Décision

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[Texte de la décision]

Section des affaires économiques

 

 

Date : 14 mars 2011

Référence neutre : 2011 QCTAQ 03146

Dossier  : SAE-M-164454-0910

Devant les juges administratifs :

ODETTE LACROIX

FRANÇOIS BOUTIN

SUZANNE LÉVESQUE

 

9056-5425 QUÉBEC INC. (RESTO BAR L'ÉVASION)

            et

9167-0877 QUÉBEC INC.

Parties requérantes

c.

RÉGIE DES ALCOOLS, DES COURSES ET DES JEUX

Partie intimée

et

VILLE DE BLAINVILLE

Partie mise en cause

 


DÉCISION

Requête en révision suivant l'article 154 L.J.A.


 



[1]              Les requérantes ont introduit un recours devant le Tribunal administratif du Québec (le Tribunal) concernant une décision rendue par la Régie des alcools, des courses et des jeux (la Régie), le 23 octobre 2009, qui suspendait pour une période de 60 jours les trois permis suivants :

-      Bar avec autorisation de danse et spectacles sans nudité no 9349598;

-      Licence d’exploitant de site d’appareils de loterie vidéo no 20487; et

-      Bar sur terrasse no 9349606.

[2]              La même journée, les requérantes présentaient aussi au Tribunal une requête en suspension de la décision de la Régie, en vertu de l’article 107 de la Loi sur la justice administrative[1] (la LJA), requête qui a été accueillie et qui ordonnait la suspension de l’exécution de la décision du 23  octobre 2009 de la Régie et la prolongation ou le renouvellement de l’autorisation temporaire jusqu’à la décision du Tribunal sur le recours en contestation de la décision.

[3]              Par la suite, trois semaines d’audience étaient prévues à la fin novembre et au début décembre 2010.

[4]              En vue de cette audience, des requêtes verbales sur des questions préliminaires furent présentées le 19 octobre 2010. Le Tribunal rendait une décision sur celles-ci, en date du 12 novembre 2010 (TAQ 1), qui fait l’objet de la présente requête en révision.

[5]              Les requêtes préliminaires consistaient, du côté de l’intimée, à pouvoir déposer les enregistrements audio des 9 jours d’audience qui se sont déroulés devant la Régie et, du côté des requérantes, à ce qu’il soit ordonné à la Régie de faire une transcription écrite des enregistrements audio et à ce que la Régie procède à nouveau devant le Tribunal, soit qu’elle recommence au complet l’audience qui a eu lieu devant elle en faisant entendre à nouveau tous les témoins, en déposant toutes les pièces et les rapports déjà au dossier transmis au Tribunal et en ordonnant qu’elle débute l’audience.

[6]              Voici les conclusions de TAQ 1 sur ces demandes :

« ACCUEILLE la première requête;

AUTORISE le dépôt des enregistrements audio de l’audience devant la Régie;

REFUSE d’ordonner à la Régie de déposer une transcription écrite de ces enregistrements audio;

REJETTE la deuxième requête;

REFUSE d’ordonner à la Régie de procéder en premier lieu et de présenter de nouveau devant le Tribunal toute la preuve déjà faite devant la Régie. »

[7]              Suite à cette décision, les requérantes ont présenté une requête en révision de la décision de TAQ 1 et une demande de sursis. Toutefois, en début d’audience, les requérantes ont fait une demande d’amendement visant à abandonner leur demande de sursis, amendement qui leur fut accordé. Suite à une remise de l’audience prévue à la fin 2010, de nouvelles dates d’audience ont été fixées du 12 au 23 septembre 2011.

Requête en irrecevabilité

[8]              L’intimée soulève l’irrecevabilité de la requête en révision des requérantes, puisqu’elles demandent la révision d’une décision interlocutoire, et ce, en faisant le parallèle avec l’article 29 du Code de procédure civile[2] (le CPC), qui prévoit ce qui suit :

« 29.  Est également sujet à appel, conformément à l’article 511, le jugement interlocutoire de la Cour supérieure ou celui de la Cour du Québec mais, s’il s’agit de sa compétence dans les matières relatives à la jeunesse, uniquement en matière d’adoption :

     1.   lorsqu’il décide en partie du litige;

     2.   lorsqu’il ordonne que soit faite une chose à laquelle le jugement final ne pourra remédier, ou

     3.   lorsqu’il a pour effet de retarder inutilement l’instruction du procès.

Toutefois, l'interlocutoire rendu au cours de l'instruction n'est pas sujet à appel immédiat et ne peut être mis en question que sur appel du jugement final, à moins qu'il ne rejette une objection à la preuve fondée sur l'article 308 de ce code ou sur l'article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12) ou à moins qu'il ne maintienne une objection à la preuve.

Est interlocutoire le jugement rendu en cours d'instance avant le jugement final. »

[9]              L’article 154 de la LJA, en vertu de laquelle la requête en révision est présentée, se lit comme suit :

« 154.   Le Tribunal peut, sur demande, réviser ou révoquer toute décision qu'il a rendue :

     1°      lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

     2°      lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

     3°      lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

              Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision ne peut être révisée ou révoquée par les membres qui l'ont rendue. »

[10]           Comme on peut le constater, l’article 154 ne fait pas de distinction entre une décision interlocutoire ou finale du Tribunal.

[11]           Dans l’arrêt Les Vergers Leahy inc.[3], la Cour d’appel a examiné le droit d’appel d’une décision interlocutoire, en vertu de l’article 159 de la LJA, qui se lit comme suit :

« 159.   Les décisions rendues par le Tribunal dans les matières traitées par la section des affaires immobilières, de même que celles rendues en matière de protection du territoire agricole, peuvent, quel que soit le montant en cause, faire l'objet d'un appel à la Cour du Québec, sur permission d'un juge, lorsque la question en jeu en est une qui devrait être soumise à la Cour. »

[12]           Le libellé de l’article 159 ne fait pas de distinction comme celui l’article 154 entre les décisions interlocutoires ou finales. La Cour d’appel en arrive à la conclusion que le législateur n’a pas permis l’appel de décisions interlocutoires. Voici comment elle se prononce à ce sujet :

« [40]   Ensuite, la lecture de l'ensemble des dispositions pertinentes5 fait voir qu'elles ont été rédigées pour des décisions finales du TAQ, et non interlocutoires : la requête pour permission est présentable au lieu où est situé le bien et non dans le district judiciaire où siège le TAQ; un appel incident est permis (ce qui est difficile à concevoir pour des jugements interlocutoires); le délai pour la demande de permission est de 30 jours (ce qui apparaît long pour une décision interlocutoire du TAQ, un organisme qui a vocation de célérité); aucune disposition ne renvoie à la suspension des procédures en cours devant le TAQ (les articles de la LJA renvoient uniquement à la suspension de l'exécution de la décision du TAQ, ce qui laisse entendre qu'il y a eu une décision au fond).

[41]    De même, une analyse téléologique de la LJA dans son ensemble milite fortement contre une lecture de son art. 159 qui inclurait les décisions interlocutoires du TAQ en raison de la complexification des dossiers et de l'augmentation substantielle des frais et des délais que cela risquerait d'entraîner, comme la présente affaire le démontre, alors que les travaux du TAQ dans ce dossier sont interrompus depuis février 2005 en raison d'appels relatifs à des décisions interlocutoires.

[42]    Finalement, l'interprétation que je propose offre l'avantage de l'économie des ressources judiciaires (possibilité d'intervention de la Cour du Québec limitée à la décision finale du TAQ; limitation des possibilités de requêtes en révision judiciaire en Cour supérieure; réduction des vacations possibles devant notre Cour). Faut-il le rappeler, les recours devant les cours de justice doivent respecter les principes de la bonne foi et de l’équilibre entre les plaideurs et ne pas entraîner une utilisation abusive du service public que forment les institutions de la justice civile (Marcotte c. Longueuil (Ville de), 2009 CSC 43, paragr. 43).

 

5       Ce que requiert l'art. 41.1 de la Loi d'interprétation, L.R.Q., c. I-16. »

[transcription conforme]

[13]           À l’exception de l’appel incident et de la permission pour en appeler, tous les autres facteurs pris en considération pour conclure qu’une décision interlocutoire n’est pas appelable, en vertu de l’article 159, s’appliquent aussi à l’article 154 :

-   le délai raisonnable pour introduire une requête en révision (a. 155 LJA) qui est de 60 jours;

-   l’absence de disposition dans la LJA qui prévoit la suspension des procédures devant le Tribunal;

-   l’analyse de la LJA dans son ensemble qui, par les principes mis de l’avant, soit la qualité, l’accessibilité, la célérité de la justice, milite contre une lecture de l’article 154 qui inclurait les décisions interlocutoires du Tribunal, et ce, comme le souligne la Cour d’appel, pour éviter la complexification des dossiers et l’augmentation substantielle des frais et des délais.

[14]           Le Tribunal s’est déjà prononcé sur la recevabilité d’une requête en révision d’une décision interlocutoire, notamment dans la décision Garderie A[4] où une étude de la question a été effectuée. Il s’agissait d’une requête en révision à l’encontre d’une décision qui rejetait une objection à la preuve. Le Tribunal, s’inspirant du recours en révision judiciaire à l’encontre de jugements interlocutoires, appliquait les critères suivants pour déclarer irrecevable la requête en question :

« [15]   Par ailleurs, au sujet du recours en révision prévu dans la L.J.A., le professeur Yves Ouellette écrit :

"Aux termes de l’article 154, le réexamen est caractérisé comme un recours et non comme une question de compétence ou un mécanisme d’auto-contrôle ou de prolongement du processus décisionnel initial. Ce recours autonome est alors accordé, non pas dans l’intérêt conjoint du Tribunal administratif et des parties, mais dans le seul intérêt des parties.

Quant au fond, ce recours n’est ouvert que pour trois motifs déterminés : 1o le fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une conclusion différente; 2o l'impossibilité pour une partie de se faire entendre pour des raisons jugées suffisantes; 3o le vie de fond ou de forme de nature à invalider la décision.

Au surplus, ce véritable recours doit, aux termes de l’article 155, être pris dans un délai raisonnable. Ce libellé suggère que le réexamen est considéré par le législateur, au moins quant aux motifs 2 et 3, comme un substitut au recours en révision judiciaire."4

[16]    S’inspirant du recours en révision judiciaire à l’encontre d’un jugement interlocutoire, le Tribunal retient de la jurisprudence des tribunaux de droit commun que ce recours extraordinaire ne doit être examiné que lorsqu’il s’agit :

"d’une décision interlocutoire à laquelle le jugement final ne pourra remédier ou d’un cas manifeste d’irrecevabilité. En d’autres termes, tant que le processus décisionnel n’est pas définitif, la Cour supérieure se refuse à toute intervention, sauf dans le cas d’absence de compétence et la perspective d’une longue instruction ou si la décision interlocutoire met en jeu une violation sérieuse des règles de justice naturelle ou de principes fondamentaux de notre droit et des chartes."5 (références omises)

[17]    Plus précisément, il ressort de la jurisprudence que la requête en révision judiciaire d’une décision interlocutoire qui maintient une objection à la preuve est prématurée et qu’elle doit être rejetée, à moins de circonstances exceptionnelles ou de cas manifestes mettant en cause l’intérêt supérieur de la justice. En effet, le refus d’admettre une preuve ne viole généralement pas les règles de justice naturelle et se situe à l’intérieur de la compétence exclusive du Tribunal.6

[18]    Partant des principes ci-avant exprimés, le Tribunal considère que dans le cadre d’une demande de révision d’une décision interlocutoire, la formation en révision ne devrait exercer son pouvoir que si celle-ci apparaît de toute évidence mal fondée et décide en partie du litige ou contient une erreur que la décision finale ne pourra corriger ou qui entraîne des retards inutiles de l’audience.

 

4    Yves Ouellette, Les Tribunaux administratifs au Canada, Procédure et preuve, Montréal, Thémis, 1997 à la page 532.

5    Denis Ferland et Benoît Emery, Précis de procédure civile du Québec, vol. 2, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, pages 712, 713.

6    Voir notamment : Montréal (Service de police de la Communauté urbaine) c. Québec (Tribunal des droits de la personne) C.S. Montréal, 500-05-054821-994, j. Guthrie; Mosca c. Lessard, C.S. Montréal, 500-05-037715-974, j. Wery. (Onglet 1 des autorités de la requérante). »

[transcription conforme]

[15]           Si l’on examine aussi l’application de l’article 29 du CPC par les tribunaux de droit commun à l’égard de leurs propres décisions interlocutoires, sauf les cas d’abus ou d’erreur évidente, n’est pas sujet à appel l’interlocutoire qui relève de la discrétion du juge[5]. Il est reconnu qu’en matière de gestion d’instance, les juges possèdent un grand pouvoir discrétionnaire car, comme l’exprimait le juge Pelletier de la Cour d’appel, « une saine politique judiciaire visant à assurer la marche expéditive des dossiers commande que les juges de première instance jouissent d’une marge de manœuvre suffisante pour leur permettre d’atteindre cet objectif[6] ».

[16]           Comme le mentionnait le Tribunal dans la décision La Garderie Loulou de Marieville inc., il n’est pas impossible qu’il y ait au cours du débat d’autres décisions interlocutoires et, par conséquent, d’autres requêtes en révision alourdissant le processus et éloignant d’autant les parties d’une décision finale sur le recours.

[17]           Il est intéressant de constater qu’en ce qui concerne le recours en révision judiciaire d’une décision interlocutoire d’un tribunal administratif, la règle énoncée dans l’arrêt de la Cour d’appel Collège d’enseignement général et professionnel de Valleyfield[7] et maintes fois reprise par la jurisprudence fait toujours autorité : sauf exception, il n’est pas opportun de procéder à la révision judiciaire de la décision interlocutoire d’un tribunal administratif, comme le souligne le juge Blanchet dans l’affaire Renaud[8] :

« [7]   En cette matière, l’arrêt Collège d’enseignement général et professionnel (CEGEP) de Valleyfield c. Gauthier-Cashman1 fait autorité, sans doute pour partie en raison de la plume vive de son auteur, le juge Vallerand, qui écrit en page 364 :

Il sera loisible aux arbitres de réviser, le cas échéant, leur sentence interlocutoire lorsqu’ils jugeront le fond et ce n’est que quand ils auront ainsi décédé la question que s’ouvrira, là encore le cas échéant, la porte de l’évocation.

(…)

Pour le reste : au plus vite au fond où on règlera le tout d’un seul jet sans risquer de provoquer deux évocations et deux pourvois. Et au diable la guérilla!

 

1          1984 C.A. 633 (Juges Turgeon, Vallerand et Tyndale, jj.c.a). »

[Transcription conforme]

[18]           Même si, en principe, la décision interlocutoire d’un tribunal administratif n’est pas sujet à révision judiciaire, il y a exception lorsque la décision met en cause des droits et libertés fondamentaux, ce qui dépasse largement la saine discrétion administrative[9].

[19]           De toute cette jurisprudence, il ressort que tant l’appel que la révision judiciaire de décisions interlocutoires des tribunaux de droit commun sont l’exception. La même constatation peut être faite à l’égard de l’appel, en vertu de l'article 159 de la LJA, et de la révision, en vertu de l'article 154 de la LJA, des décisions interlocutoires du Tribunal.

[20]           S’appuyant sur cette jurisprudence, la présente formation est d’opinion qu’une décision interlocutoire ne peut être l’objet d’une requête en révision en vertu de l’article 154 de la LJA, à moins de circonstances exceptionnelles ou de décisions interlocutoires qui mettent en jeu une violation sérieuse des règles de justice naturelle ou de principes fondamentaux de notre droit et des chartes.

[21]           Dans le cas sous étude, l’autorisation accordée pour le dépôt des enregistrements et le refus d’obliger la Régie à les faire transcrire ne rencontrent aucune de ces exceptions et, s’agissant de gestion d’instance, ces décisions relèvent de la discrétion du juge et ne peuvent faire l’objet d’une requête en vertu de l’article 154 de la LJA.

[22]           En ce qui concerne le refus de procéder de novo, le Tribunal examinera si la décision de TAQ 1 porte atteinte à des droits fondamentaux, ce que plaident les requérantes.

Prétentions des requérantes

[23]           Selon les requérantes, TAQ 1, au paragraphe [31], a décidé de ne pas procéder de novo, ce qui constituerait une violation de la règle audi alteram partem et du droit des requérantes à une défense pleine et entière, le tout à l’encontre de l’article 10 de la LJA et l’article 26 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne[10].

[24]           Les requérantes plaident que le de novo devrait s’ajuster à chaque catégorie de dossier et que dans le cas présent, elles ne pourraient faire leur preuve avant que la Régie ne fasse la sienne, notamment avant que les policiers ne soient entendus. Il ne faudrait pas confondre fardeau de la preuve avec fardeau de débuter. Nous sommes dans un système contradictoire où le contre-interrogatoire des témoins est permis, ce qui serait impossible si les requérantes devaient débuter. Cette cause s’apparenterait au de novo du pénal où la preuve doit être faite de la culpabilité avant de pouvoir prouver la non-culpabilité.

Prétentions de l’intimée

[25]           L’intimée ne s’oppose pas à ce que les requérantes fassent toute la preuve qu’elles veulent faire en autant que celle-ci soit pertinente.

[26]           Toutefois, l’audition de novo telle que plaidée par les requérantes signifie recommencer complètement et oublier la preuve qui a été faite devant la Régie.

[27]           La doctrine est à l’effet que le recours devant le Tribunal est un recours hybride qui ressemble à un de novo, mais qui n’est pas un procès de novo comme le soutiennent les requérantes.

Analyse

[28]           La demande des requérantes devant TAQ 1 est décrite au paragraphe [25] de la décision :

« [25]    Le procureur des requérantes prétend que la procureure de la Régie devrait recommencer devant le Tribunal la totalité de la preuve présentée lors de l’audience devant la Régie. »

[29]           TAQ 1 reconnaît aux paragraphes [26] à [32] que la formation qui entendra la cause n’est pas limitée au dossier de la Régie. La Régie elle-même a reconnu à maintes reprises, tant dans ses plaidoiries verbales que dans ses procédures écrites, que les requérantes auront tout le loisir de faire toute preuve nouvelle pertinente.

[30]           Comme TAQ 1 le souligne au paragraphe [30] de sa décision, le recours devant le Tribunal n’est pas un appel par procès de novo :

« [30]   Enfin, le professeur Yves Ouellette dans Les Tribunaux administratifs au Canada, Procédure et preuve, Thémis, 1997, rappelle qu’il ne faut pas confondre le recours devant le Tribunal avec un appel par procès de novo en droit criminel. À cet égard, il écrit à la page 27 :

Il ne faut pas confondre cette catégorie de recours, ni avec l’appel au sens strict et sur dossier logé devant les cours intermédiaires d’appel, ni avec l’appel par procès de novo du droit criminel, car le tribunal administratif ne doit pas ignorer le dossier constitué par l’administration lors de la prise de la décision initiale, mais il peut le compléter par le fruit de sa propre enquête et audition face à face. Ce recours atypique et même qualifié d’hybride ressemble, dans une certaine mesure, à une procédure de novo.  C’est dire que le tribunal réviseur doit fonder ses conclusions sur son propre dossier et non sur la seule information dont disposait l’administration ayant rendu la décision initiale, mais il n’a pas à reprendre le dossier à neuf, comme c’est le cas d’un appel de novo de droit pénal. »

(nos caractères gras)

[transcription conforme]

[31]           Le de novo des requérantes impliquerait que la formation qui entendra le litige fasse abstraction du dossier plaidé devant la Régie et recommence entièrement l’audience, sans tenir compte du dossier de la Régie et de l’audience d’une durée de 9 jours qui a eu lieu devant elle.

[32]           Or, comme devant tout tribunal, la partie requérante doit faire la preuve de son droit[11] :

« La charge de la preuve

        Devant le tribunal administratif comme devant la cour, c’est la partie qui réclame une autorisation ou un avantage qui a le fardeau d’établir son droit ou son admissibilité, à moins d’une disposition contraire de la loi. C’est là un trait distinctif de la procédure de type contradictoire, alors que dans un modèle inquisitoire, c’est le tribunal lui-même qui dirige l’audition et même son enquête.

        L’énoncé global selon lequel la charge de la preuve devant le tribunal administratif appartient au demandeur ou au plaignant peut trouver des appuis dans quelques jugements1. Il s’avère aussi que, dans les rares cas où les tribunaux administratifs ont pris l’initiative de s’écarter de la règle suivie par les cours de justice et de renverser la charge de la preuve au bénéfice des administrés, les cours supérieures les ont vite censuré en leur imposant leur propre modus operandi2.

 

1       Floris c. Director of Livestock Services, (1987) 76 N.S.R. (2d) 320 (N.S.S.C.); Saine c. Commission des affaires sociales du Québec, [1994] R.J.Q. 2361 (C.S.).

2       Re Koressis and Turner, (1986) 54 O.R. 571 (Div. Ct.); Régie de l’Assurance automobile du Québec c. Commission des affaires sociales, J.E. 87-161 (C.S.); Martelli c. Société de l’Assurance automobile du Québec, J.E. 95-1803 (C.S.). »

[transcription conforme]

[33]           Devant la Régie, la situation est différente car celle-ci, avant de prendre une décision comme celle qui est contestée par les requérantes, est soumise aux articles 1 à 9 de la LJA qui prévoient le droit de l’administré de se faire entendre, particulièrement aux articles suivants :

« 4.    L'Administration gouvernementale prend les mesures appropriées pour s'assurer :

[…]

     2°   que l'administré a eu l'occasion de fournir les renseignements utiles à la prise de la décision et, le cas échéant, de compléter son dossier;

[…] »

« 5.    L'autorité administrative ne peut prendre une ordonnance de faire ou de ne pas faire ou une décision défavorable portant sur un permis ou une autre autorisation de même nature, sans au préalable:

     1°   avoir informé l'administré de son intention ainsi que des motifs sur lesquels celle-ci est fondée;

     2°   avoir informé celui-ci, le cas échéant, de la teneur des plaintes et oppositions qui le concernent;

     3°   lui avoir donné l'occasion de présenter ses observations et, s'il y a lieu, de produire des documents pour compléter son dossier.

[…] »

[34]           Découlant de ces dispositions, la Régie devait d’abord faire la preuve des manquements reprochés aux titulaires dans l’exploitation des permis, ceux-ci étant en droit de les connaître et de pouvoir les contredire, le cas échéant.

[35]           De sorte que devant le Tribunal, les requérantes connaissent déjà les manquements reprochés, la preuve sur laquelle ceux-ci reposent et la décision qui résulte de cette preuve. Elles ont le droit de contester cette décision en soulevant différentes erreurs dont elles devront faire la preuve, mais il n’y a pas de surprise quant aux motifs et à la preuve sur laquelle se fonde la décision de la Régie.

[36]           Aux paragraphes [31], [32], [33] et [34], TAQ 1 explique que le Tribunal entendra toute nouvelle preuve pertinente afin de démontrer que la décision est mal fondée :

« [31]   Il faut alors comprendre que l’expression de novo signifie que le Tribunal n’est pas limité au dossier de la Régie, mais qu’il peut recevoir de la nouvelle preuve.

[32]    La partie qui conteste une décision pourra ainsi présenter de la preuve nouvelle afin de démontrer que la décision est mal fondée. Le Tribunal entendra toute preuve pertinente que les parties veulent lui soumettre.

[33]    Le Tribunal n’a toutefois pas à reprendre toute l’audience faite devant la Régie.

[34]    En début d’audience, le dossier du Tribunal est constitué de la requête en contestation ainsi que du dossier de la Régie. Les rapports d’événements rédigés par les policiers qui furent déposés à la Régie font déjà partie du dossier et n’ont pas à être déposés de nouveau. »

[transcription conforme]

[37]           Dans leur plaidoirie, les requérantes réfèrent à de nombreuses reprises le Tribunal à la décision Simard[12] pour appuyer leurs prétentions sur le de novo. Or, rien dans cette décision ne laisse voir que le Tribunal aurait procédé différemment que selon ce qu’a décidé TAQ 1 ici. Dans la décision Marcel Simard, le Tribunal analyse chaque motif de contestation de la décision de la Régie et, en fonction de la jurisprudence sur les sanctions, suspend pour 90 jours le permis au lieu de la révocation imposée par la Régie.

[38]           Dans la décision Marcel Simard, le Tribunal fait largement référence à la preuve au dossier de la Régie (voir paragraphes [26] à [52], [54] à [59], [73] à [76], [80] à [82] et [85] à [92]).

[39]           Les requérantes soulevaient aussi, comme c’est le cas dans leur actuelle contestation au fond, que la décision ne constituait pas le reflet de la preuve entendue et c’est précisément sous ce chapitre que le Tribunal a référé abondamment au dossier de la Régie.

[40]           Le fait que le Tribunal ait tenu compte du dossier de la Régie ne l’a pas empêché de rendre une décision favorable à M. Simard.

[41]           En ce qui concerne le contre-interrogatoire dont seraient privées les requérantes si la Régie ne recommençait pas sa preuve, les requérantes ont déjà pu contre-interroger les policiers devant la Régie, elles peuvent les assigner à nouveau devant le Tribunal et la jurisprudence est claire que lorsqu’il s’agit d’un représentant de la partie adverse, il peut être reproché même s’il s’agit d’un témoin assigné par la partie qui interroge.

[42]           En regard des arguments soumis par les requérantes à l’effet que la décision de TAQ 1 viole la règle de l’audi alteram partem et son droit à une défense pleine et entière, le Tribunal est d’opinion que ces droits ne sont aucunement mis en péril par la décision de TAQ 1 et qu’au contraire, elle les respecte.

[43]           Par conséquent, les requérantes n’ayant pas fait la démonstration d’une atteinte à leurs droits lorsque TAQ 1 refuse de faire abstraction du dossier devant la Régie et d’obliger cette dernière à commencer l’audience ainsi qu’à faire réentendre tous les témoins, la requête en révision sous ce chapitre est irrecevable.

 

[44]           POUR CES MOTIFS, le Tribunal

ACCUEILLE la requête en irrecevabilité de la Régie;

REJETTE la requête en révision des requérantes, en vertu de l’article 154 de la LJA; et

MAINTIENT la tenue de l’audience fixée du 12 au 15 septembre et du 19 au 23 septembre 2011.


 

ODETTE LACROIX, j.a.t.a.q.

 

FRANÇOIS BOUTIN, j.a.t.a.q.

 

 

SUZANNE LÉVESQUE, j.a.t.a.q.


 

Brunet & Brunet

Me Mélanie Archambault

Procureure de la partie requérante 9056-5425 Québec inc.

 

Brunet & Brunet

Me Robert Brunet

Procureur de la partie requérante 9167-0877 Québec inc.

 

Firlotte, Asselin

Me Isabelle Poitras et Me Pierre Léonard

Procureurs de la partie intimée

 

Deveau, Bourgeois, Gagné, Hébert & associés s.e.n.c.r.l.

Me André L. Monty

Procureur de la partie mise en cause


 



[1]     L.R.Q. c. J-3.

[2]     L.R.Q., c. C-25.

[3]     Les Vergers Leahy inc. c. Fédération de l’UPA de Saint-Jean-Valleyfield, 2009 QCCA 2401.

[4]     Garderie A c. Ministre de la famille, 2009 QCTAQ 04735.

[5]     Fabrique de la paroisse de Saint-Philippe d’Arvida c. Desgagnés, 1974 CA 65.

[6]     Hickey c. Maltais, 2007 QCCA 703 (CanLII).

[7]     Collège d’enseignement général et professionnel de Valleyfield c. Gauthier-Cashmam, [1984] R.D.J. 385 (C.A.).

[8]     Renaud c. Comité d’enquête du Conseil de la justice administrative, 2007 QCCS 5456.

[9]     Mascouche (Ville de) c. Houle, [1999] R.J.Q. 1894 (C.A.).

[10]    L.R.Q., c. C-12.

[11]    Yves OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada, Procédure et preuve, Montréal, Éditions Thémis, pp. 271-272.

[12]    Marcel Simard c. Régie des alcools, des courses et des jeux, 2008 QCTAQ 08664.

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