Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Morency et Ferme Belgirard inc.

2012 QCCLP 4895

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Trois-Rivières

31 juillet 2012

 

Région :

Chaudière-Appalaches

 

Dossier :

446568-03B-1108-R

 

Dossier CSST :

136700630

 

Commissaire :

Diane Lajoie, juge administratif

 

Membres :

Gaétan Gagnon, associations d’employeurs

 

André Chamberland, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Bastien Morency

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Ferme Belgirard inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 26 mars 2012, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose une requête en révision ou révocation de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 1er mars 2012.

[2]           Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille en partie la requête du travailleur et modifie la décision rendue par la CSST le 1er août 2011, à la suite d’une révision administrative. Le dispositif de la décision énonce de plus :

DÉCLARE recevable la contestation de monsieur Bastien Morency datée du 1er mai 2011 déposée à l’encontre de la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 1er avril 2011 et transmise par lettre datée du 7 avril 2011;

 

DÉCLARE, quant au fond de cette décision, que la Commission de la santé et de la sécurité du travail ne peut souscrire à la demande de monsieur Bastien Morency de lui payer une formation de pilote d’hélicoptère;

 

DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail était justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu le 20[1] mai 2011;

 

DÉCLARE que la Commission de la santé et de la santé du travail était justifiée de mettre fin au plan individualisé de réadaptation de monsieur Bastien Morency par décision du 20 juin 2011;

 

RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour qu’elle puisse convenir, avec la collaboration de monsieur Bastien Morency, de la détermination d’un emploi convenable et la capacité du travailleur à l’exercer, conformément à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

 

ACCORDE à la Commission de la santé et de la sécurité du travail et à monsieur Bastien Morency un délai de 120 jours pour la réalisation de cet exercice;

 

ORDONNE à monsieur Bastien Morency de collaborer à la réalisation de cet objectif, de concert avec la Commission de la santé et de la sécurité du travail et conformément à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

 

DÉCLARE que, dans ces circonstances exceptionnelles, monsieur Bastien Morency a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu rétroactivement au 29 mai 2011 et jusqu’à ce qu’une décision finale soit rendue sur la détermination d’un emploi convenable et la capacité du travailleur à l’exercer, conformément à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

[3]           À l’audience tenue à Lévis le 17 mai 2012, la CSST est représentée par sa procureure. Monsieur Bastien Morency (le travailleur) et Ferme Belgirard inc. (l’employeur) sont présents. La requête est mise en délibéré ce même jour.

[4]           Toutefois, en cours de délibéré, la soussignée s’est interrogée sur le caractère théorique du recours en révision ou révocation dans un contexte où la CSST a donné suite à l’ordonnance émise dans la décision du 1er mars 2012. Le tribunal a suspendu le délibéré, soumis cette question aux parties et leur a donné l’occasion de soumettre leur argumentation, par écrit.

[5]           Compte tenu des délais accordés pour ce faire, la requête est mise en délibéré le 29 juin 2012.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[6]           La CSST soumet que la décision du 1er mars 2012 comporte un vice de fond de nature à l’invalider. Elle demande à la Commission des lésions professionnelles de révoquer la conclusion donnant droit au travailleur à l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 29 mai 2011 et de révoquer les ordonnances à la CSST et au travailleur quant à la détermination d’un emploi convenable et la collaboration du travailleur à cette démarche.

LA PREUVE

[7]           Du dossier constitué par la Commission des lésions professionnelles, le tribunal retient ce qui suit.

[8]           Le 7 décembre 2009, le travailleur subit un accident du travail. Son pied gauche s’est coincé dans le mécanisme de la batteuse et une partie du pied et des orteils a été sectionnée. Le travailleur doit subir deux chirurgies pour l’amputation partielle du pied gauche.  

[9]           Le 20 avril 2010, la CSST reconnaît qu’il y a un lien entre le nouveau diagnostic de trouble d’adaptation et l’événement du 7 décembre 2009. Le 15 juillet 2010, la CSST reconsidérera cette décision afin de retenir plutôt, à titre de nouveau diagnostic en lien avec l’événement, celui de stress post-traumatique.

[10]        Le 10 juin 2010, le docteur Giguère, chirurgien orthopédiste, émet un rapport médical final pour une amputation traumatique du pied gauche, consolidée le même jour, avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles.

[11]        Le 24 août 2010, le docteur Giguère examine le travailleur et produit le rapport d’évaluation médicale. Il évalue le déficit anatomophysiologique à 27 % et reconnaît des limitations fonctionnelles. Une prothèse est prescrite au travailleur.

[12]        Le 30 septembre 2010, la CSST reconnaît que la lésion professionnelle entraîne pour le travailleur une atteinte permanente de 33,25 %. Cette évaluation est confirmée le 10 décembre 2010, à la suite d’une révision administrative. La Commission des lésions professionnelles confirme cette décision le 7 juillet 2011[2].

[13]        Le 4 octobre 2010, le travailleur est admis en réadaptation.

[14]        Il appert des notes au dossier que le travailleur estime qu’il ne sera pas en mesure de reprendre son travail prélésionnel. Il manifeste le désir de suivre un cours de pilotage d’hélicoptère. Il entreprend certaines démarches et affirme qu’il est médicalement capable de suivre le cours et que le coût de cette formation est de 68 000 $. Il informe la CSST que s’il ne suit pas cette formation, il ne peut rien faire d’autre.

[15]        Le 1er avril 2011, la CSST informe le travailleur qu’elle ne peut payer pour un cours de pilote d’hélicoptère. De plus, après discussion avec une personne de l’école de pilotage, la CSST juge que plusieurs tâches connexes au métier de pilote ne respectent pas les limitations fonctionnelles du travailleur. Cette conversation entre l’agente et le travailleur est consignée au dossier et copie de cette note est transmise au travailleur.

[16]        Le travailleur conteste cette note de la CSST.

[17]        La CSST convient de mettre en place une mesure de réadaptation visant à débuter un processus d’orientation professionnelle. Le travailleur demande toutefois  la suspension de cette mesure, faisant valoir qu’il est en processus de contestation des décisions de la CSST.

[18]        Le 7 juin 2011, la CSST rend une décision par laquelle elle suspend l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 29 mai 2011, alléguant le refus du travailleur de se prévaloir, sans raison valable, de la mesure de réadaptation. De plus, la CSST informe le travailleur qu’elle pourra mettre fin au plan de réadaptation si, d’ici le 14 juin 2011, il n’a pas démontré qu’il voulait s’engager sérieusement dans une démarche de réadaptation. Elle demande au travailleur de lui présenter un plan d’action concret et réalisable à court terme.

[19]        Le 20 juin 2011, la CSST rend une décision par laquelle elle met fin au plan de réadaptation du travailleur parce qu’il n’a pas répondu de façon satisfaisante aux demandes formulées le 7 juin 2011. Elle rappelle au travailleur que l’indemnité de remplacement du revenu est suspendue depuis le 29 mai 2011.

[20]        Le 1er août 2011, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative par laquelle elle déclare, d’une part, que la note évolutive transmise au travailleur ne peut constituer une décision de la CSST et la demande de révision du travailleur est donc irrecevable. D’autre part, la CSST déclare qu’elle est justifiée de suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 29 mai 2011. Enfin, elle déclare nulle et sans effet la décision du 20 juin 2011 parce que la CSST ne pouvait mettre fin à un plan de réadaptation qui n’existait pas.

[21]        Le travailleur conteste cette décision devant la Commission des lésions professionnelles et une audience est tenue le 14 février 2012, à la suite de laquelle la Commission des lésions professionnelles rend sa décision le 1er mars 2012.

[22]        Dans cette décision, le premier juge administratif résume la portion pertinente du dossier du travailleur et rapporte la preuve produite à l’audience. Il énonce les questions qui lui sont soumises par la contestation du travailleur :

[63]      La Commission des lésions professionnelles doit statuer sur la présente contestation en deux volets. D’une part, elle doit décider de la recevabilité de la contestation datée du 1er mai 2011 produite par le travailleur à l’encontre de la lettre émise par la CSST le 7 avril 2011.

 

[64]      D’autre part, la Commission des lésions professionnelles doit décider si la CSST était justifiée, dans un premier temps, de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu comme elle l’a fait par la décision du 7 juin 2011 et, dans un deuxième temps, si elle était justifiée de mettre fin au plan individualisé de réadaptation comme elle l’a fait dans la décision rendue le 20 juin 2011.

 

 

[23]        Le premier juge administratif reproduit les dispositions légales pertinentes.

[24]        En premier lieu, il établit que, contrairement à ce qu’affirme la CSST dans sa décision du 1er août 2011, un plan de réadaptation a été mis en place dans le dossier du travailleur.

[25]        Il juge de plus que la lettre de la CSST du 7 avril 2011, qui réfère à son refus de payer pour une formation de pilote d’hélicoptère, et la note évolutive qui fait état de ce refus, constituent une décision de la CSST, au sens des articles 147 et 354 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[3] (la loi). Par conséquent, la contestation de ces documents par le travailleur est recevable.

[26]        Quant au fond, le premier juge administratif décide, après avoir référé aux dispositions législatives pertinentes, qu’il est évident que le paiement par la CSST d’une formation pour devenir pilote d’hélicoptère ne correspond pas à l’obligation à laquelle elle est astreinte, contrairement à ce que prétend le travailleur. Selon le premier juge administratif, la décision de la CSST de refuser de payer au travailleur le coût de cette formation est pleinement justifiée. Le premier juge administratif ajoute :

[92]      Malgré ce constat, il demeure que le travailleur peut assurément se voir attribuer un emploi convenable selon la procédure appropriée et dans la mesure où il collabore avec la CSST, obligation qu’il n’a pas le choix de respecter.

 

[93]      La présente contestation oppose un travailleur qui, malgré un handicap sévère, est manifestement articulé, débrouillard, volontaire et convaincu. Cependant, il disperse son énergie sur plusieurs sujets dont certains sont totalement étrangers au dossier de sa réclamation.

 

[94]      En outre, les deux parties se sont engagées dans un bras de fer qui a conduit aux deux décisions dont l’une met fin au versement de l’indemnité de remplacement du revenu et l’autre au plan individualisé de réadaptation.

 

[95]      Cependant, lorsqu’il révise l’ensemble de la preuve qui lui est soumise, le tribunal hésite à conclure que ces deux décisions étaient pleinement justifiées en raison du retrait du travailleur de son processus de réadaptation, car les torts sont partagés en partie. Le soussigné déplore cette situation et la désapprouve compte tenu des grandes capacités du travailleur.

 

[96]      L’ensemble de la preuve révèle que le travailleur, à l’évidence, est capable d’exercer un emploi qui lui sera convenable et qui sera attribué selon les règles prévues par la loi et les règlements. Certes, celui-ci devra collaborer à nouveau avec la CSST dans l’aboutissement de son plan individualisé de réadaptation qui consiste à déterminer un emploi convenable selon les paramètres que doit respecter la CSST. Le soussigné lui intimera l’obligation de collaborer à la réalisation de cet objectif ultime.

 

[97]      Pour ces raisons, le soussigné considère pertinent et nécessaire de retourner le dossier à la CSST pour qu’elle procède à la détermination d’un emploi convenable, avec la collaboration du travailleur, tel que la loi le prévoit. Un délai sera accordé aux parties pour parvenir à ce résultat final.

 

[98]      Il rend donc une ordonnance à ce sujet précis conformément aux dispositions des articles 377 et 378 de la loi qui prévoient ce qui suit :

 

377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.

 

Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.

 

1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.

 

 

378. La Commission des lésions professionnelles et ses commissaires sont investis des pouvoirs et de l'immunité des commissaires nommés en vertu de la Loi sur les commissions d'enquête (chapitre C-37), sauf du pouvoir d'ordonner l'emprisonnement.

 

Ils ont en outre tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de leurs fonctions; ils peuvent notamment rendre toutes ordonnances qu'ils estiment propres à sauvegarder les droits des parties.

 

Ils ne peuvent être poursuivis en justice en raison d'un acte accompli de bonne foi dans l'exercice de leurs fonctions.

 

1985, c. 6, a. 378; 1997, c. 27, a. 24.

 

 

[99]      Dans ces circonstances, le soussigné demeurera saisi du présent dossier, de même que les membres qui l’accompagnaient lors de l’audience, et ce, jusqu’à ce qu’une décision finale intervienne quant à la détermination d’un emploi convenable et qu’elle mette fin au présent litige. Le soussigné verra personnellement au respect de cette ordonnance.

 

 

[27]        Le dispositif de la décision se lit comme suit :

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

 

ACCUEILLE en partie la contestation déposée par le travailleur, monsieur Bastien Morency, à la Commission des lésions professionnelles le 8 août 2011;

 

MODIFIE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 1er août 2011 à la suite d’une révision administrative;

 

DÉCLARE recevable la contestation de monsieur Bastien Morency datée du 1er mai 2011 déposée à l’encontre de la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 1er avril 2011 et transmise par lettre datée du 7 avril 2011;

 

DÉCLARE, quant au fond de cette décision, que la Commission de la santé et de la sécurité du travail ne peut souscrire à la demande de monsieur Bastien Morency de lui payer une formation de pilote d’hélicoptère;

 

DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail était justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu le 20 mai 2011;

 

DÉCLARE que la Commission de la santé et de la santé du travail était justifiée de mettre fin au plan individualisé de réadaptation de monsieur Bastien Morency par décision du 20 juin 2011;

 

RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour qu’elle puisse convenir, avec la collaboration de monsieur Bastien Morency, de la détermination d’un emploi convenable et la capacité du travailleur à l’exercer, conformément à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

 

ACCORDE à la Commission de la santé et de la sécurité du travail et à monsieur Bastien Morency un délai de 120 jours pour la réalisation de cet exercice;

 

ORDONNE à monsieur Bastien Morency de collaborer à la réalisation de cet objectif, de concert avec la Commission de la santé et de la sécurité du travail et conformément à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

 

DÉCLARE que, dans ces circonstances exceptionnelles, monsieur Bastien Morency a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu rétroactivement au 29 mai 2011 et jusqu’à ce qu’une décision finale soit rendue sur la détermination d’un emploi convenable et la capacité du travailleur à l’exercer, conformément à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

[28]        Le 26 mars 2012, la CSST dépose une requête en révision ou révocation de cette décision. Elle soumet que la décision comporte un vice de fond de nature à l’invalider.

[29]        De façon plus particulière, la CSST soumet qu’en déclarant qu’elle était justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 29 mai 2011, qu’elle était justifiée de refuser le paiement de la formation de pilote  et de mettre fin au plan de réadaptation, le premier juge administratif a épuisé sa juridiction. La CSST précise qu’elle ne s’attaque pas à ces conclusions.

[30]        Cependant, en donnant droit au travailleur au versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 29 mai 2011, le premier juge administratif stérilise l’effet de sa propre décision. Au surplus, selon la CSST, il n’était pas saisi du droit à l’indemnité de remplacement du revenu.

[31]        La CSST plaide aussi qu’en émettant une ordonnance lui enjoignant de déterminer un emploi convenable dans les 120 jours, le premier juge administratif excède sa juridiction. Cette ordonnance n’était ni utile ni nécessaire à l’exercice de sa compétence. Le premier juge administratif ne pouvait pas non plus demeurer saisi du dossier.

[32]        À l’audience, la procureure de la CSST précise que, donnant suite à la décision, la CSST a versé au travailleur l’indemnité de remplacement du revenu rétroactivement au 29 mai 2011, ce qui a pour effet d’annuler la suspension de cette indemnité de remplacement du revenu. Il en résulte que le premier juge administratif a rendu une décision qui comporte un dispositif contradictoire.

[33]        Aussi, vu l’ordonnance émise par la Commission des lésions professionnelles le 1er mars 2012, la CSST a procédé à la détermination d’un emploi convenable. Elle souligne par ailleurs que cette détermination d’un emploi convenable est le résultat de l’application de la loi et qu’une ordonnance du tribunal n’était pas nécessaire.

[34]        La CSST plaide que le pouvoir d’ordonnance prévu à l’article 377 de la loi n’est pas un pouvoir autonome. Ce pouvoir est attaché à la compétence de la Commission des lésions professionnelles  et doit donc s’exercer dans le cadre des litiges dont elle est saisie. À partir du moment où le premier juge administratif a statué sur les litiges dont il est saisi, il devient functus officio.

[35]        La CSST identifie quatre questions dont était saisi le premier juge administratif : 

1) Les notes évolutives faisant état du refus de la CSST de payer au travailleur un cours de pilotage constituent-elles une décision que le travailleur peut contester ?

 

2) Ce refus est-il justifié ?

 

3) La CSST était-elle justifiée de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 29 mai 2011 ?

 

4) La CSST était-elle justifiée de mettre fin au plan de réadaptation ?

 

 

[36]        Aux fins de décider de ces questions, le premier juge administratif n’avait aucunement besoin d’utiliser le pouvoir d’ordonnance prévu par la loi. Au surplus, il n’était pas saisi du droit à l’indemnité de remplacement du revenu.

[37]        En procédant par ordonnance comme il l’a fait, le premier juge administratif a exercé les pouvoirs inhérents à la Cour supérieure.

[38]        La procureure plaide que la Commission des lésions professionnelles n’a d’aucune façon le pouvoir d’ordonner à la CSST de faire une chose dans un délai précis. La CSST est un organisme de compétence exclusive. Le premier juge administratif ne peut demeurer saisi du dossier.

[39]        La CSST demande au tribunal de révoquer les ordonnances émises dans la décision rendue le 1er mars 2012, de même que la reconnaissance du droit au travailleur à l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 29 mai 2011.

[40]        Le travailleur soumet quant à lui que le dossier doit être retourné à la CSST pour qu’elle l’appuie dans ses démarches entreprises contre le prothésiste qui a fourni sa prothèse. Il allègue qu’une fraude a été commise dans la facturation. Le premier juge administratif aurait dû selon lui se prononcer sur cette question de même que sur la question de la rectification des notes évolutives, comme il l’a demandé.

[41]        Le travailleur plaide qu’il est justifié de cesser de collaborer avec la CSST pour l’élaboration du plan de réadaptation puisque l’organisme, en n’agissant pas contre le prothésiste, continue d’agir dans un contexte de fraude.

[42]        Enfin, l'employeur se dit désolé de voir que le débat n’est toujours pas réglé et que les parties doivent maintenant débattre de questions de droit.

[43]        En cours de délibéré, la soussignée s’est interrogée sur le caractère théorique du recours en révision ou révocation dans un contexte où la CSST a donné suite aux ordonnances émises dans la décision du 1er mars 2012. Le tribunal a soumis cette question aux parties et leur a donné l’occasion de soumettre leur argumentation, par écrit.

[44]        À cela, la CSST répond que la notion du caractère théorique d’un recours doit être interprétée restrictivement dans le cadre d’une requête en révision ou révocation. Ce recours vise nécessairement une décision qui a acquis un caractère final et irrévocable. De plus, la décision qui sera rendue sur la requête en révision ou révocation pourra avoir des effets sur la qualification des prestations versées (sommes versées sans droit), sur l’imputation de ces sommes au dossier de l’employeur et, en conséquence, sur le régime de financement. La question soumise n’est pas théorique puisque les ordonnances émises ont un effet qui va bien au-delà des actions entreprises par la CSST.

[45]        Enfin, référant à l’auteur Yves Ouellette[4], la CSST soumet que le mécanisme de révision prévu par la loi n’est pas entièrement discrétionnaire et le refus arbitraire de réexaminer une décision pourrait donner lieu à l’intervention des cours supérieures pour refus d’exercer un devoir imposé par la loi.

[46]        Quant au travailleur, il répond que le recours est loin d’être théorique, il est au contraire bien réel. Toutefois, il appert du document produit qu’il réfère à son dossier d’indemnisation et de réadaptation, de façon globale. Il mentionne que ses droits, sa sécurité et son intégrité ne sont pas respectés. Il demande au tribunal de l’instruire sur les rouages de la Cour supérieure, du Tribunal des droits de la personne et de la Commission des droits de la personne.

[47]        Le travailleur ajoute que, pour que l’on puisse bien comprendre tous les faits de son dossier, et ce depuis l’événement du 7 décembre 2009, il devra faire un long exposé d’une douzaine d’heures et demande à être entendu.

[48]        Par ailleurs, le travailleur demande au tribunal de modifier la décision du premier juge administratif et d’ordonner à la CSST de lui payer les frais de la formation professionnelle de pilote d’hélicoptère. Il allègue que son dossier devrait être transmis à la Commission des droits de la personne afin que ses droits soient respectés, sans discrimination.

[49]        Le travailleur joint à son argumentation une copie d’une décision rendue par la CSST le 16 mai 2012 par laquelle elle déclare que le travailleur est capable, à compter du 10 mai 2012, d’occuper l’emploi convenable de commis à la saisie des données. Le travailleur a demandé la révision de cette décision.

[50]        L’employeur a avisé le tribunal qu’il n’avait pas de commentaires supplémentaires  à formuler.

L’AVIS DES MEMBRES

[51]        Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis que le recours en révision ou révocation n’est pas théorique puisque les questions soulevées demeurent malgré l’exécution de la décision par la CSST et que la décision rendue en révision pourra avoir un effet sur le droit des parties.

[52]        Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que certaines conclusions de la décision du 1er mars 2012 doivent être révoquées. Il estime que le premier juge administratif n’était pas saisi de la question de la détermination de l’emploi convenable. Il ne pouvait donc pas émettre d’ordonnance enjoignant à la CSST de procéder à la détermination d’un emploi convenable dans un délai de 120 jours et au travailleur de collaborer à cette démarche. De plus, en déclarant  que la CSST était justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 29 mai 2011, le premier juge administratif ne pouvait pas, dans la même décision, reconnaître au travailleur le droit au versement de l’indemnité à compter de cette même date. En conséquence, les conclusions et ordonnances émises concernant ces sujets doivent être révoquées.

[53]        Le membre issu des associations syndicales est plutôt d’avis que le premier juge administratif avait le pouvoir d’émettre des ordonnances, et ce, en vertu de l’article 377 de la loi. Il pouvait également assurer le suivi du dossier. Par contre, le membre issu des associations syndicales partage l’avis du membre issu des associations d’employeurs concernant la conclusion qui reconnaît au travailleur le droit à l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 29 mai 2011, cette conclusion étant en contradiction avec celle qui reconnaît que la suspension des indemnités de remplacement du revenu, à compter du 29 mai 2011, est justifiée. En conséquence, cette conclusion doit être révoquée.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[54]        Pour les motifs ci-après exposés, le tribunal en vient à la conclusion que les questions soulevées par la requête de la CSST ne sont pas théoriques.  La Commission des lésions professionnelles doit donc décider s’il y a lieu de réviser ou de révoquer la décision rendue le 1er mars 2012.

Caractère théorique des questions soulevées

[55]        Dans l’affaire Borowski et Procureur Général du Canada[5], la Cour suprême écrit que la doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu’un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu’une question hypothétique ou abstraite. Un appel est théorique lorsque la décision du tribunal n’aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties.

[56]        De plus, un litige actuel doit exister non seulement quand l’action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre sa décision. Le principe général s’applique à moins que le tribunal n’ exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l’appliquer.

[57]        La Cour suprême établit que la démarche à suivre pour déterminer si le litige est théorique comporte une analyse en deux temps. D’abord, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. Si c’est le cas, le tribunal décide alors s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l’affaire.

[58]        Dans le présent cas, la CSST demande entre autres au tribunal de révoquer la conclusion émise dans la décision rendue le 1er mars 2012 qui reconnaît au travailleur le droit à l’indemnité de remplacement du revenu rétroactivement au 29 mai 2011.

[59]        Le différend concernant cette question est toujours présent et la décision que rendra le tribunal pourra avoir des effets sur les droits des parties.

[60]        En effet, le premier juge administratif confirme le bien-fondé de la décision de la CSST de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 29 mai 2011, tout en reconnaissant au travailleur le droit à l’indemnité de remplacement du revenu à compter de cette date. Ces conclusions sont contradictoires et il demeure donc un différend. De plus, la décision que rendra le présent tribunal pourrait faire en sorte que l’indemnité de remplacement du revenu reçue par le travailleur rétroactivement au 29 mai 2011, en application de la décision du 1er mars 2012, l’ait été sans droit. Dans ce cas, il y aura, comme le plaide la CSST, une incidence sur le dossier d’imputation de l’employeur et sur le régime de financement en général.

[61]        La CSST demande également de révoquer les conclusions par lesquelles le premier juge administratif lui ordonne de déterminer un emploi convenable, dans les 120 jours, et ordonne au travailleur de collaborer à cette démarche.

[62]        Malgré le fait que la CSST se soit conformée à cette ordonnance et ait déterminé un emploi convenable dans le délai prescrit, la question qu’elle soulève quant au pouvoir d’ordonnance de la Commission des lésions professionnelles demeure.

[63]        Au surplus, le premier juge administratif écrit dans sa décision qu’il veillera personnellement au respect de l’ordonnance. Qu’en serait-il si le travailleur ne collaborait pas avec la CSST? Comment le premier juge administratif peut-il voir au respect d’une telle ordonnance? Le différend n’est pas disparu.

[64]        De plus,  le premier juge administratif déclare qu’il demeure saisi du dossier jusqu’à la décision finale. Il faut se demander si cela ne compromet pas pour l’avenir, dans le cas où les décisions concernant la détermination de l’emploi convenable seraient contestées à la Commission des lésions professionnelles, le processus de contestation, d’assignation des dossiers et de mise au rôle du tribunal.

[65]        En statuant sur le présent recours en révision ou révocation, le tribunal ne rend pas une décision déclaratoire. Il détermine dans le cas sous étude si la décision rendue le 1er mars 2012 comporte un vice de fond de nature à l’invalider. Le débat sur cette question est réel.

[66]        Par ailleurs, en vertu de l’article 429.49 de la loi, la CSST devait se conformer sans délai à la décision rendue le 1er mars 2012. Le présent tribunal estime que ce respect de la loi par la CSST ne peut maintenant faire obstacle à son recours en révision ou révocation.

 

Requête en révision ou révocation

[67]        Il convient donc maintenant de décider si la décision du 1er mars 2012 doit être révisée ou révoquée, en partie.

[68]        L’article 429.49 de la loi prévoit qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :

429.49.  Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.

 

Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[69]        La loi prévoit un recours en révision ou révocation dans certaines circonstances particulières :

429.56.  La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[70]        Conformément à l’article 429.57 de la loi, la requête en révision ou révocation doit être présentée dans un délai raisonnable suivant la décision visée et indiquer les motifs à son soutien.

[71]        En l’espèce, le tribunal siégeant en révision juge que la requête présentée par la CSST le 26 mars 2012 respecte le délai raisonnable prévu par la loi, lequel est assimilé à un délai de 45 jours. De plus, la requête expose les motifs à son soutien.

[72]        Le recours en révision ou révocation en est un d’exception, dans un contexte où les décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel. Ainsi, une décision ne peut être révisée ou révoquée que si l’un des motifs énumérés à l’article 429.56 est démontré.

[73]        En l’espèce, la CSST réfère au troisième paragraphe de l’article 429.56 de la loi et fait valoir que la décision comporte un vice de fond, de nature à l’invalider.

[74]        Les notions de «vice de fond» et «de nature à l’invalider» ont été interprétées par la Commission des lésions professionnelles. L’interprétation retenue par le tribunal a par la suite été confirmée par la Cour d’appel. Le tribunal retient des enseignements de la jurisprudence que le vice de fond de nature à invalider la décision est une erreur manifeste de droit ou de faits ayant un effet déterminant sur l’objet de la contestation[6], une erreur qui est déterminante dans les conclusions atteintes[7].

[75]        L’interprétation d’un texte législatif ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique. Ainsi, la simple divergence d’opinions quant à la façon d’interpréter une disposition législative ne constitue pas un vice de fond[8]. Par ailleurs, le fait d’écarter ou d’omettre une règle de droit applicable constitue une erreur de droit manifeste et déterminante[9].

[76]        Il faut aussi retenir que le pouvoir de révision ne peut être une répétition de la procédure initiale ni un appel déguisé sur la base des mêmes faits et arguments[10].

[77]        Dans le cadre d’un recours en révision, le juge administratif ne peut non plus substituer son opinion ou son appréciation de la preuve à celle de la première formation. Ce n’est pas non plus une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments[11].

[78]        Dans l’affaire CSST c. Touloumi[12], la Cour d’appel écrit qu’une décision attaquée pour vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision.

[79]        Enfin, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision doit faire preuve d’une grande retenue puisque la première décision rendue fait autorité et ce n’est qu’exceptionnellement que cette décision pourra être révisée[13].

[80]        Ces principes étant exposés, qu’en est-il en l’espèce.

[81]        La compétence de la Commission des lésions professionnelles est décrite à l’article 369 de la loi :

369.  La Commission des lésions professionnelles statue, à l'exclusion de tout autre tribunal :

 

1° sur les recours formés en vertu des articles  359 , 359.1 , 450 et 451 ;

 

2° sur les recours formés en vertu des articles  37.3 et 193 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1).

__________

1985, c. 6, a. 369; 1997, c. 27, a. 24.

 

 

[82]        Dans la présente affaire, le premier juge administratif était valablement saisi de la contestation d’une décision rendue par la CSST, à la suite d’une révision administrative. Cette contestation soulève quatre questions :

- La note évolutive et la lettre de la CSST concernant le refus de payer la formation de pilotage constituent-elles une décision dont le travailleur peut demander la révision?

 

- Le refus de la CSST de payer au travailleur une formation de pilote d’hélicoptère est-il bien fondé?

 

- La suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 29 mai 2011 est-elle bien fondée?

 

- La CSST était-elle justifiée de mettre fin au plan de réadaptation?

 

 

[83]        Le premier juge administratif décide que la note évolutive et la lettre de la CSST  constituent une décision dont le travailleur pouvait demander la révision. La CSST ne conteste pas cette conclusion.

[84]        Le premier juge administratif décide quant au fond que la CSST était bien fondée de refuser de payer au travailleur la formation de pilote d’hélicoptère. La CSST ne conteste pas cette conclusion.

[85]        Le premier juge administratif décide que la CSST était justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 29 mai 2011[14]. La CSST ne s’attaque pas à cette conclusion non plus.

[86]        Dans sa décision du 1er mars 2012, le premier juge administratif décide aussi que la CSST était justifiée de mettre fin au plan de réadaptation. La CSST ne s’attaque pas à cette conclusion.

[87]        En décidant de ces questions comme il l’a fait dans sa décision du 1er mars 2012, le premier juge administratif a tranché tous les litiges dont il était saisi et qui opposaient les parties. Il a épuisé sa compétence.

[88]        Or, le premier juge administratif déclare aussi dans cette même décision que le travailleur a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu rétroactivement au 29 mai 2011. Cette conclusion annule à toutes fins pratiques celle par laquelle il déclare que la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu est justifiée à compter du 29 mai 2011.

[89]        En décidant que la suspension était justifiée, il a répondu à la question dont il était saisi. Il ne peut annuler l’effet de cette partie de la décision par une autre conclusion. À tout le moins, le dispositif comporte des décisions contradictoires, difficilement exécutoires.

[90]        Le premier juge administratif a de plus émis des ordonnances dans sa décision du 1er mars 2012. Dans le dispositif, il écrit qu’il accorde à la CSST un délai de 120 jours pour déterminer un emploi convenable. Cette conclusion est en fait l’ordonnance dont il est question au paragraphe 98 de la décision. À la lecture de ce paragraphe, il est clair que le premier juge administratif s’investit du pouvoir d’ordonnance prévu aux articles 377 et 378 pour rendre cette décision :

377.  La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.

 

Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.

__________

1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.

 

 

378.  La Commission des lésions professionnelles et ses commissaires sont investis des pouvoirs et de l'immunité des commissaires nommés en vertu de la Loi sur les commissions d'enquête (chapitre C-37), sauf du pouvoir d'ordonner l'emprisonnement.

 

Ils ont en outre tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de leurs fonctions; ils peuvent notamment rendre toutes ordonnances qu'ils estiment propres à sauvegarder les droits des parties.

 

Ils ne peuvent être poursuivis en justice en raison d'un acte accompli de bonne foi dans l'exercice de leurs fonctions.

__________

1985, c. 6, a. 378; 1997, c. 27, a. 24.

 

 

[91]        L’article 377 de la loi n’est pas attributif de compétence. Il ne permet pas à la Commission des lésions professionnelles de se prononcer sur un sujet à propos duquel une décision n’a pas encore été rendue par l’instance appropriée[15].  Le premier juge administratif n’était pas saisi de la question de la détermination de l’emploi convenable, la CSST ne s’étant pas encore prononcée sur ce sujet. 

[92]        La Commission des lésions professionnelles ne possède pas de pouvoirs inhérents.

[93]        Le pouvoir d’ordonnance prévu à la loi doit être exercé dans le cadre du litige. Le premier juge ne pouvait donc pas utiliser ce pouvoir  pour obliger la CSST à déterminer un emploi convenable. En agissant ainsi, il outrepasse sa compétence.

[94]        Dans l’affaire Senneville et Dominium Textile inc. (Swift Canada)[16], le travailleur demandait au tribunal d’ordonner à la CSST de reprendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu qu’elle avait suspendu. Le tribunal décide qu’il n’a pas la compétence pour ce faire :

[17.]     Ce n’est qu’une fois saisie d’un recours formé en vertu de l’article 369 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles que la Commission des lésions professionnelles peut exercer les pouvoirs prévus aux articles 377, 378 et 429.20 de cette loi.

 

[18.]     Tous les pouvoirs prévus à ces articles supposent l’existence d’une compétence dûment acquise par la Commission des lésions professionnelles aux termes de l’article 369 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

[19.]     La Commission des lésions professionnelles ne peut s’autoriser des dispositions prévues aux articles 377, 378 et 429.20 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles pour altérer des dispositions de droit substantif, telle les dispositions qui établissent le processus de contestation.  La requête du travailleur constitue, en réalité, une invitation à court-circuiter le processus décisionnel prévu par la loi.

 

 

[95]        Ces principes ont été repris et appliqués entre autres dans l’affaire Gilbert et Provigo distribution[17].

[96]        Selon l’article 378 de la loi, les commissaires ont tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de leurs fonctions. Dans le présent dossier, le pouvoir d’ordonnance n’était d’aucune façon nécessaire à l’exercice du pouvoir du premier juge administratif qui détenait toute l’information utile pour rendre une décision sur les litiges qui lui étaient soumis.

[97]        D’autre part, une ordonnance n’était pas non plus nécessaire pour sauvegarder le droit des parties. En effet, par la seule application de la loi, la CSST demeure responsable de la réadaptation du travailleur et, en cours de processus, elle peut déterminer un emploi convenable, ce qu’elle n’a pas refusé de faire; elle a simplement refusé le paiement d’une formation de pilote d’hélicoptère.

[98]        Dans l’affaire Recycan inc. et Simon[18], la Commission des lésions professionnelles écrit :

[17]      Il ressort assez clairement que la question de la capacité et du droit à l’indemnité de remplacement du revenu n’avait pas encore été tranchée par la CSST lorsque le dossier a été porté devant la Commission des lésions professionnelles et, même, lorsque celle-ci a tenu sa première audience. Et, comme le démontre le dossier, ce n’est pas par erreur ou par omission que la CSST n’avait pas décidé de la question. En réalité, elle n’avait pas encore l’information nécessaire pour rendre une décision éclairée et c’est pourquoi elle a demandé une évaluation du poste par une professionnelle en la matière.

 

[18]      Bien qu’en vertu de l’article 377 de la loi, la Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu, encore faut-il qu’une décision ait été rendue ou que la CSST soit en défaut de la rendre. Or, en l’occurrence, ce n’était pas le cas et la Commission des lésions professionnelles n’avait pas compétence pour décider de la question de la capacité du travailleur d’exercer son emploi et de son droit à l’indemnité de remplacement du revenu.

 

[19]      Il en aurait été autrement si la CSST avait eu toute l’information nécessaire en sa possession. Dans une telle éventualité, la Commission des lésions professionnelles aurait eu le pouvoir « de rendre la décision qui aurait dû être rendue ».

 

 

[99]        En l’espèce, de la même manière, bien que le premier juge administratif avait le pouvoir de rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu, encore faut-il qu’une décision ait été rendue par la CSST et dûment contestée. Ce n’est pas le cas pour la détermination de l’emploi convenable. Au moment où le premier juge administratif rend sa décision, la détermination d’un emploi convenable est à venir et rien ne laisse présumer que la CSST ne procèdera pas à cette détermination dans le cadre du processus de réadaptation du travailleur.

[100]     Dans l’affaire Lalli et 90180407 Québec inc.[19], la Commission des lésions professionnelles révoque en partie le dispositif d’une décision rendue par le tribunal par lequel il ordonne à la CSST de rendre une décision à l’égard de la demande de remboursement des frais liés à l’utilisation de la marihuana faite par le travailleur.

[101]     La Commission des lésions professionnelles écrit qu’elle ne possède pas les pouvoirs de surveillance et de contrôle de la Cour supérieure. De plus, la Commission des lésions professionnelles ne possède aucun pouvoir d’ordonnance puisqu’elle n’est pas valablement saisie d’un recours en vertu de l’article 369 de la loi.

[102]     À la suite de la décision rendue par le premier juge administratif qui décide entre autres que la CSST est bien fondée de refuser de payer au travailleur une formation de pilote d’hélicoptère, il appartient à la CSST, en exclusivité, de poursuivre ou reprendre l’élaboration du plan de réadaptation en déterminant, par exemple, un emploi convenable. La Commission des lésions professionnelles n’a pas à lui ordonner de rendre une décision. Rendre une telle ordonnance constitue en l’espèce une erreur de droit manifeste et déterminante.

[103]     Le tribunal siégeant en révision est d’avis que le premier juge administratif ne pouvait pas non plus ordonner au travailleur de collaborer avec la CSST à la démarche de détermination d’un emploi convenable. D’abord, comment cette ordonnance peut-elle être exécutoire dans le cas où le travailleur ne s’y conforme pas? Il est certainement souhaitable que le travailleur collabore à l’élaboration du plan individualisé de réadaptation, mais le présent tribunal ne voit pas comment il pourrait le contraindre à le faire.

[104]     L’ordonnance au travailleur de collaborer est accessoire à celle enjoignant à la CSST de déterminer un emploi convenable et elle doit subir le même sort.

[105]     Le tribunal siégeant en révision estime donc que l’ordonnance enjoignant à la CSST de déterminer un emploi convenable et celle enjoignant au travailleur de collaborer à cette démarche doivent être annulées.

[106]     De plus, le premier juge administratif ne peut demeurer saisi du présent dossier, de même que les membres qui l’accompagnent lors de l’audience, et ce, jusqu’à ce qu’une décision finale intervienne quant à la détermination d’un emploi convenable et qu’elle mette fin au présent litige. S’il en était ainsi, la contestation à la Commission des lésions professionnelles de la décision de la CSST portant sur la détermination de l’emploi convenable, s’il en est une, devrait être entendue par le premier juge administratif, assisté des mêmes membres issus des associations syndicales et d’employeurs, ce qui aurait pour effet de court-circuiter la procédure de contestation et d’assignation des dossiers.

[107]     Selon l’article 359 de la loi, une personne qui se croit lésée par une décision rendue à la suite d’une révision administrative peut la contester devant la Commission des lésions professionnelles et non devant un commissaire en particulier. Il appartient au président de la Commission des lésions professionnelles de déterminer quels commissaires sont appelés à siéger à l’une ou l’autre des séances de la Commission des lésions professionnelles[20]. Le président désigne aussi les membres qui doivent siéger auprès d’un commissaire[21]. Ces attributions peuvent être déléguées aux vice-présidents ou à un commissaire coordonnateur[22].

[108]     Le premier juge administratif ne peut non plus voir personnellement au respect de l’ordonnance, comme il l’écrit au paragraphe 99 de sa décision. En effet, il n’appartient pas au tribunal d’assurer l’exécution de ses propres décisions, une procédure particulière pour exécution forcée étant prévue à l’article 429.58 de la loi.

[109]     Pour l’ensemble de ces motifs, le tribunal conclut que la décision rendue le 1er mars 2012 comporte des erreurs de droit manifestes et déterminantes, ce qui constitue un vice de fond de nature à invalider en partie la décision et il y a donc lieu de la révoquer en partie.

[110]     En terminant, le tribunal ajoute qu’il ne peut donner suite aux demandes formulées par le travailleur. D’une part, ni le premier juge administratif ni le tribunal siégeant en révision n’étaient saisis d’une contestation du travailleur concernant la facturation ou le type de sa prothèse. De plus, par sa requête en révision ou révocation la CSST ne conteste pas la conclusion selon laquelle elle est justifiée de refuser de payer au travailleur la formation de pilote d’hélicoptère. D’autre part, le tribunal ne peut fournir au travailleur les informations sur le fonctionnement d’autres instances, tel n’est pas son rôle. Enfin, le tribunal siégeant en révision ne peut entendre le travailleur sur l’ensemble de son dossier, comme il le demande. Cela n’est pas pertinent dans le cadre du présent recours en révision ou révocation.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête en révision ou révocation de la Commission de la santé et de la sécurité du travail;

RÉVOQUE en partie la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 1er mars 2012;

ANNULE les conclusions du dispositif de cette décision qui se lisent comme suit :

RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour qu’elle puisse convenir, avec la collaboration de monsieur Bastien Morency, de la détermination d’un emploi convenable et la capacité du travailleur à l’exercer, conformément à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

 

ACCORDE à la Commission de la santé et de la sécurité du travail et à monsieur Bastien Morency un délai de 120 jours pour la réalisation de cet exercice;

 

ORDONNE à monsieur Bastien Morency de collaborer à la réalisation de cet objectif, de concert avec la Commission de la santé et de la sécurité du travail et conformément à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

 

DÉCLARE que, dans ces circonstances exceptionnelles, monsieur Bastien Morency a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu rétroactivement au 29 mai 2011 et jusqu’à ce qu’une décision finale soit rendue sur la détermination d’un emploi convenable et la capacité du travailleur à l’exercer, conformément à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

 

 

 

_________________________

 

Diane Lajoie

 

 

 

 

Me Odile Tessier

Vigneault Thibodeau Bergeron

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           Il faudrait lire le 29 mai 2011

[2]           Morency et Ferme Belgirard inc., 2011 QCCLP 4641 .

[3]           L.R.Q., c. A-3.001.

[4]           Ouellette, Y., Les tribunaux administratifs au Canada, procédure et preuve, Les Éditions Thémis, 1997, p.510 à 512

[5]           [1989] 1 R.C.S. 342 .

[6]           Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve [1998] C.L.P. 733 .

[7]           Franchellini et Sousa [1998] C.L.P. 783 .

[8]           Tribunal administratif du Québec c. Godin [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.), j. Fish; Amar c. CSST, [2003] C.L.P. 606 (C.A.); CSST c. Fontaine [2005] C.L.P. 626 (C.A.).

[9]           Champagne et Ville de Montréal, C.L.P. 236011-63-0406, 23 février 2006, S. Di Pasquale; Techno-Pro inc. (fermé) et A.C.Q. Mutuelle 3-R [2010] C.L.P. 587 .

[10]         Tribunal administratif du Québec c. Godin, précitée note 8.

[11]         Bourassa c. CLP [2003] C.L.P. 601 (C.A.) requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 22 janvier 2004 (30009); CSST c. Fontaine, précitée note 8.

[12]         [2005] C.L.P. 921 (C.A.).

[13]         Louis-Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation, C.L.P. 214190-07-0308, 20 décembre 2005, L. Nadeau (05LP-220).

[14]         Tel que mentionné, le tribunal est d’avis que la décision du 1er mars 2012 comporte une erreur de date et qu’on devrait lire dans le dispositif la date du 29 mai 2011 et non du 20 mai 2011.

[15]         Lalli et 90180407 Québec inc. 2009 QCCLP 507 .

[16]         C.L.P. 128442-04B-9912, 23 décembre 1999, M. Carignan.

[17]         C.L.P. 301131-62B-0610, 19 mars 2010, Monique Lamarre.

[18]         C.L.P. 163407-61-0106-R, 14 juillet 2004, B. Roy.

[19]         Précitée note 15.

[20]         Article 420 de la loi.

[21]         Article 421 de la loi.

[22]         Article 429 de la loi.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.