COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES
QUÉBEC QUÉBEC, le 30 juillet 1998
DEVANT LE COMMISSAIRE: Michel Renaud
ASSISTÉ DES MEMBRES : Jean-Guy Verreault
Associations d'employeurs
Marc Villeneuve
Associations syndicales
RÉGION:
Mauricie-Centre du Québec
DOSSIER:
88999-04-9706
DOSSIER C.S.S.T.: AUDIENCE TENUE LE : 22 avril 1998
110963626
DOSSIERS B.R.P.: DÉLIBÉRÉ LE : 23 avril 1998
6235 6144
6238 2462 À: Drummondville
SOCIÉTÉ DE SERVICES DRUMMOND
[DENIM SWIFT]
575, rue des Écoles, C.P. 546
Drummondville [Québec]
J2B 1J6
PARTIE APPELANTE
et
ROSAIRE GOUIN
1897, boul. St-Joseph
Drummondville [Québec]
J2B 1R4
PARTIE INTÉRESSÉE
D É C I S I O N
Le 6 juin 1997, la société de Services Drummond [Denim Swift] [l'employeur ] dépose à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles [la Commission d'appel] une déclaration d'appel à l'encontre d'une décision unanime du Bureau de révision paritaire de la région Mauricie-Centre du Québec [Bureau de révision] rendue le 8 avril 1997.
La décision du Bureau de révision confirme des décisions rendues par la Commission de la santé et de la sécurité du travail [la C.S.S.T.] le 17 octobre et le 27 novembre 1996. Le Bureau de révision déclare que le travailleur est atteint d’une maladie professionnelle, la byssinose depuis le 23 avril 1996 et que conséquemment, un déficit anatomo-physiologique de 31,25 % doit lui être reconnu. Le Bureau de révision ajoute que le travailleur a des limitations fonctionnelles et que des mesures de réadaptation doivent être mises en place pour assurer sa réintégration au marché de l’emploi.
OBJET DE L'APPEL
L'employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d'infirmer la décision du Bureau de révision et de déclarer que la méthode utilisée par le Comité des maladies pulmonaires professionnelles n’est pas valable et que la démarche doit être reprise. La représentante de l'employeur ajoute que la preuve ne peut être faite à ce jour et qu’aucune démarche n’est en cours qui permettrait à la Commission des lésions professionnelles de conclure que M. Rosaire Gouin ne souffre pas d’une byssinose à cause de l’exposition aux poussières de coton dans son milieu de travail.
LES FAITS
Âgé de 50 ans, M. Rosaire Gouin [le travailleur] oeuvre au service de l'employeur à titre à titre d’opérateur d’ourdissoir. Il est au service de l’employeur depuis le 29 mars 1973.
Le travailleur explique les principales étapes de sa carrière. De 1973 à 1985, il a travaillé sur un modèle de machine qui est décrit comme étant le modèle "C" sur lequel les cônes étaient situés à la hauteur du visage. Durant cette période, il ne portait aucune protection respiratoire. Pour des raisons que nous expliquerons ultérieurement, la poussière ambiante est très importante.
Le travailleur explique une modification de ses tâches à la suite d’une réclamation pour accident du travail déposée en 1985. Il a par la suite été assigné à la réparation des appareils servant au renvidage de bobines. Pour effectuer ces tâches, il utilisait des boyaux d'air sous pression. Il devait utiliser ce système antérieurement, mais seulement quelquefois par jour. Il les utilise maintenant plus d'une quinzaine de fois par jour et il reconnaît que l'employeur ne fournissait pas de masques de protection respiratoire.
De 1994 à 1995, le travailleur est affecté à la distribution des filés dans l'atelier de renvidage. Cette tâche implique de prendre les bobines de fil dans des camions et de les apporter aux opératrices. C'est aussi au cours de cette période qu’il a commencé à s'initier au travail d'ourdisseur, poste qu'il occupe en 1995-1996. Le travailleur décrit les appareils utilisés en expliquant que ces appareils regroupent des bobines de fil dites “de fromage” dans une immense bobine de quatre pieds de large par trois pieds de haut pesant entre 1 200 et 1 400 livres. Il note que la poussière est mise en circulation dans l'air ambiant puisque les fibres de coton se détachent aussi au cours de l'opération.
La Commission des lésions professionnelles note qu'au cours de toutes ces années, le travailleur a toujours œuvré dans le même atelier que ce soit à titre de renvideur ou de réparateur d'appareils de distributeur de filés ou d'ourdisseur, la fonction principale a impliqué de transformer les tubes de fil de coton qui arrivaient en vrac en bobines de fil de plus ou moins grande dimension.
L'atelier dans lequel s'effectuent les différentes tâches est de grande dimension et le travailleur évalue la hauteur des plafonds entre quatorze et dix-sept pieds. La Commission des lésions professionnelles note qu'il n'y a pas dans l'usine de système de récupération des poussières à la source et que pour éviter l'enrayage des mécanismes d'engrenage, les employés, soit les opératrices et les réparateurs, utilisent systématiquement des boyaux d'air pulsé qui ont été décrits par un membre de la Commission des lésions professionnelles comme des "antibalayeuses". C'est-à-dire que les poussières sont projetées dans l'air ambiant à l'aide d'un appareil à haute pression.
Les premiers symptômes de problèmes bronchiques se manifestent au cours de 1995. Le travailleur avait remarqué que lorsqu'il était à l'usine et principalement lorsqu'il travaillait sur les ourdissoirs, il était fréquemment essoufflé. Il consulte le Dr Michel Villeneuve qui lui recommande l’utilisation de pompes pour faciliter la respiration. L'inconfort devient de plus en plus important et le travailleur constate que les manifestations d'essoufflement sont plus fréquentes lorsqu'il est au travail.
Le 23 avril 1996, le travailleur dépose une réclamation à la C.S.S.T.. Il demande de bénéficier d'une investigation par des spécialistes pour déterminer s'il souffre de byssinose histiocytose.
Le travailleur rappelle que sept employés du même atelier ont été déclarés porteurs de maladies professionnelles à cause de l'exposition aux poussières de coton.
C'est le Dr Boileau qui le premier s'interroge sur la possibilité que le travailleur souffre d'une byssinose.
Le 21 mai 1996, le Dr Tremblay note que les dyspnées sont possiblement causées par une exposition aux poussières caractéristiques à ce milieu d’emploi.
La production de ces avis médicaux incite la C.S.S.T. à demander une évaluation par le Comité des maladies pulmonaires professionnelles de Sherbrooke. Le travailleur est soumis à de multiples examens et le 30 juillet 1996, le Dr André Cantin est d’avis que le travailleur souffre d’un "syndrome obstructif d’intensité légère à modérée avec une baisse sévère de la capacité de diffusion. De plus, il y a une hyperréactivité bronchique d'intensité légère à modérée. La baisse de la capacité de diffusion est nettement accentuée par rapport aux examens antérieurs".
Le 14 août 1996, le Dr Raymond Bégin, à titre de président du Comité des maladies pulmonaires professionnelles avise:
«Impression
Pneumopathie interstitielle connue sur laquelle il y a possiblement une byssinose surajoutée.
Recommandations
Nous procédons à l’investigation de base aujourd’hui. Nous complétons cette investigation par des tests de provocation spécifique en usine (semaine contrôle au CUSE et deux semaines en usine). La semaine contrôle au CUSE (Fleurimont) serait la semaine du 3 septembre 1996 (4 jours de 12 heures) et les semaines en usine celles du 9 septembre (à compter de lundi à 07:00) et du 18 septembre 1996 (à compter du mercredi à 07:00). La semaine du 9 septembre 1996, le réclamant devrait travailler les lundi, mardi, vendredi, samedi , dimanche. La semaine du 18 septembre, le réclamant devrait travailler les mercredi et jeudi.
Les arrangements devront être faits par la C.S.S.T. afin que le réclamant ait un retour au travail durant deux semaines, accompagné d’un technicien du CUSE (Site Fleurimont) pour les mesures spirométriques usuelles couplées avec CP20, en début de semaine (au début du premier jour de chaque semaine) et à la fin de la journée de travail du dernier jour de chaque semaine. Le quart de travail, l’horaire des deux semaines de travail et le poste devront être les mêmes que lors du travail antérieur de monsieur Gouin.»
Le 20 septembre 1996, le Comité composé des Drs Raymond Bégin, Robert Boileau et Pierre Larivée conclut:
«CONCLUSION
Le comité des maladies pulmonaires professionnelles de Sherbrooke reconnaît chez monsieur Rosaire Gouin la présence d’une histiocytose X qui a été confirmée à la révision des lames de biopsies pulmonaires de 1979 et confirmée également par des caractéristiques des images de la tomographie axiale. De plus, le réclamant a une détérioration significative en milieu de travail à l’usine Swift. Il s’agit donc d’une composante byssinotique qui est surajoutée à l’histiocytose X chez ce réclamant. Le réclamant est donc porteur d’une maladie personnelle, une histiocytose X du poumon et d’une composante professionnelle, soit une byssinose.
RECOMMANDATIONS
1) Déficit anatomo-physiologique: dans le contexte, le D.A.P. est évalué sur la base des débits expiratoires et de la réactivité bronchique. La capacité de diffusion n’est pas prise en considération, compte tenu qu’elle est principalement secondaire à l’histiocytose X du réclamant. Le D.A.P. est fixé à 25%, avec identification des séquelles de la façon suivante:
Code Description D.A.P. %
223001 MPP à caractère irréversible
(byssinose) 5%
223635 Obstruction 1, excitabilité 2
(composante professionnelle
seulement) ------------
Total du D.A.P. 25%
2) Limitations fonctionnelles: aux efforts légers, compte tenu de sa condition pulmonaire professionnelle et personnelle.
3) Tolérance aux contaminants: aucune exposition à la poussière de coton, sous aucune considération.
4) Réévaluation: 3 ans.»
L'avis du Comité est soumis au Comité spécial des présidents composé des pneumologues Marc Des Meules, Jean-Jacques Gauthier et Gaston Ostiguy qui, le 3 octobre 1996 constate que:
«A leur réunion du 3 octobre 1996, les membres soussignés du Comité Spécial des présidents ont étudié le dossier de ce réclamant.
Ils ont pris connaissance des conclusions de l’expertise antérieure. Ils ont revu l’histoire occupationnelle, les données du questionnaire cardio-respiratoire, la médication, les antécédents personnelles et familiaux.
La description de l’examen physique de même que les résultats des examens de laboratoire ont été notés.
Ils ont relu les radiographies pulmonaires et ils ont analysé les valeurs du bilan fonctionnel respiratoire.
A la suite de cet examen, ils entérinent les conclusions émises par le comité des maladies pulmonaires professionnelles.
Le Comité considère que les évidences apportées au dossier particulièrement les mesures du VEMS en milieu de travail permettent d’établir la présence d’une byssinose chez ce réclamant.
Par ailleurs, le réclamant est porteur d’une histiocytose X et il n’y a aucun doute que cette maladie personnelle a contribué aux altérations fonctionnelles respiratoires.
Le pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique est donc fixé à 25% en tenant compte uniquement de la composante professionnelle chez ce réclamant.
Code Description D.A.P%.
223001 MPP à caractère irréversible 5%
223635 Classe fonctionnelle 3 20%
Obstruction bronchique 1°
Excitabilité bronchique 2°
Médicaments: bdt prn ou rég
D.A.P. TOTAL: 25%
Limitations fonctionnelles:
Aux efforts légers compte tenu de sa condition pulmonaire professionnelle et personnelle.
Tolérance aux contaminants:
Aucune exposition à la poussière de coton, sous aucune considération
Réévaluation:
Dans 3 ans.»
Le 17 octobre 1996, la C.S.S.T. déclare: «Le diagnostic de maladies pulmonaires professionnelles est celui des byssinoses et des atteintes permanentes à votre intégrité physique font suite à votre maladie professionnelle. Cette maladie et votre condition personnelle entraînent des limitations fonctionnelles importantes, soit efforts légers».
L'employeur conteste cette décision.
Le 21 mars 1997, le représentant du travailleur s'objecte à ce que l'employeur obtienne une remise de la date d'audience prévue pour le 24 mars 1997 au motif que l'employeur a bénéficié d'un délai de quatre mois pour préparer son dossier et obtenir une expertise médicale et qu'il n'a rien fait. Le Bureau de révision procède à la date prévue en concluant que la décision de la C.S.S.T. s'appuie sur des expertises compétentes et que l'employeur a sans doute fait preuve de négligence grossière en ne prenant pas les moyens pour faire sa preuve.
Le Bureau de révision constate que le travailleur a été exposé à la poussière de coton à l'intérieur de l’usine. Il note que cette poussière contient des fibres de coton et que des tests ont prouvé que le travailleur réagissait lorsqu'il était exposé à ce type de poussière.
L'employeur conteste la décision du Bureau de révision le 3 juin 1997. Le 10 février 1998, l'employeur prend possession d'un avis de la Commission des lésions professionnelles à l’effet que l'audience doit avoir lieu le 22 avril 1998 à 11 heures 30.
Dans les jours qui précèdent, l'employeur demande de reporter l'audience au motif qu'il désirait obtenir des expertises complémentaires. La demande fut refusée pour des motifs qui s'apparentent à ceux retenus par le Bureau de révision au printemps 1997.
Il est à noter que le travailleur s'est objecté formellement à ce que cette demande soit accordée parce que les expertises qu'il a obtenues ont été réalisées par des experts indépendants dont les services avaient été requis par la C.S.S.T.. L'absence de diligence de l'employeur s'ajoute au fait que ces experts sont ceux reconnus par la loi pour compléter les investigations à caractère étiologique dans le secteur des maladies pulmonaires professionnelles.
Témoignant devant la Commission des lésions professionnelles, le travailleur précise que plusieurs machines opèrent en même temps dans l'usine et que les opératrices doivent procéder fréquemment au nettoyage des engrenages en utilisant les boyaux d'air pulsé. Il souligne que le plafond est relativement bas et que des ventilateurs au plafond repoussent l’air en direction des employés. Il note que la poussière est visible à l'œil nu et que tout le monde se mouche constamment. Il ajoute que ceux qui portent des verres de contact doivent les nettoyer souvent.
ARGUMENTATION DES PARTIES
La représentante de l'employeur se présente à l’audience et informe la Commission des lésions professionnelles qu’elle n’est pas en mesure de faire sa preuve et ce, même si des demandes de remise ont été refusées le 14 et le 21 avril 1998. Elle est d’avis que les comités spécialisés de la C.S.S.T. n’ont pas fait une démarche convenable, mais reconnaît que ces expertises n’ont pas été contestées par l’employeur. Elle demande que la Commission des lésions professionnelles accepte de verser au dossier la preuve faite dans le dossier de Diane Sarrazin qui chemine parallèlement à la Commission des lésions professionnelles.
Le représentant du travailleur affirme qu’il a pris des mesures pour être capable de faire sa preuve et que l’employeur est négligent puisqu’il a obtenu une remise au Bureau de révision en invoquant de semblables motifs. Il ajoute que l’employeur n’a pas contesté les expertises et que l’avis du Comité des présidents est liante pour la C.S.S.T., le Bureau de révision et la Commission des lésions professionnelles. Il s’oppose à ce que la preuve faite dans le dossier Sarrazin soit versée au dossier de la Commission des lésions professionnelles parce que chaque cas est un cas d’espèce et que les tâches ne sont pas les mêmes.
Il constate que la preuve de poussière ambiante a été faite et que l’exposition est suffisante au sens des décisions récentes de la Cour Suprême pour conclure que la présomption s’applique. Si l’employeur était en mesure de renverser le fardeau de preuve, il aurait fait preuve de diligence et complété sa démarche dans des délais raisonnables.
Il ajoute:
«[...]
Un taux de 5 % a été attribué à ce chapitre sous le code 223001.
Toutefois, malgré le fait que le Comité spécial des présidents (voir page 87 du dossier C.L.P.) dans le processus d’évaluation fonctionnelle pulmonaire ait décidé que le travailleur est affecté d’une M.P.P. de classe 3 pour lequel le règlement attribut un D.A.P. de 40 %, il y a eu ventilation du D.A.P. L’on a alors réduit le D.A.P. prévu par le règlement (40% ) à 20 %. Il s’agit là d’un processus totalement arbitraire et douteux,
La Cour d’appel dans l’affaire «Chaput -vs- S.T.C.U.M.» a établi que l’on devait considérer le travailleur victime d’une lésion professionnelle dans son ensemble avec ses forces et ses faiblesses. La Cour d’appel a écrit ce qui suit: (page 1786 du jugement)
«À moins de circonstances particulières, il faut prendre la personne humaine comme elle est avec son âge, avec ses faiblesses, avec ses vicissitudes. Autrement, il faudrait juger suivant une norme de la personne en parfaite santé et condition physique, ce qui ne correspondrait sûrement pas aux objectifs de la loi.»
Cet énoncé s’applique par analogie à la présente affaire et l’on doit considérer le travailleur avec ses forces et ses faiblesses, en l’occurrence, la présence d’une hystiositose-X et d’une byssinose. Considérant qu’il s’agit d’un cas de classe 3, un taux de 40 % devrait lui être attribué sans distinction arbitraire.
De plus, tel que mentionné lors de l’audition, nous référons la Commission des lésions professionnelles à la «S.E.C.A.L. -v- Succession Arthur Simard» aux pages 23 et 24 de la décision. Dans cette affaire, la C.A.M.L.P. a précisé qu’un tel exercice de ventilation du D.A.P., entre une lésion personnelle et une lésion professionnelle était douteux et que ce procédé ne doit pas s’appliquer lorsqu’une maladie professionnelle est reconnue.
En conséquence, nous vous soumettons que le D.A.P. attribuable au travailleur devrait être le suivant:
1. Maladie obstructive chronique (M.P.P. à caractère irréversible (byssinose) code 223001: 5 %
2. Selon le tableau 32 du règlement «Évaluation fonctionnelle pulmonaire de classe 3»: 40%
3. D.P.J.V. calculé sur un D.A.P. de 45 %: 15.75 %
Total D.A.P. 60.75 %
Subsidiairement, si la Commission des lésions professionnelles maintient la ventilation du D.A.P., tel qu’effectué par le Comité spécial des présidents, nous soumettons qu’au D.A.P. 25 % déjà alloué, l’on devrait y ajouter les taux supplémentaires suivants:
Facteurs additionnels de sévérité:
1. Importance des symptômes, des signes cliniques et des lésions en médication:
10 %»
AVIS DES MEMBRES
Le membre issu des associations syndicales constate que le système de récupération des poussières mérite de sérieux correctifs. Il note que l’exposition à la poussière de coton a été significative et ce, pendant de nombreuses années. Il se demande, considérant les recommandations du Comité des maladies professionnelles et pulmonaires et celle du Comité spécial des présidents, s’il est raisonnable de retourner ce travailleur dans ce milieu de travail avec un simple masque.
Le membre issu des associations d’employeurs constate que l’employeur manque à ses obligations en ne faisant pas de preuve conforme aux exigences de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. D’autant plus que la représentante a quitté l’audition en se voyant refuser la remise. Sur le mérite, il s’en remet à la décision du commissaire.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si M. Rosaire Gouin a été victime de byssinose à cause de l’exposition à des poussières de coton dans son milieu de travail et conclure relativement aux conséquences de la maladie professionnelle.
La déclaration d’appel a été déposée à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles [Commission d’appel]. Le 1er avril 1998, la Loi instituant la Commission des lésions professionnelles et modifiant diverses dispositions législatives[1] est entrée en vigueur. Cette loi crée la Commission des lésions professionnelles qui remplace et continue la Commission d’appel. En vertu de l’article 52 de cette loi, les affaires pendantes devant la Commission d’appel sont continuées et décidées par la Commission des lésions professionnelles.
Nous avons entendu les représentations des parties à titre de commissaire de la Commission des lésions professionnelles. La présente décision est rendue par le soussigné en sa qualité de commissaire de la Commission des lésions professionnelles.
La demande de remise a été rejetée parce que l’employeur est négligent dans la préparation de sa preuve. De plus, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles encadre le processus d’évaluation des caractéristiques d’une maladie professionnelle et l’employeur doit respecter les étapes procédurales définies par la législation.
En l’absence de l’employeur, les officiers de la C.S.S.T. ont requis les expertises pertinentes et les différentes étapes que le législateur a prévues pour en arriver à une conclusion définitive relativement au diagnostic ont été respectées. Il est en preuve que l’employeur est informé des différentes échéances et près de deux ans après le dépôt des expertises, il n’est toujours pas en mesure d’expliquer les démarches qu’il entend faire pour proposer une conclusion différente de celles retenues par le Comité des maladies professionnelles et pulmonaires.
L’investigation du Comité des maladies professionnelles et pulmonaires paraît judicieuse. L’employeur affirme que la méthode a été mauvaise mais il est incapable d’exposer la méthode que ses spécialistes entendent suivre.
Il est vrai que la jurisprudence de la Commission d’appel a créé une brèche dans les dispositions législatives en concluant que le diagnostic étiologique n’était pas du domaine de la médecine. Il est impossible de nier que l’expertise médicale en matière de maladies professionnelles pulmonaires est déterminante.
La démarche que fait le Comité des maladies professionnelles et pulmonaires vise à identifier la cause précise des problèmes respiratoires du travailleur. En la présente, il est évident que les membres du Comité des maladies professionnelles et pulmonaires et les membres du Comité spécial des présidents savaient que le travailleur souffrait d’histiocytose X et de byssinose. Les tests de provocation et les mises en situation en usine conduites en septembre 1996, l’ont évidemment été pour formaliser à l’attention de la C.S.S.T. une expertise la plus complète et la plus précise possible.
La démarche est sérieuse, prévue à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et les instances d’adjudication tentent d’administrer la procédure d’appréciation de la causalité en conformité avec les modalités prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
De toute évidence, ce n’est pas l’esprit de la législation ni le voeu du législateur que d’encourager les parties à boycotter les moyens mis à leur disposition pour conclure le plus rapidement possible. La Commission des lésions professionnelles a conclu que la demande de l’employeur était frivole, dilatoire et peu conforme à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Le représentant du travailleur profite de l’absence de l’employeur et de la C.S.S.T. pour proposer une demande reconventionnelle qu’il n’avait pas faite avant le 22 avril 1998. La Commission des lésions professionnelles ne croit pas que le travailleur pouvait saisir le tribunal aussi tardivement d’une demande qu’il n’avait pas déposée avant que la demande de remise de l’employeur ne soit rejetée.
Le représentant du travailleur s’est objecté formellement à ce que la remise soit accordée. Il est évident que la Commission des lésions professionnelles ne peut se saisir d’une requête aussi tardive pour conclure sans que l’employeur ait été informé que le débat se ferait le 22 avril 1998.
Il en résulte que la demande de réévaluation du déficit anatomo-physiologique ne peut être accueillie.
La contestation véritable, la seule dont nous sommes saisis, est celle de l’employeur qui demande de renverser les conclusions des médecins spécialisés et mandatés par le législateur pour apprécier la relation entre les activités professionnelles d’un travailleur et une maladie, soit en la présente la byssinose.
La conclusion des spécialistes n’est pas faite à la légère et les tests ont certainement été conduits avec la collaboration de l’employeur puisqu’ils ont été faits en usine. Or, la conclusion ne fait pas de doute «le réclamant a une détérioration significative en milieu de travail à l’usine Swift».
Le Comité spécial des présidents se conforme à la législation en révisant tant le dossier du travailleur que les étapes suivies par le Comité des maladies professionnelles et pulmonaires et il est catégorique: «Le pourcentage d’atteinte permanente à son intégrité physique est fixé à 25 % en tenant compte uniquement de la composante professionnelle».
De l’avis des spécialistes, la simple exposition à des poussières de coton devient un risque important pour ce travailleur. Ils recommandent que l’exposition cesse immédiatement «aucune exposition à la poussière de coton, sous aucune considération».
Comme nous l’avons constaté plus haut, la poussière de coton est non seulement présente dans l’usine de l’employeur, mais on s’efforce de la mettre en suspension dans l’air le plus souvent possible. Au lieu de dégager les engrenages des machines avec des aspirateurs, les mécaniciens et les opératrices sont invités à utiliser des appareils qui projettent avec force les particules dans l’air ambiant.
De plus, les ventilateurs du plafond font circuler cette poussière en créant des courants importants et surtout en projetant la poussière de coton en direction des travailleurs.
Ce mode d’opération est peu conséquent avec les moyens mis à la disposition des entreprises pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs, et il prédispose à l’apparition de symptômes qui peuvent facilement devenir des maladies importantes pour les travailleurs. Le risque est connu puisque la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles édicte une présomption pour protéger les travailleurs des entreprises qui sont aussi peu scrupuleuses de la santé de leurs travailleurs.
La section V de l’annexe I de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, celui relatif aux maladies professionnelles prévoit en effet que le travailleur qui souffre de byssinose est présumé atteint d’une maladie professionnelle lorsqu’il est exposé à des poussières de coton.
En la présente, la preuve est claire, le travailleur a été exposé à de multiples poussières de coton. La poussière de coton fait partie de la vie de tous les jours dans l’usine de l’employeur.
Le 23 février 1998, la Cour Suprême du Canada rappelait aux juristes québécois et tout particulièrement aux représentants des employeurs, l’importance du fardeau de preuve qui leur incombait lorsque la présomption édictée par l’article 29 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles était aussi évidente qu’elle l’est en la présente. Il est possible que cette décision justifie les atermoiements du représentant de l'employeur.[2]
Comme le précise le juge Forget[3], la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et la Commission d’appel doivent imposer à l’employeur le fardeau de démontrer que la maladie professionnelle n’a pas été causée par l’élément sensibilisant lorsque la preuve est faite que le contaminant est présent dans le milieu de travail et que le travailleur y a été exposé.
La Cour d’appel et la Cour Suprême constatent que cette interprétation de la Commission d’appel n’est pas irrationnelle. Le choix a été fait par la législation et dans le cadre d’une loi à portée sociale, il n’est pas plus aberrant d’imaginer que l’employeur puisse être appelé à verser des indemnités auxquelles il ne devrait pas normalement être tenu, que de concevoir qu’un employé puisse être privé d’indemnités auxquelles il devrait normalement avoir droit n’eût été d’une controverse scientifique fort complexe.
En la présente, l’employeur a manqué un certain nombre d’étapes. Il ne fait pas de doute que la conclusion du Comité spécial des présidents a un caractère impératif au sens des critères médicaux et procéduraux mis en place par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Cet avis médical a été apprécié par le Bureau de révision qui a conclu que la preuve d’exposition était déterminante. Douze mois après cette décision, l’employeur est toujours incapable de proposer une démarche encadrée susceptible de convaincre la Commission des lésions professionnelles d’une appréciation différente.
La Commission des lésions professionnelles constate que l’employeur est incapable de renverser le fardeau de preuve que la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles lui impose.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES:
REJETTE le présent appel;
CONFIRME la décision rendue par le Bureau de révision de la région Mauricie-Centre du Québec le 8 avril 1997;
CONFIRME les décisions rendues par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 17 octobre et le 27 novembre 1996;
DÉCLARE que M. Rosaire Gouin a été victime d'une lésion professionnelle le 23 avril 1996;
DÉCLARE que la byssinose dont souffre M. Rosaire Gouin est une conséquence directe de l’exposition aux poussières de coton en suspension dans son milieu de travail;
DÉCLARE que la lésion professionnelle est la cause d’un déficit anatomo-physiologique évalué par les instances compétentes à 31,25 % et que la principale limitation fonctionnelle est celle relative à l’exclusion de toute exposition aux poussières de coton en suspension dans l’air;
CONSTATE que M. Rosaire Gouin doit bénéficier des mesures de réadaptation prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
_____________________
Michel Renaud
Commissaire
HEENAN, BLAIKIE & ASS.
Me Francine Legault
1250, boul. René-Lévesque
Bureau 2500
Montréal [Québec]
H3B 4Y1
Représentante de la partie appelante
U.O.T.C.
Me Daniel Woods
2181, boul. St-Joseph
Drummondville [Québec]
J2B 1R9
Représentant de la partie intéressée
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.