suite d'une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 5 décembre 2008 et déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le ou vers le 1er août 2008 et n’a pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [1] (la Loi).
[3] Une audience est tenue à Saint-Jérôme le 15 octobre 2010 en présence du travailleur et de son procureur. Des employeurs convoqués, seuls les procureurs de CLSC-CHSLD des Sommets et de l’Hôpital Sacré-Cœur de Montréal se sont présentés à l’audience. Toutefois, ces procureurs n’ont pas assisté à l’enquête et à l’audition puisque le travailleur ne recherche pas de conclusions contre ces deux employeurs. Aucun représentant de CSSS Richelieu Yamaska et du Centre hospitalier Douglas n’était présent et, en l’absence de motif valable justifiant cette absence, le tribunal a procédé à l’enquête conformément aux dispositions de l’article 429.15 de la Loi.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande au tribunal de déclarer qu’il a présenté une maladie professionnelle qui a été diagnostiquée le 1er août 2008 et qu’il aurait contractée lors de son emploi au Cree Health Board (fermé) ou à l’Hôpital Honoré Mercier.
LES FAITS
[5] Le 11 août 2008, le travailleur consulte le docteur N. Germain qui complète une attestation médicale sur le formulaire prescrit par la CSST et y indique que le travailleur présente une hépatite C et qu’il l’a dirigé vers un spécialiste.
[6] Le 15 août 2008, le travailleur, alors qu’il occupe une poste d’infirmier scolaire au CLSC-CHSLD des Sommets, produit une réclamation à la CSST pour une lésion professionnelle qu’il aurait contractée à une date inconnue. Il explique qu’il travaille dans le domaine de la santé comme infirmier depuis 1984, incluant sur des quarts de nuit et dans divers milieux, qu’il a été exposé à du sang à maintes reprises, et qu’il a présenté des lésions aux mains dans le passé. Il précise qu’il n’a pas de contact avec du sang dans sa vie privée.
[7] Le 25 novembre 2008, le docteur J. Robert, spécialiste en microbiologie médicale et en infectiologie, complète un certificat d’incapacité de travail pour le travailleur. Ce dernier présente une hépatite C, génotype 1, dont le traitement a pris fin en septembre 2009.
[8] Lors de l’audience, le travailleur décrit ses expériences de travail.
[9] Il commence à travailler dans le milieu de la santé en 1977, date à laquelle il occupe un poste de préposé aux bénéficiaires jusqu’en 1984. Durant cette période, il suit une formation d’infirmier. De 1984 à 1986, il travaille comme infirmier à l’Hôpital Honoré Mercier. Il occupe ensuite cette même fonction au Centre hospitalier Douglas de 1986 à 1988, au Cree Health Board à la Baie James de 1988 à 1993. Puis, il a travaillé quelques mois à l’Hôpital de Saint-Jérôme en 1994, à l’Hôpital Sacré-Cœur de Montréal de 1994 à 1997, et, depuis 1997 jusqu’à présent, il est au CSSS des Trois Vallées devenu CSSS des Sommets, toujours à titre d’infirmier.
[10] Tout d’abord, à l’Hôpital Honoré-Mercier, il a travaillé à l’urgence et de nuit, puis a fait six à huit mois en chirurgie, puis trois mois en psychiatrie. À l’urgence, il avait sept à dix patients sous sa responsabilité. Il pouvait s’agir d’accidentés de la route, de patients en débalancement diabétique ou de personnes suicidaires. Le travailleur déclare qu’il était souvent en contact avec des liquides biologiques et avait des pansements à refaire. Il en va de même pour le travail au département de chirurgie, en postopératoire. Il estime qu’il était en contact avec des liquides biologiques de quatre à six fois par quart de travail.
[11] Le travailleur relate un incident survenu vers 1984 ou 1985 à l’Hôpital Honoré-Mercier. Durant une nuit à l’urgence, il s’est accidentellement piqué avec une aiguille souillée. Il aurait complété une déclaration d’accident à l’époque. Il a tenté d’en obtenir une copie récemment mais sans succès. Ce document n’a pu être retracé par cet hôpital.
[12] Suite à une question de l’assesseur médical, le travailleur précise qu’à l’époque, il portait des gants pour faire les pansements, mais pas lors des prises de sang.
[13] Au Centre hospitalier Douglas, un hôpital psychiatrique, le travailleur déclare qu’il avait des prises de sang à effectuer, mais qu’il n’était pas en contact direct avec le sang et portait des gants.
[14] Il en va tout autrement pour le travail effectué dans différentes villes, à partir de mars 1988 et dans différents établissements sous la responsabilité du Cree Health Board. Il était souvent seul à dispenser les soins, car un médecin pouvait passer seulement une semaine durant le mois. Par exemple, à Chisasibi, il y avait un hôpital avec une unité de médecine chirurgie et pour les accouchements.
[15] En général, dans les différents villages, il y avait deux à trois infirmiers qui étaient de garde (sur appel) à tour de rôle chaque semaine. Lorsqu’on frappait à sa porte, le travailleur devait donc dispenser les soins.
[16] Par exemple, une personne pouvait se présenter avec un bras entouré d’une serviette imbibée de sang. Le travailleur devait alors diriger le patient vers la clinique et ce n’est qu’une fois sur les lieux de la clinique qu’il pouvait mettre des gants, s’occuper du saignement et faire des points de suture s’il y a lieu. Avant de mettre des gants, le travailleur devait toucher des objets, comme des poignées de portes pouvant contenir des traces de sang. Des ambulanciers pouvaient aussi le chercher pour se rendre sur les lieux d’un accident de la route pour, par exemple, sortir un accidenté d’un fossé.
[17] Le travailleur devait aussi faire des accouchements (avec gants) et en explique la raison. À partir de la 38e semaine de grossesse, les femmes étaient envoyées à Val d’Or pour accoucher, leurs familles restant seules à la Baie James jusqu’à l’accouchement. Pour éviter d’être séparées de leurs familles, des femmes donnaient des informations erronées, repoussant ainsi la date estimée de l’accouchement, si bien qu’elles accouchaient avant cette date et, dans leur village plutôt qu’à Val d’Or.
[18] Il arrivait aussi qu’il y ait de la violence, des bagarres, lors de parties de hockey. Il est même arrivé que les deux protagonistes viennent se faire soigner par le travailleur à la clinique, se rencontrent à cet endroit, et recommencent à se battre. Lors de cet incident, le travailleur a dû appeler la police et s’interposer physiquement à quelques reprises pour séparer les belligérants.
[19] Ses tâches étaient variées et incluaient la réception des patients arrivés en ambulance, les pansements et les prises de sang à faire. Le travailleur déclare qu’il y avait dans la population beaucoup de personnes présentant un problème de consommation d’alcool ou de drogue, ce qui entraînait un achalandage plus important de l’urgence. Le travailleur avait en moyenne quatre à six patients par jour, sauf les jours de laboratoire où il avait 20 à 30 patients à voir le matin.
[20] Le travailleur relate un comportement qu’il a observé chez les autochtones dans le cadre de son travail. Lorsqu’il y avait un événement au village, telle une fête, une forte quantité de caisses de bière pouvait être consommée jusqu’après minuit. Les autochtones avaient l’habitude de lancer les bouteilles de bières dans les airs, ce qui causait des blessures aux fêtards durant la nuit et aux enfants marchant sur les bouteilles cassées le lendemain.
[21] Le travailleur a quitté la Baie James en 1993. En 1994, il a consulté le docteur L. Laurier, gastro-entérologue, parce qu’il avait un inconfort abdominal, sous forme de ballonnement. L’examen et les tests sanguins étaient alors sans particularité. On a informé le travailleur que le dossier médical aurait été détruit après cinq ans. Ce médecin l’a dirigé vers le docteur M. Boivin de la même spécialité. La prise de sang n’a révélé rien d’anormal. Les symptômes pouvaient être dus au stress, à l’alimentation, à un colon irritable selon le médecin. On a conseillé au travailleur de bien mastiquer ses aliments, ce que le travailleur a fait sans toutefois voir d’amélioration de sa condition. Mais la prise de capsules de charbon de bois aux repas a semblé aider. Le travailleur a pensé qu’il s’agissait vraiment d’un colon irritable.
[22] En 2002, le travailleur présentait des symptômes variables. Il a participé à une étude sur l’intolérance au lactose. Selon les tests effectués, il était très intolérant à cette substance. Il a alors éliminé sa consommation de lactose, sans noter d’amélioration dans sa condition. On lui a suggéré de faire confiance au traitement, qu’il s’agissait d’un problème psychologique: il mettait trop d’emphase sur son problème.
[23] Alors après 2002, le travailleur a continué de consulter son médecin de famille, le docteur Germain, pour ses suivis médicaux annuels qui étaient toujours normaux, sans pousser plus loin la recherche de son problème.
[24] En janvier 2008, il a confié au docteur Germain qu’il avait passé une période des Fêtes difficile alors qu’il n’avait pas consommé beaucoup d’alcool. Les tests ont révélés un taux élevé d’enzymes hépatiques. Le test de contrôle a révélé que ce taux continuait d’augmenter. Le travailleur avait déjà été vacciné contre l’hépatite A et B.
[25] Vers le mois d’août 2008, le travailleur a été informé du diagnostic, soit une hépatite C, et a été dirigé vers le docteur J. Robert, (microbiologie et infectiologie) qui assure le suivi médical de cette maladie depuis lors. Il a suivi un traitement durant 73 semaines, soit jusqu’à la fin de février 2010.
[26] Maintenant, le travailleur se sent beaucoup mieux qu’avant 2008 et a plus d’énergie.
[27] Suite à une série de questions de l’assesseur médical, le travailleur déclare qu’il n’a jamais eu de transfusion sanguine, ni de tatouage, ni reçu des traitements d’acupuncture. Au niveau dentaire, il n’a pas eu de traitement de canal récemment, mais seulement deux traitements de canal il y a 10 et 15 ans. Il n’a jamais présenté de jaunisse.
[28] Le docteur J. Robert, spécialiste en microbiologie médicale, en infectiologie et spécialiste en santé communautaire, et médecin ayant soigné le travailleur pour l’hépatite C, témoigne à l’audience.
[29] Le docteur Robert explique ce qu’est l’hépatite, soit une infection ou une inflammation du foie qui peut être chimique, bactérienne ou virale. S’il s’agit d’un virus, celui-ci se multiplie dans les cellules du foie, déclenchant une réaction immunitaire qui causera une destruction lente et progressive du foie. Le virus se multiplie non de façon constante mais par poussées, une phase douloureuse. Des cicatrices se forment, et il y a alors une fibrose, puis, lorsque la phase de la fibrose est extrême, il y a alors une cirrhose du foie. L’immunothérapie est utilisée comme traitement. Il peut y avoir une guérison par l’élimination du virus ou par le retour du foie à ses fonctions normales malgré la présence du virus.
[30] Dans le cas du travailleur, le taux d’enzymes a été ramené à un niveau normal à partir du 8 décembre 2008.
[31] L’hépatite C se transmet essentiellement par le sang infecté par le virus de l’hépatite C (VHC), lorsque le sang est en contact avec une voie ouverte comme une plaie ou abrasion, visible ou non. Le partage de matériel pour la consommation de drogue (paille) et les tatouages artisanaux (avec corde de guitare, par exemple) sont aussi des modes de transmission du virus. Le virus de l’hépatite C est résistant à l’environnement et survit en dehors de l’organisme humain : une étude a démontré, quoique sur des conditions contrôlées en laboratoire ─ et non des conditions usuelles ─ que ce virus pourrait même survivre jusqu’à 63 jours.
[32] En ce qui concerne la transmission du virus lors d’activités sexuelles (sauf les cas de violence sexuelle), il n’y a pas de démonstration faite en ce sens selon le docteur Robert. En effet, il y a une certaine incertitude sur la question, incertitude qui s’explique par le fait que la technologie pour détecter le virus de l’hépatite C dans un liquide biologique non sanguin n’existe pas encore. Le tribunal note que, selon une étude épidémiologique[2], la transmission sexuelle « n’est pas courante ».
[33] Le médecin ajoute que, tel qu’il l’a indiqué dans l’attestation médicale du 25 novembre 2008, le génotype de l’hépatite C chez le travailleur est le génotype 1. Des six génotypes connus actuellement, il s’agit du plus commun : on le retrouve chez 60 % des personnes atteintes dans la population autochtone.
[34] Le docteur Robert estime que le travail dans le domaine de la santé comporte des risques de contracter le virus, du fait des soins à prodiguer, de l’usage d’aiguilles pour les prises de sang, les sutures et autres, et les contacts inconnus ou méconnus avec des liquides biologiques, essentiellement du sang, y compris des contacts avec des objets. Le port de gants se rapporte à l’hygiène, mais ne protège pas lors d’un contact avec une aiguille contaminée qui transperce un gant. Les gants sont souvent utilisés lors des pansements, mais pas toujours lors d’autres tâches : le virus peut survivre à l’extérieur du corps humain, sur une table par exemple, et contaminer quelqu’un en entrant par une ouverture cutanée visible ou non. Au surplus, certaines personnes sont moins habiles lors de prises de sang avec port de gants. Il peut aussi survenir des cas où une intervention rapide est requise, comme lors d’hémorragie massive.
[35] Effectivement, selon une étude[3], un risque élevé est associé à l’exposition professionnelle à du sang contaminé.
[36] Le tribunal souligne le fait que, dans son questionnaire contenu dans les notes cliniques, le docteur Robert a posé au travailleur des questions concernant l’existence d’autres facteurs de risques que l’exposition professionnelle à du sang contaminé par le virus de l’hépatite C, notamment des questions sur une transfusion sanguine, l’usage de produits (drogue) par voie intraveineuse, le piercing (perçage), et que l’existence de ces autres facteurs a été éliminée.
[37] Littérature médicale à l’appui, le docteur Robert explique que les cas d’hépatite C sont de quatre à sept fois plus fréquents chez les autochtones canadiens que chez les non autochtones[4], alors que les peuples autochtones représentent seulement environ 4 % de la population canadienne. Les conditions de vie, l’hygiène, la promiscuité et la violence constituent des risques à l’infection. Selon un document publié par l’Institut national de santé publique du Québec[5], l’usage de drogues, par injection ou par inhalation, est la cause la plus fréquemment identifiée comme source de transmission de l’infection. Il y a aussi d’autres facteurs de risque tels que le contact avec le sang par tatouage ou piercing, et les expositions accidentelles en milieu de travail.
[38] Le médecin ajoute que les autochtones sont sous représentés en terme de traitement de cette infection : le fait qu’une forte proportion voire la majorité des porteurs de l’hépatite C dans cette population ne soient ni guéris ni traités augmente les risques de transmission. Une majorité de personnes infectées ne connaissent pas leur statut sérologique[6].
[39] Le virus de l’hépatite C a été découvert au début des années 1990. Avant cela, on parlait d’hépatite « ni A, ni B », le virus de l’hépatite C n’ayant pas encore été isolé. Le test pour l’hépatite C, soit la recherche d’anticorps anti VHC, n’existe que depuis 1992 ou 1993. Le médecin considère qu’il y a une épidémie d’hépatite C dans la population en général et qui est connue depuis une dizaine ou une quinzaine d’années.
[40] Il n’y a pas vraiment de symptômes spécifiques de l’hépatite C, sauf des cas rares d’inflammation aiguë du foie avec jaunisse. Les symptômes sont frustres et se manifestent lorsque le foie enfle. De façon classique, un patient présente des ballonnements à l’abdomen, de la fatigue et une petite composante dépressive.
[41] Dans le cas du travailleur, les tests ont révélé que, déjà en 2008, il présentait une cirrhose du foie. Selon ces tests, il y avait de la cirrhose dans 87 % de son foie. Le stade de la cirrhose, qui est une complication majeure de l’hépatite C, survient après une vingtaine d’années d’évolution de cette maladie. En effet, selon un document produit par le docteur Robert[7], l’hépatite C est une maladie qui met plusieurs années à se développer et les complications surviennent généralement après une période de 20 ans. Dans le cas du travailleur, une vingtaine d’années correspond aux années 1988, 1989, lorsque le travailleur occupait le poste d’infirmier au Cree Health Board.
L’AVIS DES MEMBRES
[42] Le membre issu des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis d’accueillir la requête du travailleur. La preuve a démontré que dans le cadre de l’exercice de son travail d’infirmier, il a probablement été exposé à du sang contaminé par le virus de l’hépatite C. Le travailleur ayant subi une lésion professionnelle, il a donc droit aux prestations prévues par la Loi.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[43] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle, une hépatite C.
[44] L’article 2 de la Loi définit les notions d’accident du travail, de lésion professionnelle et de maladie professionnelle comme suit :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[45] Sur la notion de maladie professionnelle, la Loi prévoit deux dispositions :
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
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1985, c. 6, a. 29.
ANNEXE I
MALADIES PROFESSIONNELLES
(Article 29)
SECTION II
MALADIES CAUSÉES PAR DES AGENTS INFECTUEUX
MALADIES |
GENRES DE TRAVAIL |
(...) |
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5. Hépatite virale
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un travail impliquant des contacts avec des humains, des animaux, des produits humains ou animaux ou d’autres substances contaminées; |
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1985, c. 6, annexe I.
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
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1985, c. 6, a. 30.
[46] Le tribunal constate que le délai de réclamation pour cette lésion professionnelle alléguée s’explique par le fait que le diagnostic d’hépatite C n’a été posé qu’en août 2008. Ignorant son statut sérologique, le travailleur n’a donc pu présenter une réclamation à la CSST qu’en août 2008.
[47] Le procureur du travailleur soumet deux décisions au soutien de ses prétentions[8]. La première est relative à l’application d’une présomption de fait à l’effet que le travailleur a été en contact avec plusieurs personnes, produits humains ou substances, contaminés par le virus de l’hépatite B, et porte aussi sur l’application de la présomption de l’article 29 de la Loi. La deuxième décision, celle de la Commission des lésions professionnelles en révision, est relative à une réclamation pour une hépatite C et est à l’effet que le rôle de la présomption légale de l’article 29 de la Loi est de décharger une partie de faire la preuve d’un événement accidentel. Cette décision rappelle qu’il appartient au juge administratif d’évaluer la pertinence et la valeur probante de l’ensemble des éléments de preuve et d’appliquer la règle de droit.
[48] Même si le travailleur s’est accidentellement piqué avec une aiguille souillée vers 1984 lorsqu’il travaillait à l’urgence de l’Hôpital Honoré-Mercier, le fait que le virus de l’hépatite C n’ait été découvert qu’au début des années 1990 et que le test diagnostic n’existe que depuis 1992 ou 1993, rend illusoire pour le travailleur de démontrer que le patient soigné était porteur du virus de l’hépatite C lors de cet événement. Les connaissances de la science médicale de l’époque ne permettent tout simplement pas une preuve directe. On ne peut exiger du travailleur une preuve scientifique que même la communauté médicale est incapable de faire[9].
[49] Le tribunal estime que le travailleur a démontré que, dans son travail auprès de populations autochtones, il a été en contact avec du sang, et ceci à plusieurs reprises. Il a fait état du genre de situations où il était appelé à intervenir rapidement et sans avoir pu mettre des gants immédiatement. Entre autres, il y a eu un incident où le travailleur a dû intervenir et séparer physiquement deux patients belligérants venus le consulter à la clinique et qui y ont poursuivi la bataille lorsqu’ils se sont revus.
[50] Bien que la preuve directe sur le statut sérologique de tous et chacun des patients soignés par le travailleur avec contact avec leur sang n’ait pas été fournie, le tribunal estime que l’ensemble des faits permet de conclure à une forte probabilité que le travailleur ait eu un contact avec du sang contaminé par le virus de l’hépatite C, et ceci, particulièrement dans le cadre de son travail au Cree Health Board, auprès des autochtones.
[51] D’ailleurs, le fardeau de preuve pour le travailleur est celui de la prépondérance de preuve et non celui de la preuve scientifique hors de tout doute[10]. On ne peut exiger une certitude scientifique[11]. En effet, bien qu’elle signifie plus qu’une simple possibilité, la prépondérance de la preuve n'exige pas un niveau de preuve scientifique ni un niveau hors de tout doute raisonnable[12]. La prépondérance de preuve exige une probabilité supérieure à 50 %, soit 51 %[13].
[52] Le docteur Robert a fourni des explications détaillées et appuyées par la littérature médicale sur l’hépatite C, ses modes de transmission et son évolution. Il a aussi expliqué que le virus de l’hépatite C pouvait survivre un certain temps en dehors du corps humain, sur des objets ou des surfaces comme une table. Du point de vue épidémiologique, en comparaison avec les non autochtones, la prévalence de cas d’hépatite C est plus fréquente chez les autochtones, en raison de l’existence de certains facteurs de risque dans cette population. Le génotype de l’hépatite du travailleur correspond à celui qui est le plus répandu chez les autochtones canadiens.
[53] Ces données permettent au tribunal de conclure que le travailleur a probablement été en contact avec du sang contaminé par le virus de l’hépatite C dans le cadre de son travail au Cree Health Board, et ceci, d’autant plus que le stade de la maladie en 2008 correspond à une infection remontant à une vingtaine d’années avant, soit vers 1988, alors qu’il travaillait pour cet employeur à la Baie-James.
[54] Le travailleur a démontré, par prépondérance de preuve, les éléments de la présomption de l’article 29 de la Loi. Ceux-ci ayant été démontrés, le tribunal conclut que le travailleur est atteint d’une maladie professionnelle, soit une hépatite C, laquelle a été diagnostiquée le 1er août 2008.
[55] Le travailleur a donc droit aux prestations prévues par la Loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Gilles Lecours, le travailleur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 31 mars 2009 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a subi une lésion professionnelle, une hépatite C, et a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Daphné Armand |
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Me Benoît Beauregard |
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C.S.N. |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Carl Lessard |
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Lavery, de Billy |
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Représentant de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] AGENCE DE LA SANTÉ PUBLIQUE DU CANADA, Épidémiologie de l’infection aiguë par le virus de l’hépatite C au Canada. Résultats du Système de surveillance accrue des souches de l’hépatite (SSASH), [En ligne], <http://www.phac-aspc.gc.ca/sti-its-surv-epi/hcv-epi-fra.php > (Page consultée le 30 septembre 2010).
[3] Épidémiologie de l’infection aiguë par le virus de l’hépatite C au Canada. (Loc. cit.)
[4] Épidémiologie de l’infection aiguë par le virus de l’hépatite C au Canada. (Loc. cit.); Les Autochtones canadiens se font frapper par l’hépatite C, Réseau canadien d’info-traitements sida, [En ligne], <http://www.catie.ca/nouvellescatie.nsf/259950eff0886a4085563ad00138c36/61722d969c> (Page consultée le 30 septembre 2010); Pier-Raymond ALLARD, Lina NOËL et INSTITUT NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE DU QUÉBEC, Facteurs de risques pour l’hépatite C : analyse des enquêtes épidémiologiques faites lors de la déclaration des cas d’infection par le VHC au Québec : avril 2002 à mars 2004, [En ligne], http://www.inspq.qc.ca/publications/notice.asp?E=p&NumPublication=853
[5] Pier-Raymond ALLARD, Lina NOËL et INSTITUT NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE DU QUÉBEC, Facteurs de risques pour l’hépatite C : analyse des enquêtes épidémiologiques faites lors de la déclaration des cas d’infection par le VHC au Québec : avril 2002 à mars 2004. (Loc. cit.)
[6] Pier-Raymond ALLARD, Lina NOËL et INSTITUT NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE DU QUÉBEC, Portrait de situation de l’hépatite C au Québec 1990-2004 ─ Analyse de la demande de services par les personnes atteintes du virus de l'hépatite C, (2006) [En ligne], <http://www.inspq.qc.ca/publications/notice.asp?E=p&NumPublication=514> (page consultée le 30 septembre 2010).
[7] Pier-Raymond ALLARD, Lina NOËL et INSTITUT NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE DU QUÉBEC, Portrait de situation de l’hépatite C au Québec 1990-2004 ─ Analyse de la demande de services par les personnes atteintes du virus de l'hépatite C. (Loc. cit.)
[8] Succession et héritiers de feu Claude Lavertu et Les Ambulances Trudeau inc., 40646-02-9206, 21 septembre 1994, R. Ouellet; Orbay et Pavillon Hôpital Royal Victoria, 327296-71-0709, 21 mai 2008, M. Cuddihy, (requête en révision rejetée, 21 avril 2009, M. Langlois)
[9] Chiasson c. CALP, [1998] C.L.P. 1086 (C.S.), appel rejeté, [2001] C.L.P. 875 (C.A.); Côté et P. Bélanger et C. Ranger Pharmaciens, [2001] C.L.P. 95 ; Richard et Scieries Chics-Chocs, [2002] C.L.P. 487
[10] Chiasson c. CALP, (précité); Côté et P. Bélanger et C. Ranger Pharmaciens (précité); Richard et Scieries Chics-Chocs, (précité)
[11] Mineault et Hull Volkswagen, [2002] C.L.P. 646 , requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Hull, 550-17-000736-031, 2 juin 2003, j. Tannenbaum
[12] Succession Maurice Lemieux et Acmé Asbestos, [2000] C.L.P. 1087
[13] Cie d'Arrimage de Québec ltée, [2002] C.L.P. 819
AVIS :
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