Décision

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Marché A. Desrochers inc. et Gagnon

2010 QCCLP 6509

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

2 septembre 2010

 

Région :

Mauricie-Centre-du-Québec

 

Dossier :

381200-04B-0906

 

Dossier CSST :

130027212

 

Commissaire :

Marie Lamarre, juge administratif

 

Membres :

Ginette Vallée, associations d’employeurs

 

Serge St-Pierre, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Marché A. Desrochers inc.

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Sonia Gagnon

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 17 juin 2009, Marché A. Desrochers inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 29 mai 2009 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST maintient une autre décision qu’elle a initialement rendue le 24 mars 2009, à l’effet que madame Sonia Gagnon (la travailleuse) a droit à la réadaptation puisqu’il est prévu qu’elle conservera une atteinte permanente attribuable à la lésion professionnelle qu’elle a subie le 26 mars 2006.

[3]           L’employeur a transmis une argumentation écrite le 26 mai 2010 et la cause a été prise en délibéré par la soussignée le 29 juin 2010, à la suite d’une ordonnance lui transférant ce dossier en vertu des dispositions des articles 418 et 420 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision rendue par la révision administrative et de déclarer que la travailleuse n’a pas droit aux mesures de réadaptation prévues par la loi puisque sa lésion professionnelle était consolidée le 16 décembre 2008 sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles et qu’en conséquence elle a la capacité d’exercer son emploi prélésionnel à compter de cette date.

LES FAITS

[5]           Alors qu’elle travaille comme commis aux fruits chez l’employeur, la travailleuse est victime d’une lésion professionnelle le 26 mars 2006 s’infligeant une tendinite au poignet droit. Le 7 février 2007, elle est examinée à la demande de l’employeur par le docteur Bernard Lacasse, chirurgien orthopédiste.

[6]           Ce médecin retient le diagnostic de tendinite au poignet droit consolidé au 7 février 2007 sans atteinte permanente, ni limitations fonctionnelles.

[7]           Le 7 mai 2007, la travailleuse est examinée par le docteur André Léveillé, chirurgien plasticien, membre du Bureau d’évaluation médicale. Ce médecin retient le diagnostic de séquelles douloureuses d’entorse au poignet droit non consolidée. Il  recommande la poursuite des traitements d’ergothérapie, une consultation en physiatrie, le port d’une orthèse de support au poignet droit et un retour au travail progressif à continuer.

[8]           Le docteur Deshaies, médecin traitant de la travailleuse, consolidera finalement la lésion professionnelle le 16 décembre 2008 alors qu’il complète un rapport final. Dans son rapport final, le docteur Deshaies indique « oui » à la question « La lésion professionnelle entraîne-t-elle une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique? » Et également « oui » à la question « La lésion professionnelle entraîne-t-elle des limitations fonctionnelles? » Il indique toutefois, dans son rapport final, qu’il réfère la travailleuse en consultation au docteur Jean-François Bégin, chirurgien orthopédiste, afin qu’il évalue les séquelles et les limitations fonctionnelles.

[9]           Après la réception de ce rapport final du docteur Deshaies, la CSST, le 24 mars 2009, rend la décision suivante :

Nous désirons vous informer que vous avez droit à la réadaptation, puisque nous prévoyons que vous conserverez une atteinte permanente attribuable à votre lésion professionnelle survenue le 27 (sic) mars 2006.

 

L’évaluation de la situation laisse entrevoir que vous aurez besoin de services de réadaptation pour pouvoir retourner au travail. Nous chercherons donc avec vous et votre employeur les solutions qui conviennent le mieux, compte tenu des circonstances.

 

 

[10]        L’employeur demande la révision de cette décision de la CSST le 24 avril 2009.

[11]        Le 29 mai 2009, la direction de la révision administrative de la CSST confirme cette décision de la CSST en indiquant qu’en l’absence d’un avis du Bureau d’évaluation médicale, elle est liée par les conclusions du médecin qui a charge, lesquelles sont contenues dans le rapport final du 16 décembre 2008 à l’effet que la travailleuse est consolidée avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles. La révision administrative, se fondant sur le rapport final du médecin traitant du 16 décembre 2008, conclut donc que, comme l’a fait la CSST, dans sa décision initiale, la travailleuse a droit à la réadaptation que requiert son état puisqu’elle est porteuse d’une atteinte permanente.

[12]        La preuve révèle toutefois que, le 25 mai 2009, le docteur Jean-François Bégin, chirurgien orthopédiste, à qui le médecin traitant, le docteur Deshaies, avait dirigé la travailleuse pour évaluation de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, examine cette dernière. Dans son rapport d’évaluation médicale qu’il complète à cette date, ce médecin conclut qu’il y a absence d’atteinte permanente de même qu’absence de limitations fonctionnelles. Le rapport d’évaluation médicale du docteur Bégin n’est toutefois reçu à la CSST qu’en date du 8 juin 2009, tel qu’il appert d’une estampe de la CSST apparaissant sur ce document à cette date, de telle sorte que la révision administrative ne l’avait pas en sa possession lorsqu’elle a rendu sa décision le 29 mai 2009.

[13]        La preuve révèle, par ailleurs, que l’employeur a contesté le 17 juin 2009 la décision de la révision administrative du 29 mai 2009 d’où la présente requête.

L’ARGUMENTATION DES PARTIES

[14]        Dans son argumentation écrite, l’employeur s’appuyant sur la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles soutient que la décision rendue par la CSST, le 24 mars 2009, était prématurée puisque le docteur Bégin n’avait pas encore complété son rapport d’évaluation médicale. Or, ce médecin était devenu le médecin en charge de la travailleuse à la demande du docteur Pierre Deshaies qui avait complété le rapport final puisque ce dernier lui avait référé la travailleuse pour évaluer l’atteinte permanente de même que les limitations fonctionnelles. Le docteur Deshaies avait donc délégué, au docteur Bégin, la compétence d’évaluer l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles, conformément aux prescriptions de la loi.

L’AVIS DES MEMBRES

[15]        Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis qu’il y a lieu d’accueillir la requête de l’employeur et d’infirmer les décisions de la CSST et de la révision administrative parce que le rapport final complété par le docteur Deshaies le 16 décembre 2008, ne remplissant pas les exigences prévues à l’article 203, puisqu’il ne décrivait pas l’atteinte permanente, ni n’identifiait les limitations fonctionnelles, il ne possédait pas de caractère liant pour la CSST. En déléguant l’évaluation de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles à un autre médecin, ce dernier est devenu le médecin qui a charge aux fins de compléter le rapport d’évaluation médicale conformément aux dispositions de la loi. Aussi, le rapport d’évaluation médicale complété le 25 mai 2009, indiquant que la travailleuse ne présente aucune atteinte permanente ou limitations fonctionnelles en relation avec la lésion professionnelle, ne possédant pas de caractère liant au sens de la loi, la décision de la CSST concluant que la travailleuse avait droit aux mesures de réadaptation doit donc être infirmée. 

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[16]        Après avoir analysé l’ensemble de la preuve documentaire au dossier, de même que, pris en considération, l’argumentation de l’employeur, le tribunal est d’avis qu’il y a lieu d’accueillir la requête de l’employeur et de déclarer que la travailleuse était consolidée le 16 décembre 2008 sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles et qu’en conséquence, elle avait la capacité d’exercer son emploi prélésionnel et n’avait pas droit aux mesures de réadaptation prévues par la loi.

[17]        La Commission des lésions professionnelles estime, en effet, qu’en complétant le rapport final du 16 décembre 2008, le médecin traitant, le docteur Deshaies, lorsqu’il réfère la travailleuse au docteur Jean-François Bégin, chirurgien orthopédiste, pour évaluation de séquelles permanentes et de l’atteinte permanente, délègue à ce dernier médecin, sa compétence d’évaluer le pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique d’après le Barème des dommages corporels[2], de même que les limitations fonctionnelles au sens de la procédure d’évaluation médicale prévue par la loi particulièrement aux paragraphes 2 et 3 de l’article 203 de la loi.

[18]        Il convient de reproduire les articles 203 et 224 de la loi lesquels prévoient ce qui suit :

203.  Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.

 

Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant :

 

1° le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;

 

2° la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;

 

3° l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.

 

Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.

__________

1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.

 

 

224.  Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 .

__________

1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.

 

 

[19]        La soussignée fait siennes les conclusions de la juge administratif Diane Lajoie, dans l’affaire Beauchemin et Hôpital Christ-Roy[3] lorsqu’elle cite les motifs rendus par la juge administratif Sophie Sénéchal dans l’affaire Ferron et Panneaux Maski inc.[4] laquelle fait référence aux commentaires de la commissaire Joëlle L’Heureux qui s’exprime comme suit dans l’affaire Colgan et C.A. Champlain Marie-Victorin[5]:

[…], l’affirmation ou la négation pure et simple de l’existence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique ou de limitations fonctionnelles sur le formulaire de rapport médical final ne permet pas la description du pourcentage de l’atteinte permanente et celle des limitations fonctionnelles comme l’indique l’article 203 de la Loi.

 

[…]

 

L’affirmation ou la négation de l’existence d’une atteinte permanente ou de limitations fonctionnelles, demandée au formulaire de « rapport final » par la Commission, ne correspond à aucune des étapes de la procédure d’évaluation médicale prévue à la loi. L’article 203, paragraphes 2 et 3, prévoit spécifiquement qu’à la suite de la consolidation de la lésion, le médecin ayant charge du travailleur doit indiquer le pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique du travailleur d’après le barème des dommages corporels adopté par règlement et doit décrire les limitations fonctionnelles du travailleur résultant de cette lésion….

 

[…]  La limitation fonctionnelle, tout comme l’atteinte permanente, ne devient réelle et donc applicable, ou encore contestable, que lorsqu’elle est décrite dans sa nature.

 

(référence omise)

 

 

[20]        En l’espèce les faits sont similaires à ceux que l’on retrouve dans l’affaire Beauchemin[6], alors que la juge administrative Diane Lajoie indique que le médecin traitant en référant la travailleuse à un spécialiste afin que celui-ci évalue lui-même les limitations fonctionnelles et l’atteinte permanente, déléguait alors sa compétence de médecin qui a charge à ce dernier médecin aux fins de l’évaluation de l’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles. Comme dans cette affaire, il y a donc lieu de conclure que ce sont les conclusions du spécialiste, à qui le médecin traitant le docteur Deshaies a référé la travailleuse pour l’évaluation des séquelles permanentes et des limitations fonctionnelles, qui devenaient liantes auprès de la CSST.

[21]        C’est également ce que déclarait la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Trudel et Transelec-Common inc.[7], lorsque la Commission des lésions professionnelles déclarait que le bref formulaire « rapport final » ne suffit pas et doit être complété par un rapport d’évaluation médicale, à moins qu’il ne comporte les éléments requis par l’article 203. Aussi, si le premier médecin n’évalue pas l’atteinte permanente ni les limitations fonctionnelles, le second médecin a toute liberté pour les évaluer, incluant la conclusion qu’il n’y en a pas, l’article 203 référant au pourcentage d’atteinte permanente et à la description de limitations fonctionnelles et non simplement à leur existence. Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles concluait qu’en l’espèce, la CSST devenait liée par le rapport d’évaluation médicale produit par l’orthopédiste à titre de médecin qui a charge du travailleur.

[22]        La Commission des lésions professionnelles constate donc que, lorsqu’elle a rendu sa décision le 24 mars 2009, la CSST, de même que la révision administrative, le 29 mai 2009, ont rendu des décisions prématurées puisqu’elles n’avaient pas encore eu connaissance et reçu le rapport d’évaluation médicale complété par le docteur Jean-François Bégin, à la demande du médecin traitant. Ce rapport d’évaluation médicale n’a  été reçu par la CSST que le 8 juin 2009, et dans celui-ci le docteur Bégin conclut à l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles.

[23]        La décision rendue le 24 mars 2009 par la CSST concluant que la travailleuse avait droit aux mesures de réadaptation prévues par la loi puisqu’elle conservait une atteinte permanente attribuable à sa lésion professionnelle survenue le 26 mars 2006 était donc prématurée et doit donc être infirmée en l’absence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de Marché A. Desrochers inc., l’employeur;

INFIRME la décision rendue le 29 mai 2009 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la lésion professionnelle subie par madame Sonia Gagnon, la travailleuse, le 26 mars 2006, était consolidée le 16 décembre 2008 sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles;

DÉCLARE que la travailleuse avait donc la capacité d’exercer son emploi prélésionnel à compter du 16 décembre 2008 et n’avait donc pas droit aux mesures de réadaptation prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

__________________________________

 

Marie Lamarre

 

 

 

 

Me Don Alberga

OGILVY RENAULT

Représentant de la partie requérante

 

 

 

 

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

[2]           (1987) 119 G.O. II, 5576

[3]           C.L.P. 193400-04B-0210, 11 août 2003

[4]           C.L.P. 172710-04-0111, 3 octobre 2002. S. Sénéchal

[5]           [1995], C.A.L.P. 1201

[6]           précitée note 3

[7]           C.L.P. 257302-01B-0502, 24 février 2006, L. Desbois, révision rejetée 13 juillet 2007, C.A. Ducharme

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