Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

2 février 2005

 

Région :

Richelieu-Salaberry

 

Dossier :

229121-62C-0403

 

Dossier CSST :

122588510

 

Commissaire :

Claude-André Ducharme

 

Membres :

Guy-Paul Hardy, associations d’employeurs

 

Mario Benjamin, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Richard Bélisle

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Brasserie Labatt ltée (La)

et

MLW Bombardier

 

Parties intéressées

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 8 mars 2004, monsieur Richard Bélisle (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 17 février 2004 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 22 octobre 2003 et déclare que monsieur Bélisle n’est pas porteur d’une maladie professionnelle pulmonaire. La date d’événement indiquée à la décision est le 8 septembre 1975.

[3]                La Commission des lésions professionnelles a tenu une audience le 27 janvier 2004 à Salaberry-de-Valleyfield. Monsieur Bélisle était présent et représenté. La Brasserie Labatt ltée était également représentée. La compagnie MLW Bombardier (l’employeur) a cessé ses opérations et n’était pas représentée.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                Monsieur Bélisle demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a contracté une maladie professionnelle, soit une silicose, et de retourner le dossier à la CSST pour qu’elle fasse évaluer l’atteinte permanente à son intégrité physique que cette maladie a entraînée.

[5]                Il relie sa maladie au travail qu’il a effectué chez l’employeur entre 1975 et 1983 et non à celui qu’il effectue à la Brasserie Labatt ltée depuis 1983.

LES FAITS

[6]                Monsieur Bélisle est actuellement âgé de 47 ans. Il a occupé un poste d’ébarbeur chez l’employeur du 8 septembre 1975 au 7 avril 1977 et du 13 octobre 1977 au 26 février 1983. Depuis le 27 juin 1983, il travaille comme opérateur d’une empileuse automatique à la Brasserie Labatt ltée.

[7]                Les premiers symptômes de sa maladie pulmonaire se sont manifestés au cours de l’année 1997. En février 1998, lors de son hospitalisation pour une autre maladie, il passe une évaluation de sa condition respiratoire qui amène le docteur Paul Jacquemin, pneumologue, à suspecter une silico-protéinose.

[8]                En février 2002, monsieur Bélisle consulte à nouveau pour ses problèmes respiratoires. Le 15 février, il passe une radiographie des poumons qui est interprétée comme suit par la docteure Michèle Drouin, radiologiste :

Je compare l’examen actuel à celui du 19 mai 1999.

 

Ce patient est porteur de séquelles importantes d’une pneumoconiose de type « sand blasting » avec distorsion parenchymateuse marquée des lobes supérieurs. Depuis l’examen précédent, apparition d’une opacité importante apparue en paratrachéal au niveau de l’angle trachéo-bronchique, avec un certain respect de la grande scissure. (…)

 

 

[9]                Le 14 mars 2003, il revoit le docteur Jacquemin qui mentionne ce qui suit dans son rapport de consultation :

L’examen clinique est non contributoire. Il a une dyspnée qu’on peut grader à III/V et qui est quand même très excessif pour un homme non-fumeur de 45 ans. Je demande un Scan de contrôle du poumon vu que les images radiologiques rapportées par le docteur Drouin et je demande qu’il aille voir à la CSST pour me fournir un formulaire adéquat car selon les normes, ce patient a une exposition significative avec des séquelles de silicose surtout aux deux sommets avec possiblement silico-protéinose. Nous pourrons aussi comparer le Scan actuel avec celui de 98. [sic]

 

 

[10]           Le 9 avril 2002, monsieur Bélisle passe une tomodensitométrie thoraco-abdominale. Dans son rapport, le docteur Guy Merette, radiologiste, indique, comme renseignements cliniques, « silico-protéinose due au sand-blasting ». Il compare son examen avec un examen effectué le 6 mars 1998 et retient les conclusions suivantes :

Patient connu porteur d’une atteinte de type silico-protéinose aux deux tiers supérieur des deux poumons, un peu plus marquée à droite. Il y a eu progression de l’atteinte de type alvéolaire avec conglomérat surtout en suprahilaire droit, sans signe toutefois d’aspect nécrotique qui pourrait suggérer une atteinte tuberculeuse ajoutée.

Sur une base strictement iconographique, il est quasiment impossible d’éliminer une lésion néoplasique sous-jacente dans la zone d’agglomérat en suprahilaire droit. Il pourrait s’agir d’une zone de fibrose progressive massive.

Pas d’adénopathie médiastino-hilaire suspecte.

 

 

[11]           On ne retrouve au dossier aucun rapport subséquent émanant du docteur Jacquemin.

[12]           Le 10 juin 2002, monsieur Bélisle présente une réclamation à la CSST pour faire reconnaître qu’il est atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire. La CSST réfère son dossier au Comité B de Montréal des maladies professionnelles pulmonaires (le Comité), composé des pneumologues Gaston Ostiguy, André Cartier et Neil Colman.

[13]           Le 10 octobre 2002, à la suite d’examens que monsieur Bélisle passe à l’Hôpital thoracique de Montréal sous la supervision du docteur Ostiguy, les membres du Comité émettent un premier avis dans lequel ils formulent les conclusions suivantes :

Les membres du Comité considèrent que ce patient présente une maladie pulmonaire sévère, mais la relation entre cette maladie et son exposition professionnelle n’est pas évidente.

 

Pour retenir un diagnostic de silicose, il nous faudrait avoir une exposition à la silice qui soit bien documentée et la description des tâches de travail par le réclamant n’est pas suggestive d’une telle exposition.

 

(…)

 

En conséquence, les membres du Comité demandent une enquête industrielle pour savoir si monsieur Bélisle a été exposé dans le cadre de son travail à de la silice en quantité appréciable lorsqu’il travaillait chez MLW Bombardier. (…)

 

 

[14]           À la demande du docteur Ostiguy, monsieur Bélisle a passé, le 7 octobre 2002, une tomodensitométrie du thorax dont le rapport n’était pas à la disposition des membres du Comité lorsqu’il a rendu son premier avis. Cet examen est interprété comme suit par la docteure Anna Veksler, radiologiste :

Findings consistent with diffuse and prominent interstitial pulmonary disease with progressive massive fibrosis present in both upper lobes consistent with silicosis. Questionable mild bilateral alveolar pneumonitis as described.

 

 

[15]           Le 21 novembre 2002, les membres du Comité émettent un avis complémentaire qui se lit comme suit :

Les membres de Comité ont pris connaissance de la tomodensitométrie thoracique qui a été faite à l’Hôpital Royal-Victoria le 7 octobre 2000 (sic) et qui confirme les anomalies radiologiques notées sur le film simple.

 

Tomographie axiale thoracopulmonaire

Cet examen a été fait à l’Hôpital Royal-Victoria en date du 7 octobre 2002.

 

On voit plusieurs anomalies importantes.

 

Au sommet pulmonaire, il existe des zones importantes de consolidation avec broncogramme aérique. Le parenchyme pulmonaire démontre de multiples lésions micronodulaires aux deux plages pulmonaires.

 

Plusieurs zones d’opacification en verre dépoli. Aux zones centrales en péri-hilaire, on peut y voir de la consolidation avec broncogramme aérique.

 

Au lobe inférieur, on a l’impression qu’il y a un aspect en mosaïques. Par contre, on voit très peu d’adénopathies médiastinales.

 

Le diagnostic différentiel de ces changements est probablement limité. Il y a une possibilité d’une sarcoïdose avancée ou de talcose pulmonaire par injection. Le diagnostic de silicose n’est pas éliminé radiologiquement.

 

En conclusion, les membres du comité considèrent que ces nouvelles informations ne leurs (sic) permettent pas de retenir pour l’instant un diagnostic de silicose pulmonaire, les anomalies n’étant pas entièrement compatibles avec une silicose pulmonaire d’une part et nous n’avons toujours pas d’évidence qu’il ait été exposé de façon significative à la silice.

 

(…)

 

 

[16]           En mars 2003, la CSST transmet au Comité une étude d’hygiène industrielle (« programme de santé ») effectuée chez l’employeur en 1988 et une mise à jour de cette étude réalisée en 1993.  Dans l’étude de 1988, il est mentionné ce qui suit :

Une mesure de l’exposition aux poussières d’un ébarbeur a relevé 15,5 mg/m3 de poussières totales. Cette concentration comprenait la poussière métallique ainsi que les petites particules arrachées à la meule elle-même. (…)

 

 

[17]           Le 17 avril 2003, les membres du Comité jugent ces enquêtes insuffisantes. Ils écrivent ce qui suit dans leur avis complémentaire :

Cette enquête remonte à 1987 avec des ajouts en 1993. Les membres du Comité trouvent que cette enquête industrielle ne répond pas à la question qui avait été posée à savoir : "Est-ce que monsieur Bélisle aurait pu être exposé à de la silice dans son milieu de travail ". On sait qu’il y accomplissait le travail de meuleur et ébarbeur et qu’il travaillait essentiellement sur des plaques d’acier. Cependant, est-ce que ce travail aurait pu être suffisant pour lui causer une exposition à la silice. De plus, sait-on si les aciers auraient pu contenir du béryllium?

 

 

[18]           Le 18 juin 2003, madame Carole Larose, hygiéniste du travail, transmet à la CSST les informations suivantes :

Par la présente, je désire vous transmettre les informations qui pourront vous aider à traiter le dossier d'indemnisation de monsieur Richard Bélisle, (dossier 122588510). Les renseignements couvrent la période d'emploi chez Bombardier, Division ferroviaire diesel (1505, rue Dickson) du 13 octobre 1977 au 26 février 1983. Nos recherches ont consisté à répondre à votre demande, à savoir « si ce travailleur a été exposé à de la silice dans son milieu de travail ».

 

Pour débuter, mentionnons que nous avons consulté le dossier de l'entreprise précédemment mentionnée. En effet, le personnel du Programme de santé et sécurité du DSC Maisonneuve-Rosemont a effectué différentes activités d'évaluation des facteurs de risque, de tests médicaux, dans le cadre du programme de santé de l'établissement (PSSE) et ce de façon plus active entre 1986 et 1993. Notons que l'entreprise est fermée depuis décembre 1993.

 

Plusieurs études environnementales ont été réalisées durant la période mentionnée précédemment, soit sur l'amiante, le bruit, les produits utilisés lors des opérations de peinture, les fumées de soudage et les poussières totales à différents endroits de l'établissement.

 

Mentionnons qu'aucune mesure de silice n'a été prise dans le département de sablage au jet, car le produit utilisé n'en contient pas. En effet, il est fait mention dans le PSSE que ce procédé est à base de grenailles de fer. De toute façon, le requérant n'a pas utilisé ce procédé. En effet, suite à une discussion téléphonique avec monsieur Bélisle, le 17 juin 2003, il appert qu'il était ébarbeur («grinder») de pièces métalliques du système de freinage des trains. Pour meuler les pièces, il utilisait des meules et du papier sablé. Son poste de travail qui ne comportait aucun système de ventilation était localisé dans le département des roues («wheel shop»).

 

En ce qui a trait au poste d'ébarbeur, aucune mesure de silice n'a été faite dans le cadre du PSSE. Uniquement une évaluation de poussières totales a été faite. L'évaluation réalisée le 20 novembre 1986 démontrait que le meulage des pièces métalliques pouvait engendrer une grande quantité de poussières totales dans la zone respiratoire, soit 15,5 mg/m3. Voici un extrait du rapport d'évaluation : «Cette concentration comprenait la poussière métallique ainsi que des petites particules arrachées à la meule elle-même».

 

Dans le dossier, il est fait mention que la majorité des pièces meulées sont en métal, il est donc peu probable que le métal meulé soit la source de silice. Cependant, la composition des meules et du papier sablé pourrait être des sources de silice. Malheureusement, aucune indication quant au type de meule ou de papier sablé utilisés pendant cette période n'est disponible dans le dossier de l'établissement. Ainsi, nous ne pouvons vous fournir d'informations spécifiques sur la composition des meules ou papier sablé utilisés par le requérant.

 

Nous avons fait une recherche bibliographique quant à la composition possible des différents abrasifs en utilisant les documents disponibles. Nous nous sommes axés principalement sur les vieux documents, car la composition peut avoir varié entre 1977 et maintenant.

 

Pour débuter, mentionnons que la composition du papier sablé, (selon un site Internet), peut être constituée principalement de ces abrasifs :

Le grenat : silicate de fer et d'aluminium;

L'émeri : roche naturelle, de corindon et de magnétite;

L'alumine : oxyde d'aluminium;

Le carbure de silicium : sables silicieux chauffés à haute température;

Le quartz.

 

Voici le résultat de la recherche bibliographique relative aux différents abrasifs.

Une copie de ces articles est annexée à cette lettre :

 

Premier document :«Recognition of health hazards in industry» de William A. Burgess, datant de 1981.

 

Les abrasifs les plus communs sont à base d'oxyde d'aluminium et de carbure de silicium. Plusieurs exemples d'exposition sont mentionnés à la section 2.7.2. Afin d'éviter la lourdeur de ce texte, nous vous invitons à consulter ce document.

 

Deuxième document : «Toxicologie industrielle et intoxications professionnelles» de Robert R. Lauwerys datant de 1982.

 

«Meulages à la meule en grès. Ceux-ci libèrent, en effet, des particules de silice».

 

Troisième document : «Encyclopaedia of occupational health and safety», 4e édition, datant de 1998.

 

Il est fait mention que les abrasifs naturels tels, le corundum ou emery (oxydes d'aluminium), diamant, grès («sandstone») silex («flint») et le grenat ont été largement remplacés par des abrasifs synthétiques, tels oxydes d'aluminium, carbure de silicium et des diamants synthétiques.

 

Quoique les meules modernes ne créent pas de sérieux risque de silicose, il peut y avoir une association entre les meules utilisées dans le passé et ce particulièrement pour les meules en grès («sandstone»), (voir page 82.32).

 

Afin de bien documenter votre dossier, nous vous joignons deux documents relatifs au carbure de silicium, car ce produit est fréquemment retrouvé dans les abrasifs. Le premier document est la fiche signalétique du carbure de silicium disponible sur le site du Répertoire toxicologique de la CSST. Nous reproduisons les effets chroniques mentionnés sur cette fiche : «Inhalation sous forme de poussières : les poussières semblent avoir les caractéristiques d'une poussière inerte, toutefois la présence concomitante de silice cristalline (quartz, cristobalite, tridymite) peut induire une silicose typique ou une fibrose pulmonaire à poussières mixtes». Selon monsieur Gagné de cet organisme, il n'est pas impossible que les produits actuels de meulage dégagent de faibles quantités de silice.

 

Le deuxième document est un résumé d'une étude réalisée par l'IRSST, intitulé «Mécanismes d'action biologique des fibres de carbure de silicium inhalées» datant de décembre 1987. Selon cet article, les microfibres contenues dans la poussière sédimentée et aéroportées dans les usines de carbure de silicium peuvent induire une alvéolite fibrosante.

 

En résumé les informations recueillies dans le dossier de l'établissement Bombardier Division ferroviaire diesel ne nous permettent pas de se prononcer sur la possible exposition du requérant à de la silice. Aussi, les informations bibliographiques ne nous permettent pas non plus d'éliminer la possible exposition du requérant à des poussières de silice ou à d'autres composantes possiblement fibrosantes. [sic]

 

 

[19]           Le 14 août 2003, le Comité[1] émet son avis final, lequel se lit comme suit :

Suite à leur demande lors de l'avis complémentaire du 17 avril 2003, les membres du Comité disposent aujourd'hui des résultats d'une enquête industrielle. En effet, les membres du Comité ont pris connaissance du document produit par madame Carole Larose, hygiéniste du travail et envoyé à madame Madeleine Forest en date du 19 juin 2003.

 

Ce document ne permet pas de reconnaître une exposition à la silice dans le milieu de travail de monsieur Bélisle alors qu'il travaillait chez MLW Bombardier. Du moins, pas une exposition à la silice suffisante pour causer de telles anomalies radiologiques.

 

Dans ce contexte, les membres du Comité ne reconnaissent pas de maladie pulmonaire professionnelle chez ce réclamant. Ils ne lui accordent aucun DAP. Ils suggèrent au médecin traitant de poursuivre l'investigation.

 

Le dossier sera revu et le réclamant pourrait également être réexaminé s'il y a apparition de faits nouveaux.

 

 

[20]           Le 4 septembre 2003, le Comité spécial des présidents, composé des pneumologues Raymond Bégin, Marc Desmeules et Jean-Jacques Gauthier, émet l'avis suivant :

À leur réunion du 4 septembre 2003, les membres soussignés du Comité Spécial des présidents ont étudié le dossier de ce réclamant.

 

Ils ont pris connaissance des conclusions de l'expertise antérieure produite par le comité des maladies pulmonaires professionnelles « B » de Montréal en date du 10 octobre 2002.

 

Ils ont également pris connaissance des avis complémentaires qui ont suivi, soit du 21 novembre 2002 et du 17 avril 2003. Ces avis complémentaires mentionnaient les résultats de la tomographie axiale thoraco-pulmonaire et demandaient des précisions sur l'exposition industrielle de ce réclamant alors qu'il travaillait chez MLW Bombardier.

 

Ils ont revu l'histoire occupationnelle, les données du questionnaire cardiorespiratoire, la médication, les habitudes, les antécédents personnels et familiaux.

 

La description de l'examen physique de même que les résultats des examens de laboratoire ont été notés.

 

Ils ont relu les radiographies pulmonaires et ils ont analysé les valeurs du bilan fonctionnel respiratoire.

 

À la suite de cet examen, les membres du comité entérinent l'avis complémentaire du comité des maladies pulmonaires professionnelles « B » de Montréal en date du 14 août 2003. L'enquête industrielle et la détérioration rapide des documents radiologiques ne militent pas en faveur d'une silicose, ni d'une exposition à la silice.

 

Dans ce contexte, les membres du comité ne reconnaissent pas de maladie pulmonaire professionnelle chez ce réclamant et ne peuvent lui accorder de DAP.

 

Encore une fois, les membres du comité suggèrent fortement au pneumologue traitant de poursuivre l'investigation et s'il y a apparition de faits nouveaux, ce dossier pourrait être retourné à la CSST.

 

 

[21]           Lors de son témoignage, monsieur Bélisle explique que son travail chez l'employeur consistait à meuler des pièces de fer servant au système de freinage des locomotives. À l'aide d'une meule électrique et de papier sablé, il arrondissait les bords des pièces et les trous qu'elles comportaient pour les rendre plus sécuritaires lors de leur manipulation.

[22]           Il ignore de quel matériau était faite la pierre servant de meule, mais il précise qu'il s'agissait d'une pierre grise qui devait être changée aux trois ou quatre jours. Son utilisation produisait une poussière lourde qui retombait sur son établi.

[23]           Il affirme que le papier sablé qu'il utilisait contenait de la silice. Il explique que ce n'est que récemment qu'il a obtenu cette information lors d'un voyage en Europe lorsqu'un guide touristique a fait une association entre le sable et la silice.

[24]           Il évalue qu'il utilisait la meule pendant 40 % de son temps de travail et le papier sablé, pendant 60 %.

[25]           Monsieur Bélisle précise enfin qu'en effectuant son travail, il portait un casque protecteur, comportant une visière transparente, qui était semblable à un casque de soudeur. En de très rares occasions, il portait un masque couvrant sa bouche et son nez. Il n'y avait pas de système de ventilation particulier dans son local.

L’AVIS DES MEMBRES

[26]           Le membre issu des associations d'employeurs est d'avis que la requête doit être rejetée. Il considère que la preuve prépondérante ne démontre pas que monsieur Bélisle a été exposé à la poussière de silice et il retient l'avis du Comité spécial des présidents voulant qu'il n'ait pas contracté une maladie professionnelle pulmonaire.

[27]           Le membre issu des associations syndicales est d'avis que la requête doit être accueillie. Il estime que la preuve établit que monsieur Bélisle a été exposé à de grandes quantités de poussières dans l'exercice de son travail chez l'employeur et il considère qu'il y a une prépondérance de preuve qu'il y avait de la poussière de silice, compte tenu que l'étude de madame Larose tend à établir qu'il y avait du silice dans la composition du papier sablé. Il conclut que monsieur Bélisle a contracté une silicose et qu'il s'agit d’une maladie professionnelle pulmonaire.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[28]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si monsieur Bélisle a contracté une maladie professionnelle pulmonaire.

[29]           La maladie professionnelle est définie par l'article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [2](la loi) de la façon suivante :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.

 


 

[30]           L'article 29 de la loi prévoit une présomption qui s'énonce comme suit :

29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.

 

Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

__________

1985, c. 6, a. 29.

 

 

[31]           À défaut d'application de cette présomption, le travailleur doit établir, par une preuve prépondérante, que sa maladie est caractéristique de son travail ou reliée directement aux risques particuliers de son travail et ce, conformément aux dispositions de l'article 30 de la loi qui se lit ainsi :

30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

__________

1985, c. 6, a. 30.

 

 

[32]           La silicose est une des maladies énumérées à l'annexe I de la loi et le travail correspondant établi par cette annexe est un travail impliquant une exposition à la poussière de silice.

[33]           Pour pouvoir bénéficier de la présomption de l'article 29, monsieur Bélisle doit donc démontrer d'une part, qu'il est atteint d'une silicose et, d'autre part, qu'il a effectué un travail l'exposant à la poussière de silice.

[34]           En matière de maladie pulmonaire, la loi prévoit, aux articles 226 à 233, des dispositions particulières qui font en sorte que les questions médicales, comme le diagnostic, sont évaluées par deux comités regroupant chacun trois pneumologues, soit le Comité des maladies professionnelles pulmonaires et le Comité spécial des présidents.

226. Lorsqu'un travailleur produit une réclamation à la Commission alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission le réfère, dans les 10 jours, à un comité des maladies professionnelles pulmonaires.

__________

1985, c. 6, a. 226.

 

227. Le ministre forme au moins quatre comités des maladies professionnelles pulmonaires qui ont pour fonction de déterminer si un travailleur est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire.

 

Un comité des maladies professionnelles pulmonaires est composé de trois pneumologues, dont un président qui est professeur agrégé ou titulaire dans une université québécoise.

__________

1985, c. 6, a. 227.

 

[…]

 

230. Le Comité des maladies professionnelles pulmonaires à qui la Commission réfère un travailleur examine celui-ci dans les 20 jours de la demande de la Commission.

 

Il fait rapport par écrit à la Commission de son diagnostic dans les 20 jours de l'examen et, si son diagnostic est positif, il fait en outre état dans son rapport de ses constatations quant aux limitations fonctionnelles, au pourcentage d'atteinte à l'intégrité physique et à la tolérance du travailleur à un contaminant au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1) qui a provoqué sa maladie ou qui risque de l'exposer à une récidive, une rechute ou une aggravation.

__________

1985, c. 6, a. 230.

 

231. Sur réception de ce rapport, la Commission soumet le dossier du travailleur à un comité spécial composé de trois personnes qu'elle désigne parmi les présidents des comités des maladies professionnelles pulmonaires, à l'exception du président du comité qui a fait le rapport faisant l'objet de l'examen par le comité spécial.

 

Le dossier du travailleur comprend le rapport du comité des maladies professionnelles pulmonaires et toutes les pièces qui ont servi à ce comité à établir son diagnostic et ses autres constatations.

 

Le comité spécial infirme ou confirme le diagnostic et les autres constatations du comité des maladies professionnelles pulmonaires faites en vertu du deuxième alinéa de l'article 230 et y substitue les siens, s'il y a lieu; il motive son avis et le transmet à la Commission dans les 20 jours de la date où la Commission lui a soumis le dossier.

__________

1985, c. 6, a. 231.

 

[…]

 

233. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi sur les droits du travailleur qui lui produit une réclamation alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission est liée par le diagnostic et les autres constatations établis par le comité spécial en vertu du troisième alinéa de l'article 231.

__________

1985, c. 6, a. 233.

 

 

[35]           Les membres du Comité spécial des présidents ont entériné l'avis des membres du Comité des maladies professionnelles pulmonaires et ont conclu que la maladie présentée par monsieur Bélisle n'était pas une silicose. Ils se sont fondés sur deux considérations, soit la détérioration rapide de sa condition selon les résultats des examens radiologiques et le fait que l'enquête industrielle ne milite pas en faveur d'une exposition à la poussière de silice ou, à tout le moins, suffisante selon les membres du Comité des maladies professionnelles pulmonaires.

[36]           Le représentant de monsieur Bélisle demande à la Commission des lésions professionnelles d'écarter les conclusions du Comité spécial des présidents en soumettant deux arguments.

[37]           Premièrement, il plaide que les radiologistes Drouin, Merette et Veksler ont conclu, dans leurs rapports, à la présence d'anomalies compatibles avec une pneumoconiose  de type « sand blasting » ou avec une silicose et que le docteur Jacquemin a soulevé l'hypothèse d'une silico-protéinose dans son rapport de consultation du 14 mars 2003. Il rappelle également que les membres du Comité des maladies professionnelles pulmonaires n'écartaient pas, dans leur avis complémentaire du 21 novembre 2002, le diagnostic de silicose, mais retenaient plutôt que les anomalies radiologiques n'étaient pas entièrement compatibles avec ce diagnostic.

[38]           Deuxièmement, il soumet qu'il est impossible de produire une étude spécifique établissant que monsieur Bélisle a été exposé à de la poussière de silice dans l'exercice de son travail chez l'employeur et que cette preuve peut être faite au moyen d'études générales dans un secteur donné. Au soutien de sa prétention, il dépose une décision de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) rendue dans l'affaire Formco inc. et Albert[3] (l'affaire Albert).

[39]           Dans cette perspective, il prétend que l'étude de madame Larose permet de conclure qu'il y a de fortes chances que monsieur Bélisle ait été exposé à de la poussière de silice dans l'exercice de son travail d'ébarbeur chez l'employeur.

[40]           Avec respect, le tribunal estime qu'il ne peut retenir ces deux arguments pour les raisons suivantes.

[41]           Dans l'affaire Albert, il s'agissait d'un menuisier charpentier qui avait exercé ses fonctions, pendant une trentaine d'années, sur des chantiers de construction de voies ferrées, d'érection de barrages hydro-électriques et d'autres chantiers importants. Il était établi qu'il avait été exposé au bruit d'outils pneumatiques, électriques et manuels et, sur certains chantiers, à celui provenant de la machinerie lourde.

[42]           Aucune étude de bruit spécifique au travailleur n'était disponible, mais des études des niveaux de bruit dans le secteur de la construction avaient été produites. L'employeur plaidait qu'à défaut d'une étude de bruit spécifique au travailleur, la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles ne pouvait conclure qu'il avait été exposé à un bruit excessif. La Commission d'appel en matière de lésions professionnelles rejette cette prétention pour les raisons suivantes :

     Le travailleur se devait alors de faire la démonstration qu'il a exercé un travail l'exposant à un bruit excessif.

 

     La Commission d'appel ne croit pas que pour faire cette démonstration dans le contexte de l'application de la présomption, l'obligation soit faite au travailleur de produire une étude de bruit qui lui soit spécifique.

 

     Une telle exigence viendrait limiter considérablement les possibilités pour un travailleur de pouvoir bénéficier de l'application d'une présomption qui ne constitue qu'un moyen de preuve mis à sa disposition pour lui faciliter l'accessibilité à un droit, justement en raison de la complexité et des coûts de la réalisation d'une étude de bruit en milieu de travail.

 

     La Commission d'appel croit plutôt que pour démontrer qu'il a exercé un travail l'exposant à un bruit excessif, le travailleur n'a qu'à faire une démonstration raisonnable par une preuve de reconnaissance générale du milieu de travail, en autant que cette preuve soit appuyée sur des données indépendantes reconnues et non seulement sur de simples allégations.

 

     Or, dans le présent cas, on retrouve au dossier un document analysé par la Commission qui démontre la présence d'un bruit excessif dans le secteur de la construction, notamment par les outils utilisés par le travailleur, principalement dans le cas de construction, domaine où le travailleur a principalement oeuvré.

 

 

[43]           Dans cette affaire, même si le niveau de bruit auquel le travailleur était exposé ne pouvait être établi par une étude spécifique, la preuve démontrait, à tout le moins, que le travailleur utilisait des outils dont le niveau de bruit était généralement reconnu.

[44]           Les circonstances de la présente affaire sont différentes. Même si le fait que monsieur Bélisle ait pu être exposé à de la poussière de silice est possible, cela ne demeure qu'une hypothèse, parce que, selon l'étude de madame Larose, ce ne sont pas toutes les meules et tous les papiers sablés qui contenaient de la silice au moment où il a travaillé chez l'employeur.

[45]           Le témoignage de monsieur Bélisle sur la composition de papier sablé qu'il utilisait ne peut être retenu parce qu'il n'est pas fondé sur des données suffisamment sérieuses.

[46]           Pour rendre leurs avis, les membres du Comité des maladies professionnelles pulmonaires et du Comité spécial des présidents ont tenu compte à la fois de l'étude de madame Larose et des rapports des radiologistes, et ils ont même relu les radiographies pulmonaires. Ils n'ont pas conclu à l'existence d'une silicose en se fondant notamment sur l'évolution de la condition pulmonaire de monsieur Bélisle, tel que démontré par les examens radiologiques.

[47]           Monsieur Bélisle n'apporte aucun élément nouveau en preuve au dossier pour supporter sa prétention, ne serait-ce qu'une opinion médicale de son médecin, le docteur Jacquemin, sur le diagnostic de sa maladie.

[48]           Dans ce contexte, le tribunal estime qu'il n'y a pas lieu d'écarter l'opinion émise par les six pneumologues membres du Comité des maladies professionnelles pulmonaires et du Comité spécial des présidents et de conclure que monsieur Bélisle a contracté une silicose et, par application de l'article 29 ou de l'article 30 de la loi, qu'il s'agit d'une maladie professionnelle pulmonaire.

[49]           Après considération de la preuve au dossier et de l'argumentation soumise, la Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion que monsieur Bélisle n'a pas contracté une maladie professionnelle pulmonaire.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de monsieur Richard Bélisle;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 17 février 2004 à la suite d'une révision administrative;

DÉCLARE que monsieur Bélisle n'a pas contracté une maladie professionnelle pulmonaire.

 

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Claude-André Ducharme

 

Commissaire

 

 

Me Denis Mailloux

C.S.N.

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Marie-Claude Perreault

LAVERY, DE BILLY, AVOCATS

Représentant de la partie intéressée Brasserie Labatt ltée

 

 

 



[1]          Le comité était composé à ce moment-là des pneumologues Gaston Ostiguy, Manon Labrecque et Neil Colman.

[2]          L.R.Q. c. A-3.001.

[3]          [1996] C.A.L.P. 1157 .

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