Décision

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Picard et Abitibi Consol Scierie des outardes

2011 QCCLP 5070

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Gaspé

27 juillet 2011

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent

et Côte-Nord

 

Dossier :

417264-09-1008

 

Dossier CSST :

130207756

 

Commissaire :

Raymond Arseneau, juge administratif

 

Membres :

Jacques St-Pierre, associations d’employeurs

 

Guy Côté, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Guy Picard

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Abitibi Consol Scierie des Outardes

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 3 août 2010, monsieur Guy Picard (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 12 juillet 2010 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 9 avril 2010. Elle déclare que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais encourus pour le maintien et l’entretien des animaux de sa ferme expérimentale et des bâtiments utilisés à cette fin.

[3]           Le travailleur est présent et représenté à l’audience tenue le 29 juin 2011 à Baie-Comeau. Les représentants d’Abitibi Consol Scierie des Outardes (l’employeur) et de la CSST ont avisé le tribunal de leur absence à l’audience. Le représentant de la CSST a toutefois déposé une argumentation écrite au dossier.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           Le travailleur demande au tribunal de déclarer qu’il a droit au remboursement des frais engagés pour le maintien et l’entretien de ses animaux de ferme expérimentale et des bâtiments utilisés à cette fin.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]           Le membre issu des associations d’employeurs et celui issu des associations syndicales sont tous deux d’avis que la requête du travailleur devrait être rejetée. Ils considèrent que sa demande n’est pas couverte par les dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). Conséquemment, ils estiment que la CSST a eu raison de refuser de lui rembourser les frais engagés pour le maintien et l’entretien de ses animaux de ferme expérimentale et des bâtiments utilisés à cette fin. Le membre issu des associations syndicales précise qu’il pourrait en être autrement si le travailleur présentait une demande pour des dépenses portant spécifiquement sur certains coûts d’entretien courant des bâtiments de sa ferme.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[6]           Au départ, il paraît opportun de faire un rappel non exhaustif des faits mis en preuve.

[7]           Le 19 septembre 2006, le travailleur alors âgé de 55 ans subit un accident de travail dans l’exercice de son emploi d’opérateur de relève pour l’employeur. Dans sa réclamation déposée à la CSST, il décrit l’événement accidentel de la façon suivante : « En m’appuyant sur la rampe, la rampe a cédé. J’ai fait une chute de 15 pieds. La rampe m’est tombée sur la jambe ».

[8]           Les premiers médecins consultés diagnostiquent une fracture ouverte du tibia et du péroné de la jambe droite.

[9]           Dans les années suivantes, le travailleur subit divers soins et traitements en lien avec sa lésion professionnelle. Durant cette période, il souffre de diverses complications qui entraînent, entre autres, un problème d’ostéite chronique au membre inférieur droit.

[10]        Le 8 décembre 2009, le travailleur est amputé de la jambe droite.

[11]        Au début du mois de février 2010, le travailleur transmet une lettre à la CSST dans laquelle il demande une aide financière pour les travaux de maintien et d’entretien de sa ferme expérimentale et des bâtiments utilisés à cette fin.

[12]        Le 9 avril 2010, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse la demande. Cette décision est ultérieurement confirmée à la suite d’une révision administrative, d’où le présent litige.

[13]        À l’audience, le travailleur apporte les précisions suivantes au sujet de sa demande :

-        il possède sa ferme expérimentale depuis 1988;

-        avant de subir son accident du travail, il s’occupait seul de la majorité des travaux de ferme, consacrant quotidiennement entre 2 heures et 2 heures 30 de son temps à ces tâches;

-        il se faisait aider pour certains travaux, notamment pour la récolte des produits du jardin et l’abattage des animaux;

-        il ne retirait aucun profit de la ferme, le produit de la vente des produits étant réinvesti dans l’achat de nourriture et d’autres matériels;

-        à cette époque, il possédait quelques chèvres, une trentaine de poulets, des canards, des chiens de traîneaux et des lapins;

-        à la suite de son accident du travail, il a été incapable de s’occuper seul des travaux de la ferme, ce qui l’a obligé à requérir de l’aide d'autres personnes;

-        il a ainsi dû supporter des frais en raison de ces circonstances;

-        depuis la fin de l’année 2010 ou le début de l’année 2011, il a recommencé à s’occuper d’une grande partie des travaux requis.

[14]        Ce bref historique étant présenté, examinons maintenant le cadre légal permettant de disposer de la requête.

[15]        Le principe du droit à la réadaptation est édicté à l’article 145 de la loi dans les termes suivants :

145.  Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 145.

 

 

[16]        La jurisprudence enseigne que le droit à la réadaptation s’ouvre à la date où l’atteinte permanente résultant d’une lésion professionnelle est médicalement établie, en tout ou en partie, et ce, indépendamment de la consolidation de la lésion[2].

[17]        Les articles 151 et 152 de la loi énoncent ce qui suit à propos de la réadaptation sociale :

151.  La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.

__________

1985, c. 6, a. 151.

 

152.  Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment :

 

1° des services professionnels d'intervention psychosociale;

2° la mise en œuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;

3° le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;

4° le remboursement de frais de garde d'enfants;

5° le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.

__________

1985, c. 6, a. 152.

 

 

[18]        Lors de l’argumentation, le représentant du travailleur signale que la jurisprudence enseigne que l’article 152 contient une énumération non limitative des mesures de réadaptation autorisées par la loi[3].

[19]        Le soussigné n’est pas en désaccord avec cette interprétation jurisprudentielle. Par contre, il constate qu’au paragraphe 5 de l’article 152, le législateur a spécifiquement traité de la question ayant trait au coût des travaux d'entretien du domicile. S’il avait voulu élargir le droit au remboursement à d’autres frais, par exemple aux frais reliés aux travaux d’entretien de bâtiments de ferme adjacents au domicile, il l’aurait précisé.

[20]        Sur ce, le silence du législateur suggère qu’il a délibérément voulu limiter le droit au remboursement des frais de cette nature aux travaux d'entretien courant du domicile, choisissant ainsi d’exclure les autres frais.

[21]        Au surplus, comme le souligne le représentant de la CSST dans son argumentation, si le remboursement des frais de la main-d'œuvre requise pour l’exploitation de la ferme du travailleur était autorisé, ce dernier bénéficierait d’une forme d’enrichissement, ce qui est contraire à l’objet de la loi.

[22]        Cela étant dit, l’article 165 de la loi précise ce qui suit au sujet des travaux d’entretien courant du domicile :

165.  Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.

__________

1985, c. 6, a. 165.

 

 

[23]        En vertu de cet article, un travailleur qui veut obtenir le remboursement des frais engagés pour faire exécuter des travaux à son domicile doit démontrer :

1°  qu’il a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison de sa lésion professionnelle;

2°  qu’il s’agit de travaux d’entretien courant de son domicile;

3°  que les séquelles résultant de sa lésion professionnelle le rendent incapable d’effectuer les travaux visés par sa demande;

4°  qu’il effectuerait normalement lui-même ces travaux si ce n’était de sa lésion professionnelle.

[24]        Le représentant du travailleur soutient que les frais dont le travailleur demande le remboursement sont assimilables aux frais reliés à l’exécution de travaux d’entretien courant du domicile.

[25]        Le tribunal ne souscrit pas à cet argument. Au contraire, il considère que les frais dont le remboursement est réclamé ne sont pas reliés directement à l’entretien courant du domicile. À cet égard, un parallèle peut être fait avec les faits mis en preuve dans l’affaire Blanchet et Équipements EMU ltée[4], dont voici un extrait :

[86]      Le tribunal doit constater que les travaux réclamés par le travailleur ne sont pas des travaux habituels et réguliers permettant la protection de sa résidence dans le cadre de l’entretien courant d’un domicile.

 

[87]      Ainsi, une piscine constitue un accessoire de loisir qui s’ajoute à une résidence mais qui n’est pas relié directement à l’entretien courant d’un domicile. Il en est de même pour les autres frais réclamés par le travailleur portant sur la promenade de son chien, ceux encourus pour faire son épicerie ou les frais de taxi pour le transport de sa fille à l’école qu’elle fréquente. De même, la fin des travaux de construction de sa résidence ne peut être assimilée à des frais d’entretien « courant » puisque des travaux de construction sont, par définition, inhabituels, peu courants et exceptionnels11.

 

[88]      Les frais réclamés par le travailleur ne sont donc pas prévus à l’article 165 de la loi susmentionnée puisqu’ils ne sont pas reliés directement à l’entretien courant de son domicile même s’ils constituent, de toute évidence, un irritant auquel le travailleur doit faire face compte tenu de l’incapacité qui découle temporairement de sa lésion professionnelle.

 

[89]      La réclamation du travailleur à cet égard doit définitivement être écartée puisqu’elle ne cadre pas avec l’objet prévu à l’article 165 de la loi.

__________

[Références omises].

 

 

[26]        Somme toute, le tribunal conclut que la requête du travailleur n’est pas fondée.

 

 

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de monsieur Guy Picard, le travailleur;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 12 juillet 2010 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais engagés pour le maintien et l’entretien de ses animaux de ferme expérimentale et des bâtiments utilisés à cette fin.

 

 

 

 

 

Raymond Arseneau

 

 

 

 

Denis Faucher

S.C.E.P. - SDAT (FTQ)

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Raymond Gouge, avocat

Cain Lamarre Casgrain Wells

Représentant de la partie intéressée

 

 

Me René Fréchette, avocat

Vigneault Thibodeau Bergeron

Représentant de la partie intervenante

 



[1]       L.R.Q., c. A-3.001.

[2]       Voir notamment : Brouty et Voyages Symone Brouty, C.L.P. 120748-31-9907, 15 juin 2000, P. Simard; Guénette et Alpine Entrepreneur général inc., C.L.P. 153844-61-0101, 30 avril 2001, S. Di Pasquale; Coulombe et Auberge de l'île, C.L.P. 175230-62A-0112, 10 juillet 2002, J. Landry.

[3]       Il dépose à ce sujet la décision rendue dans l’affaire Fleury et Boulangerie Gadoua ltée, C.L.P. 339742-31-0803C, 19 septembre 2008, G. Tardif.

[4]       Décision citée par le représentant de la CSST, dont voici la référence : C.L.P. 365010-31-0812-2-C, 16 octobre 2009, A. Tremblay.

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