LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE
DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES
QUÉBEC MONTRÉAL, le 15 juin 1995
DISTRICT D'APPEL DEVANT LA COMMISSAIRE: Me Mildred Kolodny
DE MONTRÉAL
RÉGION:Île de Montréal ASSISTÉE DE L'ASSESSEUR: Lucien Fournier, médecin
DOSSIER:22977-60-9011
DOSSIER CSST:6667 0233 AUDITION TENUE LE: 18 novembre 1992
PRIS EN DÉLIBÉRÉ LE: 4 juillet 1994
DOSSIER BRP:6040 6768
A: Montréal
MONSIEUR ÉMILE MAURICE
4613, St-Jacques,
Montréal (Québec)
H4C 1K3
PARTIE APPELANTE
et
MINISTÈRE DES LOISIRS
CHASSE & PÊCHE
150, Boul. St-Cyrille
Québec (Québec)
G1R 4Y1
PARTIE INTÉRESSÉE
COMMISSION DE LA SANTÉ
ET SÉCURITÉ DU TRAVAIL
1, Complexe Desjardins
Tour sud, 31e étage
C.P. 3, Succursale Desjardins
Montréal (Québec)
H5B 1H1
PARTIE INTERVENANTE
D É C I S I O N
Le 14 novembre 1990, monsieur Emile Maurice (le travailleur) dépose à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) une déclaration d'appel à l'encontre d'une décision rendue par le bureau de révision paritaire de l'Île de Montréal (le bureau de révision) et datée du 28 août 1990. Le travailleur déclare avoir reçu la décision le 20 septembre 1990. Selon le dossier, on constate également que cette décision a été reçue à la Commission le 12 septembre 1990.
Le bureau de révision rejette la demande de révision du travailleur et maintient la décision rendue le 18 janvier 1989 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission). Dans sa décision, la Commission refuse au travailleur le droit à la réadaptation puisqu'il n'a pas subi une atteinte permanente à l'intégrité physique résultant de la rechute du 13 avril 1988. Cette décision se lit comme suit:
«Suite à l'étude de votre dossier, il appert que le rapport final émis par le Dr Bojanowski en date du 13 décembre 1988 rapporte effectivement la présence de restrictions fonctionnelles mais nous informe de l'absence d'une atteinte permanente pour la rechute du 13 avril 1988.
Nous vous informons par la présente que vous n'avez pas droit à la réadaptation en vertu de l'article 145 de L.A.T.M.P. puisque vous n'avez subi aucune atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique en raison de votre lésion professionnelle.»
OBJET DE L'APPEL
Le travailleur prétend avoir droit à la réadaptation selon l'article 145 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles L.R.Q., chapitre A-3.001 (la loi) et il donne comme motif que les limitations fonctionnelles déclarées par le Dr Dehnade ainsi que l'existence d'une atteinte permanente lui donnent droit à la réadaptation.
LES FAITS
Le travailleur a subi le 31 juillet 1978, un accident du travail pour lequel il a subi une discoïdectomie lombaire à L4-L5 le 19 juin 1979.
L'accident est survenu alors que le travailleur, employé du Ministère du tourisme, chasse et pêche, (l'employeur) s'est infligé un mal de dos en pelletant de la terre pour chercher un tuyau. Il a ressenti subitement une lombalgie qui l'a empêché de continuer son travail.
A la suite de la discoïdectomie, le Dr Roger Gariépy, en avril 1980, écrit à la Commission, et dans sa lettre, il suggère ce qui suit:
«Le traitement suggéré devrait se limiter à des recommandations de prudence à l'effort. Il y aurait avantage à ce qu'il porte une ceinture de cuir lorsqu'il doit faire des travaux manuels. Ceci devrait le protéger quelque peu.
Incapacité totale temporaire terminée au 15 juin 1980.
D.A.P.: discoïdectomie lombaire à un niveau, cinq pour cent (5%).
Bien que la question ne nous soit pas demandée d'une façon spécifique, il y aurait lieu de confier ce dossier au Service de réadaptation en vue de lui faciliter un emploi.»
Le 30 janvier 1981, le docteur Laflèche constate que le travailleur pourra reprendre un travail léger. Et le 12 février 1981, le Dr Dehnade note également que le travailleur a des problèmes de séquelles suite à une hernie discale et qu'il peut retourner à un travail léger mais ne pourra rien faire qui mettrait son dos sous stress.
Le 16 avril 1981, le Dr Jean-Guy Morissette confirme le D.A.P. de 5% déjà accordé pour la discoïdectomie et note que le travailleur déclare «qu'il peut vaquer à ses occupations quotidiennes lorsqu'il porte un corset lombo-sacré. Nous incluons une prescription pour ce dernier qui pourrait être expédiée au patient si approuvée par la C.S.S.T.».
Le travailleur a bénéficié d'une période de réadaptation sociale et recherche d'emploi.
En août 1981, le travailleur est retourné au travail dans l'entretien de la plomberie d'un hôpital pour une période de six mois. Cependant, le 19 décembre 1981, il a été victime d'un deuxième accident du travail et en 1982 et 1983, il a été opéré dans les deux genoux à cause de ce deuxième accident.
En 1985, le travailleur s'est trouvé un travail dans un laboratoire de photographie, un emploi qu'il occupa jusqu'en 1987 après lequel il a été en chômage.
En avril 1988, le travailleur, qui ne travaillait pas à l'époque, a commencé a ressentir une augmentation graduelle de douleurs dans la région lombaire. Le Dr Nguyen a, en 1988, diagnostiqué une lombalgie; le 19 mai 1988, le Dr Guimond parle d'une sciatalgie gauche, et le 18 juin 1988, le Dr Bojanowski parle d'une lombo-sciatalgie gauche. Le travailleur est référé pour des traitements de physiothérapie qui débutent le 29 juin 1988.
Le 21 septembre 1988, le Dr R. Proulx diagnostique la lésion comme étant un dérangement intervertébral mineur à L4-L5 sur une ancienne discoïdectomie de 1980.
Le Dr Bojanowski émet un rapport final le 20 décembre 1988 dans lequel il déclare que la lésion est consolidée le 13 décembre 1988 et il indique qu'il n'y a pas d'atteinte permanente à l'intégrité physique. Il note qu'il «serait préférable que le malade soit orienté pour un travail plus léger».
Le 18 janvier 1989, bien que la Commission accepte la réclamation pour la rechute d'avril 1988, elle refuse au travailleur le droit à la réadaptation par la lettre suivante:
«Suite à l'étude de votre dossier, il appert que le rapport final émis par le Dr Bojanowski en date du 13 décembre 1988 rapporte effectivement la présence de restrictions fonctionnelles mais nous informe de l'absence d'une atteinte permanente pour la rechute du 13 avril l988.
Nous vous informons par la présente, que vous n'avez pas droit à la réadaptation en vertu de l'article 145 de L.A.T.M.P. puisque vous n'avez subi aucune atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique en raison de votre lésion professionnelle.»
Le travailleur demande la révision de cette décision auprès du bureau de révision qui, le 28 août 1990, rend sa décision.
En décembre 1990, le travailleur retourne au travail comme plombier à l'Hôtel Quatre-Saisons à Rouyn-Noranda pour une période de probation. Il témoigne cependant qu'on ne l'a pas gardé parce qu'il n'a pas donné le rendement requis. Il a également fait des réclamations pour plusieurs rechutes par la suite.
ARGUMENTATION DES PARTIES
Le travailleur soumet que la décision de la Commission est mal fondée parce que selon elle, il est nécessaire que le travailleur demeure avec une atteinte permanente afin d'être éligible à un programme de réadaptation.
Le travailleur soumet cependant, que selon l'article 169 de la loi, l'existence des limitations fonctionnelles lui donne droit à la réadaptation. Il soumet également qu'un travailleur porteur d'une nouvelle limitation fonctionnelle, suite à une rechute, a droit à la réadaptation et ce, conformément à l'article 145 de la loi. Il ajoute que compte tenu de l'admission de la Commission dans sa décision que le travailleur était porteur d'une nouvelle limitation fonctionnelle, il croit qu'il avait droit à la réadaptation suite à sa rechute. Lors de la consolidation, le médecin traitant du travailleur a émis une nouvelle limitation fonctionnelle qui n'a pas été reconnue par la Commission en 1981 lors de la consolidation de la lésion de l'accident initial.
Le travailleur précise que ses limitations fonctionnelles ont été constatées par le médecin traitant, le Dr Bojanowski, et admises par la Commission. Le rapport du Dr Gariépy de 1980 qui a servi comme base d'un programme de recherche d'emploi a déclaré un déficit anatomo-physiologique de 5% mais n'a pas fait mention de limitations fonctionnelles ni de réaffectation à un travail léger. Donc, les limitations fonctionnelles constatées par le Dr Bojanowski lui donnent droit à la réadaptation. Il demande que la Commission d'appel retourne son dossier à la Commission pour qu'elle détermine un tel programme de réadaptation.
L'employeur argumente que le Dr Bojanowski a déclaré qu'il n'existait pas d'atteinte permanente et qu'il n'a pas non plus coché la case indiquée pour l'existence de limitations fonctionnelles. Il a seulement déclaré qu'il serait préférable d'orienter le travailleur vers un travail plus léger.
L'employeur soumet également qu'avant la rechute d'avril 1988, le travailleur portait un déficit anatomo-physiologique de 5%, ce qui n'a pas été augmenté par les médecins à la suite de la rechute. En plus, le fait que le Dr Gariépy, en 1980, a déclaré que le travailleur doit se conduire avec prudence à l'effort, constitue les mêmes limitations fonctionnelles telles qu'énoncées par le Dr Bojanowski en 1988 quand il parle d'un retour à un travail plus léger, de préférence. Ainsi, le port d'une ceinture de cuir prescrit par le Dr Gariépy en 1980, indique également une limitation.
L'employeur note également que les médecins, les Dr Laflèche et Denhade ont aussi parlé d'un travail léger tel que suggéré par le Dr Gariépy.
L'employeur attire l'attention également sur le fait que depuis 1985, le travailleur faisait toujours un travail léger. Donc, il n'y a pas de limitations fonctionnelles supplémentaires à la suite de la rechute.
La Commission est intervenue dans ce cas. Elle soutient que son agent est arrivé à la bonne conclusion mais pas pour la bonne raison. Elle argumente que le travailleur n'a pas droit à la réadaptation parce qu'il ne porte pas d'atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles additionnelles à la suite de la rechute de 1988.
DÉCISION
La Commission d'appel doit déterminer si le travailleur a droit à un programme de réadaptation à la suite de sa rechute de 1988.
Selon les dispositions de l'article 145 de la loi, les conditions d'ouverture du droit à la réadaptation sont que le travailleur doit subir une atteinte permanente d'une telle nature que son état le requiert, et/ou, selon l'article 169, il doit demeurer avec des limitations fonctionnelles qui le rendent incapable d'exercer son emploi.
Les articles 145 et 169 de la loi se lisent comme suit:
145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.
169. Si le travailleur est incapable d'exercer son emploi en raison d'une limitation fonctionnelle qu'il garde la lésion professionnelle dont il a été victime, la Commission informe ce travailleur et son employeur de la possibilité, le cas échéant, qu'une mesure de réadaptation rende ce travailleur capable d'exercer son emploi ou un emploi équivalent avant l'expiration du délai pour l'exercice de son droit au retour au travail.
Dans ce cas, la Commission prépare et met en oeuvre, avec la collaboration du travailleur et après consultation de l'employeur, le programme de réadaptation professionnelle approprié, au terme duquel le travailleur avise son employeur qu'il est redevenu capable d'exercer son emploi ou un emploi équivalent.
Cependant, dans le cas présent, le travailleur est également assujetti à l'article 555 de la loi.
Cet article se lit ainsi:
555. Une personne qui, avant la date de l'entrée en vigueur du chapitre III, a été victime d'un accident du travail ou a produit une réclamation pour une maladie professionnelle en vertu de la Loi sur les accidents du travail (chapitre A-3) et qui subit une récidive, une rechute ou une aggravation à compter de cette date devient assujettie à la présente loi.
Cependant, cette personne n'a pas droit à une indemnité de remplacement du revenu si, lors de la récidive, de la rechute ou de l'aggravation, elle n'occupe aucun emploi et elle :
1E est âgée d'au moins 65 ans; ou
2E reçoit une rente pour incapacité totale permanente, en vertu de la Loi sur les accidents du travail, quel que soit son âge.
Le débat ouvert par la Commission est l'application des principes selon lesquels un travailleur, qui est assujetti à l'article 555, devient éligible pour une réadaptation. Ces principes sont soulevés par la Commission d'appel dans les décisions de Lalonde et Corporation Outils Québec[1]. Dans cette affaire, la Commission, dans une première décision, a conclu qu'un travailleur qui a été victime d'un accident du travail en 1972 et qui est demeuré avec une atteinte permanente à la suite de cet accident, et qui a subi une rechute en novembre 1985, à la suite de laquelle il ne présente aucune nouvelle atteinte permanente, n'avait pas droit à la réadaptation ni aux prestations découlant de ce droit.
Dans une révision pour cause, la décision majoritaire de la Commission d'appel était à l'effet qu'il n'y avait pas lieu de réviser la décision antérieure. Parmi ses motifs, la Commission d'appel déclare ceci[2]:
«La Commission d'appel conclut, comme elle l'a fait précédemment dans sa décision du 5 février 1988, que pour bénéficier du droit à la réadaptation le travailleur doit avoir subi une atteinte permanente en raison de sa lésion professionnelle dont il a été victime le 4 novembre 1985.
La définition de lésion professionnelle se retrouve à l'article 2 de la loi:
«lésion professionnelle» : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation.
La Commission d'appel considère que les dispositions transitoires prévues aux articles 478, 553 et 555 de la loi ne permettent pas au travailleur de bénéficier de la réadaptation prévue à l'article 145 de la loi en raison de l'incapacité découlant de son accident du travail de 1972 et pour laquelle on lui a accordé un déficit anatomo-physiologique de 12%.»
[...]
Cependant, l'accident du travail de 1972 n'est pas une lésion professionnelle au sens de la Loi sur les maladies professionnelles, puisque l'article 555 de cette loi précise que seulement les récidives, rechutes ou aggravations survenus (sic) à compter du 19 août 1985 sont des lésions professionnelles au sens de la nouvelle loi.
Le droit à la réadaptation ne s'appliquera, comme la Commission d'appel l'a expliqué plus haut, que si le travailleur a une atteinte permanente en raison de sa lésion professionnelle qui ne peut être que sa récidive, rechute ou aggravation survenue après le 19 août 1985, soit le 4 novembre 1985. L'incapacité découlant de l'accident du travail de 1972 a été compensée selon la Loi sur les accidents du travail qui s'appliquait à l'époque. Le fait que cette incapacité soit permanente et existe toujours lors de la récidive, rechute ou aggravation du 4 novembre 1985 ne permet pas au travailleur de bénéficier du droit à la réadaptation en vertu de l'article 145, sauf s'il est en mesure de prouver qu'il y a une nouvelle atteinte permanente ou une augmentation de l'incapacité existant depuis l'accident du travail de 1972.
Par ailleurs, le commissaire dissident motive sa décision comme suit[3]:
«Dès lors, la question est donc de savoir si le travailleur qui avait subi une «incapacité résultant d'une lésion» avant le 19 août 1985 peut se prévaloir du droit à la réadaptation s'il conserve une atteinte permanente après cette date suite à une lésion professionnelle qui est en relation avec son accident du travail.
Pour lever l'ambiguïté de cette question, il faut rechercher le sens des mots «atteinte permanente» et «limitations fonctionnelles» utilisés dans les articles 145 et 169 de la loi.
Dans la décision entreprise par la présente requête, la Commission d'appel propose les définitions suivantes:
atteinte permanente: une perte ou une anomalie irréversible d'une structure ou d'une fonction psychique, physiologique ou anatomique.
limitations fonctionnelles: une limite aux structures ou aux fonctions atteintes par rapport à ce qui est considéré normal sur le plan psychique, physiologique ou anatomique.
Bien que l'on ne retrouve pas dans la loi de définition de ces nouveaux concepts, on ne saurait prétendre que les définitions proposées par la Commission d'appel ne constituent pas un ensemble militant en faveur d'une interprétation qui inclut une «incapacité».
Rappelons que, en l'instance, la Commission d'appel a conclu que, le 4 novembre 1985, alors que le travailleur conservait une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles de son accident du 6 juin 1972, il a subi une lésion fonctionnelle (sic) qui n'a modifié ni l'atteinte permanente ni les limitations fonctionnelles et partant que le travailleur n'avait pas droit à la réadaptation.
En l'espèce, à mon avis, c'est commettre une erreur de droit que de ne pas accorder au travailleur le droit à la réadaptation puisqu'il conserve encore une atteinte permanente résultant de son accident du travail du 6 juin 1972. Dans le contexte social de la loi, laquelle est d'ordre public, subir une atteinte permanente en raison d'une lésion professionnelle n'exclut pas un état qui demeurait sans discontinuer ni changer avant le 19 août 1985.»
Ce commissaire déclare que le travailleur a droit à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réadaptation sociale et professionnelle.
Une requête en évocation a été demandée à la suite de cette deuxième décision de la Commission d'appel et, le 22 novembre 1990, le Juge Paul Trudeau de la Cour supérieure s'est prononcé. Il soutient la position dissidente de la Commission d'appel pour les motifs suivants, tout en citant la décision de la Commission d'appel[4]:
«Le Tribunal est d'avis que Dubois, Paquin et Suicco ont mal interprété l'applicabilité de la nouvelle loi à Lalonde. Le Tribunal est d'accord avec Lalonde «qu'on l'assoit entre deux chaises» et que, bien qu'on admette qu'il lui est impossible de reprendre le travail et que la lésion qu'il subit en novembre 1985 n'est rien d'autre qu'une récidive ou une rechute de sa lésion de 1972, par un raisonnement que le Tribunal s'explique difficilement, on en arrive à conclure(17):
Il appartenait à la Commission d'appel après avoir pris connaissance de tout le dossier, de se prononcer sur la question de savoir si la capacité de travailler de M. Lalonde était diminuée à la suite de l'incident du 4 novembre 1985. La Commission d'appel avait donc à décider si cette lésion professionnelle dont a été victime le travailleur le 4 novembre 1985 l'avait rendu incapable d'exercer son emploi.
Comme la Commission d'appel l'a décidé précédemment, la preuve prépondérante est à l'effet qu'il n'y a pas d'atteinte permanente résultant de la lésion professionnelle subie par le travailleur le 5 novembre 1985. Par conséquence, il n'y a pas de limitations fonctionnelles résultant de cette même lésion et le travailleur n'est pas incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion professionnelle. Au surplus, rien dans la preuve ne permet de conclure à l'effet contraire.
La Commission d'appel est ainsi d'avis que le travailleur, bien qu'ayant été victime d'une lésion professionnelle le 4 novembre 1985, n'a pas droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue à l'article 44 de la loi, parce que la preuve est prépondérante à l'effet que sa lésion professionnelle est consolidée et que son incapacité à exercer son emploi n'est pas en relation avec cette lésion.
La Commission d'appel est de plus d'avis que, si le législateur avait voulu consentir le droit à la réadaptation à tous les travailleurs porteurs d'une incapacité à la suite d'un accident du travail survenu avant le 19 août 1985 et victime d'une récidive, rechute ou aggravation, après cette date, il l'aurait dit clairement dans une disposition transitoire.
Le Tribunal est d'accord avec Lalonde concernant son interprétation de l'article 555 et, pour le Tribunal, c'est Lalonde qui est assujetti à la loi et non sa réclamation. Si Lalonde est assujetti à la nouvelle loi, dès lors que son incapacité de retourner au travail, qui est admise par les deux parties, résulte de la rechute, de la récidive ou de l'aggravation de sa condition suite à la lésion qu'il a subie en 1972, la loi doit s'appliquer à Lalonde dans toute son intégralité, tant au niveau de la réadaptation qu'au niveau de l'indemnité de soutien.
(17) Id, 81-82.»
Cette décision a été portée en appel.
Dans le cas présent, la Commission d'appel doit, dans un premier temps, décider si, à la suite de la lésion professionnelle de 1988, le travailleur est demeuré avec une atteinte permanente et/ou des limitations fonctionnelles supplémentaires à celles qui lui ont été reconnues à la suite de sa lésion professionnelle de 1978. Si la réponse à cette question est dans l'affirmative, une discussion sur la deuxième question en litige dans ce cas ne sera pas pertinente.
En ce qui concerne l'atteinte permanente, il n'est pas contesté qu'aucun médecin n'a accordé un pourcentage de plus à la suite de la rechute d'avril 1988. Donc, le 5% établi par la Commission, après l'accident de 1978 n'a pas été augmenté par la rechute.
Il reste à déterminer si la rechute a laissé le travailleur avec des limitations fonctionnelles ou avec une augmentation de ses limitations fonctionnelles.
Selon le dossier, pour la période entre le premier accident arrivé en 1978 et la rechute d'avril 1988, au moins cinq médecins ont constaté la nécessité d'un travail léger, c'est-à-dire, les Drs Gariépy, Morissette, Bourgault, Laflèche et Dehnade. Les Drs Dehnade, Laflèche et Bourgault sont clairs quand ils parlent d'un travail léger. Le Dr Gariépy, en 1980, parle de prudence à l'effort et il prescrit une ceinture de cuir. La Commission d'appel s'est déjà prononcée à l'effet que la nécessité de porter une orthèse constitue en soi une limitation parce qu'il n'est pas permis au travailleur d'exercer son emploi régulier sans cette orthèse. Donc, même si ces cinq médecins n'ont pas décrit en détail les limitations fonctionnelles, ils ont néanmoins constaté la nécessité d'une restriction au travail.
En 1988, à la suite de la rechute, le Dr Bojanowski était clair quand il énonce un travail léger. Ce médecin n'a pas non plus donné plus de détails ni décrit des limitations spécifiques. Donc, le Dr Bojanowski n'était pas plus restrictif après la rechute d'avril 1988 que les cinq médecins qui ont examiné le travailleur pendant la période qui a suivi l'accident initial jusqu'à la rechute. En conséquence, la Commission d'appel conclut que l'accident initial de 1978 a laissé le travailleur avec une atteinte permanente et avec certaines restrictions physiques, lesquelles l'empêchent de retourner à son travail régulier et lui permettent d'exercer seulement un travail léger et que la rechute n'a pas aggravé ses séquelles.
En conséquence, la Commission d'appel doit décider si le travailleur a droit à la réadaptation malgré que la lésion professionnelle de 1988 ne l'a pas laissé avec une atteinte permanente ni avec des limitations fonctionnelles supplémentaires. Le travailleur prétend que parce que, après la consolidation de la lésion de 1988, il avait une atteinte permanente, il avait droit à la réadaptation.
Sur cette question, la Commission d'appel soutient la position des commissaires Suicco, Paquin et Dubois dans les décisions Lalonde.
Selon l'article 555 de la loi, le travailleur étant une personne qui, avant la date de l'entrée en vigueur de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [L.R.Q., chapitre A-3.001] (L.A.T.M.P.), a été victime d'un accident du travail en vertu de la Loi sur les accidents du travail [L.R.Q. chapitre A-3] (L.A.T.) et qui a subi une rechute, récidive ou aggravation à compter du 19 août 1985, est donc devenu assujetti à la L.A.T.M.P. La notion de récidive, rechute ou aggravation se trouve à l'article 2 de la L.A.T.M.P. où elle est comprise dans la définition d'une lésion professionnelle:
«lésion professionnelle» : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation.
Donc, une rechute, récidive ou aggravation est reconnue sous le terme générique de lésion professionnelle.
Le droit à la réadaptation est prévu dans les articles 145 et 169, déjà cités plus haut.
Selon ces deux articles, un travailleur aura droit à un programme de réadaptation si sa lésion professionnelle (y compris sa rechute, récidive ou aggravation) le laisse avec une atteinte permanente, et si cette atteinte permanente est d'une telle nature que, pour sa réinsertion sociale et professionnelle, un programme de réadaptation est nécessaire.
De plus, un travailleur qui, à la suite d'une lésion professionnelle devient incapable d'exercer son emploi en raison d'une limitation fonctionnelle qu'il conserve de la lésion professionnelle dont il a été victime, (y compris une rechute, récidive ou aggravation) a droit à une mesure de réadaptation pour le rendre capable d'exercer son emploi ou un emploi équivalent.
Donc, pour être éligible à un programme de réadaptation, l'un ou l'autre de ces deux critères doit exister, c'est-à-dire que le travailleur doit demeurer avec soit une atteinte permanente ou soit des limitations fonctionnelles et dans les deux cas, «en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime». En d'autres mots, les limitations fonctionnelles et/ou l'atteinte permanente constatées par le médecin traitant sur un rapport final doivent être le résultat de la lésion professionnelle. Ceci est prévu à l'article 203 de la loi:
203. Dans le cas du paragraphe 1 du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2 du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fins.
Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant:
1E le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des dommages corporels adopté par règlement;
2E la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;
3E l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.
Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.
(nos soulignés)
Quand un travailleur devient assujetti à la L.A.T.M.P. en vertu de l'article 555, il devient assujetti à tous les articles de cette loi dans leur pleine interprétation, à moins d'exception explicite.
Lorsqu'un travailleur qui a subi une lésion professionnelle avant l'entrée en vigueur de la L.A.T.M.P. subit une rechute après le 19 août 1985, il est considéré avoir subi une lésion professionnelle en vertu de la L.A.T.M.P. Donc, c'est la rechute, récidive ou aggravation subie après le 19 août 1985 et ses séquelles qui est la lésion professionnelle traitée en vertu de la L.A.T.M.P.
Donc, si, pour avoir droit à la réadaptation, un travailleur doit demeurer avec une atteinte permanente ou des limitations fonctionnelles résultant de sa lésion professionnelle, c'est la lésion professionnelle qu'il a subie en vertu de la L.A.T.M.P. qui lui en donne droit. C'est la lésion professionnelle, sous forme de rechute, récidive ou aggravation, qui doit être la cause de l'atteinte permanente ou/ou des limitations fonctionnelles.
L'article 148 énonce le but de la réadaptation physique:
148. La réadaptation physique a pour but d'éliminer ou d'atténuer l'incapacité physique du travailleur et de lui permettre de développer sa capacité résiduelle afin de pallier les limitations fonctionnelles qui résultent de sa lésion professionnelle.
L'article 151 énonce le but quant à la réadaptation sociale:
151. La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.
Il est possible qu'un travailleur déjà blessé subisse une rechute, récidive ou aggravation qui sera moins sévère que sa lésion initiale ou au moins pas plus sévère. Si ce travailleur a déjà été réadapté avant sa rechute, récidive ou aggravation, et si sa rechute est moins sévère que sa lésion initiale et ne le laisse pas avec des limitations fonctionnelles qui sont plus incapacitantes que ses limitations fonctionnelles originales, la réadaptation qu'il a déjà reçue demeure suffisante pour son état. Après la consolidation de la rechute, la condition de la santé du travailleur ne sera pas pire qu'elle l'était avant la rechute et, en conséquence, le travailleur n'aura pas besoin de plus de réadaptation.
C'est seulement dans le cas où la rechute résulte en une condition pire que celle qui existait avant cette rechute que le travailleur aura besoin d'un nouveau programme de réadaptation pour l'adapter à sa nouvelle condition et qu'une réévaluation de ses capacités et, le cas échéant, l'établissement de nouvel emploi convenable, seront nécessaires.
Donc, il n'est pas suffisant que l'atteinte permanente et les limitations fonctionnelles existent à la suite d'une rechute; elles doivent être le résultat de cette rechute. Cette rechute doit causer une détérioration dans la condition du travailleur par rapport à sa condition avant la survenance de cette rechute. En conséquence, la manifestation de cette détérioration dans la condition du travailleur doit se retrouver dans une atteinte permanente augmentée par rapport à l'atteinte permanente qu'il présentait avant la rechute ainsi qu'une augmentation dans la sévérité des limitations fonctionnelles. Autrement, le travailleur recevrait deux fois de la réadaptation pour les mêmes séquelles.
Dans le cas présent, la Commission d'appel n'a pas trouvé une augmentation dans les limitations fonctionnelles et il n'est pas contesté qu'il n'y a pas d'augmentation dans l'atteinte permanente.
La Commission d'appel conclut en conséquence que le travailleur, n'ayant pas subi une atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles résultant de sa lésion professionnelle d'avril 1988, n'a pas droit à un programme de réadaptation.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIERE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES:
REJETTE l'appel;
CONFIRME la décision rendue le 28 août 1990 par le bureau de révision de Montréal.
Mildred Kolodny
Commissaire
Me DANIELLE LAMY
Lamy, Turbide, Lefebvre
1030, Beaubien E. #301
Montréal (Québec)
H2S 1T4
(Représentante de la partie appelante)
Me LUCIE MASSÉ
Ministère Loisir, Chasse & Pêche
150, St-Cyrille
Québec (Québec)
G1R 4Y1
(Représentante de la partie intéressée)
Me MICHAEL LARIVIÈRE
Panneton, Lessard
1, Complexe Desjardins
Tour sud, 31e étage
C.P. 3, Succursale Desjardins
Montréal (Québec)
H5B 1H1
(Représentant de la partie intervenante)
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.