Modèle de décision CLP - juin 2011

Direction Abitibi-Témiscamingue-Nord Québec 850

2012 QCCLP 7142

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

6 novembre 2012

 

Région :

Abitibi-Témiscamingue

 

Dossier :

477634-08-1207

 

Dossier CSST :

133743187

 

Commissaire :

Claude-André Ducharme, juge administratif

 

Assesseur :

Serge Bélanger, médecin

 

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Direction Abitibi-Témiscamingue-Nord Québec 850

 

Partie requérante

 

 

 

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DÉCISION

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[1]           Le 20 juillet 2012, Direction Abitibi-Témiscamingue-Nord Québec 850 (l'employeur), du ministère des Transports, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 26 juin 2012 à la suite d'une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme une décision qu'elle a initialement rendue le 24 avril 2012 et déclare que la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Mario Lanthier (le travailleur) le 4 novembre 2008 doit être imputée à l'employeur.

[3]           La représentante de l'employeur a transmis une argumentation écrite et une opinion médicale, et elle a demandé une décision sur dossier.

 

LES FAITS

[4]           L'employeur prétend avoir droit au partage de l'imputation des coûts de la lésion professionnelle subie par monsieur Lanthier au motif que celui-ci était un travailleur déjà handicapé au moment de la survenance de sa lésion.

[5]           Il demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le coût des prestations reliées à cette lésion doit être imputé dans la proportion de 5 % à son dossier et de 95 % aux employeurs de toutes les unités.

LES FAITS

[6]           Au moment de la survenance de sa lésion professionnelle, monsieur Lanthier occupe un emploi d'ouvrier au ministère des Transports depuis 2001 et il est âgé de 44 ans. Dans la réclamation qu'il présente à la CSST, il décrit comme suit l'événement survenu le 4 novembre 2008 : « En déplaçant un rouleau de menbrane 300 KL » [sic][1]. Ils étaient quatre travailleurs pour lever cet objet.

[7]           Le 6 avril 2008, la docteure Isabelle Robitaille diagnostique une tendinite à l'épaule droite et elle soulève la possibilité d'une rupture de la coiffe des rotateurs. Le 17 novembre 2008, le docteur Frédéric Turgeon diagnostique une entorse acromio-claviculaire, diagnostic qui est reconnu comme lésion professionnelle par la CSST[2]. Le 15 décembre, ce médecin demande un examen par résonance magnétique de l'épaule droite en raison de la persistance des symptômes.

[8]           Cet examen est réalisé le 12 janvier 2009. La radiologiste rapporte ce qui suit :

Il n'y a pas d'épanchement intra-articulaire gléno-huméral.

 

Déchirure labrale extensive débutant postéro-supérieurement à 11h00 s'étendant supérieurement et antérieurement sur toute la hauteur de la glène avec de petits kystes para-labraux en antéro-inférieur et en inférieur. Donc, sur cet examen fait sans contraste intra-articulaire, la déchirure labrale paraît s'étendre de 11h00 jusqu'à 6h00 en passant par la portion antérieure de la glène. Le labrum en postérieur moyen et en postéro-inférieur est sans particularité.

 

À noter qu'associé à la déchirure labrale de type FLAP, il y a une importante tendinopathie de la LPB à la région de l'intervalle de coiffe. Cette tendinopathie se manifeste par une augmentation du volume et du signal du tendon. Pas de fissuration identifiée.

 

La LPB est normalement positionnée dans la gouttière bicipitale.

 

Le tendon sous-scapulaire est anormal. Il présente une tendinose relativement importante sur 2 à 2.5 cm de largeur et image de déchirure linéaire apparemment essentiellement intra-substance qui mesure jusqu'à 1.5 cm de largeur par à peine 2 mm d'épaisseur et 3 mm de diamètre supéro-inférieur.

 

Les tendons sus et sous-épineux sont continus. Ils présentent de discrets signes de tendinose. Aucune évidence de déchirure transfixinate ou partielle.

 

Légère bursite sous-acromiale/sous-deltoïdienne.

 

L'acromion est de type I.

 

Importante arthrose acromio-claviculaire.

 

Infiltration graisseuse du muscle petit rond sans anomalie décelée dans l'espace quadri-latéral.

 

 

[9]           Le 21 janvier 2009, le docteur Joseph Eid, orthopédiste, diagnostique une déchirure du labrum et une déchirure du sous-scapulaire de l'épaule droite.

[10]        Le 2 juin 2009, la docteure Édith Beauregard, orthopédiste, devient le médecin traitant de monsieur Lanthier. Dans ses notes de consultation, elle mentionne que ce dernier a subi un « trauma par traction subite épaule D ». Elle pose le diagnostic de Bankart après avoir noté que l'examen d'imagerie a montré une déchirure qui allait de 11 h 00 à 6 h 00.

[11]        Le 21 décembre 2009, elle effectue une intervention chirurgicale qu'elle désigne dans son compte-rendu opératoire et dans ses rapports subséquents comme étant « Bankart épaule droite ». Elle décrit ce qui suit dans le compte-rendu opératoire :

[…] Le sous-scapulaire est désinséré à 1cm de son insertion sur la petite tubérosité et récliné médialement. Nous ouvrons la capsule et nous notons la déchirure du labrum de midi à 4h environ. Un Bioraptor est placé sur le rebord de la glénoïde après l'avoir alésée puis nous rattachons la déchirure à l'aide de 4 fils du Bioraptor. Le tout nous semble très adéquat à la fin de la chirurgie. Nous rattachons le sous-scapulaire avec des points de Ethibond en points simples et en surjets au niveau de la petite tubérosité puis nous refermons le tissu sous-cutané au Dexon 2-0, des agrafes sont mises à la peau.

 

 

[12]        Par la suite, monsieur Lanthier entreprend de la physiothérapie, mais il survient une complication. Le 29 avril 2010, la docteure Beauregard diagnostique une capsulite post-opératoire et elle demande une arthrographie distensive de l'épaule droite.

[13]        Le 9 septembre 2010, la docteure Beauregard rapporte une mauvaise évolution de la condition de l'épaule droite de monsieur Lanthier et elle demande un examen de son épaule droite  par arthrographie et résonance magnétique.

[14]        Le 30 septembre 2010, la CSST rend une décision par laquelle elle accepte les diagnostics de déchirure extensive du labrum, déchirure du sous-scapulaire et capsulite de l'épaule droite au motif qu'ils sont reliés à l'événement du 4 novembre 2008. Elle confirme sa décision le 8 avril 2011 à la suite d'une demande de révision de l'employeur. Celui-ci en appelle à la Commission des lésions professionnelles et le 9 mars 2012, il se désiste de sa contestation.

[15]        Le 13 octobre 2010, l'examen par arthro-résonance magnétique est effectué. Il est interprété par la radiologiste qui a interprété l'examen par résonance magnétique du 12 janvier 2009. Elle rapporte les constatations suivantes :

Il y a des artéfacts postchirurgicaux.

 

Le labrum en supérieur paraît moins volumineux qu'à l'évaluation précédente et il y a disparition des petits kystes paralabraux qui avaient été décrits précédemment.

 

La LPB est normalement positionnée, elle est sans particularité.

 

Tendon sous-scapulaire : très difficile à évaluer en rapport avec les artéfacts postchirurgicaux. La majeure partie du sous-scapulaire paraît être désinsérée de la petite tubérosité.

 

Tendons sus et sous-épineux : un peu de tendinose du sus-épineux. Aucune évidence de déchirure transfixiante ou partielle.

 

Légère bursite.

 

Arthrose acromio-claviculaire hypertrophique.

 

Acromion de type II.

 

Il y a eu rupture capsulaire suite à l'injection de contraste intra-articulaire. Ceci est compatible mais non spécifique de capsulite.

 

 

[16]        Le 4 novembre 2010, la docteure Beauregard requiert l'opinion d'un orthopédiste spécialisé dans les pathologies de l'épaule.

[17]        Le 23 février 2011, le docteur Patrick Lavigne, orthopédiste, examine monsieur Lanthier à la demande de la CSST. Dans l'expertise qu'il produit le 24 février 2011, il rapporte l'historique suivant :

Monsieur Lanthier déclare un événement survenu le 4 novembre 2008, décrit comme suit sur le formulaire de réclamation du travailleur, complété le 24 novembre 2008 : « En déplaçant un rouleau de membrane 300 KL » (sic) De façon spécifique, monsieur affirme qu'il s'affairait à déplacer une charge à l'aide de trois collègues de travail. Il soutenait la charge à la hauteur de sa taille, à l'aide de ses deux membres, lorsqu'il a ressenti un contrecoup au niveau de son membre supérieur droit. De façon spécifique, un mécanisme de traction inférieure est décrit par le patient, avec une douleur qui apparaît dans la région du trapèze droit, irradiant vers le cou et l'épaule droite. Il est en mesure de terminer son quart de travail et applique de la glace une fois de retour à la maison.

 

 

[18]        Il note que la radiologiste, qui a interprété l'examen par résonance magnétique du 12 janvier 2009, a décrit une déchirure labrale qui s'étendait de 11 h 00 supérieurement à 6 h 00 antérieurement et inférieurement et que dans le compte-rendu opératoire, la déchirure va de 12 h 00 à 4 h 00.

[19]        Il rapporte comme antécédents un accident de motocyclette survenu en 1986 qui a donné lieu à une indemnité pour préjudice esthétique en raison d'une abrasion au niveau de l'épaule gauche et une ménisectomie effectuée au genou droit en 2005 dans le contexte d'un accident du travail.

[20]        À la suite de son analyse du dossier, le docteur Lavigne émet les commentaires suivants :

Monsieur Lanthier est un homme de 47 ans, occupant un poste d'ouvrier au ministère des transports depuis 2001. En date du 4 novembre 2008, Monsieur est victime d'un incident sur les lieux de son travail dans lequel un mécanisme de traction, ayant mené à une douleur à l'épaule droite, est décrit. Les investigations radiologiques démontrent la présence d'une pathologie de type SLAP au niveau de l'épaule droite avec une déchirure partielle du sous-scapulaire droit. [sic]

 

 

[21]        Il retient les conclusions suivantes sur le diagnostic :

Considérant les diagnostics reconnus d'entorse acromio-claviculaire droite, de déchirure extensive du labrum, de déchirure du sous-scapulaire et de capsulite à l'épaule droite,

 

Considérant les trouvailles radiologiques positives pour une pathologie labrale, une pathologie du sous-scapulaire et une capsulite et négative pour une entorse acromio-claviculaire,

 

Considérant la chirurgie pratiquée par le docteur Beauregard et son compte rendu opératoire,

 

Considérant l'examen objectif d'aujourd'hui montrant l'absence de douleurs à la palpation acromio-claviculaire droite et un test du foulard négatif,

 

Considérant la présence d'une légère ankylose aux amplitudes articulaires passives, l'absence d'instabilité à l'examen objectif et la présence des signes de Speed, Yergason et O'Brien positifs, orientant vers une pathologie de la longue portion du biceps et/ou de type SLAP,

 

Considérant un test de lift-off négatif à l'examen d'aujourd'hui,

 

Les diagnostics à retenir sont :

 

-     Une entorse acromio-claviculaire résolue,

-     Une déchirure labrale opérée,

-     Une déchirure du sous-scapulaire asymptomatique,

-     Une capsulite à l'épaule droite.

 

En effet, je ne retrouve, à l'examen d'aujourd'hui, aucun signe orientant vers la persistance d'une entorse acromio-claviculaire droite. Par contre, l'examen objectif oriente vers une pathologie de la longue portion du biceps et/ou une pathologie de type SLAP. L'origine intra-articulaire de la douleur semble d'ailleurs confirmée par la résolution complète des symptômes post arthro-distensions.

 

Finalement, j'aimerais préciser, qu'il est attendu, suite à une réparation labrale chirurgicale, que le travailleur perde des mouvements, principalement, en rotation externe et possiblement, en abduction et en élévation antérieure, dépendamment de l'ampleur de la réparation labrale et de la capsuloraphie réalisée en per-opératoire. Ainsi, les restrictions d'amplitudes articulaires passives objectivées à l'examen d'aujourd'hui ne sont pas nécessairement, à mon avis, en relation avec une capsulite toujours active, mais peuvent être expliquées, du moins en partie, par la chirurgie labrale réalisée.

 

 

[22]        Le docteur Lavigne considère que l'entorse acromio-claviculaire et la déchirure du sous-scapulaire sont consolidées à la date de son examen, soit le 23 février 2011, et qu'elles ne requièrent aucun traitement. Il estime de plus que l'entorse n'entraîne aucune atteinte permanente à l'intégrité physique ni limitations fonctionnelles. Il accorde une atteinte permanente à l'intégrité physique de 1 % pour atteinte des tissus mous du sous-scapulaire sans séquelles fonctionnelles mais avec changements radiologiques. Il considère que cette lésion n'entraîne pas de limitations fonctionnelles[3].

[23]        En ce qui concerne la déchirure du labrum et la capsulite, il estime que ces lésions ne sont pas consolidées et il recommande de procéder à une arthroscopie diagnostique pour les raisons suivantes :

De façon subjective, Monsieur décrit des symptômes qui peuvent être compatibles avec une tendinopathie de la longue portion du biceps au niveau de sa gouttière bicipitale. Cette pathologie fut décrite sur l'arthro-résonance magnétique initiale, mais elle fut considérée comme normale lors de l'arthro-résonance postopératoire. Or, de nombreux artéfacts chirurgicaux sont décrits sur cette résonance et vue la proximité anatomique entre la gouttière bicipitale et la petite tubérosité, où un geste chirurgical fut posé, ainsi qu'au niveau de l'insertion du labrum sur la glène, qui lui aussi est en proximité étroite avec le site chirurgical, il est tout à fait possible qu'une pathologie à cet endroit ne puisse être décrite.

 

 

[24]        Le 18 mai 2011, la docteure Beauregard donne suite à la recommandation du docteur Lavigne et effectue une chirurgie par arthroscopie de l'épaule droite. Le compte rendu de cette intervention chirurgicale n'est pas au dossier. Dans un rapport complété le même jour, elle diagnostique une rupture de la longue portion du biceps et une lésion SLAP. Des traitements de physiothérapie entrepris par la suite améliorent la condition de l'épaule droite.

[25]        Le 30 août 2011, la docteure Beauregard émet un rapport final dans lequel elle consolide la lésion sans préciser la date de la consolidation dans les cases appropriées. Elle indique qu'il y a une atteinte permanente à l'intégrité physique et des limitations fonctionnelles et qu'elle ne produira pas de rapport d'évaluation médicale. Comme diagnostics, elle mentionne : « Bankart LPB épaule D ».

[26]        Le 10 novembre 2011, le docteur Lavigne examine à nouveau monsieur Lanthier à la demande de la CSST. Il consolide la déchirure labrale et la capsulite au 31 août 2011. Il évalue l'atteinte permanente à l'intégrité physique à 12 %, soit 2 % pour l'atteinte des tissus mous de l'épaule droite avec séquelles fonctionnelles, 2 % pour la rupture du tendon de la longue portion du biceps opérée et 5 % pour des ankyloses de l'abduction, de l'élévation antérieure et de la rotation externe de l'épaule droite. Il établit des limitations fonctionnelles.

[27]        Dans un rapport complémentaire produit le 23 décembre 2011, la docteure Beauregard indique qu'elle est d'accord avec les conclusions du docteur Lavigne en précisant qu'elle avait consolidé la lésion au 30 août 2011.

[28]        La CSST a considéré que les limitations fonctionnelles établies par le docteur Lavigne étaient incompatibles avec l'emploi d'ouvrier qu'exerçait monsieur Lanthier et elle lui a reconnu le droit à la réadaptation. Elle lui a aussi reconnu le droit à une indemnité pour préjudice corporel de 6 908 $ pour une atteinte permanente à l'intégrité physique de 10,35 %.

[29]        En ce qui concerne la question qui fait l'objet du litige, le 30 août 2010, par l'intermédiaire de sa représentante, l'employeur demande à la CSST de n'être imputé que de 5 % du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Lanthier au motif que celui-ci était porteur de conditions personnelles préexistantes. Il fonde sa demande sur le rapport de l'examen par résonance magnétique du 12 janvier 2009.

[30]        La représentante de l'employeur réfère à un article de littérature médicale intitulée « Tendinose ou tendinite ? »[4] dans lequel on peut lire ce qui suit :

Cette étude fut menée afin de déterminer l'histopathologie des différents types de blessures tendineuses pour en clarifier la classification et ainsi maximiser l'efficacité des traitements. Ils divisent tout d'abord les blessures tendineuses en 2 catégories principales : Celles qui impliquent une blessure aiguë, et/ou de nature traumatique (Tendinite) et celles qui sont de type chronique, résultant d'événements microtraumatiques entraînant une dégénérescence prématurée du tendon (qualifiés de Tendinose).

 

 

[31]        Le 24 avril 2012, la CSST refuse la demande de l'employeur pour les raisons suivantes qui sont résumées dans la décision qu'elle rend le 26 juin 2012 à la suite d'une révision administrative, par laquelle elle rejette la contestation de l'employeur :

La Commission retient que le travailleur présentait une condition préexistante d'arthrose acromio-claviculaire et de tendinose au niveau du tendon sous-scapulaire de l'épaule droite. Elle estime que ces conditions correspondent à une déviation par rapport à la norme biomédicale chez un travailleur de cet âge.

 

Toutefois, elle rappelle que l'événement était significatif puisque le travailleur déplaçait avec l'aide de trois collègues de travail une charge de 300 kilogrammes. Elle précise que le travailleur soutenait la charge à la hauteur de sa taille et qu'il a ressenti un contrecoup au niveau de son membre supérieur droit.

 

La Commission constate que la lésion au niveau acromio-claviculaire et du sous-scapulaire a été consolidée avant la lésion au niveau du labrum et de la capsulite. Elle rappelle que la capsulite est survenue à la suite de l'intervention chirurgicale et que c'est cette lésion professionnelle qui a prolongé la période de consolidation.

 

La Commission refuse la demande de partage de l'imputation, au motif que le handicap n'a pas joué de rôle déterminant dans la survenance de la lésion professionnelle ou encore dans la prolongation de la période de consolidation. […]

 

 

[32]        Au soutien de sa contestation, l'employeur dépose une expertise produite sur dossier par le docteur Pierre Deshaies le 24 septembre 2012. Dans cette expertise, ce dernier résume dans un premier temps l'historique du dossier.

[33]        Puis, il fournit des informations sur l'anatomie de l'épaule. Il indique notamment que la longue portion du biceps s'insère sur le tubercule glénoïdien supérieur et sur le labrum glénoïdien. Il donne également les explications suivantes sur la déchirure du labrum et les lésions SLAP et Bankart.

LA DÉCHIRURE DU LABRUM: LÉSIONS SLAP ET BANKART

 

Afin que d'en localiser les anomalies, le labrum est habituellement divisé en six secteurs ou en terme de zones horaires d'une horloge. Par convention, la portion supérieure du labrum est située à 12h00, la portion inférieure à 6h00, la portion antérieure à 3h00 et la portion postérieure à 9h00. Le secteur antéro-supérieur désigne la zone entre 12h00 et 3h00, le secteur antéro-inférieur entre 3h00 et 6h00, le secteur postéro-inférieur entre 6h00 et 9h00, et le secteur postéro-supérieur entre 9h00 et 12h00 (1)

 

LÉSION DE TYPE SLAP

 

SLAP est l'acronyme anglais qui désigne une déchirure labrale supérieure antéropostérieure (Superior Labral Anteroposterior Tear). Classiquement, les lésions de type SLAP sont centrées au point d'insertion du tendon du biceps à 12h00, avec un  degré d'extension variable du côté antérieur ou postérieur du labrum (fig. 4)

 

LÉSION DE TYPE BANKART

 

Les lésions de Bankart représentent un type différent de déchirure labrale. Elles sont généralement le résultat d’une ou de multiples luxations ou subluxations antérieures de l'articulation de l'épaule. Lors de la luxation, la tête humérale vient s'impacter sur le rebord antéro-inférieur de la glène, entraînant ainsi une désinsertion du bourrelet glénoïdien à cet endroit. Le Bankart correspond donc à une déchirure labrale antéro-inférieur. (fig. 4)

 

 

[34]        Il fait état par la suite de deux classifications des lésions SLAP. Compte tenu de l'étendue de la déchirure qu'a subie monsieur Lanthier, selon le tableau qu'il a intégré à son expertise, il s'agirait d'une lésion de type V (11 h à 5 h) qui est définie comme étant un Bankart avec une extension supérieure ou un SLAP avec une extension antéro-inférieure.

[35]        Le docteur Deshaies formule les commentaires suivants sur le mécanisme de production d'une lésion SLAP :

Un premier mécanisme correspond à une force de compression appliquée à l'articulation de l'épaule et survient habituellement lors d'une chute avec bras tendus, l'épaule positionnée en abduction et en légère flexion antérieure au moment de l'impact. Ce mécanisme est susceptible d'entraîner les lésions de type III, IV et VI. Un deuxième mécanisme est lié à un mouvement de traction sur le bras résultant soit du geste de lancer, de la pratique d'un sport impliquant des mouvements du bras au-dessus du plan de l'épaule (volleyball, badminton), ou d'un soudain geste de traction sur un bras éloigné du corps. Ce mécanisme est susceptible d'entraîner des lésions de type I ou II. Les lésions de type V ou VII se retrouvent généralement chez les patients présentant une instabilité de l'articulation gléno-humérale résultant d'un traumatisme aigu de type luxation ou subluxation. Une lésion de Bankart est associée à une instabilité gléno-humérale antéro-inférieur. (1)

 

 

[36]        Il émet également des commentaires sur la dégénérescence et les tendinites du tendon de la longue portion du biceps. Il mentionne que la tendinite primaire est rare et il écrit ce qui suit sur la tendinite secondaire :

[…] La tendinite secondaire survient lorsqu'associée à une pathologie de l'épaule (syndrome d'abuttement, pathologie de la coiffe des rotateurs), et est beaucoup plus fréquente que la tendinite primaire. En effet, la dégénérescence du tendon de la LPB (ou tendinopathie) est presque toujours associée à une pathologie de la coiffe des rotateurs. (2)

 

 

[37]        Il donne les explications suivantes sur la rupture du tendon de la longue portion du biceps :

Il est reconnu que la rupture traumatique d'un tendon de la LPB normal est rare. La rupture du tendon survient généralement sur une dégénérescence ou tendinopathie chronique avancée. Elle est habituellement secondaire à la progression d'une déchirure partielle chronique et peut survenir durant un mouvement d'activité de la vie quotidienne ou d'un traumatisme mineur. (2) Par ailleurs, la rupture du tendon de la LPB survient généralement en présence d'une déchirure de la coiffe des rotateurs. Dans une étude de Beall et al. (2003), on a démontré que la rupture du tendon de la LPB était associée à la présence d'une déchirure du tendon sus-épineux dans 96% des cas. (4)

 

 

[38]        Il émet aussi des commentaires sur la déchirure du tendon du sous-scapulaire, sur l'arthrose acromio-claviculaire et sur l'incidence d'une capsulite post-chirurgicale et la durée de consolidation de cette lésion.

[39]        Les chiffres entre parenthèses que l'on retrouve à la fin de certains paragraphes de son expertise réfèrent à six articles de littérature médicale dont cinq ont été joints à l'expertise.

[40]        Le docteur Deshaies formule ensuite une longue opinion dont il convient de citer les extraits suivants :

Il s'agit d'un travailleur de 44 ans au moment de l'événement du 4 novembre 2008, ouvrier à l'emploi du Ministère des Transports qui, alors qu'il soulevait une lourde charge avec trois autres travailleurs, a ressenti une soudaine douleur à la région du trapèze droit. Un diagnostic d'entorse acromio-claviculaire a d'abord été porté. Puis une IRM de l'épaule droite effectuée le 12 janvier 2009 a démontré la présence d'une importante tendinopathie de la LPB, une tendinose et déchirure du sous-scapulaire, une importante arthrose acromio-claviculaire, et finalement une déchirure du labrum s'étendant de 11h00 à 6h00. Une réparation par chirurgie ouverte du labrum a été effectuée par le Dr Édith Beauregard le 21 décembre 2009, […]

 

Nous avons révisé et analysé les circonstances du fait accidentel tel que déclaré par le travailleur le 4 novembre 2008. d'après l'évaluation du 23 février 2011 par le Dr Lavigne, le travailleur mesure 5 pi 9 po et pèse 208 lbs, ce qui représente une forte constitution physique. Le travailleur estime la charge soulevée au moment de l'événement à environ 300 kg. Ils sont 4 travailleurs à soulever cette charge, ce qui représente une charge de 75kg / travailleur et de 37,5 kg par bras. La charge est maintenue à la hauteur de la ceinture au moment de l'événement. Le biceps est composé de 2 tensons et de 2 chefs musculaires. Chaque tendon est capable de résister de façon répétée à une force de plus de 300 N, soit plus de 30 kg de poids. La charge ainsi répartie sur les 2 tendons lors de l'événement, est donc loin d'excéder la résistance d'un tendon de la LPB normal, surtout chez un sujet de forte constitution comme le travailleur.

 

Nous avons vu que la rupture traumatique d'un tendon de la LPB normal est rare. La rupture du tendon survient généralement sur une dégénérescence ou tendinopathie chronique avancée, est généralement précédée d'une rupture partielle chronique, et peut survenir lors d'un traumatisme mineur. Par ailleurs, nous avons démontré d'après la littérature médicale que près de 100% des ruptures du tendon de la LPB sont associées à des déchirures du tendon sus-épineux. Or, le travailleur ne présentait pas de signe de dégénérescence significative ni aucune évidence de déchirure du tendon du sus-épineux.

 

[…]

 

Nous avons observé que la déchirure labrale présentée par le travailleur était du type V selon la classification de Maffet, soit une lésion de type SLAP avec Bankart. Nous avons démontré que le mécanisme de production d'une lésion Bankart était essentiellement le résultat d'une luxation ou subluxation antérieure de l'articulation gléno-humérale. Nous avons vu précédemment qu'une déchirure du tendon du sous-scapulaire était également, et souvent, le résultat de ce type de traumatisme.

 

Bien qu'un mécanisme de traction puisse être à l'origine d'une lésion de type SLAP, il s'agit en fait d'un mécanisme de traction soudaine alors que l'épaule est dans une position vulnérable, soit lorsque le bras est éloigné du corps. Lors de l'événement, l'épaule du travailleur était dans une position favorable, soit le bras près du corps et l'avant-bras à la hauteur de la ceinture. Il est improbable que dans ces circonstances, le poids soulevé au moment de l'événement ait pu exercer une traction suffisante pour causer une déchirure étendue du labrum de 11h00 à 6h00 et une déchirure du tendon du sous-scapulaire. La rupture du tendon de la LPB est survenue sur une tendinopathie sévère préexistante, condition ayant affaibli substantiellement le tendon. Quoiqu'il demeure possible que la lésion SLAP soit survenue lors de l'événement, il est improbable que l'événement ait produit une lésion de Bankart. Il est probable que cette lésion de même que la déchirure du tendon du sous-scapulaire étaient préexistantes à l'événement du 4 novembre 2008, et probablement le résultat d'un traumatisme antérieur à l'événement.

 

Une capsulite est survenue suite à l'intervention chirurgicale du 21 décembre 2009. Nous avons vu que cette complication survient dans 11% des cas de réparation du labrum. Cette complication a nécessité plusieurs arthro-distensions, a prolongé de façon importante le délai de consolidation, et possiblement a contribué à une portion significative de l'ankylose résiduelle de l'articulation.

 

D'autre part, le retard dans le diagnostic de la rupture du tendon de la LPB, diagnostic survenu plus de 2 ans après l'événement (arthroscopie du 18 mai 2011), a contribué de manière très importante à prolonger le délai de consolidation des lésions du travailleur.

 

 

[41]        Il retient les conclusions suivantes :

Dans un premier temps, notre opinion est:

 

Que le travailleur, au moment de l'événement du 4 novembre 2008, était porteur d'un tendinopathie sévère de la LPB qui est responsable de la fragilisation du tendon et de sa rupture.

 

Qu'il est improbable que la charge soulevée lors de l'événement puisse avoir causé la rupture d'un tendon de la LPB normal.

 

Que la rupture du tendon de la LPB lors de l'événement est survenue sur un tendon fragilisé par une dégénérescence avancée.

 

Qu'une tendinopathie sévère et rupture de la LPB sans dégénérescence significative et rupture associée du tendon du sus-épineux, est une situation inhabituelle et hors norme chez un travailleur.

Que le geste de soulever une charge ne contitue pas un mécanisme de production de la lésion de type Bankart du labrum.

 

Que la lésion de Bankart et du tendon sous-scapulaire sont le résultat d'un traumatisme antérieur à l'événement, probablement une luxation/subluxation antérieure et/ou à une instabilité chronique antérieure de l'articulation gléno-humérale.

 

Pour toutes ces raisons, nous croyons que les dispositions de l'article 329 de la LATMP devraient s'appliquer.

 

Dans un deuxième temps, notre opinion est:

 

Que la capsulite de l'épaule droite du travailleur est la conséquence directe de la réparation chirurgicale du labrum le 21 décembre 2009 par le Dr Beauregard et que cette complication a prolongé de façon importante le délai de consolidation des lésions et qu'elle a contribué à l'ankylose résiduelle de l'épaule.

 

Que l'important retard dans le diagnostic de rupture du tendon de la LPB et de son traitement, ont contribué largement à prolonger le délai de consolidation des lésions du travailleur.

 

Pour ces raisons, nous croyons que les dispositions des articles 327 et 31 de la LATMP devraient s'appliquer. [sic]

 

 

[42]        Dans l'argumentation qu'elle a fait parvenir à la Commission des lésions professionnelles, la représentante de l'employeur ne demande pas l'application des articles 31 et 327 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[5] (la loi), comme le recommande le docteur Deshaies. Elle fonde la demande de partage de l'imputation de l'employeur uniquement sur l'article 329 de la loi et au soutien de cette demande, elle réfère à l'opinion de ce médecin.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[43]        La Commission des lésions professionnelles doit décider si l'employeur a droit au partage de l'imputation du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Lanthier le 4 novembre 2008.

[44]        L’article 329 de la loi prévoit ce qui suit :

329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.

 

 

[45]        La jurisprudence a établi que la notion de « travailleur déjà handicapé » réfère au travailleur qui, au moment de la survenance de sa lésion professionnelle, est atteint d’une déficience physique ou psychique qui a joué un rôle dans la production de la lésion ou dans l'aggravation de ses conséquences.

[46]        Dans Municipalité Petite-Rivière-St-François et CSST[6], la Commission des lésions professionnelles expose à ce sujet ce qui suit :

[23]      La Commission des lésions professionnelles considère qu’un travailleur déjà handicapé au sens de l’article 329 de la loi est celui qui présente une déficience physique ou psychique qui a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion.

 

[24]      La première étape consiste donc à vérifier si le travailleur présente une déficience physique ou psychique. Sur ce point, il est utile de se référer à la Classification internationale des handicaps élaborée par l’Organisation mondiale de la santé (Paris, CTNERHI-Inserm, 1988) parce que ce manuel a l’avantage de représenter un consensus de la communauté médicale internationale sur ce que constitue un handicap. Selon cet ouvrage, une déficience constitue une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique et correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Cette déficience peut être congénitale ou acquise. Finalement, pour reprendre le courant de jurisprudence que la soussignée partage, la déficience peut ou non se traduire par une limitation des capacités du travailleur de fonctionner normalement. La déficience peut aussi exister à l’état latent, sans qu’elle se soit manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle.

 

[…]

 

[26]      En plus de démontrer la présence d'une déficience, l'employeur a aussi le fardeau de démontrer que cette déficience a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion. […].

 

 

[47]        Pour avoir gain de cause, l'employeur doit donc démontrer au départ que le travailleur est atteint d'une déficience préexistante et si tel est le cas, que cette déficience a joué un rôle dans la manifestation de la lésion professionnelle ou dans l'aggravation de ses conséquences.

[48]        La CSST a reconnu que l'arthrose acromio-claviculaire et la tendinose du sous-scapulaire révélées par l'examen d'imagerie du 12 janvier 2009 constituaient de telles déficiences, mais elle a retenu que celles-ci n'avaient pas joué de rôle dans la manifestation de la lésion professionnelle ou dans l'aggravation de ses conséquences.

[49]        Il n'y a pas de preuve que l'arthrose acromio-claviculaire a joué un rôle au niveau de l'entorse qui s'est produite à cette articulation.

[50]        Par contre, il est vraisemblable de penser que la présence de la tendinose au sous-scapulaire a contribué à la déchirure de tendon que la CSST a reconnue comme lésion professionnelle. Toutefois, à elle seule, cette déchirure n'a pas entraîné le versement de l'indemnité de remplacement du revenu, ni de traitements particuliers, ni de limitations fonctionnelles et elle a été consolidée avant la déchirure du labrum, la rupture de la longue portion du biceps et la capsulite. En ce qui a trait à l'atteinte permanente à l'intégrité physique de 1 % recommandée par le docteur Lavigne, il ne semble pas que la CSST ait donné suite à cette recommandation. Cette atteinte est par ailleurs incluse dans le 2 % d'atteinte reconnue à monsieur Lanthier pour l'atteinte des tissus mous de son épaule droite.

[51]        La déchirure du sous-scapulaire n'a donc pas engendré de coûts spécifiques dont l'imputation peut être partagée.

[52]        En ce qui concerne la déchirure du labrum et la rupture du tendon de la longue portion du biceps, la preuve soumise par l'employeur ne démontre pas qu'une déficience préexistante chez monsieur Lanthier a joué un rôle dans la survenance de ces lésions ou dans l'aggravation de celles-ci.

[53]        La preuve de l'employeur repose sur l'opinion du docteur Deshaies. Or, cette opinion médicale comporte plusieurs faiblesses qui en diminuent la valeur probante.

[54]        Ainsi, lorsque le docteur Deshaies affirme que le geste de soulever une charge ne constitue pas un mécanisme de production d'une lésion Bankart du labrum et que cette lésion est le résultat d'un traumatisme antérieur, il remet en cause la survenance même de cette lésion professionnelle, ce que l'employeur ne peut pas faire dans le contexte d'une demande de partage de l'imputation.

[55]        Si celui-ci considère qu'il n'y a pas de relation entre l'événement du 4 novembre 2008 et les lésions professionnelles qui ont été reconnues, il lui appartenait de soumettre sa prétention à la Commission des lésions professionnelles plutôt que de se désister de sa contestation, comme il l'a fait.

[56]        Cela dit, le tribunal estime que le docteur Deshaies semble commettre une erreur en considérant que la déchirure du labrum que monsieur Lanthier a subie est de type Bankart.

[57]        Cette qualification ne valait que dans le contexte où la déchirure s'étendait de 11 h 00 à 5 h 00, tel qu'indiqué dans le rapport de l'examen par résonance magnétique du 12 janvier 2009. Toutefois, l'intervention chirurgicale a permis de constater qu'elle est moins étendue et qu'elle allait en réalité de 12 h à 4 h, ce qui en fait une lésion de type SLAP, comme l'a retenu le docteur Lavigne. Une déchirure de type V, selon le tableau reproduit par le docteur Deshaies dans son expertise, peut correspondre à un Bankart avec extension supérieure ou à un SLAP avec extension antéro-inférieure.

[58]        L'opinion du docteur Deshaies, voulant qu'il ne puisse y avoir de relation entre la déchirure du labrum et l'événement du 4 novembre 2008 parce qu'une lésion Bankart résulte d'une luxation ou subluxation antérieure, apparaît donc être fondée sur une prémisse erronée. Au surplus, il n'y a aucun élément au dossier qui fait mention d'antécédents de luxation ou de subluxation à l'épaule droite.

[59]        Par ailleurs, l'opinion du docteur Deshaies, voulant que la déchirure n'ait pas pu se produire lors du soulèvement de la charge parce que monsieur Lanthier avait les bras le long du corps, ne s'appuie sur aucun élément de preuve au dossier.

[60]        Premièrement, son affirmation selon laquelle il faut que le membre supérieur soit éloigné du corps pour qu'une traction puisse causer une déchirure du labrum n'est pas supportée par de la littérature médicale et ce, pour deux raisons.

[61]        À cet égard, il convient de mentionner que dans l'exposé de son opinion, le docteur Deshaies ne réfère jamais spécifiquement à l'un ou l'autre des cinq articles de littérature médicale qu'il a joints à son expertise. Ceux-ci totalisent 48 pages et on n'y retrouve aucune indication des passages pertinents.

[62]        Il appartient à l'employeur de faire la preuve de sa prétention et non à la Commission des lésions professionnelles, ou à l'assesseur médical qui peut l'assister, de rechercher celle-ci à travers la lecture et l'analyse des documents médicaux que dépose son médecin expert. Pour cette raison, le tribunal n'a pas pris en considération les articles de littérature médicale qui ont été joints à l'expertise du docteur Deshaies.

[63]        Deuxièmement, on ne retrouve au dossier aucune description précise de la façon dont monsieur Lanthier tenait la charge au moment de l'événement accidentel, de telle sorte qu'il est impossible de savoir s'il avait les bras près de son corps ou éloignés de celui-ci.

[64]        Le tribunal en vient donc à la conclusion qu'il n'y a aucun élément dans l'opinion du docteur Deshaies qui permet de retenir que monsieur Lanthier présentait une déficience préexistante qui a pu jouer un rôle quelconque au niveau de la déchirure du labrum qu'il a subie.

[65]        En ce qui concerne la rupture du tendon de la longue portion du biceps, le docteur Deshaies justifie la demande de partage de l'imputation de l'employeur par le fait que ce tendon était affecté d'une « dégénérescence avancée ». Cette affirmation semble prendre appui sur le rapport de l'examen par résonance magnétique qui a été effectué le 12 janvier 2009 dans lequel la radiologiste mentionne la présence d'une « importante tendinopathie de la LPB ».

[66]        Encore ici, l'opinion du docteur Deshaies semble être erronée ou, à tout le moins, elle ne soulève qu'une hypothèse qui n'est pas établie.

[67]        Dans le rapport de cet examen d'imagerie, la radiologiste utilise le terme de tendinopathie pour décrire les phénomènes qu'elle observe au tendon de la longue portion du biceps et celui de tendinose, pour ceux observés au tendon sous-scapulaire.

[68]        Si la tendinose réfère d'emblée à la présence d'un phénomène dégénératif, comme en témoigne l'extrait de littérature médicale citée précédemment[7], ce n'est pas le cas de la tendinopathie qui est un terme générique qui réfère à une pathologie du tendon. Le dictionnaire Garnier Delamare[8] en donne la définition suivante :

TENDINOPATHE, (…) Nom générique des maladies tendineuses.

 

 

[69]        L'opinion du docteur Deshaies voulant qu'il soit improbable que la charge soulevée puisse avoir causé la rupture du tendon de la longue portion du biceps ne démontre pas l'existence d'une déficience préexistante, mais vise essentiellement à remettre en question la survenance de cette lésion professionnelle, ce qui n'est pas permis au stade l'application de l'article 329 de la loi.

[70]        Au surplus, ce médecin omet de prendre en considération que ce n'est pas la levée de la charge, comme telle, qui est à l'origine de la lésion, mais plutôt le contrecoup que monsieur Lanthier a ressenti et qui a produit un effet de traction inférieure.

[71]        Aucune preuve ni argument n'a été soumis par l'employeur pour établir qu'une déficience préexistante a joué un rôle dans la manifestation de la capsulite ou dans l'aggravation des conséquences de cette lésion.

[72]        Après considération de la preuve au dossier et des arguments soumis par sa représentante, la Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion que la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Lanthier le 4 novembre 2008 doit être imputée à l'employeur.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de Direction Abitibi-Témiscamingue-Nord Québec 850;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 26 juin 2012 à la suite d'une révision administrative;

DÉCLARE que la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Mario Lanthier le 4 novembre 2008 doit être imputée à Direction Abitibi-Témiscamingue-Nord Québec 850.

 

 

__________________________________

 

Claude-André Ducharme

 

 

 

 

Lyse Dumas

Morneau Shepell ltée

Représentante de la partie requérante

 



[1]           À noter qu'on ne retrouve pas au dossier le formulaire « Avis de l'employeur et demande de remboursement », ni de description de l'événement donnée lors d'une cueillette d'informations par une agente d'indemnisation, comme c'est généralement le cas.

[2]           La décision n'est pas au dossier.

[3]           La CSST ne semble pas avoir soumis ces conclusions du docteur Lavigne à la docteure Beauregard pour qu'elle indique si elle était d'accord ou en désaccord avec celles-ci.

[4]           Nirschl KRAUSHAAR, « Tendinose ou tendinite? : résumé français », dans Infoextra : bulletin médical, vol. 6, [Montréal], Physio Extra, 2001, 1 p.

[5]           L.R.q. c. A-3.001

[6]           1999 C.L.P. 779 .

[7]           Paragraphe 30.

[8]           Marcel GARNIER et al., Dictionnaire illustré des termes de médecine, 30e éd., Paris, Maloine, 2009.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.