Décision

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Malouin et ICC Cheminées Industrielles inc.

2007 QCCLP 6436

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Jérôme :

Le 15 novembre 2007

 

Région :

Laurentides

 

Dossier :

296610-64-0608

 

Dossier CSST :

121461842

 

Commissaire :

Me Daphné Armand

 

Membres :

René R. Boily, associations d’employeurs

 

Stéphane Marinier, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Laurent Malouin

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

I.C.C. Cheminées Industrielles inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 8 août 2006, monsieur Laurent Malouin (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 25 juillet 2006, à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 10 mai 2006 et déclare que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais engagés pour son déménagement.

[3]                L’audience s’est tenue à Saint-Jérôme, le 13 novembre 2007, en présence du travailleur et de sa procureure.  I.C.C. Cheminées Industrielles inc. (l’employeur) avait avisé de l’absence de son procureur à l’audience pour ce dossier.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit au remboursement par la CSST du montant de 690,15 $ représentant les frais qu’il a engagés pour son déménagement au printemps 2006.

LES FAITS

[5]                Le 22 octobre 2001, le travailleur subit une lésion professionnelle pour laquelle un diagnostic de tendinite de l’épaule bilatérale est posé.

[6]                Cette lésion professionnelle lui a laissé un déficit anatomophysiologique de 11,5%, ainsi que les limitations fonctionnelles suivantes :

Éviter de travailler les bras en élévation plus que la hauteur des épaules sans charge de plus de 10 kilos, sans mouvement répétitif.

[7]                Le travailleur est admis au service de réadaptation de la CSST.

[8]                Le 6 mai 2003, suite à une révision administrative, la CSST déclare que les diagnostics de déchirure partielle de la coiffe des rotateurs gauches, d’entorse cervicale et d’entorse dorsale sont en relation avec l’événement du 22 octobre 2001.

[9]                Toutefois, le 16 novembre 2004, par transaction, le travailleur renonce aux droits résultant de la décision du 6 mai 2003.  De plus, les parties conviennent que l’emploi de gardien de guérite à raison de 25 heures semaines constitue un emploi convenable pour le travailleur, que ce dernier est capable d’occuper cet emploi à compter du 1er septembre 2004, et qu’il a droit à la poursuite du versement de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’au 1er septembre 2005 au plus tard, et qu’il aura ensuite droit à une indemnité réduite.

[10]           Le 21 avril 2006, la Commission des lésions professionnelles[1] déclarait irrecevable la requête du travailleur visant à annuler la transaction du 16 novembre 2004.

[11]           Le 22 mars 2006, le docteur M. Carrier, médecin du travailleur, complète un certificat médical où il indique que le travailleur a besoin d’aide pour déménager et peindre son logement.

[12]           Au mois d’avril 2006, le travailleur déménage.  Il passe d’un logement situé sur la rue Dupéré, à Bellefeuille, à un logement sur la rue Madeleine, à Saint-Jérôme.  À l’audience, le travailleur produit deux estimés des frais de déménagement et déclare qu’il a finalement payé la somme de 690,15 $, soit le moins cher des deux estimés.

[13]           Le travailleur explique les raisons l’ayant incité à déménager.

[14]           Son logement de la rue Dupéré était trop froid et humide.  Les fenêtres étaient en piteux état et tombaient en morceaux lorsqu’on tentait de les ouvrir.  Ces fenêtres méritaient d’être changées.  L’été, les moustiques entraient dans son logement alors que l’hiver, les fenêtres gelaient.  Et le débit d’eau dans la tuyauterie était très faible et inadéquat.  Le travailleur éprouvait des douleurs dues à l’arthrite et mentionne son problème de tendinite des épaules.  Malgré le fait qu’il s’habillait, le travailleur n’était pas confortable dans ce logement.  Selon lui, cet appartement était « invivable ».

[15]           Le travailleur ajoute que l’électricité était déficiente et que son propriétaire le harcelait de faire déneiger rapidement son balcon au deuxième étage.  La CSST défrayait le coût de ce déneigement.

[16]           Après avoir emménagé, le travailleur a découvert que l’immeuble où il logeait était en fait une grande résidence unifamiliale convertie en appartements suite à des menus travaux qu’il estime insuffisants. Son appartement se situait au deuxième étage de l’immeuble, soit au-dessus de l’étage où résidait le propriétaire. 

[17]           La nuit, pour aller aux toilettes, le travailleur éprouve de la difficulté à se lever : il se lève mais doit s’appuyer sur le lit, ou une table ou quelque objet, car il ne peut redresser son dos dès le lever, mais seulement après quelques heures.  Son propriétaire était incommodé et se plaignait car il l’entendait marcher.  Le travailleur n’est demeuré qu’une année dans ce logement.

[18]           Dans le passé, la CSST a assumé les coûts de tonte de pelouse dans un autre logement, et les coûts de déneigement.  De plus, tel qu’il appert de l’avis de paiement du 25 mai 2006, la CSST a défrayé les coûts des travaux de peinture effectués dans son nouveau logement de la rue Madeleine, le travailleur étant incapable de le faire en raison des conséquences de sa lésion professionnelle d’octobre 2001.

[19]           Questionné sur ce point par le banc, le travailleur déclare qu’il n’y a eu aucune intervention de la Régie du logement pour l’appartement de la rue Dupéré.  Il était dépressif à l’époque et sa conjointe ne voulait pas qu’ils s’adressent à cet organisme et qu’ils soient alors  importunés par le propriétaire.  À une autre question du banc, le travailleur admet qu’il n’a pas parlé des détails de sa situation dans ce logement à un agent de la CSST.

[20]           Le travailleur déclare avoir dû emprunter de l’argent pour défrayer les frais de déménageurs et être dans une situation financière précaire.

L’ARGUMENTATION DU TRAVAILLEUR

[21]           La procureure du travailleur demande qu’exceptionnellement, pour des raisons humanitaires, le tribunal déclare remboursable par la CSST les frais encourus par le travailleur pour son déménagement.  En effet, les limitations fonctionnelles du travailleur suite à sa lésion professionnelle du 22 octobre 2001 font en sorte qu’il ne peut élever ses bras.  En conséquence, il ne peut ni faire les travaux de peinture lui-même, travaux d’ailleurs payés par la CSST pour son nouveau logement, ni s’occuper lui-même du déménagement.  Le fait que, dans le passé, la CSST ait déjà assumé les frais de tonte de gazon et de déneigement au domicile du travailleur, et qu’elle ait payé les travaux de peinture indiquent que le travailleur n’a pas la capacité d’effectuer son déménagement sans aide.

L’AVIS DES MEMBRES

[22]           Le membre issu des associations syndicales est d’avis d’accueillir la requête du travailleur.  Il constate que le logement de la rue Dupéré était humide, froid, voire insalubre.  Cela aggravait la condition du travailleur aux épaules.  Sa condition physique requérait de se lever durant la nuit, ce qui indisposait le propriétaire.  Le travailleur aurait pu demander que ce logement soit adapté à sa condition physique conformément aux articles 153 et 154 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la loi)[2].  Or, il a fait le choix de déménager dans un logement qui répond mieux à sa condition.  Tel que l’indique le certificat médical de son médecin, le travailleur ne peut effectuer son déménagement sans aide.  De plus, le membre issu des associations syndicales ajoute que l’article 184.5 de la loi permettrait également d’accorder au travailleur le remboursement des frais de déménagement.

[23]           Le membre issu des associations d’employeurs constate qu’une application stricte des dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ne couvre pas le remboursement des frais de déménagement dans le cas où un logement est insalubre.  Il est d’avis de rejeter la requête du travailleur.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[24]           Le tribunal doit déterminer si le travailleur avait droit au remboursement des frais de déménagement.

[25]           Les articles 153, 154 et 177 de la loi prévoient un tel remboursement, mais dans un contexte particulier, soit celui de la réadaptation sociale (articles 153, 154) ou celui de la réadaptation professionnelle (article 177) :

153. L'adaptation du domicile d'un travailleur peut être faite si:

 

1°   le travailleur a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique;

 

2°   cette adaptation est nécessaire et constitue la solution appropriée pour permettre au travailleur d'entrer et de sortir de façon autonome de son domicile et d'avoir accès, de façon autonome, aux biens et commodités de son domicile; et

 

3°   le travailleur s'engage à y demeurer au moins trois ans.

 

Lorsque le travailleur est locataire, il doit fournir à la Commission copie d'un bail d'une durée minimale de trois ans.

__________

1985, c. 6, a. 153.

 

 

154. Lorsque le domicile d'un travailleur visé dans l'article 153 ne peut être adapté à sa capacité résiduelle, ce travailleur peut être remboursé des frais qu'il engage, jusqu'à concurrence de 3 000 $, pour déménager dans un nouveau domicile adapté à sa capacité résiduelle ou qui peut l'être.

 

À cette fin, le travailleur doit fournir à la Commission au moins deux estimations détaillées dont la teneur est conforme à ce qu'elle exige.

__________

1985, c. 6, a. 154.

 

 

177. Le travailleur qui, à la suite d'une lésion professionnelle, redevient capable d'exercer son emploi ou devient capable d'exercer un emploi convenable peut être remboursé, jusqu'à concurrence de 3 000 $, des frais qu'il engage pour:

 

1°   explorer un marché d'emplois à plus de 50 kilomètres de son domicile, si un tel emploi n'est pas disponible dans un rayon de 50 kilomètres de son domicile; et

 

2°   déménager dans un nouveau domicile, s'il obtient un emploi dans un rayon de plus de 50 kilomètres de son domicile actuel, si la distance entre ces deux domiciles est d'au moins 50 kilomètres et si son nouveau domicile est situé à moins de 50 kilomètres de son nouveau lieu de travail.

 

Le travailleur doit fournir à la Commission au moins deux estimations détaillées dont la teneur est conforme à ce qu'elle exige.

__________

1985, c. 6, a. 177.

 

 

[26]           Or, la lésion professionnelle touche les épaules et la preuve n’indique nullement que le logement de la rue Dupéré ne permettait pas au travailleur d’entrer et sortir de façon autonome de son domicile ou d’avoir accès aux biens et commodités de son domicile.  En conséquence, le déménagement n’a pas été rendu nécessaire en raison de l’impossibilité d’adapter un domicile de façon à tenir compte de la capacité résiduelle du travailleur.

[27]           Il est vrai que la lésion professionnelle d’octobre 2001 a laissé des limitations fonctionnelles, dont celle qui consiste à éviter de soulever des charges de plus de 10 kilogrammes.  Mais malgré ces limitations, le travailleur était en mesure d’aller et venir dans son domicile.  Il faut plutôt s’interroger sur les raisons ayant motivé le déménagement.  Or, le tribunal constate que ce dernier n’a pas été effectué dans le but d’exercer un emploi mais pour une cause étrangère aux conséquences de la lésion professionnelle.

[28]           En l’instance, les articles 153, 154 et 177 ne peuvent donc trouver application.

[29]           Les frais de déménagement peuvent-ils être remboursables en vertu d’une autre disposition de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ?

[30]           À son paragraphe 5, l’article 184 de la loi prévoit ce qui suit :

184. La Commission peut:

 

(…)

 

5°   prendre toute mesure qu'elle estime utile pour atténuer ou faire disparaître les conséquences d'une lésion professionnelle.

 

(…)

__________

1985, c. 6, a. 184.

 

 

[31]           Or, la preuve est à l’effet que le déménagement a été principalement motivé par le piètre état du logement et par les inconvénients créés par l’attitude du propriétaire.  Il s’agit là d’une considération étrangère à la lésion professionnelle.[3]

[32]           Le tribunal ne peut que constater qu’il n’y a pas là de lien entre le déménagement et les conséquences directes de la lésion professionnelle.  Le paragraphe 5 de l’article 184 ne peut non plus trouver application.

[33]           Pour cette même raison, le tribunal est d’avis que l’article 351 de la loi n’est d’aucun secours pour le travailleur.  En effet, l’article 351 doit se lire en conjonction avec l’article 1 qui prévoit le but de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, soit la réparation des lésions professionnelles et de leurs conséquences :

1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.

 

Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.

 

La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.

 

 

351. La Commission rend ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas.

 

Elle peut, par tous les moyens légaux qu'elle juge les meilleurs, s'enquérir des matières qui lui sont attribuées.

__________

1985, c. 6, a. 351; 1997, c. 27, a. 13.

 

 

[34]           Or, le déménagement n’est pas relié aux conséquences d’une lésion professionnelle mais est plutôt relié au mauvais état du logement.

[35]           La Commission des lésions professionnelles n’est pas habilitée à accorder des droits au-delà de ceux prévus par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [4].  En l’instance, il n’y a aucune assise légale qui permettrait au tribunal d’accorder le remboursement des frais réclamés.

[36]           Malgré la situation regrettable vécue par le travailleur, le tribunal conclut que même une interprétation généreuse des mesures de réadaptation prévues à la loi ainsi que la notion d’équité ne permettent pas d’élargir la couverture de la loi lorsque la raison d’un déménagement est étrangère aux conséquences d’une lésion professionnelle. 

[37]           Le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais de déménagement qu’il réclame.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de monsieur Laurent Malouin, le travailleur;

CONFIRME la décision rendue le 25 juillet 2006 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit au remboursement de ses frais de déménagement par la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

 

 

 

__________________________________

 

Daphné Armand

 

Commissaire

 

 

 

 

Me Ginette Bertrand

Représentante de la partie requérante

 

 

Me Jean-François Gilbert

Gilbert, avocats

Représentant de la partie intéressée

 

 



[1]           Malouin et I.C.C. Cheminées Industrielles inc., 275860-64-0510, 21 avril 2006, C.-A. Ducharme.

[2]           L.R.Q., c. A-3.001

[3]           Blain et Héroux, 134094-62B-003, 16 mai 2001, A. Vaillancourt.  Voir aussi Borduas et Alroy Industries ltd, 305874-02-0612, 20 juillet 2007, C.-A. Ducharme (ainsi que les décisions citées dans cette affaire).

[4]           Voir Tanguay et Bois Daaguam inc., 83500-03-9610, 9 octobre 1997, P. Brazeau et Gillam et Centre Molson inc., [1999] CLP 940 (CLP 116598-72-9905); Bastien et Société des Alcools du Québec, 310504-31-0702, 11 septembre 2007, G. Tardif.

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