Centre hospitalier Royal Victoria |
2011 QCCLP 275 |
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[1] Le 8 février 2010, Centre hospitalier Royal Victoria (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 29 janvier 2010 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 4 décembre 2009. Elle déclare que l’employeur doit assumer la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Oscar Porras Aguilar (le travailleur) le 10 novembre 2008.
[3] Le 24 septembre 2010, l’employeur communique avec le tribunal pour l’informer qu’il désire procéder par argumentation écrite. Le 14 octobre 2010, il produit son argumentation et la cause est mise en délibéré le 3 décembre 2010.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d’imputer 10 % des coûts de la lésion professionnelle à son dossier et 90 % des coûts aux employeurs de toutes les unités.
LES FAITS
[5] Le travailleur occupe un poste d’inhalothérapeute chez l’employeur depuis avril 2000. Il est âgé de 54 ans lors de la survenance de la lésion professionnelle.
[6] Le 10 novembre 2008, le travailleur ressent une douleur lombaire, plus importante à gauche, en manipulant un ventilateur.
[7] Le 11 novembre 2008, le docteur M. Beique diagnostique une blessure au dos et prescrit des travaux légers.
[8] Le 17 novembre 2008, un médecin note que le travailleur présente des symptômes sciatiques. Il diagnostique une entorse lombaire avec sciatalgie et prescrit des traitements de physiothérapie.
[9] Le 4 décembre 2008, la CSST accepte la réclamation du travailleur et déclare que ce dernier a subi une lésion professionnelle le 10 novembre 2008, soit un étirement lombaire.
[10] À la même date, un rapport du physiothérapeute indique que le travailleur ressent une douleur à la face postérieure du membre inférieur gauche. Cette douleur augmente « +++ » à la marche et disparaît complètement au repos.
[11] Le 8 décembre 2008, le docteur Éric Pauyo prescrit un arrêt de travail et des traitements de physiothérapie et d’ergothérapie.
[12] Le 16 décembre 2008, le travailleur cesse de travailler.
[13] Le 23 décembre 2008, une résonance magnétique du rachis lombaire est pratiquée. Le docteur D. Tampieri, radiologue, note que l’examen est comparé avec l’examen effectué le 4 juin 2004. Au niveau L4-L5, il observe la présence d’une hernie discale centrale associée à une hypertrophie des massifs articulaires postérieurs. La dimension du canal spinal est réduite. En L5-S1, il y a une hernie discale centrale légèrement paramédiane gauche. Cette hernie avec déchirure annulaire peut entraîner une compression de la racine S1 gauche. Il y a une légère hypertrophie des massifs articulaires postérieurs. Le docteur Tampieri mentionne que la nouvelle investigation n’a démontré aucun changement significatif par rapport à la hernie au niveau de L5-S1 en comparaison avec l’examen de 2004. Par contre, la hernie discale centrale au niveau de L4-L5 est légèrement plus proéminente, ainsi que la sténose spinale.
[14] Le docteur Tampieri conclut qu’il y a une hernie discale centrale et de l’hypertrophie des massifs articulaires postérieurs au niveau L4-L5, entraînant une sténose spinale significative. Il y a également une hernie discale centrale et paramédiane gauche au niveau L5-S1, inchangée par rapport à l’examen de 2004.
[15] Le 12 janvier 2009, le docteur John W. Osterman examine le travailleur à la demande de l’employeur. Il diagnostique une hernie discale gauche d’origine personnelle. Il note une sciatalgie secondaire d’origine professionnelle par aggravation d’une condition personnelle préexistante.
[16] Le 26 janvier 2009, le docteur Pauyo diagnostique une entorse lombaire avec hernie discale et sténose spinale L4-L5 et hernie discale L5-S1. Il note que le travailleur présente de la douleur à la marche. Il cesse les traitements d’ergothérapie et maintient les traitements de physiothérapie.
[17] Le 1er mars 2009, le travailleur est affecté à des travaux légers.
[18] Le 29 avril 2009, le docteur Pauyo produit un rapport final consolidant l’entorse lombaire et la hernie discale L4-L5 et L5-S1 à la même date, sans atteinte permanente à l’intégrité physique ni limitations fonctionnelles. Il note une sténose spinale significative.
[19] Le 26 mai 2009, le docteur Pauyo mentionne que les problèmes cliniques actuels sont plutôt reliés à l’entorse lombaire.
[20]
Le 9 juin 2009, l’employeur produit une demande de partage du coût des
prestations en vertu de l’article
[21] Le 15 juin 2009, la CSST déclare que les diagnostics de hernie discale L5-S1 et de sténose spinale L4-L5 ne sont pas reliés à l’événement du 10 novembre 2008.
[22] Le 18 décembre 2009, le docteur Osterman produit une opinion médicale sur dossier à la demande de l’employeur. Il note que la douleur lombaire aiguë ressentie par le travailleur le 11 novembre 2008 s’est accompagnée d’une sciatalgie qui descendait le long de sa jambe jusqu’à son pied et son grand orteil gauches. Les douleurs lombaires et la douleur sciatique gauche se sont aggravées progressivement.
[23] Le docteur Osterman signale que le travailleur a subi une résonance magnétique du rachis lombaire en 2004. Il a eu un problème de sténose spinale et la résonance magnétique a démontré une hernie discale paracentrale gauche en L4-L5 avec sténose spinale et sténose foraminale gauche. La sténose spinale a été traitée par un bloc épidural effectué le 5 avril 2004.
[24] Le docteur Osterman affirme que le travailleur était porteur d’une condition personnelle préexistante sous forme de deux hernies discales. En effet, le travailleur était déjà porteur d’une hernie discale gauche en L4-L5 avec sténose spinale et sténose foraminale gauche. Cette condition a été mise en évidence par la résonance magnétique effectuée en juin 2004. Une deuxième résonance magnétique effectuée le 15 janvier 2009 a démontré deux hernies, soit en L4-L5 centrale et en L5-S1 gauche, ainsi qu’une sténose spinale.
[25] Le docteur Osterman s’appuie sur la littérature médicale portant sur la hernie discale et la déviation par rapport à la norme biomédicale. Selon celle-ci, une hernie discale consiste en une déviation de la norme biomédicale. La maladie discale dégénérative comporte trois stades. Au premier stade, on retrouve des déchirures circonférentielles et radiales des disques et des synovites des facettes articulaires. Ces changements arrivent entre l’âge de 15 à 45 ans.
[26] Au deuxième stade, on retrouve des dysfonctions internes du disque, une résorption progressive du disque causant une diminution de la hauteur du disque, ce qui entraîne un pincement de l’espace intervertébral au niveau correspondant à une atteinte dégénérative des facettes articulaires, une subluxation et une érosion des surfaces articulaires. Ce stade d’instabilité se produit en général entre 35 et 70 ans.
[27] Au troisième stade, il y a une correction naturelle qui s’installe pour créer une stabilisation. Ceci survient après 60 ans. Elle constitue un développement progressif des os hypertrophiques (ostéophytes) sur la partie inférieure et supérieure des vertèbres qui en général suit le contour du disque au niveau des facettes articulaires. Cela entraîne une rigidité segmentaire ou une ankylose franche.
[28] Le docteur Osterman ajoute que le handicap du travailleur a contribué de façon significative à prolonger la durée de la période de consolidation. Cette période est normalement de 35 jours pour une entorse lombaire simple.
[29] Le 17 février 2010, la docteure Anne Thériault produit une opinion médicale sur dossier à la demande de l’employeur. Elle est d’avis que les hernies discales L4-L5 et L5-S1 sont des conditions médicales personnelles préexistantes hors norme biomédicale qui ont joué un rôle essentiel à la prolongation de l’invalidité du travailleur.
[30] Les hernies discales représentent une complication au premier stade ou au deuxième stade de la maladie discale dégénérative. Comme il s’agit d’une complication, les hernies discales sont toujours hors norme biomédicale, peu importe l’âge. De plus, cette maladie discale dégénérative a eu un impact majeur. La colonne lombaire du travailleur se trouvait plus fragilisée lors d’efforts en raison de cette maladie et des hernies discales qui rendent sa colonne dysfonctionnelle et instable. Ceci accroît les risques de blessure aux structures ligamentaires et musculaires.
[31] Par ailleurs, le dossier contient le rapport émis à la suite de la résonance magnétique pratiquée le 4 juin 2004. Le radiologue observe au niveau L4-L5 une hernie discale centrale et paracentrale gauche avec sténose spinale et sténose foraminale gauche. Au niveau L5-S1, il y a une hernie discale centrale et paramédiane gauche.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[32] L’employeur soutient que le travailleur est porteur d’une déficience au moment de la manifestation de sa lésion professionnelle révélée par les résonances magnétiques de 2004 et 2009 qui démontrent des hernies discales en L4-L5 et L5-S1 et une sténose spinale. Ces conditions sont une complication de la maladie discale dégénérative qui a eu un impact majeur lors de l’événement plutôt anodin et ont accru grandement le risque de blessure aux structures ligamentaires et musculaires. Cette déficience préexistante doit être considérée déviante par rapport à la norme biomédicale. De plus, la déficience a aggravé la lésion professionnelle, en prolongeant de façon indue la période de consolidation.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[33]
La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu
d’accorder un partage de coûts à l’employeur au motif que le travailleur était
déjà handicapé lors de la manifestation de sa lésion professionnelle du 10
novembre 2008 au sens de l’article
[34]
Le principe général d’imputation est énoncé au premier alinéa de
l’article
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[35]
Par ailleurs, l’article
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[36] L’employeur doit d’abord présenter sa demande avant l’expiration de la troisième année qui suit celle de la lésion professionnelle. En l’espèce, ce délai est respecté puisque l’employeur a produit sa demande le 9 juin 2009.
[37]
La notion de travailleur déjà handicapé n’est pas définie dans la loi.
La jurisprudence a établi depuis l’affaire Municipalité Petite-Rivière
St-François[2], que le
travailleur déjà handicapé au sens de l'article
[38] Dans un premier temps, l’employeur doit établir par une preuve prépondérante que le travailleur est porteur d’une déficience avant la manifestation de sa lésion professionnelle. Selon la jurisprudence, cette déficience constitue une perte de substance ou une altération d'une structure ou d'une fonction psychologique, physiologique ou anatomique et correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Elle peut aussi exister à l'état latent, sans qu'elle se soit manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle.
[39] S’il réussit à faire cette démonstration, l’employeur doit prouver dans un deuxième temps que cette déficience a une incidence sur l’apparition ou la production de la lésion professionnelle ou sur ses conséquences.
[40] L’employeur prétend que le travailleur est porteur d’une condition personnelle préexistante assimilable à un handicap, soit des hernies discales en L4-L5 et L5-S1 et une sténose spinale.
[41] Selon le tribunal, la preuve prépondérante établit que le travailleur est porteur d’une déficience. Une discopathie multi-étagée avec des hernies discales intéressant deux niveaux au rachis lombaire et une sténose spinale constituent une déficience, soit une perte de substance ou une altération d'une structure.
[42] En effet, la résonance magnétique du 4 juin 2004 démontre au niveau L4-L5 une hernie discale centrale et paramédiane gauche avec sténose spinale et sténose foraminale gauche. Au niveau L5-S1, il y a une hernie discale centrale et paramédiane gauche.
[43] Le 23 décembre 2008, la résonance magnétique ne révèle pas de changement significatif au niveau L5-S1. Par contre, la hernie discale centrale au niveau de L4-L5 est légèrement plus proéminente, ainsi que la sténose spinale. Le docteur Tampieri conclut donc qu’il y a une hernie discale centrale et de l’hypertrophie des massifs articulaires postérieurs au niveau L4-L5, entraînant une sténose spinale significative. La hernie discale centrale et paramédiane gauche au niveau L5-S1 est inchangée par rapport à l’examen de 2004.
[44] Ces altérations de la structure anatomique étaient présentes avant la manifestation de la lésion professionnelle. Elles sont démontrées par la résonance magnétique du 4 juin 2004.
[45] Par contre, le tribunal considère que l’employeur n’a pas prouvé que les hernies discales décrites par les résonances magnétiques constituent une déviation par rapport à la norme biomédicale pour un travailleur âgé de 54 ans. À cet effet, il ne peut retenir les opinions des docteurs Osterman et Thériault. La littérature médicale déposée par la docteure Thériault démontre que les hernies discales comme celles affligeant le travailleur ne correspondent pas à une déviation par rapport à la norme biomédicale pour une personne de 54 ans.
[46] En effet, les docteurs Osterman et Thériault mentionnent que le stade d’instabilité survient en général entre 35 et 70 ans. À ce stade, on retrouve des dysfonctions internes du disque, une résorption progressive du disque causant une diminution à la hauteur du disque, ce qui entraîne un pincement de l’espace intervertébral au niveau correspondant à une atteinte dégénérative des facettes articulaires, une subluxation et une érosion des surfaces articulaires. La docteure Thériault se contredit donc lorsqu’elle affirme que les hernies discales sont toujours hors norme biomédicale peu importe l’âge. D’ailleurs, la littérature qu’elle dépose ne pose pas une telle conclusion.
[47] Par contre, le tribunal estime que la sténose spinale du travailleur constitue une déviation par rapport à une norme biomédicale. Le docteur Tampieri conclut qu’il y a de l’hypertrophie des massifs articulaires postérieurs au niveau L4-L5 entraînant une sténose spinale significative. Le docteur Pauyo note également dans son rapport final une sténose spinale significative. La littérature médicale déposée par l’employeur qualifie cette hypertrophie comme étant une déviation par rapport à la norme biomédicale.
[48] Il reste maintenant à déterminer si la déficience a une incidence sur l’apparition ou la production de la lésion professionnelle ou sur ses conséquences. À cet égard, la nature et la gravité du fait accidentel, le diagnostic initial et l’évolution des diagnostics, la durée de la période de consolidation de la lésion, la compatibilité entre le plan de traitement prescrit et le diagnostic reconnu, l'existence ou non de séquelles, l'âge du travailleur sont des facteurs à considérer. Aucun de ces paramètres n'est à lui seul décisif, mais pris ensemble, ils permettent d’apprécier le bien-fondé de la demande de l'employeur[3].
[49] L’employeur ne prétend pas que la déficience du travailleur a contribué à la survenance de la lésion professionnelle. Il allègue plutôt que celle-ci en a aggravé les conséquences. Elle a prolongé de façon indue la période de consolidation.
[50] Dès le départ, les notes médicales ne rapportent pas de signes de sciatalgie. Par contre à partir du 17 novembre 2008, un médecin observe des symptômes et des signes de sciatalgie. De plus, le docteur Pauyo indique le 26 mai 2009 que les problèmes cliniques du travailleur sont plutôt reliés à l’entorse lombaire et non aux hernies discales et à la sténose spinale. Enfin, les traitements reçus par le travailleur ont été prodigués en raison de son entorse lombaire.
[51] Par ailleurs, la lésion professionnelle a été consolidée le 29 avril 2009, soit 170 jours après sa survenance. La preuve démontre que la durée de la consolidation dépasse largement la période prévisible pour une entorse lombaire. En effet, le docteur Osterman indique qu’elle est habituellement de 35 jours pour une entorse lombaire simple.
[52] Toutefois, le tribunal souligne que la lésion professionnelle n’a entraîné ni atteinte permanente à l’intégrité physique, ni limitations fonctionnelles.
[53] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles estime que la déficience affectant le travailleur a eu une incidence sur les conséquences de sa lésion professionnelle sans influer sur la survenance de celle-ci. Elle a prolongé la période de consolidation de façon significative. Par ailleurs, le tribunal note que la lésion professionnelle a rendu symptomatique la condition personnelle préexistante.
[54] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles accorde un partage de coûts de l’ordre de 25 % au dossier de l’employeur et de 75 % à l’ensemble des employeurs.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête du Centre hospitalier Royal Victoria, l’employeur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité au travail rendue le 29 janvier 2010 à la suite d'une révision administrative;
DÉCLARE que 25 % du coût des prestations versées en raison de la lésion professionnelle subie par monsieur Oscar Porras Aguilar, le travailleur, le 10 novembre 2008 doit être imputé au dossier du Centre hospitalier Royal Victoria et 75 % à l’ensemble des employeurs.
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Esther Malo |
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