Bossé et Mirinox |
2009 QCCLP 7512 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 20 mars 2009, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle réclame la révision ou la révocation d’une décision rendue par le premier juge administratif le 9 février 2009.
[2] Par celle-ci, le premier juge administratif accueille la contestation de madame Sylvie Bossé (la travailleuse) et il déclare qu’elle a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu au-delà du 9 mai 2007 et ce, jusqu’au 10 novembre 2007.
[3] La CSST ayant réclamé la tenue d’une audience, celle-ci a lieu à Québec, le 20 octobre 2009, en présence de la travailleuse, de Me Édith Bellemare, représentante de celle-ci, et de Me Marie-Anne Lecavalier, représentante de la CSST.
[4] L’employeur ne se présente pas à cette audience et il n’y est pas représenté. La Commission des lésions professionnelles a donc procédé sans ce dernier.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[5] La représentante de la CSST demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision rendue par le premier juge administratif et de déclarer que la travailleuse a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu, au-delà du 9 mai 2007 et ce, jusqu’au 18 mai 2007.
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Conformément à l’article 429.50 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), la soussignée recueille l’avis des membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sur la question soulevée par la présente requête.
[7] Les membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sont d’avis qu’il y a lieu de rejeter la requête en révision déposée par la CSST.
[8] En effet, les membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs estiment qu’aucun motif de révision n’a été démontré par la représentante de la CSST. Ils soulignent que la décision attaquée est bien motivée et que l’interprétation mise de l’avant par le premier juge administratif est supportée par la preuve et n’est pas dénuée de tout fondement. Enfin, les membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs remarquent que, par sa requête, la CSST tente d’introduire de nouveaux arguments, ce qu’elle ne peut faire au stade de la révision.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[9] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la décision rendue par le premier juge administratif doit être révisée comme le réclame la CSST.
[10] D’entrée de jeu, la Commission des lésions professionnelles rappelle que les décisions rendues par le Tribunal sont finales et sans appel[2].
[11] Cependant, l’article 429.56 de la loi permet à la Commission des lésions professionnelles de réviser ou de révoquer une décision qu’elle a rendue lorsqu’une partie lui en fait la demande et lorsque les conditions qui y sont énoncées sont respectées, à savoir lorsqu’il est découvert un fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente, lorsqu’une partie n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre, ou lorsqu’un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
[12] Dans sa requête, la CSST invoque le vice de fond et elle soutient que le premier juge administratif a commis des erreurs manifestes et déterminantes qui entachent la décision dont elle demande la révision.
[13] Or, cette notion de vice de fond a fait l’objet d’une interprétation constante et unanime de la part de la Commission des lésions professionnelles depuis son introduction à la loi. Elle réfère à l’erreur manifeste de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur le sort du litige[3].
[14] La Cour d’appel du Québec reprend avec approbation les principes dégagés par la jurisprudence du Tribunal et elle précise le rôle de la Commission des lésions professionnelles en matière de révision et de révocation et le niveau de preuve requis afin de conclure à la présence d’une erreur manifeste équivalant à un vice de fond.
[15] Ainsi, dans les décisions CSST c. Fontaine[4] et CSST c. Touloumi[5], elle invite d’abord le Tribunal à faire preuve de retenue lorsque saisi d’un recours en révision. Elle indique qu’il « ne saurait s’agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première »[6].
[16] La Cour d’appel ajoute que « le recours en révision ne doit pas être un appel sur les mêmes faits » et qu’« une partie ne peut ajouter de nouveaux arguments au stade de la révision »[7].
[17] La Cour d’appel recommande donc une certaine réserve dans l’utilisation et l’analyse de ce motif de révision et de révocation, puisque la décision rendue par le premier juge administratif fait autorité et ne devrait que très rarement être l’objet d’une intervention de la part de la Commission des lésions professionnelles.
[18] En outre, la Cour d’appel signale que la partie qui requiert la révision ou la révocation d’une décision pour un tel motif a un fardeau de preuve relativement imposant. En effet, elle doit établir l’existence d’une erreur grave, évidente et déterminante dans la décision dont elle veut obtenir la révision ou la révocation.
[19] Or, afin de bien comprendre les arguments soulevés par la CSST dans sa requête en révision, la Commission des lésions professionnelles croit opportun de dresser un bref tableau des faits sur lesquels repose la décision attaquée en l’espèce.
[20] Ainsi, la travailleuse est enceinte et elle réclame un retrait préventif. Cette requête est acceptée par la CSST qui, le 18 mai 2007, avise la travailleuse qu’elle est admissible au retrait préventif et que, comme l’employeur ne peut la réaffecter à un poste sans danger, elle a le droit de recevoir des indemnités du 3 mai 2007 au 8 décembre 2007. La CSST ajoute que ce versement peut être interrompu s’il survient une fin de contrat.
[21] Le 18 mai 2007, l’employeur congédie la travailleuse. Celle-ci dépose une plainte en vertu de l’article 227 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (L.S.S.T.)[8] et, le 17 octobre 2007, le conciliateur décideur accueille cette plainte, il annule le congédiement et il ordonne à l’employeur de réintégrer la travailleuse dans son emploi avec tous ses droits et privilèges et de lui verser une somme de 21 000 $ représentant le salaire dont elle a été privée du 19 mai 2007 au 12 octobre 2007, le tout majoré d’un montant de 4% pour tenir compte des vacances et une somme de 477,15 $ représentant le salaire encore dû en vertu de l’article 36 L.S.S.T.
[22] Entre temps, la CSST apprend que l’employeur aurait fermé ses portes le « 10 mai 2007 [sic] », donc avant le congédiement de la travailleuse.
[23] La CSST retient cette information et, le 1er avril 2008, elle rend une seconde décision concernant le retrait préventif de la travailleuse et l’indemnisation à laquelle elle a droit.
[24] La CSST rappelle que la travailleuse a cessé de travailler le 3 mai 2007 et qu’elle a le droit de recevoir des indemnités du 3 au 9 mai 2007 puisque, à compter du 10 mai 2007, l’employeur a interrompu ses activités.
[25] La travailleuse demande la révision de cette décision, mais elle est maintenue par la Révision administrative.
[26] Le litige se transporte donc devant le premier juge administratif. La CSST ne juge pas bon d’intervenir lors de l’audience tenue par la première formation. Le premier juge administratif indique que la travailleuse réclame le versement d’une indemnité au-delà du 9 mai 2007, jusqu’au 15 novembre 2007.
[27] Par la suite, la travailleuse s’applique à démontrer, documents et témoins à l’appui, que l’employeur n’a jamais fermé ses portes le 10 mai 2007. Elle établit qu’elle a été congédiée et réintégrée par le conciliateur décideur et qu’elle n’a donc pas été réaffectée entre la date de son arrêt du travail et la date de son accouchement. Enfin, elle indique que l’employeur n’a jamais versé les sommes ordonnées par le conciliateur décideur.
[28] Dans la décision dont la CSST demande la révision, le premier juge administratif rappelle qu’il doit déterminer si la travailleuse a droit à l’indemnité de remplacement du revenu au-delà du 9 mai 2007. Il cite la législation pertinente. Il note que le droit au retrait préventif est acquis et que seul le versement de l’indemnité de remplacement du revenu est en cause. Il constate que la CSST met fin au versement de cette indemnité puisqu’elle croit que l’employeur a fermé ses portes le 10 mai 2007 et que la travailleuse ne peut plus être réaffectée pour ce motif. Le premier juge administratif analyse la preuve et il conclut que cette fermeture n’est pas prouvée et que l’employeur est toujours en activité entre la date de l’arrêt du travail de la travailleuse et la date de son accouchement. Le versement de l’indemnité de remplacement du revenu ne peut donc être interrompu en raison d’une telle fermeture et il doit se poursuivre au-delà du 9 mai 2007.
[29] Après avoir conclu en ce sens, le premier juge administratif se demande jusqu’où doit s’étendre cette indemnisation.
[30] À ce sujet, il remarque que la travailleuse est congédiée le 18 mai 2007, mais que ce congédiement est annulé par le conciliateur décideur et qu’une réintégration est ordonnée avec tous les droits et les privilèges. Le premier juge administratif estime que le lien d’emploi est donc rétabli à compter du 18 mai 2007.
[31] De plus, le premier juge administratif signale que l’employeur continue ses activités, que les dangers identifiés existent toujours et que l’employeur n’a pas réaffecté la travailleuse à une tâche ne comportant pas de tels dangers.
[32] Invoquant les articles de loi pertinents, le premier juge administratif décide que la travailleuse a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’au 10 novembre 2007.
[33] La CSST demande la révision de cette décision.
[34] Dans sa requête, la représentante de la CSST soutient que le premier juge administratif commet des erreurs manifestes et déterminantes.
[35] Elle invoque, d’abord, le congédiement de la travailleuse et la décision du conciliateur décideur. Elle note que le conciliateur décideur ordonne à l’employeur de verser une certaine somme en compensation du salaire perdu, somme que l’employeur n’a jamais versé à la travailleuse. Elle rappelle les articles 260, 263 et 264 de la loi qui, en vertu de l’article 228 L.S.S.T., édictent la marche à suivre lorsqu’une telle ordonnance est émise.
[36] Ainsi, l’article 263 de la loi énonce que l’employeur doit se conformer à une ordonnance rendue par la CSST dans les huit jours de sa notification. L’article 264 de la loi précise que la travailleuse peut déposer la décision rendue par le conciliateur décideur au greffe de la Cour supérieure et que, à la suite de ce dépôt, la décision devient exécutoire comme s’il s’agissait d’un jugement final et sans appel de cette Cour. Enfin, l’article 260 de la loi nous enseigne que le montant que le conciliateur décideur ordonne de verser est dû pour toute la période comprise entre le moment où l’employeur aurait dû réintégrer ou maintenir la travailleuse à son emploi et celui de l’exécution de l’ordonnance. Le législateur ajoute que, si la travailleuse a reçu une indemnité de remplacement du revenu durant cette période, elle doit être déduite du montant à verser par l’employeur et remboursée à la CSST par cet employeur.
[37] La représentante de la CSST indique que le premier juge administratif ne pouvait ignorer l’ordonnance finale et irrévocable du conciliateur décideur et déclarer que la travailleuse avait droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu pour la même période que celle couverte par l’ordonnance.
[38] Elle allègue que le premier juge administratif ne pouvait, par l’entremise d’une contestation portant sur un congédiement illégal, faire renaître le droit à l’indemnité de remplacement du revenu en raison du retrait préventif.
[39] La représentante de la CSST estime que le conciliateur décideur règle la question de l’indemnité pour cette période et que les recours de la travailleuse ne peuvent qu’être dirigés vers l’employeur, et non vers la CSST. La décision du premier juge administratif oblige pourtant la CSST à indemniser la travailleuse.
[40] La représentante de la CSST croit que, ce faisant, le premier juge administratif se saisit d’un litige déjà réglé par le conciliateur décideur et il commet un excès de compétence équivalant à un vice de fond.
[41] De façon subsidiaire, la représentante de la CSST plaide que le premier juge administratif ne pouvait se servir de la décision du conciliateur décideur pour faire revivre rétroactivement le droit à la réaffectation prévu à la L.S.S.T.
[42] Elle explique que, à compter de son congédiement, la travailleuse n’est plus en présence des dangers identifiés au certificat de retrait préventif. Or, en déclarant que la travailleuse aurait pu être réaffectée n’eut été de son congédiement, le premier juge administratif crée une fiction juridique qui n’est aucunement supportée par le texte de la L.S.S.T. et il oblige la CSST à assumer le versement de sommes qui devraient être supportées par l’employeur selon l’ordonnance rendue par le conciliateur décideur.
[43] La représentante de la CSST invoque l’article 257 de la loi. Cet article édicte que, lorsque la CSST dispose d’une plainte, elle peut ordonner à l’employeur de réintégrer la travailleuse à son emploi avec tous ses droits et privilèges et de lui verser l’équivalent du salaire et des avantages dont elle a été privée. La représentante de la CSST considère que cet article ne prévoit pas que, à la suite de l’annulation d’un congédiement illégal, le premier juge administratif peut ordonner à la CSST de verser une indemnité en lieu et place de l’employeur.
[44] La représentante de la CSST soutient que la décision rendue par le premier juge administratif produit un résultat absurde et irrationnel puisqu’elle a pour effet de reconnaître le droit à l’indemnité de remplacement du revenu durant une période où la travailleuse n’est exposée à aucun danger puisque le lien d’emploi est rompu. Elle ajoute que cela favorise un comportement répréhensible chez l’employeur qui, d’un côté, peut négliger de se soumettre à l’ordonnance du conciliateur décideur et qui, de l’autre côté, n’en subira aucun préjudice puisque les coûts relatifs au retrait préventif sont assumés par la CSST et, en bout de piste, par tous les employeurs.
[45] La représentante de la CSST conclut que la compétence du premier juge administratif se limitait à déterminer si l’indemnité de remplacement du revenu devait être versée au-delà du 9 mai 2007 et comme, selon la preuve présentée, l’employeur n’avait pas fermé ses portes, le premier juge administratif aurait dû reconnaître le droit à l’indemnité jusqu’au 18 mai 2007, date du congédiement de la travailleuse.
[46] La représentante de la CSST demande donc à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision attaquée dans ce sens.
[47] À l’audience, la représentante de la CSST reprend ces arguments.
[48] Elle rappelle, en outre, que le droit au retrait préventif n’est pas le droit de recevoir une indemnité, mais bien le droit d’être réaffecté à un travail ne comportant pas les dangers identifiés. La L.S.S.T. prévoit des mesures préventives qui doivent être réévaluées chaque jour. Ainsi, les dangers doivent subsister durant toute la période afin de justifier le versement d’une indemnité.
[49] Or, si le lien d’emploi peut être rétabli par le conciliateur décideur, celui-ci ne peut recréer la situation de danger et de réaffectation qui prévaut lors du congédiement. La représentante de la CSST indique que, si quelqu’un doit payer pour ce congédiement illégal, c’est l’employeur et non la CSST.
[50] Elle dépose et commente deux décisions[9] au soutien de son argumentation.
[51] De son côté, la représentante de la travailleuse note que le premier juge administratif est bien au fait des tenants et aboutissants de cette affaire et que sa décision repose sur la preuve présentée et sur les textes de loi pertinents. Il n’y a donc pas matière à révision. La représentante de la travailleuse ajoute que la CSST tente de bonifier ses arguments et qu’il s’agit d’un appel déguisé. Elle rappelle que le recours en révision ne peut servir à une telle fin.
[52] La Commission des lésions professionnelles doit donc se prononcer sur la requête en révision déposée par la CSST.
[53] La Commission des lésions professionnelles remarque que le litige devant le premier juge administratif porte exclusivement sur le versement de l’indemnité de remplacement du revenu. En effet, la CSST a interrompu le versement de cette indemnité, non parce que la travailleuse ne pouvait être réaffectée, mais bien parce qu’elle croit, erronément si l’on se fie à la décision attaquée, que l’employeur a cessé ses activités et a fermé ses portes.
[54] La CSST n’intervient pas devant le premier juge administratif pour lui exposer les arguments qu’elle présente maintenant devant la formation siégeant en révision. Or, comme mentionné précédemment, le recours en révision ou en révocation n’est pas une occasion de bonifier une preuve ou de peaufiner une argumentation. Le silence de la CSST lors de l’audience initiale constitue donc un obstacle à la présente requête.
[55] Cependant, même en considérant que les arguments avancés par la CSST auraient dû être envisagés par le premier juge administratif, la Commission des lésions professionnelles ne peut donner raison à la CSST puisqu’elle estime que cet organisme n’a démontré aucune erreur lui permettant d’intervenir.
[56] En effet, la Commission des lésions professionnelles remarque que, dans ce dossier, le droit au retrait préventif de la travailleuse est reconnu. C’est donc dire que son travail comporte les dangers identifiés au certificat de retrait préventif et que, à défaut d’être réaffectée, elle a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
[57] La Commission des lésions professionnelles constate aussi que le motif retenu par la CSST afin de mettre fin au versement de l’indemnité de remplacement du revenu n’est pas retenu par le premier juge administratif. Ce dernier entend et analyse une preuve qui le convainc de la continuité des opérations de l’employeur. L’employeur est donc toujours en activité et les dangers identifiés au certificat de retrait préventif sont donc toujours présents.
[58] Maintenant, la travailleuse est congédiée le 18 mai 2007 mais, le 17 octobre 2007, le conciliateur décideur ANNULE ce congédiement. Or, selon le sens ordinaire de ce mot, le verbe « annuler » veut dire « rendre, déclarer nul, sans effet; supprimer »[10]. C’est donc dire que, lorsqu’on annule quelque chose, on le fait disparaître comme s’il n’avait jamais existé. Cela implique une certaine remise en état des parties, comme si la chose annulée ne s’était jamais produite.
[59] Le conciliateur décideur annule donc le congédiement et il réintègre la travailleuse dans son emploi avec tous ses droits et privilèges, dont le droit d’être réaffectée puisque, au moment de ce congédiement, il ne faut pas perdre de vue que la travailleuse est en retrait préventif, elle est indemnisée par la CSST et elle est en attente d’être réaffectée.
[60] Ainsi, si ce congédiement n’avait jamais eu lieu, la travailleuse aurait continué d’être indemnisée par la CSST jusqu’à ce que son employeur la réaffecte à un emploi. La travailleuse n’aurait certes pas eu à démontrer, à tous les jours, qu’elle est en mesure d’être réaffectée et que son employeur ne la réaffecte pas pour recevoir une indemnité de la CSST.
[61] La représentante de la CSST soutient qu’il faut donner priorité à la décision du conciliateur décideur qui ordonne à l’employeur de rembourser le salaire perdu en raison du congédiement illégal.
[62] Elle plaide que la CSST n’a pas à assumer le versement de l’indemnité de remplacement du revenu durant cette période et que la décision du premier juge administratif favorise les comportements délinquants des employeurs et est injuste pour la CSST.
[63] Or, la Commission des lésions professionnelles constate que les dispositions de deux lois d’ordre public s’affrontent en l’espèce. L’article 257 de la loi prévoit que l’employeur doit assumer le salaire perdu en raison d’un congédiement illégal alors que l’article 36 de la L.S.S.T. indique que c’est la CSST qui verse l’indemnité de remplacement du revenu en cas de retrait préventif et de non-réaffectation.
[64] Le premier juge administratif a déterminé que la travailleuse est en retrait préventif et n’est pas réaffectée lors de son congédiement. Elle est donc indemnisée en vertu de la L.S.S.T. Le conciliateur décideur annule ce congédiement ce qui a pour effet de remettre les parties dans l’état où elles étaient au moment de ce congédiement, c’est-à-dire que la travailleuse est en retrait préventif, elle n’est pas réaffectée et elle est indemnisée par la CSST.
[65] Le conciliateur décideur ordonne certes à l’employeur de payer le salaire perdu puisqu’il s’agit de la seule ordonnance qu’il peut rendre en vertu de l’article 257 de la loi. Cependant, contrairement à ce que plaide la représentante de la CSST, cette ordonnance n’empêche pas la reprise du versement de l’indemnité de remplacement du revenu. En effet, l’article 260 de la loi précise que, lorsqu’il y a coexistence du versement d’une indemnité et du versement d’un salaire perdu à la suite d’une ordonnance, l’employeur doit déduire du montant à payer à la travailleuse l’indemnité de remplacement du revenu reçue et remettre ce montant à la CSST.
[66] Cette disposition législative ne s’oppose donc pas à l’interprétation mise de l’avant par le premier juge administratif. Bien au contraire, elle vient confirmer que le conciliateur décideur peut ordonner à l’employeur de rembourser un salaire, même si une indemnité de remplacement du revenu est versée durant la même période, et que la récupération des sommes versées en double à cette occasion est l’affaire de l’employeur et de la CSST, et non de la travailleuse.
[67] La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que l’interprétation préconisée par le premier juge administratif ne comporte aucune erreur au sens de l’article 429.56 de la loi. Elle repose sur les faits mis en preuve et sur les dispositions législatives pertinentes.
[68] Elle peut raisonnablement et rationnellement s’appuyer sur le texte des lois analysées et il n’appartient pas à la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision de substituer son interprétation à celle retenue dans la décision attaquée par la CSST.
[69] Il est vrai que la représentante de la CSST dépose deux décisions qui, dit-elle, sont similaires à la présente affaire et devraient être retenues.
[70] Or, la Commission des lésions professionnelles remarque que, dans les décisions Allard et Spilak et Dufour et Ferblanterie Yvon Lepire inc.[11], les travailleuses sont congédiées ou mises à pied avant même d’avoir produit un certificat de retrait préventif. Aucune décision confirmant leur droit à un tel retrait et à la réaffectation n’est donc rendue ce qui explique les motifs de la Commission des lésions professionnelles dans ces affaires. En outre, le premier juge administratif peut se dissocier d’un courant jurisprudentiel sans que cela constitue un motif de révision[12].
[71] La Commission des lésions professionnelles ne décèle donc pas d’erreur manifeste et déterminante dans la décision dont la CSST demande la révision et, dès lors, elle rejette la requête déposée par celle-ci.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision déposée par la CSST.
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Carmen Racine |
Me Édith Bellemare |
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JOLICOEUR LACASSE |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Marie-Anne Lecavalier |
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PANNETON LESSARD |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Article 429.49 de la loi.
[3] Voir ces décisions de principe qui établissent le courant jurisprudentiel à cet égard : Produits forestiers Donahue inc. et Villeneuve [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa [1998] C.L.P. 783 .
[4] [2005] C.L.P. 626 (C.A.).
[5] C.A. Mtl : 500-09-015132-046, le 6 octobre 2005, jj. Robert, Morissette et Bich.
[6] Voir la décision Fontaine précitée à la note 4, p. 21 et 22.
[7] Voir la décision Fontaine précitée à la note 4, page 22.
[8] L.R.Q., c. S-2.1.
[9] Allard et Spilak Technologies inc., C.L.P. 172514-03B-0111, le 4 avril 2002, P. Brazeau; Dufour et Ferblanterie Yvon Lepire inc., C.L.P. 281245-32-0601, le 19 mai 2006, C. Lessard.
[10] Voir Le Petit Larousse 2003, 2003, Éditions Larousse, Paris, p.69.
[11] Précitées à la note 9.
[12] Desjardins et Réno-Dépôt, [1999] C.L.P. 898 ; Robin et Hôpital Marie Enfant, C.L.P. 87973-63-9704, le 13 octobre 1999, J.-L. Rivard; Buggiero et Vêtements Eversharp ltée, C.L.P. 93633-71-9801, le 11 novembre 1999, C.-A. Ducharme (requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Mtl : 500-05-054889-991, le 30 mars 2001, j. Baker; (Olymel) Turcotte & Turmel inc. et CSST, C.L.P. 91587-04B-9710, le 31 juillet 2001, M. Allard; Gaumond et Centre d'hébergement St-Rédempteur inc. [2000] C.L.P. 346 ; Prévost Car inc. et Giroux, C.L.P. 160753-03B-0105, le 10 février 2004, M. Beaudoin; Couture et Les immeubles Jenas [2004] C.L.P. 366 ; Vêtements Golden Brand Canada ltée et Cardenas, C.L.P. 187742-72-0207, le 1er mars 2006, M. Zigby.
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