Lindsay et Maçonnerie Oligny |
2011 QCCLP 2766 |
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[1] Le 6 août 2010, monsieur Robert Lindsay (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 28 juin 2010, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 12 avril 2010 et déclare que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais reliés à son déménagement effectué le 26 février 2009.
[3] À l’audience tenue le 13 avril 2011, le travailleur est présent.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande de reconnaître qu’il a droit au remboursement des frais engagés pour son déménagement du 26 février 2009.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la contestation du travailleur devrait être rejetée. Il considère que le logement occupé par le travailleur était sécuritaire pour lui et respectait ses limitations fonctionnelles. Comme sa demande ne répond pas aux critères prévus par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), il ne devrait pas avoir droit au remboursement des frais engagés pour son déménagement.
[6] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la contestation du travailleur devrait être accueillie. Il considère que sa demande respecte les critères de la loi, et ce, d’autant plus que la CSST ne lui aurait jamais dit qu’il y avait de telles exigences à rencontrer. De plus, son logement ne serait pas sécuritaire, puisque monter des marches va à l’encontre de ses limitations fonctionnelles.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a droit au remboursement des frais engagés pour son déménagement du 26 février 2009.
[8] Le remboursement des frais de déménagement, tel que demandé par le travailleur, est prévu dans le cadre de la mise en œuvre d'un plan de réadaptation sociale. Les dispositions pertinentes sont édictées aux articles 152, 153 et 154 de la loi.
152. Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment :
1° des services professionnels d'intervention psychosociale;
2° la mise en oeuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;
3° le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;
4° le remboursement de frais de garde d'enfants;
5° le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.
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1985, c. 6, a. 152.
153. L'adaptation du domicile d'un travailleur peut être faite si :
1° le travailleur a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique;
2° cette adaptation est nécessaire et constitue la solution appropriée pour permettre au travailleur d'entrer et de sortir de façon autonome de son domicile et d'avoir accès, de façon autonome, aux biens et commodités de son domicile; et
3° le travailleur s'engage à y demeurer au moins trois ans.
Lorsque le travailleur est locataire, il doit fournir à la Commission copie d'un bail d'une durée minimale de trois ans.
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1985, c. 6, a. 153.
154. Lorsque le domicile d'un travailleur visé dans l'article 153 ne peut être adapté à sa capacité résiduelle, ce travailleur peut être remboursé des frais qu'il engage, jusqu'à concurrence de 3 000 $, pour déménager dans un nouveau domicile adapté à sa capacité résiduelle ou qui peut l'être.
À cette fin, le travailleur doit fournir à la Commission au moins deux estimations détaillées dont la teneur est conforme à ce qu'elle exige.
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1985, c. 6, a. 154.
[nos soulignements]
[9] Donc, à la suite de la lecture de ces articles, la Commission des lésions professionnelles retient que, pour que la CSST rembourse au travailleur ses frais de déménagement, celui-ci doit démontrer qu’il a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique et que son domicile n’a pu être adapté à sa capacité résiduelle. En effet, ce n’est que dans le cas où le domicile d’un travailleur n’est pas adapté à la capacité résiduelle d’un travailleur que la CSST peut rembourser les frais de déménagement, et ce, dans un domicile qui, lui, sera adapté à la capacité résiduelle ou qui pourra l’être.
[10] En l’espèce, la Commission des lésions professionnelles ne considère pas nécessaire de décider si le travailleur a subi une atteinte permanente grave à la suite de sa lésion professionnelle puisque, de toute façon, la preuve démontre que son déménagement n’a pas été rendu nécessaire en raison du fait que son domicile ne pouvait être adapté à sa capacité résiduelle ou encore qu’à cause de l’impossibilité d’adapter son domicile, il aurait été obligé de déménager[2].
[11] En effet, si on analyse les limitations fonctionnelles du travailleur, rien dans la preuve présentée ne permet de conclure que son domicile se devait d’être adapté.
[12] Aux dires du travailleur, son déménagement a été rendu nécessaire afin d’avoir un appartement plus facilement accessible par rapport à celui qu’il habitait et qui avait un ascenseur. Celui qu’il habitait était situé au troisième étage. Il devait monter 21 marches, avec des paliers, pour s’y rendre et cela lui occasionnait des douleurs au dos et aux jambes.
[13] Toutefois, si le tribunal se réfère aux limitations fonctionnelles conséquentes à sa lésion professionnelle, celles-ci n’empêchent pas le travailleur d’avoir accès à ce troisième étage puisqu’il n’est nullement indiqué qu’il est impossible au travailleur de monter des escaliers. Sa limitation fonctionnelle est d’éviter de monter et descendre très fréquemment les escaliers, cela ne veut pas dire qu’elle ne peut jamais en monter et descendre[3].
[14] De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, le fait que le travailleur monte chez lui des escaliers, occasionnellement, ne va nullement à l’encontre de ses limitations fonctionnelles. De plus, le travailleur est tout à fait capable d'entrer et de sortir de son domicile de façon autonome, tout comme d'avoir accès, de façon autonome, aux biens et commodités de son domicile. Le travailleur a même rencontré une ergothérapeute qui lui a enseigné des techniques sécuritaires pour l’utilisation des escaliers.
[15] Dans un cas semblable[4], le tribunal en était aussi arrivé à la même conclusion.
[26] Le travailleur déclare qu’il était fatigué lorsqu’il devait monter d’un coup la série de 13 marches menant à son appartement, particulièrement lorsqu’il avait des objets dans les mains.
[27] D’abord, le tribunal note que la limitation fonctionnelle est à l’effet que le travailleur doit éviter de monter et descendre des escaliers de façon répétitive ou fréquente. Cela ne constitue pas une interdiction absolue d’emprunter des escaliers. Le fait de monter ou descendre des marches lors de l’entrée ou de la sortie du condominium, même à plus d’une reprise lorsque le travailleur a ses emplettes ou des objets dans les mains par exemple, n’est pas contraire aux limitations fonctionnelles établies, et ceci, d’autant plus que rien n’empêche le travailleur de prendre une pause au milieu des escaliers ni, une fois arrivé dans l’appartement ou en bas de l’édifice, de prendre une pause avant de redescendre ou remonter les escaliers.
[16] Ainsi, comme le domicile du travailleur répond très bien à sa capacité résiduelle, les frais qu’il a engagés pour déménager dans un autre appartement ne peuvent lui être remboursés.
[17] Tel que déjà mentionné, la loi assujettit le remboursement des frais de déménagement à la seule condition que le domicile d’un travailleur ne puisse être adapté à sa capacité résiduelle[5].
[18] Donc, la Commission des lésions professionnelles conclut que le déménagement du travailleur n'était justifié par aucun des motifs apparaissant à la loi. Par conséquent, les frais engagés par le travailleur ne peuvent être remboursés par la CSST, selon les termes de l'article 154.
[19] La Commission d’appel en matière de lésions professionnelles s’est déjà prononcée au même effet dans Archambault et Roger Boisjolis inc.[6]. Les commentaires suivants s’appliquent très bien à notre affaire et il est opportun de s’y référer:
[…] Le droit au remboursement des frais de déménagement prévu à l'article 154 est en quelque sorte subsidiaire à celui reconnu à l'article qui le précède, soit le droit à l'adaptation du domicile. C'est donc à la lumière des critères ouvrant à l'application de l'article 153 de la Loi qu'il y a lieu de traiter de la question soumise.
À cette fin, la Commission d'appel n'entend pas s'attacher à déterminer si l'atteinte que présente le travailleur est «grave», l'exercice ne lui paraissant pas essentiel en l'espèce. Elle s'en tiendra à évaluer si, comme le laisse à comprendre la disposition précitée, l'adaptation ou, à défaut, le déménagement, est «nécessaire» pour assurer au travailleur l'autonomie d'accès et de sortie. C'est, en substance, en regard des limitations fonctionnelles découlant du déficit anatomo-physiologique que présente le travailleur que doit, dans l'estimé du tribunal, être abordée cette question, l'ordre de «nécessité» pouvant tenir tout aussi bien à l'impossibilité absolue d'accomplir certaines activités, comme c'est le cas pour le paraplégique, qu'à l'obligation de s'en abstenir en vue de se maintenir au plateau de récupération atteint et d'ainsi minimiser les risques de détérioration de la condition.
À ce sujet, on ne peut guère échapper au constat qu'à son bilan des séquelles, de février 1991, le médecin ayant charge du travailleur n'édicte aucune restriction concernant la montée ou descente d'escaliers. Le tribunal n'entend pas ignorer qu'au second bilan, de novembre 1992, il ajoutait aux limitations précédemment retenues, celle suivant laquelle le patient devait éviter de «travailler dans une position instable», et plus particulièrement en ce sens éviter les échafaudages, échelles, escabeaux et escaliers. La Commission d'appel ne trouve pas qu'il y ait là commune mesure entre la position d'instabilité dans laquelle se trouve un individu du fait qu'il ait à travailler dans un escalier et la situation qui lui est faite lorsqu'il a, comme c'est le cas en l'espèce, pour se rendre chez lui ou en sortir, à monter ou descendre dix huit marches, probablement entrecoupées de deux paliers puisqu'il habite au troisième étage, avec les poses que cela permet, et qu'il peut de toute manière franchir à un rythme que ne conditionne aucune contrainte de production.
La question n'est pas ici de savoir s'il serait, pour reprendre le terme utilisé par le docteur Bourgeau, «convenable» que le travailleur déménage au rez-de-chaussée, mais plutôt si cela est «nécessaire» au sens de la Loi afin d'assurer son autonomie. Le médecin a beau préciser à ce sujet que sa recommandation s'inscrit nécessairement en relation avec les limitations fonctionnelles du travailleur, la Commission d'appel estime que cette recommandation va au-delà de ce que le docteur Blondin a retenu sur ce plan, tant en janvier 1991 qu'en novembre 1992, et que l'on ne saurait aller plus loin que ce à quoi il a conclu, en tant que médecin qui a charge. La même remarque s'applique à l'opinion exprimée en mars 1992 par le docteur Jean-Pierre Boucher à l'effet que, souffrant de discopathies lombaires, le travailleur n'est «pas en mesure de monter régulièrement» les marches conduisant à son logement.
La Commission d'appel estime donc ne pas disposer de la preuve lui permettant de conclure au droit, pour le travailleur, à l'application de l'article 154 de la Loi.
[nos soulignements]
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête du travailleur, monsieur Robert Lindsay;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 28 juin 2010, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais engagés qu’il réclame pour son déménagement du 26 février 2009.
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Nicole Blanchard |
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[1] L.R.Q. c. A-3.001
[2] Larose et 2629-1724 Québec inc., 115927-72-9904, 13 octobre 1999, G. Robichaud.
[3] Fournier et Nergiflex inc., 131157-62B-0002, 16 octobre 2000, N. Blanchard; Bastien et Centre d’accueil Chevalier de Lorimier, 219941-71-0311, 13 janvier 2005. L. Crochetière.
[4] Bergeron et Coffrage Kevlar inc., 390641-64-0910, 25 janvier 2010, D. Armand.
[5] Boivin et Pierre & Maurice De La Fontaine inc., 114200-07-9903, 9 juillet 2001, M. Langlois.
[6] 37425-63-9202, 31 mai 1993, G. Lavoie.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.