DÉCISION
[1] Le 6 mars 2001, madame Carole Nadeau (la travailleuse) présente une requête en révision de la décision du 8 janvier 2001 de la Commission des lésions professionnelles.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille une requête en révision de Framatome Connectors Canada inc. (l’employeur), révise la décision du 29 octobre 1999 de la Commission des lésions professionnelles et déclare que madame Carole Nadeau n’a pas subi de lésion professionnelle, le 10 juillet 1998.
[3] À l’audience du 14 novembre 2001, la travailleuse est absente mais représentée. L’employeur est non représenté.
L'OBJET DE LA REQUÊTE
[4] Madame Carole Nadeau demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision du 8 janvier 2001, invoquant des erreurs manifestes de faits et de droit déterminantes équivalant à un vice de fond.
LES FAITS
[5] Le 4 mai 2000, la Commission des lésions professionnelles entend une requête en révision présentée par l’employeur relativement à une décision de la Commission des lésions professionnelles du 29 octobre 1999 qui déclare que la travailleuse a subi le 10 juillet 1998 un accident du travail.
[6] L’employeur présentait une requête en révision, en s’appuyant sur l’existence de faits nouveaux qui, s’ils avaient été connus au moment de la lésion initiale, auraient pu justifier une conclusion différente.
[7] Les faits nouveaux qui ont été invoqués par l’employeur sont à l’effet que monsieur Réal Reed, qui a témoigné lors de l’audience du 26 octobre 1999, de la Commission des lésions professionnelles, n’était pas au travail, le 10 juillet 1998, lors de la survenance d’un accident survenu à madame Carole Nadeau. Monsieur Reed explique qu’il a été induit en erreur sur la date de l’accident, puisqu’il se rappelait effectivement que la travailleuse avait eu mal au dos après avoir manipulé un rouleau, mais il ne s’était pas posé la question quant à la date, puisque, semble-t-il, tout le monde semblait d’accord que la date de l’événement était le 10 juillet. Par conséquent, lors de son témoignage, il a pris pour acquis cette date, personne ne lui ayant posé quelque question à ce sujet.
[8] Effectivement, un événement s’est produit le 5 juin plutôt que le 10 juillet 1998. Ces faits sont exposés dans un affidavit de Monsieur Reed qui est repris dans la décision rendue.
[9] Dans son affidavit, la travailleuse mentionne qu’après avoir pris connaissance des nouvelles informations de son employeur, Monsieur Reed n’avait pu être témoin du fait accidentel. Lors de la rencontre avec son procureur, elle lui a mentionné qu’après l’événement, son compagnon de travail l’avait vu se tenir le dos à cause de la douleur et que celui-ci l’avait même aidée à déplacer le rouleau. Elle indique qu’elle ne se souvenait pas si c’était Monsieur Reed ou l’autre travailleur qui travaillait sur les mêmes machines qu’elle. Le délégué syndical a alors parlé avec Monsieur Reed qui se rappelait l’avoir vue en douleur et se tenir le dos. Elle a alors pris pour acquis qu’il s’agissait bien de Monsieur Reed. Par la suite, elle ne s’est jamais entretenue avec Monsieur Reed et elle ne l’a revu que lors de la journée de l’audition à Valleyfield. Elle conclut que c’est le 5 juin que Monsieur Reed l’a vue avec son mal de dos et non le 10 juillet. Elle indique qu’elle a parlé avec un autre travailleur qui était présent le 10 juillet, soit monsieur René Giroux qui ne se rappelle pas d’un incident particulier le 10 juillet 1998, mais se rappelle qu’il y avait un problème avec le rouleau et il l’a aidée à manipuler ce dernier.
[10] À cette audience du 4 mai 2000, Monsieur Giroux a témoigné. Il explique qu’il a sûrement aidé la travailleuse à sortir les rouleaux comme il l’avait fait fréquemment avant cette date, puisque ceux-ci étaient lourds. Il ne se rappelle pas si la travailleuse se tenait le dos le 10 juillet 1998 et affirme que celle-ci ne lui a rien affirmé de particulier concernant un mal de dos. Il confirme, selon ce qu’en rapporte le premier commissaire, qu’à un certain moment, longtemps après que la travailleuse eût quitté le travail, on lui aurait mentionné que c’est à cause d’un mal de dos que la travailleuse a cessé son travail.
[11] Dans sa décision du 4 mai 2000, le premier commissaire fait référence aux affidavits déposés, à la preuve entendue le 26 octobre 1999 et aux divers témoignages entendus dont celui de la travailleuse lorsqu’elle confirme que l’événement est survenu le 10 juillet 1998, au moment où elle aurait déposé son rouleau par terre. Elle précise notamment :
« Réal m’a donné un coup de main pour mes autres rouleaux à la suite. »
[12] Le premier commissaire rapporte également ce qui suit du témoignage de la travailleuse :
« [26] Plus loin, à une question, elle confirme qu’il s’agit bien de monsieur Réal Reed. Elle précise avoir quitté son travail environ une heure après la survenance de cette chaleur ressentie dans le dos et précise :
« Réal m’a beaucoup aidé. Après ça lui quand je suis en allée, il m’a dit qu’il s’occuperait de fermer mes machines puis tout, il s’est occupé de ça. » (sic)
[13] La Commission des lésions professionnelles en vient alors à la conclusion que l’absence de Monsieur Reed lors de l’événement, constitue effectivement un fait nouveau, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par l’avocate de la travailleuse.
[14] La question qui se pose est de savoir si la présence de ce fait nouveau aurait amené à un résultat différent.
[15] La Commission des lésions professionnelles en vient à la conclusion que la preuve présentée n’est pas prépondérante tant au niveau de l’application de l’article 28 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) que pour la détermination de la survenance d’une lésion professionnelle, le 10 juillet 1998, sous la forme d’un accident du travail. Elle estime donc que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle, le 10 juillet 1998.
[16] Dans sa requête, l’avocate de la travailleuse invoque que la Commission des lésions professionnelles a commis une erreur manifeste de droit, en exigeant que la travailleuse démontre de façon prépondérante que le 10 juillet 1998, alors qu’elle était à son travail, un événement soudain et imprévu est survenu, lequel aurait causé une entorse lombaire diagnostiquée, alors que la présomption énoncée à l’article 28 de la loi n’impose pas une telle preuve. Il en est de même, dit-elle, au paragraphe 41 de la décision du 8 janvier 2001, où le premier commissaire mentionne que :
« [41] (…) Il lui incombe donc de démontrer par une preuve médico-légale prépondérante, qu’à cette date un événement imprévu et soudain attribuable à toutes causes lui est survenu par le fait ou à l’occasion de son travail et a entraîné pour elle une lésion professionnelle. »
[17] C’est encore une fois la même exigence du premier commissaire, que l’on retrouve au paragraphe 54 de sa décision.
[18] L’avocate de la travailleuse souligne que l’erreur dans la détermination du fardeau de preuve est déterminante sur l’issue du litige, puisque la présomption de l’article 28 de la loi opère un reversement du fardeau de preuve. En effet, dit-elle, on a un diagnostic d’entorse qui n’est pas mis en doute. La travailleuse était sur les lieux du travail le 10 juillet 1998 et a exécuté son travail. On doit donc conclure que la travailleuse a été victime d’une lésion professionnelle, que le fardeau de la preuve est alors renversé et que c’est à l’employeur de prouver l’absence d’événement accidentel.
[19] Pour l’avocate de la travailleuse, la seule preuve à cet égard est l’absence de souvenirs de Monsieur Giroux sur l’existence d’un événement. Effectivement, la preuve démontrait qu’on a effectué des changements de rouleaux, que ceci constitue un risque de blessure au dos. Par conséquent, l’employeur n’a pas démontré que l’événement du 10 juillet 1998, n’est pas le résultant d’une lésion professionnelle survenue au travail, à l’occasion du travail. Enfin, l’avocate de la travailleuse estime que la décision n’est pas motivée ou expliquée pour écarter le témoignage de la travailleuse, ce qui donne ouverture à une demande de révision, puisque la Commission des lésions professionnelles a retenu le témoignage de Monsieur Reed à cause de l’erreur de date; on devrait, dit-elle, accepter une même erreur pour la travailleuse, puisqu’il y a eu deux événements similaires à une époque contemporaine, d’où la confusion des parties impliquées. Elle conclut que la Commission des lésions professionnelles a commis une erreur manifeste et déterminante et qu’il y a donc lieu de réviser la décision.
L'AVIS DES MEMBRES
[20] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont d’avis que la décision du 8 janvier 2001 de la Commission des lésions professionnelles ne comporte aucune erreur manifeste et déterminante, permettant de la réviser.
[21] On demande ici, à toutes fins pratiques, à un autre commissaire d’apprécier différemment la preuve et les témoignages rendus, ce que ne permet pas une requête en révision. La décision est suffisamment motivée lorsqu’on la lit dans son ensemble et il est clair que le premier commissaire n’accorde pas de crédibilité au témoignage de Madame Nadeau.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[22] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision du 8 janvier 2001 de la Commission des lésions professionnelles.
[23] La procureure de la travailleuse invoque essentiellement que la décision comporte des erreurs manifestes et déterminantes. Elle s’appuie donc particulièrement sur le paragraphe 3 de l’article 429.56 de la loi. Cet article énonce :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[24] La notion de vice de fond de nature à invalider une décision n’est pas définie à la loi. Cette notion a été développée depuis l’adoption de l’article 429.56 de la loi qui l’assimile à une erreur manifeste de fait et de droit qui a un effet déterminant sur le sort du litige[2]. Il s’agit donc d’une erreur importante dont l’évidence s’impose à l’examen d’une décision et qui est déterminante.
[25] Il ne peut s’agir d’une simple question d’appréciation de la preuve ou des règles de droit en cause, parce que, tel qu’établi par la jurisprudence, le recours en révision ou en révocation n’est pas un second appel[3].
[26] Cela signifie que le commissaire saisi d’une requête en révision ou en révocation ne peut substituer sa propre appréciation de la preuve ou du droit à celle du premier commissaire parce qu’il n’arrive pas à la même conclusion que ce dernier. La décision attaquée ne peut être révisée ou révoquée que s’il est démontré que la conclusion retenue par le premier commissaire est basée sur une appréciation des faits mis en preuve ou une application des règles de droit manifestement erronée et que cette erreur est déterminante.
[27] Lors de l’audition du 4 mai 2000, le premier commissaire a eu l’occasion d’entendre les témoins, de soupeser les témoignages, de les apprécier en regard également des témoignages qui avaient déjà été rendus et principalement celui de la travailleuse. Il insiste, particulièrement aux paragraphes 25 et 26, de la décision du 8 janvier 2001, sur certains éléments du témoignage de la travailleuse. Tout en reconnaissant que Monsieur Reed a commis une erreur de bonne foi sur la date, il n’en demeure pas moins que la travailleuse invoque que le 10 juillet 1998, si ce n’est pas Monsieur Reed, c’est un autre travailleur, soit Monsieur Giroux, qui l’a aidée et que c’est lui qui a constaté son mal de dos. Ce fait n’est pas retenu, car selon le témoignage de Monsieur Giroux, ce dernier n’aurait rien constaté d’anormal le 10 juillet 1998, bien qu’il reconnaisse avoir aidé la travailleuse à déplacer des rouleaux.
[28] La Commission des lésions professionnelles, après avoir considéré l’ensemble des témoignages ainsi que ceux qui avaient déjà été rendus à l’audience précédente, souligne qu’effectivement Monsieur Giroux n’a aucun souvenir particulier d’allégation de douleur ni d’un geste effectué par la travailleuse, démontrant une douleur au mois de juillet 1998.
[29] La Commission des lésions professionnelles en conclut que la nouvelle preuve présentée devant elle affaiblit suffisamment la crédibilité que l’on doit accorder au témoignage de la travailleuse, pour considérer que celle-ci ne peut bénéficier de la présomption de l’article 28 de la loi. Elle n’a pas été convaincue qu’un accident du travail était survenu le 10 juillet 1998. Cette conclusion du premier commissaire apparaît aux yeux de la Commission des lésions professionnelles, dans le contexte de l’ensemble de la décision, suffisamment motivée. Il réfère aux témoignages de Madame Nadeau et de Messieurs Reed et Giroux pour en arriver à une telle conclusion.
[30] Il s’agit essentiellement d’une question d’appréciation de la preuve présentée devant lui. Le premier commissaire a eu l’avantage et le bénéfice d’entendre les témoins, d’apprécier leurs réponses et leurs comportements. Il n’y a pas, contrairement à ce que prétend l’avocate de la travailleuse, d’erreur manifeste et déterminante, puisque le premier commissaire a considéré, qu’étant donné les éléments de preuve présentés, il ne pouvait appliquer la présomption de l’article 28 de la loi et encore moins, la survenance d’un accident du travail, le 10 juillet 1998. Un autre commissaire pourrait possiblement être en désaccord avec une telle conclusion, mais cela ne constitue pas un motif de révision, vu l’absence d’erreur manifeste et déterminante.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision de madame Carole Naseau, la travailleuse.
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Me Neuvaine Lacroix |
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Commissaire |
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TURBIDE, LEFEBVRE, GIGUERE, S.E.N.C. (Me Hélène Giguère) |
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Représentante de la partie requérante |
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FASKEN MARTINEAU DUMOULIN, AVOCATS (Me Linda Facchin) |
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Représentante de la partie intéressée |
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[1]
L.R.Q.
c. A-3.001
[2]
Produits forestiers Donohue et Villeneuve,
[1998] C.L.P. 733
; Franchellini et Sousa,
[1998] C.L.P. 783
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[3]
Sivaco et C.A.L.P.
[1998] C.L.P.
180
; Charrette et Jeno Newman et fils, C.L.P.
87190-71-9703, 99-03-26, commissaire Me Neuville Lacroix; Chartrand et 2847-4871 Québec inc., C.L.P. 125768-73-9910, 2001-02-19,
commissaire Claude-André Ducharme.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.