Letendre et Marine Industries ltée |
2010 QCCLP 3247 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Drummondville |
28 avril 2010 |
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Région : |
Mauricie-Centre-du-Québec |
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Dossier CSST : |
077164036 |
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Commissaire : |
Jacques Degré, juge administratif |
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Membres : |
Guy-Paul Hardy, associations d’employeurs |
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Jean-Pierre Périgny, associations syndicales |
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Partie requérante |
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et |
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Marine Industries ltée (F) |
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Ginsberg, Gingras & ass. Syndic |
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Parties intéressées |
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et |
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Commission de la santé et de la sécurité du travail |
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Partie intervenante |
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[1] Le 16 novembre 2009, monsieur Denis Letendre (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 9 octobre 2009 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle rendue le 18 août 2009, laquelle énonce notamment le refus de lui rembourser le coût de la main-d'œuvre relié à des travaux d’entretien courant du domicile, soit ceux relatifs au bois de chauffage et au ramonage de la cheminée, puisqu’il ne s’agit pas du mode de chauffage principal du domicile.
[3] Une audience se tient à Drummondville le 12 avril 2010 en présence du travailleur et de son représentant. Le représentant de Marine Industries ltée (l’employeur) est absent, ainsi que celui de Ginsberg, Gingras & ass. Syndic. La représentante de la CSST, quant à elle, informe le tribunal de son absence par télécopieur, le matin de l’audience.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande de déclarer qu’il a droit au remboursement des coûts de la main-d'œuvre reliés à la coupe, la fente, le ramassage, le transport et le cordage de son bois de chauffage, ainsi que du ramonage de sa cheminée, puisqu’il s’agit de la source principale de chauffage de sa résidence.
LES FAITS
[5] Le 29 janvier 1982, le travailleur occupe les fonctions de soudeur et d’oxycoupeur chez l’employeur. Au moment de déplacer un rouleau de caoutchouc dans un escalier, il glisse, perd l’équilibre et se frappe le genou droit. Il s’inflige une déchirure du ménisque interne, pour laquelle il subit de nombreuses chirurgies. La lésion fait l’objet d’une consolidation le 25 avril 1986 avec attribution de séquelles permanentes. En 1987, la prescription d’orthèses longues avec cuissards aux membres inférieurs est autorisée.
[6] Le 31 juillet 1997, le travailleur subit une récidive, rechute ou aggravation, laquelle lésion occasionne le remplacement d’une orthèse à la jambe droite et est consolidée le 23 mars 1998. Le 23 avril 1998 il subit une nouvelle récidive, rechute ou aggravation consolidée le 30 mars 1999. À la suite de l’avis d’un membre du Bureau d’évaluation médicale, le travailleur se voit accorder les limitations fonctionnelles suivantes :
- Éviter d’accomplir des activités qui nécessitent des mouvements de flexion et extension du genou droit ou contre résistance;
- Éviter de circuler fréquemment en escalier, de prendre la position accroupie ou agenouillée;
- Restreindre les activités qui nécessitent de transporter, pousser, tirer ou lever des charges lourdes;
- Éviter la position debout prolongée, marcher sur de longues distances.
[7] Le 3 avril 2008, le travailleur est victime d’une autre récidive, rechute ou aggravation ainsi que le 15 mai 2009, cette fois pour une déchirure du ménisque externe droit.
[8] Dans le cadre d’un autre dossier (numéro CSST 07661537), le travailleur est considéré invalide pour une lésion professionnelle au genou gauche. Laquelle lésion lui occasionne notamment une incapacité partielle permanente de 4 % et une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique de l’ordre de 28,05 %.
[9] Le 8 juin 2009, un agent de la CSST se rend chez le travailleur dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation, dans le but de se prononcer sur l’éligibilité du travailleur au remboursement de frais pour l’exécution de certains travaux d’entretien courant du domicile. À cet effet, ses notes indiquent qu’il prend en considération « la globalité de la condition du travailleur ». À l’issu de son analyse, l’agent rend sa décision le 18 août 2009.
[10] La première partie de sa décision intitulée « Décision concernant le paiement de frais de réadaptation », autorise le remboursement des coûts reliés à l’exécution de travaux de déneigement, de tonte du gazon, de taille d’arbustes et de haies, de ratissage, de mise en place et retrait de protections hivernales, de peinture et du grand ménage annuel intérieur et extérieur de la maison.
[11] Dans la seconde partie de sa décision, il refuse cependant de rembourser les coûts reliés au bois de chauffage et du ramonage de la cheminée. Il indique que le chauffage au bois n’est pas la source de chauffage principale du domicile du travailleur et précise « tel que décrit sur votre contrat d’assurance ». Le 4 septembre 2009, le travailleur conteste cette partie de la décision et en demande la révision.
[12] Le 9 octobre 2009, la CSST confirme sa décision du 8 juin précédent. La réviseure précise avoir vu le contrat d’assurance habitation du travailleur sur lequel il appert que le chauffage au bois est un chauffage d’appoint seulement. Décision que le travailleur conteste le 9 octobre 2009 devant le présent tribunal et raison pour laquelle il s’y présente le 12 avril 2010 pour être entendu.
[13] À l’audience le travailleur explique qu’il demeure à Sorel jusqu’en 1997, année où il déménage à St-Majorique, son lieu de résidence depuis. Il y vit entouré de ses trois frères, sur les terres paternelles. Endroit qu’il qualifie de havre de paix. Depuis 1997, malgré ses limitations fonctionnelles, il bûche lui-même son bois avec l’aide de ses frères, en dépit dit-il de la désapprobation de son médecin. Il dit le faire à son rythme. Cependant, il fait l’objet d’une nouvelle chirurgie le 15 mai 2009 et effectue une chute par la suite. Il doit finalement obtenir une nouvelle prothèse pour son genou gauche. À compter de ce moment, il doit cesser certaines activités, entre autres celles reliées à la coupe de bois, et ce, sur la forte recommandation de son médecin. C’est pourquoi dit-il ne pas avoir réclamé précédemment pour le remboursement de dépenses, notamment celles reliées à la coupe de son bois de chauffage.
[14] Le travailleur dépose un plan de sa résidence (pièce T-4) et explique que la maison elle-même a une superficie d’environ 24 pieds de largeur par 30 pieds de longueur. Un garage y est attenant, lequel communique autant avec la maison qu’avec le sous-sol. L’ensemble est chauffé par un poêle à bois situé dans un coin de la pièce centrale de la maison, cela ayant fait l’objet de l’approbation de son assureur. À cet effet, le travailleur dépose son contrat d’assurance habitation (pièce T-1) qui spécifie que le chauffage de la résidence est à l’électricité et au bois.
[15] Le travailleur affirme que son unique source de chauffage est le bois. Il dépose en liasse sept factures d’électricité (pièce T-2) pour illustrer que les coûts apparaissant sur celles-ci demeurent relativement stables hiver comme été. Elles sont à l’effet suivant :
Facture du 29 janvier 2009
Période du 28 novembre 2008 au 29 janvier 2009 - 63 jours
252,47 $
Facture du 3 avril 2009
Période du 30 janvier au 3 avril 2009 - 64 jours
226,77 $
Facture du 2 juin 2009
Période du 4 avril au 2 juin 2009 - 60 jours
164,36 $
Facture du 4 août 2009
Période du 3 juin au 4 août 2009 - 63 jours
148,53 $
Facture du 25 novembre 2009
Période du 2 octobre au 25 novembre 2009 - 55 jours
156,21 $
Facture du 28 janvier 2010
Période du 26 novembre 2009 au 28 janvier 2010 - 64 jours
192,94 $
Facture du 1er avril 2010
Période du 29 janvier au 1er avril 2010 - 62 jours
143,95 $
[16] Le travailleur déclare ne pas utiliser son chauffage électrique pour chauffer sa résidence, mais seulement son poêle à bois, ce qui nécessite, bon an mal an, environ huit cordes de bois. C’est son frère Claude qui exécute la coupe, la fente, le ramassage, le transport et le cordage à sa résidence. Il dépose à cet effet une facture (pièce T-3), de Claude Letendre, en date du mois de novembre 2009, au montant de 680,00 $ pour huit cordes de bois, ce qui inclut tout, précise le travailleur.
L’AVIS DES MEMBRES
[17] Le membre issu des associations syndicales ainsi que le membre issu des associations d’employeurs sont d’avis d’accueillir la contestation du travailleur. Ils considèrent la preuve prépondérante à l’effet que la source principale de chauffage de la résidence du travailleur est le bois. Non seulement le remboursement des frais demandés l’est-il pour des travaux d’entretien courant du domicile, mais compte tenu de la condition physique du travailleur, il est évident qu’il rencontre toutes les conditions prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) pour se voir rembourser de telles dépenses.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[18] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la source principale du chauffage de la résidence du travailleur est le bois. Et le cas échéant, si le travailleur a droit au remboursement des frais reliés à la coupe, la fente, le ramassage, le transport ainsi que le cordage de son bois de chauffage, à titre de travaux d’entretien courant du domicile.
[19] Le motif de la CSST pour refuser au travailleur le remboursement demandé réside uniquement dans le fait que la source principale de chauffage de sa résidence n’est pas le bois. Elle ne prétend aucunement que les frais dont le remboursement est requis ne sont pas des travaux d’entretien courant du domicile. Le tribunal tient donc à rappeler tout d’abord quelles sont les dispositions et conditions qu’un travailleur doit rencontrer pour demander et obtenir le remboursement de ce type de frais.
[20] La notion de travaux d’entretien courant du domicile se retrouve à l’article 165 de la loi, au chapitre de la réadaptation, et se lit comme suit :
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.
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1985, c. 6, a. 165.
[21] La condition de base à toute demande de remboursement de ce type est donc la reconnaissance dans un premier temps, au droit à la réadaptation. Celui-ci est énoncé à l’article 145 de la loi :
145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.
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1985, c. 6, a. 145.
[22] Puisqu’il est porteur d’une atteinte permanente, le travailleur s’est vu reconnaître ce droit, notamment dans la décision rendue le 18 août 2009.
[23] Pour demander le remboursement de frais engagés pour faire effectuer des travaux d’entretien courant du domicile, non seulement le travailleur doit-il être porteur d’une atteinte permanente, mais encore faut-il que celle-ci soit qualifiée de grave. Cette qualification tient compte principalement, comme le reconnaît la jurisprudence du tribunal, de la capacité résiduelle du travailleur à effectuer le type de travaux visés à l’article 165 de la loi[2].
[24] Compte tenu de l’importance des limitations fonctionnelles que le travailleur s’est vu reconnaître, de la déclaration d’invalidité émise dans le cadre d’un autre dossier et des importantes séquelles permanentes qui s’y rattachent, son atteinte permanente est évidemment grave. La première partie de la décision rendue le 18 août 2009 et qui accorde au travailleur le remboursement de divers autres types de frais en est le reflet.
[25] Le travailleur affirme de plus devant le tribunal que malgré sa condition, depuis 1997, année de son déménagement, il exécute lui-même les travaux dont il réclame aujourd’hui le remboursement pour la première fois, ce qui est tout à son honneur. Comme le travailleur est victime d’une récidive, rechute ou aggravation le 15 mai 2009, il est acquis qu’il effectue lui-même les travaux préalablement à cette dernière lésion. Le travailleur remplit donc toutes les conditions requises pour se voir accorder le remboursement demandé.
[26] Les travaux d’entretien courant du domicile correspondent à des travaux qui doivent être faits périodiquement ou encore selon les saisons afin de maintenir ou conserver les lieux en bon état. Il doit cependant s’agir de travaux ordinaires et habituels du domicile, par opposition à des travaux d’entretien inhabituels ou extraordinaires[3]. La jurisprudence du tribunal est depuis longtemps fixée et considère que les frais reliés aux activités de coupe, de fente de ramassage et de cordage du bois de chauffage représentent de tels travaux, à la condition qu’il s’agisse de la source principale ou unique de chauffage de la résidence d’un travailleur[4].
[27] Le travailleur affirme que le chauffage au bois est l’unique source de chauffage de sa résidence. Le peu de fluctuation dans le montant des factures d’électricité déposées en preuve, le contrat d’assurance habitation du travailleur, lequel précise que les sources de chauffage de la résidence sont l’électricité et le bois, ainsi que le témoignage crédible du travailleur qui réclame, de surcroît, pour la première fois le remboursement de ce type de frais malgré sa condition, convainquent le tribunal que la source principale de chauffage de sa résidence est bel et bien le bois, et qu’il ne s’agit pas là d’un simple chauffage d’appoint.
[28] La Commission des lésions professionnelles juge que le travailleur a droit au remboursement des frais reliés aux travaux de coupe, de fente, de ramassage, de transport et de cordage de son bois de chauffage, ainsi que du ramonage de la cheminée de son poêle à bois, à titre de travaux d’entretien courant du domicile, sous réserve du montant maximum annuel alloué par la loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée le 16 novembre 2009 par monsieur Denis Letendre, le travailleur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 9 octobre 2009 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement des frais reliés aux travaux de coupe, de fente, de ramassage, de transport et de cordage de son bois de chauffage, ainsi que du ramonage de la cheminée de son poêle à bois, à titre de travaux d’entretien courant du domicile, sous réserve du montant maximum annuel alloué à cet égard par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Jacques Degré |
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M. Jacques Fleurent |
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R.A.T.T.A.C.Q. |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Marie-Ève Dagenais |
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Panneton Lessard |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Chevrier et Westburn ltée, C.L.P. 16175-08-8912, 25 septembre 1990, M. Cuddihy (J2-15-19).
[3] Lévesque et Mines Northgate inc., [1990] C.A.L.P. 683 .
[4] Champagne et Métallurgie Noranda inc., C.L.P. 144899-08-0008, 1er mars 2001, P. Prégent, (00LP-169); Hamel et Mines Agnico Eagle ltée, C.L.P. 134627-08-0002, 10 juillet 2001, M. Lamarre.
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