Shank et Construction Gamarco inc. |
2010 QCCLP 5494 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Sherbrooke |
Le 22 juillet 2010 |
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Région : |
Estrie |
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Dossier CSST : |
134374503 |
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Commissaire : |
Michel-Claude Gagnon, juge administratif |
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Membres : |
Bertrand Delisle, associations d’employeurs |
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Pierre Beaudoin, associations syndicales |
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Assesseur : |
Daniel Couture, médecin |
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Partie requérante |
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et |
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Construction Gamarco inc. Constructions Demers & Thériault (F) Constructions Orbitek Entreprises Maurice Dostie (Les) Entreprises Steve Côté (Les) Montréal enduits acryliques inc. Nelson Béland inc. Peintres Multicouleurs inc. (Les) Plâtre Er Fort inc. (F) Rimor Construction inc. Systèmes intérieurs B. Lehoux inc. |
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Parties intéressées |
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[1] Le 25 juin 2009, monsieur Bertrand Shank (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 25 mai 2009 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST infirme la décision rendue le 2 avril 2009 et déclare que le travailleur n’a pas subi, le 20 janvier 2009, une lésion professionnelle à titre de maladie professionnelle et qu’il n’a pas droit aux prestations prévues.
[3] Le travailleur est présent à l’audience tenue le 20 mai 2010. L’employeur est représenté.
[4] La représentante de l’employeur demande de suspendre le traitement du dossier 385580-05-0908 et de le réinscrire au rôle aussitôt que la décision dans la présente affaire aura été rendue. Dans l’hypothèse d’une décision refusant la maladie professionnelle, l’employeur demande de déclarer sans objet sa contestation dans le dossier 385580-05-0908.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le travailleur demande de reconnaître la maladie professionnelle telle qu’elle avait été reconnue initialement par la CSST.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[6] Le tribunal retient les éléments de preuve qui apparaissent pertinents à la présente révision.
[7] Le travailleur, qui est âgé de 49 ans au moment de la réclamation du 17 mars 2009, occupe l’emploi de plâtrier-cimentier depuis 33 ans.
[8] Il occupe cet emploi chez l’employeur Systèmes intérieurs B. Lehoux inc. depuis le mois de septembre 2008 selon un horaire de travail de 40 heures par semaine.
[9] Le 31 octobre 2008, le travailleur subit un accident du travail qui entraîne des lésions au dos, épaules, cou et coude et l’ouverture du dossier CSST 134061506.
[10] À l’intérieur de la période de traitement de cette lésion, le travailleur est opéré par le docteur Jean-François Nootens le 19 janvier 2009 pour une ténosynovite ou « trigger finger » du 4e doigt de la main droite tandis que le 24 février 2009, il est opéré pour ténosynovite ou « trigger finger » du pouce gauche.
[11] Le 17 mars 2009, le travailleur remplit une réclamation pour faire reconnaître une maladie professionnelle pour les problèmes qui touchent le 4e doigt de la main droite et le pouce gauche.
[12] Le 1er mai 2009, le docteur Nootens consolide les lésions et confirme que celles-ci entraînent une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
[13] Le 21 avril 2010, le docteur François Turcotte examine le travailleur à la demande de l’employeur et remplit une expertise écrite pour donner son opinion concernant la relation entre un « trigger finger » du pouce gauche et du 4e doigt droit et le travail de plâtrier-cimentier.
[14] Il décrit le poste de travail occupé par le travailleur depuis septembre 2008 et reprend l’histoire occupationnelle du travailleur à titre de plâtrier-cimentier. Il rapporte que le travailleur a ressenti des douleurs à sa main droite depuis 2 à 4 ans alors que les douleurs au pouce gauche remontent à 2 ans et demi.
[15] Au niveau des antécédents, il retient que la maladie de Dupuytren du travailleur est présente depuis une quinzaine d’années. Il retient que le travailleur conserve une atteinte permanente pour les deux conditions, mais aucune limitation fonctionnelle.
[16] Quant au lien de causalité entre les différentes pathologies et le métier effectué par le travailleur il s’exprime ainsi :
Considérant que de son nom historique, la ténosynovite sténosante (appelé doigt gachette ou Trigger Finger) est inappropriée parce que les études histologiques ne démontre pas d’inflammation.
Considérant que l’étiologie des doigts gachettes est idiopathique ou inconnue et se retrouvent autant chez les cols bleus que les cols blancs.
Considérant que ceux qui ont plus d’un doigt gachette ont 3 fois plus de chance d’en avoir un autre, comme s’il y avait une prédisposition.
Considérant que l’index est rarement touché, soit seulement 10 %, alors que c’est un doigt très sollicité dans la pince pouce-index.
Considérant que les études souvent citées dans NIOSH pour les LATR au niveau des poignets - mains - doigts, soit les tunnels carpiens/tendinite des poignets/tendinites De Quervain, n’ont très peu ou pas retrouvé de doigt gachette, comme si les facteurs de l’étiologie de Trigger Finger / doigt gachette.
Considérant que pour relier un doigt gachette au travail, il faut un outil percutant/étroit ou faisant une pression directement ou indirectement sur la poulie dans des cycles de travail répétitif et avec force ou posture contraignante sur la poulie incriminée.
Considérant que le travailleur a développé des blocages à l’annulaire droit et au pouce gauche alors qu’il est en arrêt de travail. On ne peut pas dire que son travail a rendu symptomatique une condition personnelle.
Considérant qu’il a développé ces deux Trigger Finger autour de 50 ans, ce qui correspond à l’âge habituel des doigts gachettes d’origine idiopathique.
Considérant que la poignée du porte-mortier et de la truelle sont arrondies et non percutantes au niveau des poulies tant du pouce gauche que de l’annulaire droit.
Considérant que la forme de ces poignées redistribue la force sur toutes les poulies, tant du pouce gauche que de l’annulaire droit ainsi que des autres doigts.
Considérant que la poignée du couteau à plâtre est différente, mais ne peut être qualifiée de percutante ou avec manche étroit faisant pression sur les poulies tant de l’annulaire droit que du pouce gauche, bien qu’il utilise cet outil dans la main droite.
Considérant que les étapes de préparation des murs et/ou de sablage de finition impliquent peu de force et correspondent à environ 50 % de son temps de travail.
Considérant que le travailleur fait ce métier depuis l’âge de 15 ans, s’il y avait eu les facteurs de risques pour développer des Trigger Finger tant au pouce gauche qu’à l’annulaire droit, il aurait développé ces pathologies bien avant.
Considérant une maladie personnelle de Dupuytren dont l’étiologie est aussi inconnue, mais qui peut partager partiellement la pathophysiologie des doigts gachettes, en ce sens qu’il y a une prolifération de tissus inadéquats et désordonnés.
Dans ce contexte, je recommande de refuser la relation entre un Trigger Finger au pouce gauche et à l’annulaire droit, tant pour l’événement du 20 janvier 2009 que celle du 30 octobre 2008.
[sic]
[17] À l’audience, le travailleur apporte ses outils de travail et mime les gestes effectués avec sa main gauche et sa main droite dans le cadre de son travail de plâtrier-cimentier.
[18] Quand il manipule le porte-mortier, il dit que celui-ci est directement appuyé sur son pouce gauche et le travailleur doit le tenir à angle afin d’éviter que le ciment ne coule pas au sol. Il tient avec la main droite le couteau et la truelle. Lorsqu’il fait l’épandage du ciment, il exerce une pression afin d’étendre uniformément le ciment et son 4e doigt est appuyé sur la poignée pour compléter la manœuvre.
[19] Il souligne d’ailleurs qu’à force d’exercer une pression avec l’index droit de sa main, celui-ci s’est déformé comme le tribunal peut le constater.
[20] Il confirme qu’il a remarqué des bosses dans ses mains depuis au moins 5 ans.
[21] Quant aux périodes associées au développement des symptômes au pouce gauche et au 4e doigt de la main droite, il confirme sensiblement ce qui est reproduit à l’expertise du 21 avril 2010.
[22] Il pouvait ressentir à l’occasion un « clic » au pouce gauche et au 4e doigt droit sans que ceux-ci barrent complètement. Son pouce gauche a barré avec le temps et par la suite son 4e doigt droit, ce qui a justifié les opérations pratiquées.
[23] Le travailleur n’a pas repris l’emploi de plâtrier-cimentier depuis ce temps et une troisième chirurgie sera effectuée bientôt pour son 3e doigt gauche.
[24] Le docteur Turcotte témoigne à l’audience. Il souligne que la ténosynovite ou le « trigger finger » ou le doigt gâchette ne constitue pas une maladie inflammatoire même si les livres de doctrine médicale réfèrent à une terminologie qui suggère une maladie inflammatoire.
[25] Il précise que selon lui aucune référence n’est fournie dans les livres de doctrine afin de démontrer une pathologie microscopique de type inflammatoire. Il s’agit plutôt d’une métaplasie fibrocartilagineuse dont la cause est inconnue. Deux mécanismes de production sont rapportés en relation avec ce type de pathologie.
[26] Le premier est associé à la formation d’un nodule dans le centre du tendon qui bloque dans la poulie A1. L’autre mécanisme, moins controversé, est associé à un épaississement à l’intérieur de la poulie qui amène une disproportion entre le tendon et la poulie et provoque un blocage dans le canal.
[27] Il précise que, selon la littérature médicale, une personne atteinte à deux doigts a trois fois plus de chance de développer un autre doigt gâchette. Il fait une revue de diverses littératures médicales déposées[1] à l’audience. Il précise que le « trigger finger » peut être associé à une maladie de Dupuytren. Une de ces littératures médicales porte sur une revue de 273 références. Aucune conclusion définitive ne permet d’établir une relation entre l’utilisation des doigts et un problème de doigt gâchette. Le tout demeure hypothétique dans un contexte théorique.
[28] Il cite l’étude de Zelle et Schnepp[2] qui démontre que les doigts gâchettes peuvent être retrouvés dans la population des tailleurs. Dans le résumé de cette étude, il est indiqué que cette pathologie se retrouve dans les métiers qui sollicitent les tendons des doigts. En plus des tailleurs, les chercheurs donnent en exemple, les pianistes, dactylographes, préposés à la tenue de livres, préposés aux chambres, travailleurs d’usine et commis.
[29] Le docteur Turcotte émet l’hypothèse que dans le cas des métiers de tailleurs, ceux-ci manipulent des manches plus étroits qui percutent la poulie des tendons fléchisseurs des doigts.
[30] Il précise que dans l’étude de Rosenthal[3], il est aussi question de travailleurs qui manipulent continuellement un outil dont le manche est étroit. La compression sur la poulie se fait avec un objet dur comme un ciseau ou une boule de quille.
[31] Une seule étude a été effectuée dans un contexte occupationnel, à savoir l’étude de Gorsche[4]. Dans cette étude, le diagnostic de « trigger finger » a été retenu chez 14 % des travailleurs ayant fait l’objet d’une première évaluation.
[32] Il est indiqué que le risque relatif de développer un « trigger finger » est augmenté de 4,7 fois par l’utilisation d’un outil manipulé dans la main par rapport aux travailleurs qui n’utilisent pas d’outils. Des limites sont notées quant à l’interprétation à donner aux données recueillies en fonction du taux de roulement du personnel, car 33 % des travailleurs examinés initialement ne pouvaient être revus lors du second examen puisqu’ils avaient quitté l’entreprise.
[33] Une prédominance est notée chez les travailleurs d’origine asiatique et l’âge n’a pas d’incidence sur le développement de la pathologie selon l’échantillonnage retenu.
[34] Les chercheurs soulignent cependant que la population de leur étude est constituée de jeunes mâles en santé dont l’âge moyen est de 32,6 ans contrairement à la population rapportée dans d’autres études qui est constituée de femmes âgées.
[35] Ils retiennent également que d’autres études pourraient approfondir l’impact que peut avoir le type d’outils manipulés, la force et la durée de la préhension et l’utilisation de gants dans le développement d’un « trigger finger ».
[36] Les chercheurs de l’étude de Gorsche [5] réfèrent également à l’étude de Moore et Garg[6] qui associe les cas de « trigger finger » à un emploi relié à la coupe de la viande dans une usine de transformation du porc. Le travail analysé implique la préhension statique d’un couteau d’un poids de 2 livres dont la lame se déplace à haute vitesse (wizard knife).
[37] Dans l’étude de J Steven Moore[7], ce dernier reprend les résultats obtenus dans la recherche de Moore et Garg[8] qui démontre cette association entre l’emploi d’operateur d’un couteau dont la lame se déplace à haute vitesse (wizard knife operator) et le « trigger finger ». Il est question d’un emploi qui implique la préhension d’un couteau avec la main droite.
[38] Commentant cette étude, le docteur Turcotte relate que les « wizard knife operator » travaillent dans un contexte de répétitions de mouvements très élevées avec une force de préhension importante.
[39] La revue des commentaires des auteurs de cette étude confirme que l’emploi de « wizard knife operator » implique une préhension constante de l’outil avec la main droite accompagnée d’une légère force tandis que l’outil est manipulé 11,6 fois par minute alors que le poignet est en position neutre et que la vitesse du travail est rapide.
[40] Afin d’établir une comparaison avec les données ressorties dans l’étude de Gorsche, le docteur Turcotte précise que l’étude de Niosh[9], souvent citée devant les tribunaux administratifs, retient, pour d’autres pathologies telles que le tunnel carpien, qu’un travailleur a deux fois plus de chance de développer ce problème lorsqu’un facteur de risques est présent et 14 fois plus de chance si deux facteurs de risques sont démontrés. Par contre, l’étude de Niosh ne traite aucunement des cas de « trigger finger ».
[41] En résumé, le docteur Turcotte retient que pour reconnaître un « trigger finger » à titre de lésion professionnelle, il faut démontrer une association de facteurs de risques, mais plus particulièrement que le travail implique la manipulation d’outils présentant un manche particulier, étroit, percutant, contondant faisant une pression directement ou indirectement sur la poulie du doigt.
[42] Appelé à préciser ce que signifie un objet avec un manche contondant, il précise qu’il s’agit d’un objet avec un manche étroit et une arête importante comme celle que l’on retrouve sur le coin d’une table. Il retient que dans le cas des outils manipulés par le travailleur, la forme cylindrique de ceux-ci exerce une pression qui se répartit sur l’ensemble des tissus, dont la peau et l’ensemble des poulies.
[43] L’objet doit mettre une pression directement sur la poulie A-1 et doit « travailler » ou « gosser » l’intérieur de la poulie. Pour le porte-mortier, il précise qu’il n’a pas l’impression, à la revue de la dernière photo déposée sous la pièce E4, qu’une pression est exercée sur la poulie A-1.
[44] En ce qui a trait à l’annulaire droit, il considère que la poignée des outils utilisés est arrondie et n’est pas dommageable pour cette poulie. Pour ce qui est de l’aspect crochu de l’index droit, il avance que le travailleur a déjà eu une fracture selon les propos qu’il a recueillis de ce dernier. Le travailleur nie cependant avoir eu une telle fracture et souligne qu’il a probablement été mal compris par le docteur Turcotte.
[45] Au dossier, le docteur Boivin relate une fracture de la main droite à son expertise du 19 mars 2009. Le docteur Turcotte rapporte le 21 avril 2010 une fracture de la main droite au niveau des os du carpe ou 3e métacarpe ainsi qu’une fracture de l’index droit (« mallet finger »).
[46] Le docteur Turcotte retient que la cause du « trigger finger » demeure inconnue même si cette pathologie peut se retrouver chez des individus qui présentent des conditions personnelles et génétiques non identifiées. Ces mêmes conditions pouvant être rendues symptomatiques par un travail qui présente les trois facteurs de risques reliés à la force, la répétition et à la posture sur des périodes de temps prolongées sans période de repos.
[47] Dans ce contexte, il retient que monsieur Shank est à l’âge habituel (50 ans) pour développer un tel problème et que s’il avait eu à développer un « trigger finger » sous la forme d’une maladie professionnelle, celle-ci se serait manifestée durant les premières années de travail.
[48] Il retient que le porte-mortier, la truelle et les couteaux utilisés n’exercent pas une compression sur les poulies du pouce gauche ou du 4e doigt droit et que 50 % du temps de travail est consacré à la préparation et à la finition, ce qui démontre qu’il ne s’agit pas d’une maladie professionnelle.
[49] Il rajoute que les outils ne présentent pas les caractéristiques des objets contondants qui peuvent causer un « trigger finger ».
[50] Quant aux mouvements répétitifs, il retient que le travailleur n’en fait pas même si le cycle n’a pas été calculé spécifiquement. Il retient aussi que le travailleur ne fait pas de mouvements répétitifs de flexion/extension du pouce gauche ou du 4e doigt droit avec l’outil que le travailleur juge préjudiciable.
[51] Sous cet aspect, le tribunal constate, selon les gestes mimés par le travailleur, qu’il effectue une flexion statique avec force du pouce gauche et du 4e doigt droit contre résistance pour maintenir les poignées du porte-mortier, de la truelle et des couteaux.
[52] Dans notre affaire, il souligne que le travailleur est porteur d’une maladie personnelle, à savoir une maladie de Dupuytren, qui prédispose le travailleur à développer un « trigger finger ».
[53] Il n’est pas d’accord avec le docteur Nootens lorsqu’il observe un état inflammatoire des tissus au protocole opératoire du 20 janvier 2009. Il avance l’hypothèse qu’il s’agit plutôt d’une métaplasie cartilagineuse en l’absence d’une analyse microscopique.
[54] Il rajoute que le docteur Nootens ne fait aucune mention d’un état inflammatoire au protocole opératoire du 24 février 2009.
[55] Il précise que le travailleur effectue ce travail depuis 35 ans et qu’il ne s’agit donc pas d’un nouveau travail ou d’un travail inhabituel.
L’AVIS DES MEMBRES
[56] Les membres issus des associations d’employeurs et syndicales sont d’avis de reconnaître les « trigger finger » au pouce gauche et au 4e doigt droit à titre de maladie professionnelle reliée au travail de plâtrier-cimentier.
[57] La revue de la littérature médicale produite et de différents témoignages entendus permet de reconnaître que le travailleur effectue des mouvements à risques qui sollicitent son pouce gauche et son 4e doigt droit d’une manière préjudiciable plus particulièrement lorsqu’il tient le porte-mortier avec le poids du ciment et qu’il doit maintenir celui-ci avec un angle pour s’assurer que le ciment ne tombe pas au sol et lorsqu’il exerce une pression avec sa main droite pour étendre le ciment avec la truelle.
[58] Ces mouvements de pression se déroulent sur des périodes de temps prolongées, tout au long du quart de travail puisqu’ils représentent au moins 50 % du temps de travail.
[59] Le membre issu des associations d’employeurs tient cependant à souligner que la condition personnelle du travailleur a joué un rôle important dans le développement de la maladie professionnelle et que la lésion doit être reconnue dans ce contexte.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[60] La Commission des lésions professionnelles doit décider si les ténosynovites ou « trigger finger » du pouce gauche et du 4e doigt droit constituent des maladies professionnelles reliées aux risques particuliers du travail de plâtrier-cimentier.
[61] Le tribunal tient à préciser initialement qu’il n’a pas à questionner les diagnostics de ténosynovites posés par le médecin du travailleur, diagnostics liants pour la présente analyse.
[62] L’amorce d’analyse effectuée afin de démontrer que la ténosynovite ne constitue pas une maladie inflammatoire mais une métaplasie fibrocartilagineuse ne saurait constituer une preuve permettant de revoir la terminologie utilisée par la doctrine médicale depuis plusieurs années ni réformer ce qui est ou non inclus à titre de maladies musculosquelettiques prévues à l’annexe des maladies professionnelles.
[63] Le tribunal doit décider en fonction des principes édictés par Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[10] (la loi) et procéder à une analyse fondée sur la balance des probabilités juridiques dans un contexte de droit administratif par opposition aux principes de certitudes médicales.
[64] Ce qui ne signifie pas pour autant que le tribunal puisse se contenter de spéculations, d’hypothèses ou de théories qui n’ont pas reçu un assentiment significatif dans le monde médical[11].
[65] Les données, études, recherches ou opinions à caractère scientifique doivent être appréciées d’une manière à évaluer dans quelle mesure celles-ci s’appliquent au cas particulier à évaluer et faire ressortir ce qui apparaît prépondérant pour la révision du dossier.
[66] Pour exercer entièrement son pouvoir de décider d’une maladie professionnelle et de décider du lien de causalité avec un travail, le tribunal doit administrer une preuve qui tient compte de l’ensemble des faits qui doivent être suffisamment graves, précis et concordants[12].
[67] Le législateur définit initialement la maladie professionnelle par l’article 2 de la loi:
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[68] La ténosynovite constitue une maladie professionnelle prévue à la section IV de l’annexe 1 des maladies professionnelles et qui peut donner droit aux bénéfices de la présomption de maladie professionnelle prévue par l’article 29 de la loi.
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
__________
1985, c. 6, a. 29.
[69] Le fardeau de la preuve incombe au travailleur afin de démontrer qu’il peut bénéficier de la présomption de maladie professionnelle prévue par l’article 29 de la loi.
[70] La représentante de l’employeur demande de ne pas appliquer celle-ci en l’absence de démonstration de mouvements répétitifs des fléchisseurs de l’annulaire droit et du pouce gauche.
[71] Selon la section IV de l’annexe 1 des maladies professionnelles, le travailleur peut se prévaloir de la présomption de maladie professionnelle lorsque la maladie identifiée est une ténosynovite si le travail exercé implique des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées.
[72] Comme la preuve ne permet pas d’établir une répétition de mouvements puisque le cycle n’a pas été calculé précisément, comme le souligne le docteur Turcotte, la présomption ne peut s’appliquer pour cette première condition.
[73] Cependant, il est démontré après analyse de la preuve que le travailleur exerce des pressions dans les zones anatomiques pour lesquelles des ténosynovites ont été diagnostiquées. Le travailleur exécute des mouvements de préhension en maintenant son 4e doigt droit et son pouce gauche en flexion statique avec force contre résistance pour tenir les poignées du porte-mortier, de la truelle et des couteaux.
[74] Si la pression sur les poulies du pouce gauche et du 4e doigt droit peut se faire, comme le souligne l’étude de Rosenthal, avec un manche dur comme un ciseau ou une boule de quille, force est de constater que les auteurs de ces études ne donnent pas une description aussi restrictive que celle reprise par le docteur Turcotte quant à forme de l’objet qui peut comprimer les poulies.
[75] Une boule de quille a sûrement une surface encore plus arrondie que celle qui peut être observée sur la poignée d’un porte-mortier, couteau ou truelle et certainement pas la surface contondante d’un coin de table.
[76] Dans ce contexte, en l’absence d’une mesure spécifique des pressions exercées par les outils manipulés par le travailleur, le tribunal retient qu’il est certainement démontré d’une manière prépondérante que le travailleur tient des manches durs comme ceux qui caractérisent le porte-mortier, truelle et couteau.
[77] Il est d’autant plus spéculatif d’orienter le dossier en tentant d’établir une distinction entre ce qui peut ou pas exercer une pression sur la poulie A-1 du pouce gauche et du 4e doigt droit alors que les parties anatomiques concernées sont de dimensions telles que pour en venir à faire ce type de distinction, une démonstration avec des appareils sophistiqués serait requise.
[78] Il ne semble aucunement justifié, après analyse des gestes mimés, d’en venir à un tel niveau de sophistication alors qu’il apparaît évident que les outils manipulés viennent en appui sur les zones concernées.
[79] La manipulation de tels outils, que ce soit par la pression exercée avec le 4e doigt de la main droite pour étendre le ciment que par celle exercée par le pouce gauche pour tenir le porte-mortier afin que le ciment ne tombe pas, confirme l’exécution de mouvements de pression tels qu’ils sont prévus à la présomption de maladie professionnelle de l’article 29 de la loi.
[80] En l’absence de concordance avec les littératures médicales déposées en preuve, le tribunal ne peut retenir les interprétations du docteur Turcotte quant à la forme de l’outil et la définition de ce qui peut être ou non contondant.
[81] D’ailleurs, la seule étude occupationnelle citée[13] confirme que l’impact sur le développement d’un « trigger finger », selon le type d’outil manipulé, devrait être exploré plus à fond dans des recherches ultérieures, ce qui confirme donc selon la preuve produite que l’état actuel de la science médicale ne fait pas une telle distinction.
[82] Le tribunal retient de la preuve que les mouvements décrits attestent que le travailleur effectue des pressions au niveau des parties anatomiques lésées lors de la préhension avec force en flexion statique contre résistance du 4e doigt droit et du pouce gauche pour tenir les poignées en maintenant des postures particulières puisque l’outil s’appuie avec un angle sur le pouce gauche ou le 4e doigt droit, tant lors de la manipulation du porte-mortier que de la truelle ou du couteau.
[83] Ceci confirme que les poignées des outils maintenues avec des angles exercent des pressions qui sont non pas réparties sur l’ensemble des poulies des fléchisseurs, mais en appui plus particulièrement sur celle du pouce gauche et du 4e doigt droit.
[84] Selon les gestes mimés, le tribunal retient que les parties anatomiques comprimées correspondent sensiblement aux poulies A-1 du pouce gauche et du 4e doigt droit.
[85] En plus, le travailleur effectue un mouvement de va-et-vient avec la truelle et le couteau pour prendre le ciment avec le porte-mortier qu’il tient en préhension forcée pour l’étendre par la suite. Ces tâches ont été exercées sur une période de 35 ans.
[86] Le travailleur exerce de telles pressions au niveau des poulies du pouce gauche et du 4e doigt droit pendant des périodes de temps prolongées puisque la moitié de son temps de travail est consacrée à étendre le ciment alors que l’autre moitié l’est pour préparer le ciment et faire la finition.
[87] Le tribunal conclut, à l’instar de ce qui avait été retenu initialement par la CSST le 2 avril 2009, que le travailleur a démontré que la présomption prévue par l’article 29 de la loi pouvait s’appliquer en l’espèce puisque l’ensemble des circonstances est grave, précis et concordant et que cette présomption n’a pas été renversée par la preuve soumise par l’employeur.
[88] Même si la présomption de maladie professionnelle n’avait pas trouvé application, le tribunal aurait également reconnu la lésion professionnelle en raison de la preuve offerte qui confirme la présence d’une combinaison de facteurs de risques reliés au travail de plâtrier-cimentier.
[89] Le travailleur effectue une préhension statique avec force des poignées, des outils manipulés puisqu’il doit maintenir le poids du ciment sur le porte-mortier ou exercer une force lorsqu’il étend le ciment avec la truelle ou le couteau afin d’assurer que la surface soit lisse. Il exerce donc une pression sur les poulies du pouce gauche et du 4e doigt droit en maintenant à angle les différents outils pendant des périodes de temps prolongées qui représentent au moins 50 % de son temps de travail.
[90] Ces facteurs de risques sont suffisants pour causer une ténosynovite au pouce gauche et au 4e doigt droit et reconnaître la maladie professionnelle selon l’article 30 de la loi.
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
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1985, c. 6, a. 30.
[91] Il est possible que la condition personnelle du travailleur, à savoir la maladie de Dupuytren, ait eu un impact sur le développement de la maladie professionnelle du travailleur, mais le tribunal ne peut en mesurer l’impact réel dans le contexte de la présente affaire.
[92] Cependant, il n’en demeure pas moins que la maladie professionnelle doit être reconnue et que la relation entre la condition personnelle et la maladie professionnelle pourra être évaluée ultérieurement pour le dossier 385580-05-0908.
[93] Quant à l’âge du travailleur, aucune preuve n’est effectuée afin de démontrer qu’il ne peut contracter une maladie professionnelle à l’âge de 50 ans et que le fait de ne pas avoir développé une maladie au cours des premières années de sa carrière de plâtrier-cimentier puisse faire obstacle à la reconnaissance d’une maladie professionnelle.
[94] D’ailleurs sous cet aspect, l’étude de Gorche[14] ne permet pas de tirer de telles conclusions puisque l’échantillonnage est composé de travailleurs dont la moyenne d’âge se situe à 32,6 ans et cette étude n’a aucunement la prétention d’établir une comparaison avec un autre échantillonnage de travailleurs âgés de 50 ans.
[95] Le fait que le travailleur ait maintenant des problèmes au niveau des autres poulies de ses mains se situe également très bien dans ce qui a été repris par le docteur Turcotte en référence à la littérature médicale. Une personne atteinte de deux doigts gâchettes a trois fois plus de chance de développer par la suite d’autres doigts gâchettes et cela n’élimine aucunement l’origine professionnelle à attribuer au développement des premiers doigts gâchettes.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Bertrand Shank;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 25 mai 2009 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que les ténosynovites du pouce gauche et du 4e doigt droit constituent des maladies professionnelles et que le travailleur a droit aux prestations prévues par la loi;
DEMANDE AU GREFFE DU TRIBUNAL de réinscrire au rôle le dossier 385580-05-0908 afin qu’une décision puisse être rendue concernant le dossier en matière de financement.
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Michel-Claude Gagnon |
Me Émilie Lessard |
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A.P.C.H.Q. - SAVOIE FOURNIER |
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Représentante de Construction Gamarco inc. |
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Me Sylvain Lamontagne |
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LEBLANC LAMONTAGNE ET ASSOCIÉS |
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Représentant de Rimor Construction inc. |
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Me Émilie Lessard |
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A.P.C.H.Q. - SAVOIE FOURNIER |
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Représentante de Systèmes intérieurs B. Lehoux inc. |
[1] SP SAMPSON, MA BADALAMENTE, LC HURST et J SEIDMAN, Pathobiology of the human A1 pulley in trigger finger, Department of Orthopaedics, School of Medecine, State University of New York, Stony Brook 11794-8181; A.J.H. TREZIES, A.R. LYONS, K. FIELDING et T.R.C. DAVIS, Is occupation an aetiological factor in the development of trigger finger?, From the Department of Orthopaedic and Accident Surgery, Queen’s Medical Centre and the Trent Institute for Health Services Research, University of Nottingham Medical School, Nottingham, UK, Journal of Hand Surgery (British and European Volume, 1998); J. Steven MOORE, Flexor Tendon Entrapment of the Digits (Trigger Finger and Trigger Thumb), From the NSF Industry/University Cooperative Research Center in Ergonomics at Texas A&M University, p. 526 à 545; Ron GORSCHE, J. Preston WILEY, Ralph RENGER, Rollin BRANT, Tara Y. GEMER et Treny M. Sasyniuk, Prevalence and Incidence of Stenosing Flexor Tenosynovitis (Trigger Finger) in a Meat-Packing Plant, From the Departments of Community Health Science and Family Medecine (Dr Gorsche), the Department of Community Health (Dr Brant), Faculty of Medecine, and the faculty of Kinesiology (Dr Wiley, Ms Gemer, Ms Sasyniuk), Sport Medecine Center, The University of Calgary, Calgary, Alberta, Canada and the Arizona Prevention Center, College of Medecine, University of Arizona, Tucson, Ariz. (Dr Renger).
[2] OL ZELLE, KH SCHNEPP, Snapping thumb: tendovaginitis steonsans, Am J Surg, 1936; 33: p. 321-322.
[3] EA ROSENTHAL, Tenosynovitis; tendon and nerve entrapment, Hand Clin, 1987; 3: p. 585-609.
[4] R GORSCHE, JP WILEY, R RENGER, Brant R, TY GEMER and TM SASYNIUKL, Prévalence and incidence of stenosing flexor tenosynovitis (trigger finger) in a meatpacking plant, J Coccup Environ Med, 1998; 40: p. 556-560.
[5] Id.
[6] JS MOORE, A. GARG, “Upper extremity disorders in a pork processing plant : relationships between job risk factors and morbidity”, Am Ind Hyg Assoc J. 1994; 55: 703-715.
[7] J. Steven MOORE, op. cit., note 1.
[8] Op. cit., note 6.
[9] UNITED STATES, DEPARTMENT OF HEALTH AND HUMAN SERVICES, PUBLIC HEALTH SERVICE, CENTERS FOR DISEASE CONTROL AND PREVENTION et Bruce P. BERNARD, Musculoskeletal Disorders and Workplace Factors : A Critical Review of Epidemiologic Evidence for Work-Related Musculoskeletal Disorders of the Neck, Upper Extremity, and Low Back, Washington, NIOSH, 1997, pag. multiple.
[10] L .R.Q., c. A-3.001.
[11] Hardy et Océan Construction inc., [2006] C.L.P. 1006 .
[12] Gratton c. Commission des lésions professionnelles, [1999] C.L.P. 187 (C.S.).
[13] Op. cit., note 4.
[14] Op. cit., note 4.
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