[1.] Le 24 juillet 1998 Les Industries Cedan Inc. (la requérante) présente une requête en révision de la décision du 11 juin 1998 de la Commission des lésions professionnelles.
[2.] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejetait la requête en révision présentée par la requérante de la décision du 27 juin 1997 de la Commission d'appel.
OBJET DE LA REQUÊTE
[3.] La requérante allègue que la décision du 11 juin 1998 comporte une erreur déterminante en ce que la Commission des lésions professionnelles aurait retenu la coexistence de deux conclusions contradictoires et que l'on aurait dû corriger les décisions antérieures.
LES FAITS
[4.] Le 29 octobre 1993, la requérante demande une modification de sa classification à compter de 1988.
[5.] Le 16 mai 1994, la Commission rend une décision où, après analyse des informations portée à la connaissance de la Commission, on informe l'employeur que la classification sera modifiée à compter du 1er janvier 1993. Cette décision est contestée par l'employeur qui demande que la décision ait effet à compter de 1988.
[6.] Dans sa décision du 27 juin 1997, la Commission d'appel retient, vu l'absence de contestation pour les années antérieures, que les décisions de la CSST deviennent finales à l'expiration du délai prévu à l'article 358 de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles. La Commission d'appel refuse donc d'appliquer la rétroactivité demandée par la requérante.
[7.] Lors de sa première demande en révision, la requérante alléguait que la demande de l'employeur ne visait pas l'obtention d'une double classification mais la modification de la classification qui lui avait été octroyée de 1988 à 1992. La décision s'appuyant sur le mauvais article de la loi, la requérante ajoute que les décisions de classification ayant toutes été rendues avant le 1er novembre 1992, il aurait fallu retenir comme disposition applicable le texte de l'article 365 tel qu'il se lisait le 1er novembre 1992.
[8.] Dans sa décision du 11 juin 1998 relativement à cette requête en révision, la Commission des lésions professionnelles concluait que ce que la requérante reprochait c'était de ne pas avoir accordé plus de poids à la preuve et aux arguments offerts pour conclure à son droit à une classification rétroactive. Elle ajoute qu'on
«[…]
reproche à la Commission d'appel d'avoir suivi un courant jurisprudentiel défavorable à son point de vue, qui ne reconnaît pas le droit à une reclassification pour les années antérieures».
[9.] La Commission des lésions professionnelles conclut qu'en matière de révision pour cause on ne peut conclure à une erreur manifeste ou flagrante lorsqu'il y a plusieurs résultats possibles et que la Commission d'appel choisit l'un d'eux. Ce n'est pas parce qu'une décision ne suit pas un courant jurisprudentiel qu'elle constitue une erreur manifeste. On ne peut contrôler l'incohérence par le biais d'une révision pour cause.
[10.] La Commission des lésions professionnelles concluait que répondre à l'affirmative aux reproches de la requérante équivaudrait à entendre l'appel de nouveau pour possiblement substituer une appréciation différente de la preuve et des arguments soumis.
[11.] Dans sa nouvelle requête du 24 juillet 1998, la requérante, cette fois, estime que la Commission des lésions professionnelles aurait dû constater en reconnaissant la légalité de la classification rétroactive effectuée par la CSST pour les années 1993 et 1994, que cela équivalait à une reconnaissance implicite de la demande de l'employeur fondée sur la rétroactivié en matière de classification.
[12.] La CSST qui est intervenue au dossier, présente une requête en irrecevabilité estimant que les motifs allégués ne donnent pas ouverture au recours, qu'elle s'assimile à un appel déguisé et qu'au surplus cette requête est mal fondée en faits et en droit, la décision du 11 juin 1998 ne comportant aucune erreur manifeste et déterminante.
MOTIFS DE LA DÉCISION
[13.] Essentiellement, ce que l'employeur requérant veut faire reconnaître c'est que la décision de la CSST du 16 mai 1994 rétroagisse au 1er janvier 1988, la requérante alléguant que la classification pour les années 1988 à 1992 est erronée.
[14.] L'employeur, qui au premier chef connaissait la nature de son industrie a attendu en 1993 pour informer la Commission de l'erreur de classification qui aurait été commise. Le premier commissaire, dans sa décision du mois de juin 1997, avait considéré que les dispositions de l'article 365 ne pouvaient être de quelque utilité pour l'employeur vu le caractère annuel des décisions en matière de classification.
[15.] Dans la décision de Produits Forestiers Donohue et Jean-louis Villeneuve [1] la Commission des lésions professionnelles a interprété ce que constituait la notion de vice de fond de nature à invalider la décision comme étant une erreur manifeste de droit ou de faits qui a un effet déterminant sur le litige.
[16.] Dans sa décision du 11 juin 1998, la Commission des lésions professionnelles fait référence aux diverses décisions de la Commission d'appel relativement à l'interprétation à donner aux articles 300 et 301 de la loi. En référant particulièrement à la décision de CSST et Marks & Spenser Canada Inc. [2] la Commission d'appel soulignait
«Le présent tribunal constate, dans un premier temps, que toute l'économie de ce chapitre de la loi est à l'effet que le classement des employeurs est annuel à tous égards et que les divers articles s'interprètent les uns par rapport aux autres. Par ailleurs, il ressort des articles 300 et 301 de la loi qu'un employeur qui n'a pas transmis les informations peut se reprendre. Et ces articles, même l'article 301 de la loi sont peu explicites sur la période de référence.
[…]
Le tribunal considère qu'il y a effectivement matière à interprétation ici. Il est d'avis, dans les circonstances qu'il ne saurait être question d'une erreur de droit manifeste. Il existe certaines décisions différentes de la Commission d'appel. Toutefois, une interprétation ne constitue pas une erreur de droit manifeste uniquement parce qu'elle diffère d'autres interprétations.
[…]»
[17.] Dans la décision de Quincaillerie Richelieu Ltée et Commission des lésions professionnelles [3] la Cour supérieure, concernant les dispositions de l'article 300 de la loi et les questions d'interprétation à l'égard de cet article, soulignait que même si des décisions contradictoires ont été rendues par la CALP et la CLP, il a été bien établi, et la Cour suprême du Canada l'a rappelé dans l'arrêt Domtar Inc. et Commission d'appel en matière des lésions professionnelles du Québec [4] que le rôle de la Cour supérieure siégeant en révision judiciaire n'est pas de trancher des conflits jurisprudentiels. La Cour ajoutait qu'aucune des interprétations proposées ou retenues dans les décisions portées à l'attention du tribunal n'est absurde, aberrante ou manifestement déraisonnable. Il n'est pas manifestement déraisonnable de dire que la classification est annuelle, que la cotisation est annuelle et que la révision se fait pour l'année en cours seulement, de sorte que les articles 300 et 301 n'auraient qu'un effet prospectif. La proposition contraire n'est pas non plus manifestement déraisonnable. Or dans le cadre d'une demande de révision judiciaire, la Commission des lésions professionnelles et la Commission d'appel ont à plusieurs reprises indiqué que ce n'est pas dans le cadre d'une demande de révision que l'on doit trancher les conflits jurisprudentiels.
[18.] Ce que la requérante ajoute dans sa requête et qui n'apparaissait pas dans sa première requête, et qui est donc un argument additionnel qui aurait dû faire l'objet d'un argument présenté alors, c'est que puisque la CSST accorde la modification à la classification pour l'année 1993 en plus de l'année 1994, c'est qu'elle reconnaît implicitement que la classification pouvait rétroagir. Elle aurait dû alors rétroagir jusqu'en 1988.
[19.] Cet argument survient bien tard dans le débat, surtout après une contestation devant la Commission d'appel et une autre suite à une requête en révision.
[20.] La Commission des lésions professionnelles tient à souligner qu'une requête en révision ne constitue pas un processus de contestation en plusieurs tomes ni que l'on peut multiplier les requêtes autant de fois qu'on le juge à propos en invoquant à chaque fois un nouvel argument ou un argument présenté sous une autre forme.
[21.] Il ne faut pas oublier qu'une décision de la Commission d'appel est finale et sans appel et que ce n'est que dans des circonstances bien précises, prévues à la loi, que l'on peut demander la révision ou la révocation d'une décision.
[22.] Lorsqu'une décision fait l'objet d'un recours en révision, il faut être en mesure de démontrer clairement l'erreur que comportait la première décision en révision avant de s'aventurer sur le terrain d'une autre requête.
[23.] Autrement on peut multiplier à l'infini le nombre de requêtes espérant peut-être qu'à l'usure on finira par avoir raison.
[24.] La Commission des lésions professionnelles estime que c'est vicier le processus de finalité des décisions et celui de la révision que de multiplier indûment le nombre de requêtes en révision.
[25.] Survient un moment où on doit réfréner les ardeurs et inviter les parties concernées à s'adresser à une autre instance, si malgré les décisions défavorables, elles estiment toujours que la décision initiale comporte une erreur que personne d'autre n'a pu constater.
[26.] Il est reconnu que lors d'une demande de modification à la classification, la CSST applique l'effet de sa décision à partir de l'année où la demande est soumise, au lieu de l'appliquer pour une année subséquente. L'argument invoqué par la requérante est bien ténu ici, d'autant plus que c'est une question de politique interne. Il n'y a pas lieu d'examiner cette question dans le cadre d'une révision pour cause, particulièrement lorsque ceci est invoqué lors d'une deuxième requête en révision. Au surplus, la requérante est mal venue de se plaindre de ce fait puisqu'il suffirait alors à la CSST d'attendre la prochaine année financière avant de rendre sa décision, et faire perdre ainsi une autre année à l'employeur qui a gain de cause, lors d'une demande de modification de sa classification.
[27.] Il ne faut pas oublier ici que l'employeur connaissait la situation dans les années antérieures et qu'il n'a rien fait avant 1993.
[28.] S'appuyant sur la jurisprudence qui estime que la classification est annuelle, la Commission d'appel et la Commission des lésions professionnelles ont conclu que l'on ne pouvait faire rétroagir les effets de la décision.
[29.] La Commission des lésions professionnelles estime que la requérante n'a rien fait valoir de nouveau dans sa requête, sauf pour souligner que peut-être la CSST n'aurait pas dû lui accorder la classification pour l'année 1993 mais uniquement pour l'année 1994. Toutefois dans le cadre d'une demande de révision pour cause, la Commission des lésions professionnelles estime qu'il ne lui appartient pas d'apprécier la justesse de cette politique.
[30.] Il s'agit donc manifestement ici de la part de la requérante d'un nouvel argument qui aurait dû être présenté auparavant mais qui, de toute façon, n'a aucun effet déterminant dans la présente instance.
[31.] La Commission d'appel et la Commission des lésions professionnelles ont déterminé conformément à une certaine interprétation des articles 300 et 301 de la loi, qu'il n'y avait pas lieu de donner d'effet rétroactif à la décision de la CSST et l'on a sans doute pas jugé à propos de pénaliser l'employeur à l'égard de la politique suivie par la CSST qui, en modifiant une classification, l'appliquait à l'année de la demande.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête des Industries Cedan Inc.
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Commissaire |
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CABINET CONSEIL (Sylvie Desrosiers) 5130, rue St-Hubert, #201 Montréal (Québec) H2J 2Y3
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Représentant de la partie requérante |
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(Me André Breton) 25, boul. Lafayette, 5e étage Longueuil (Québec) J4K 5B7
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Représentant de la partie intéressée |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.