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[1] Le 10 juin 2004, monsieur Sylvain Grenier (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision du 27 mai 2004, rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme sa décision du 13 février 2004 et conclut que le travailleur n’a pas subi, le 6 janvier 2004, de récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle du 1er février 2001.
[3] De plus, la CSST déclare irrecevable la demande de révision du 6 avril 2004 du procureur du travailleur d’une « lettre » du 30 mars 2004, dans laquelle la CSST l’informe qu’une décision a été rendue le 5 décembre 2003 concernant la capacité du travailleur à exercer son emploi prélésionnel. La CSST conclut que la lettre du 30 mars 2004 n’est pas une décision et qu’elle ne peut être contestée. La CSST se dit liée par la décision finale du 5 décembre 2003 et conclut qu’elle « n’avait pas à revoir un autre plan de réadaptation ». (Dans sa demande de révision du 6 avril 2004, le procureur du travailleur demandait à la CSST la réouverture du plan individualisé de réadaptation du travailleur, selon l’alinéa 2 de l’article 146 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), dans le but d’obtenir des indemnités de remplacement du revenu réduites en regard de l’emploi de magasinier que la CSST avait déterminé antérieurement comme emploi convenable. Il invoquait, comme circonstance nouvelle, le fait que le travailleur n’était pas en mesure d’exercer son emploi prélésionnel.)
[4] À l'audience du 16 décembre 2004, le travailleur est présent et représenté. La CSST est aussi représentée. La procureure de la CSST demande de déclarer que la Commission des lésions professionnelles n’a pas compétence pour statuer sur la contestation du travailleur de la « lettre » du 30 mars 2004 parce qu’il ne s’agit pas d’une décision et parce que l’alinéa 2 de l’article 146 de la loi ne trouve pas application. La commissaire soussignée a demandé aux procureurs de produire de la jurisprudence et des arguments écrits sur l’application de l’alinéa 2 de l’article 146 de la loi. Les derniers documents ont été reçus le 25 janvier 2005 et la cause a été prise en délibéré à cette date.
[5] La Commission des lésions professionnelles doit décider de la question préliminaire et, le cas échéant, donner l’occasion à la procureure de la CSST de faire une preuve sur le fond du litige. Elle doit aussi rendre une décision sur l’admissibilité de la rechute du 6 janvier 2004.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[6] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’accueillir sa requête et d’infirmer la décision de la CSST du 27 mai 2004.
[7] Il demande de conclure que, le 6 janvier 2004, il a subi une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle initiale du 1er février 2001.
[8] Il demande aussi de conclure que la CSST devait modifier son plan de réadaptation en vertu de l’alinéa 2 de l’article 146 de la loi, en présence de circonstances nouvelles, ceci dans le but d’obtenir une indemnité de remplacement du revenu réduite en regard de l’emploi convenable de magasinier. De plus, il demande de conclure qu’il récupérait son droit à l’indemnité de remplacement du revenu parce qu’il avait dû abandonner son emploi selon l’avis de son médecin, en vertu de l’article 51 de la loi.
QUESTION PRÉLIMINAIRE
[9] La procureure de la CSST demande de déclarer que la Commission des lésions professionnelles n’a pas compétence pour statuer sur l’application de l’alinéa 2 de l’article 146 de la loi qui se lit comme suit :
146. Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commission prépare et met en oeuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.
Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.
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1985, c. 6, a. 146.
[10] Dans un premier temps, elle souligne que le travailleur conteste une « lettre » du 30 mars 2004, qui n’est pas une décision contestable selon les articles 358 et suivants. Elle soutient que la Commission des lésions professionnelles n’a pas compétence sur cette question puisqu’elle n’est pas saisie d’une contestation d’une « décision » de la CSST.
[11] Dans un deuxième temps, la procureure de la CSST plaide que l’alinéa 2 de l’article 146 ne peut trouver application dans le cas particulier du travailleur. Le travailleur tente, par une voie détournée, de contester la décision du 5 décembre 2003 sur sa capacité à exercer son emploi, ce qu’il a omis de faire dans les délais. Or, cette décision est finale et sans appel. Elle ne peut être remise en cause en vertu du principe de la stabilité des décisions.
[12] La CSST soutient qu’un plan individualisé de réadaptation ne peut être modifié après qu’une décision sur la capacité à exercer un emploi ait été rendue. L’alinéa 2 de l’article 146 de la loi permet de modifier le plan et non de le rouvrir. L’arrêt du travail du travailleur et l’opinion de son médecin ne constituent pas des circonstances nouvelles permettant de modifier son plan de réadaptation puisque son droit à la réadaptation est éteint.
[13] Le 6 janvier 2004, au moment où le travailleur déclare une rechute, il aurait pu demander la révision de la décision du 5 décembre 2003 sur sa capacité à exercer son emploi et soutenir que ses limitations fonctionnelles n’étaient pas respectées dans son emploi. Or, il ne l’a pas fait.
[14] La procureure de la CSST produit une seule cause au soutien de ses prétentions, l’affaire Dubé et Service de béton universel ltée[2].
[15] Le procureur du travailleur soumet aussi une seule cause, l’affaire McLean et Donnely inc.[3]
LES FAITS
[16] Le travailleur travaille chez l’employeur comme opérateur de balance depuis le mois d’août 1998. Son salaire annuel est d’environ 39 362,22 $. Il travaille une semaine de nuit et, les deux semaines suivantes, de jour. Il travaille sur des quarts de travail de 12 heures pour un total de 48 heures pour une semaine et 36 heures, la semaine suivante.
[17] Le 1er février 2001, le travailleur fait une chute et s’inflige une déchirure du ligament croisé postérieur du genou gauche avec déchirure partielle du ligament collatéral interne. Sa lésion est consolidée le 9 juillet 2001 avec une atteinte permanente à l’intégrité physique de 19,20%, ainsi que des limitations fonctionnelles.
[18] Le travailleur n’a pas repris le travail.
[19] Le 14 mai 2002, il présente une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle. Il est suivi par le docteur David Blanchette, chirurgien orthopédiste, qui discute avec lui de la possibilité d’un traitement chirurgical. Le travailleur décide de ne pas se faire opérer en raison des succès peu prévisibles.
[20] Le 18 mars 2003, la lésion professionnelle du 14 mai 2002 est consolidée, avec des limitations fonctionnelles supplémentaires à être évaluées.
[21] Le 23 avril 2003, l’employeur informe la conseillère en réadaptation de la CSST, madame Nathalie Tapp, que les tâches d’opérateur de balance sont les mêmes que celles identifiées lors d’une visite du poste le 14 janvier 2002.
[22] Considérant que la tâche de nettoyer la fournaise implique de travailler en position accroupie et en position accroupie-agenouillée et que le travailleur doit effectuer cette tâche périodiquement, il n’est pas capable de refaire son travail prélésionnel.
[23] Le 2 mai 2003, le docteur Blanchette produit un rapport d’évaluation médicale en rapport avec la rechute du 14 mai 2002. Il souligne que le travailleur se plaint de douleurs nocturnes lorsque son genou n’est pas bien supporté, surtout au niveau du collatéral interne. Il se plaint de douleurs aux mouvements brusques et surtout en pivot, quoiqu’il ne ressente pas d’instabilité franche. Il ne présente pas de douleur dans les escaliers. Il porte une orthèse pour ses activités sportives, quoique celles-ci soient de beaucoup restreintes depuis l’accident. Il a un suivi auprès de son médecin de famille et un suivi psychologique pour un état dépressif.
[24] À l’examen, le docteur Blanchette note, entre autres, que l’atteinte du croisé postérieur est de grade II. La palpation de l’interligne articulaire interne démontre une légère douleur et l’examen du collatéral interne sous tension évoque aussi de la douleur. Les tests de stabilité démontrent une laxité en postérieur au croisé postérieur et un léger Sag positif. L’examen des amplitudes de mouvements montre du côté gauche 5o d’hyperextension et 145o de flexion et, à droite, 10o d’hyperextension et 145o de flexion.
[25] Selon l’évaluation du docteur Blanchette du 2 mai 2003, le travailleur conserve les limitations fonctionnelles suivantes :
« - Éviter de soulever, porter, pousser et tirer des charges dépassant environ 50 lbs;
- Éviter de travailler en position accroupie, de ramper, de grimper, d’effectuer des mouvements d’amplitudes extrêmes de l’articulation en cause;
- De plus, éviter d’effectuer des mouvements répétitifs ou fréquents avec effort de l’articulation en cause comme pour actionner un pédalier ou pour la marche prolongée;
- Éviter de rester debout plusieurs heures, de pivoter sur le membre inférieur en cause, de monter fréquemment plusieurs escaliers, de marcher en terrains accidentés ou glissants et de travailler dans une position instable, par exemple, dans des échafaudages, échelles ou escaliers. »
[26] Le travailleur a droit à la réadaptation et un plan individualisé de réadaptation est mis en œuvre, ce plan comprenant un programme de réadaptation professionnelle (alinéa 1 de l’article 146 de la loi).
[27] Le 8 juillet 2003, dans le cadre du plan individualisé de réadaptation du travailleur, la CSST rend une décision dans laquelle elle détermine, pour le travailleur, un emploi convenable de magasinier. Pour qu’il soit capable d’exercer cet emploi, la CSST met en place une mesure de réadaptation, soit une formation de 176 heures dispensées chez Formation S.A.M.O. La CSST discute avec le travailleur du salaire de l’emploi convenable qu’elle estime à 12 $ l’heure.
[28] Le 28 juillet 2003, le travailleur demande la révision de la décision du 8 juillet 2003 puisque, selon lui, le salaire de magasinier est plutôt de 8 $/l’heure quoiqu’il puisse atteindre 11 $ ou 12 $/l’heure pour quelqu’un qui a une expérience pertinente. Il soutient aussi que la formation de 176 heures est insuffisante. Il accepte toutefois de suivre les cours pour ne pas que ses indemnités soient suspendues.
[29] Le travailleur, qui a de la difficulté à faire le deuil de son poste prélésionnel et qui aimerait beaucoup reprendre son travail d’opérateur de balance, communique avec Domfer. L’employeur lui dit que des modifications ont été apportées au poste d’opérateur de balance et qu’une évaluation du poste pourrait être faite par un ergothérapeute pour voir s’il est capable d’effectuer son travail. À l’audience, le travailleur explique que le poste a été modifié par l’ajout d’un aimant plus puissant pour ramasser le métal, ce qui implique qu’il y a un peu moins de marche à faire lors du démontage du four.
[30] Le 8 octobre 2003, à la suite d’une révision administrative, la CSST confirme sa décision du 8 juillet 2003 concernant l’emploi convenable de magasinier, soulignant que le travailleur ne conteste plus que le salaire. Lorsqu’une décision sera rendue sur sa capacité à exercer l’emploi de magasinier et sur le salaire estimé de cet emploi, il pourra alors contester le salaire.
[31] Le 21 novembre 2003, madame Ève Montpetit, ergothérapeute et ergonome mandatée par la CSST, produit une évaluation du poste de travail d’opérateur de balance au département de l’atomisation de la compagnie Domfer. Madame Montpetit conclut que les limitations fonctionnelles du travailleur sont respectées dans son emploi prélésionnel d’opérateur de balance, notamment la limitation fonctionnelle selon laquelle il doit « éviter de rester debout plusieurs heures ». Selon elle, il est démontré que l’opérateur de balance n’a pas à rester plusieurs heures debout de façon continue, puisque les périodes debout sont intercalées et qu’il passe en moyenne 50% du temps debout durant sa journée de 12 heures. Il n’a pas à travailler dans des échelles ou des échafaudages ou des escaliers, et l’application de bonnes méthodes de travail et le port de l’orthèse pourraient prévenir toute position instable du genou.
[32] Madame Montpetit suggère que le travailleur reçoive une courte formation en emploi pour s’assurer qu’il utilise des modes opératoires sécuritaires. Elle suggère le port de l’orthèse au genou gauche lors du changement de revêtement du four et lors de l’entretien des granules, s’il doit pénétrer dans la cuve.
[33] Le travailleur se questionne sur sa capacité de travailler sur de longues périodes puisqu’il est en arrêt depuis près de trois ans. La CSST ne permet toutefois pas un retour au travail progressif puisqu’il est capable de faire son travail à temps plein. Toutefois, à la suggestion de l’employeur, le travailleur sera jumelé à un autre travailleur durant les premières 84 heures afin de permettre un retour plus graduel à ses activités.
[34] Le 5 décembre 2003, la CSST rend une décision dans laquelle elle conclut que le travailleur est capable d’exercer son emploi prélésionnel d’opérateur de balance, à compter du 3 décembre 2003.
[35] Le travailleur reprend son travail d’opérateur de balance le 3 décembre 2003. L’ergonome Montpetit l’observe sur les lieux, afin d’ajuster, si nécessaire, les modes opératoires et lui donner l’enseignement requis concernant des méthodes sécuritaires.
[36] Entre le 3 et le 17 décembre 2003, le travailleur travaille sept jours de 12 heures chacun. Du 17 décembre 2003 au 5 janvier 2004, l’entreprise ferme pour le congé de Noël. Toutefois, le travailleur entre le 1er janvier 2004 pour vérifier l’équipement pendant la fermeture de l’usine, comme il est habituel de le faire.
[37] Le 19 décembre 2003, le travailleur appelle la conseillère en réadaptation de la CSST. Il lui dit qu’il ne va pas bien car il a de la douleur à la reprise du travail. Il n’est pas possible pour lui de mettre son orthèse pour travailler dans la fournaise, au bas des marches. La conseillère lui dit qu’il est normal qu’il ait de la douleur lors de la reprise d’activités et que cela était prévisible.
[38] Le travailleur discute avec son médecin de famille. Il prend un rendez-vous avec le docteur Blanchette, rendez-vous fixé au 6 janvier 2004.
[39] Le 5 janvier 2004, le travailleur appelle madame Tapp. Elle écrit dans ses notes qu’il lui dit qu’il a encore une légère douleur.
[40] Le 6 janvier 2004, le docteur Blanchette produit un rapport médical à la CSST sur lequel il indique :
« Follow-up entorse genou LCP et LL ext; restriction non respectée dans poste actuel, s.v.p. revoir, apipp limitations. Travail pas plus de 8 heures. La position debout pas plus de 30 minutes. Arrêt de travail jusqu’au nouveau poste ou à la réadaptation de celui-ci ».
[41] Dans ses notes du 6 janvier 2004, le docteur Blanchette indique que le travailleur consulte pour une douleur à la face interne du genou gauche lors de la position debout prolongée. Il a recommencé à travailler le 3 décembre 2003 sur des quarts de travail de 12 heures. Il a des douleurs « ++ » à la fin de son quart de travail et a de la difficulté à terminer sa journée car il a une douleur à la face interne du genou gauche, une raideur/brûlure au niveau du creux poplité gauche. Le docteur Blanchette ne rapporte pas d’examen objectif.
[42] Le 13 février 2004, la CSST refuse de reconnaître que le travailleur aurait subi, le 6 janvier 2004, une récidive, rechute ou aggravation.
[43] Le 1er mars 2004, Me Daniel Thimineur produit à la CSST une comparution pour le travailleur et demande la révision de la décision du 13 février 2004 dans laquelle la CSST refuse la récidive, rechute ou aggravation du 6 janvier 2004.
[44] Le 19 mars 2004, Me Thimineur écrit à nouveau à la CSST, en ces termes :
« (…)
Par le présente, nous désirons obtenir de votre part une évaluation de l’indemnité de remplacement du revenu réduite en rapport avec le travail de magasinier, tel que déterminé dans la décision du 8 juillet 2003.
Nous ne contestons pas la détermination de l’emploi mais il
semble que l’évaluation de l’indemnité de remplacement du revenu réduite n’ait
pas été faite.
En effet, vous avez plutôt essayé la réadaptation chez son employeur mais le
retour au travail a été infructueux puisqu’une RRA (récidive, rechute ou
aggravation) a été déclarée le 6 janvier 2004.
En conséquence de ce qui précède, auriez-vous l’obligeance de rendre une décision sur l’IRRR (indemnité de remplacement du revenu réduite) selon les évaluations de salaire des emplois ci-jointes. »
[45] Le 22 mars 2004, le travailleur débute un travail de magasinier chez un autre employeur. Il gagne 10 $ ou 11 $/l’heure. Domfer lui remet alors son relevé d’emploi.
[46] Le 30 mars 2004, la CSST répond à la lettre du 19 mars 2004 de Me Thimineur en ces termes :
« Objet : Lettre d’information
(…)
Nous avons reçu votre lettre datée du 19 mars 2004 et désirons vous aviser qu’une décision de capacité de travail à l’emploi prélésionnel a déjà été rendue le 5 décembre 2003. Je joins cette décision en annexe et vous informe qu’elle n’a pas été contestée par aucun des parties. » (sic)
[47] Le 6 avril 2004, Me Thimineur écrit ceci à la CSST :
« La présente fait suite à la nôtre du 19 mars 2004 et à la réponse que vous nous avez transmise le 30 mars dernier.
Nous comprenons que puisque vous nous transmettez votre décision du 5 décembre 2003 sur la capacité à exercer l’emploi prélésionnel, vous refusez d’évaluer l’indemnité de remplacement du revenu réduite de l’emploi de magasinier.
Toutefois, comme nous vous l’apprenions, une RRA a été déclarée le 6 janvier 2004, ladite rechute ayant été refusée le 13 février 2004 et que nous avons contesté le 1er mars 2004.
Vous trouverez ci-joint l’attestation médicale du docteur Blanchette qui confirme que, malgré la décision de capacité du 5 décembre 2003, le travailleur ne serait pas en mesure de faire son emploi prélésionnel.
Nous croyons donc qu’il s’agit d’une question d’application de l’article 51 de la LATMP mais aussi des circonstances permettant une réouverture du plan de réadaptation, tel que prévu à l’article 146 (2) LATMP. Dans ce cas, vous pourriez déterminer une indemnité de remplacement de revenu réduite puisque le travailleur s’est effectivement trouvé un emploi de magasinier à un salaire de 10 $ à l’heure ».
(Le souligné est nôtre.)
[48] Le 21 mai 2004, Me Thimineur demande à la CSST de rendre une décision en tenant compte des nouveaux éléments au dossier, dont le document du 19 avril 2004 du docteur Blanchette où il souligne que le travailleur n’a pu effectuer son travail, qu’il avait des douleurs fréquentes au mollet et aux positions statiques prolongées. Le docteur Blanchette émet des limitations fonctionnelles plus sévères, dont celle d’« éviter de rester debout ou garder l’articulation en cause dans la même position plus de 30 à 60 minutes ».
[49] Le 27 mai 2004, la CSST confirme sa décision du 13 février 2004, refusant de reconnaître que le travailleur aurait présenté une rechute le 6 janvier 2004. De plus, la CSST déclare irrecevable la demande de révision du travailleur de la « lettre » du 30 mars 2004. La CSST souligne qu’elle n’avait pas à rouvrir le plan de réadaptation du travailleur puisqu’elle avait rendu le 5 décembre 2003 une décision finale sur la capacité du travailleur à exercer son emploi. La décision du 27 mai 2004 est contestée devant la Commission des lésions professionnelles.
[50] Le 29 août 2004, une résonance magnétique du genou gauche montre les changements suivants : « diminution de moins de 50% de la surface articulaire du condyle fémoral interne associé à une sclérose du plateau tibial et présence d’un petit ostéophyte du condyle fémoral interne, le tout pouvant être en relation avec des changements dégénératifs précoces ». En conclusion : « Pas de déchirure méniscale. Léger changement dégénératif du compartiment interne. Ancienne légère entorse du collatéral interne. »
[51] Le 28 septembre 2004, le docteur Blanchette indique que la résonance magnétique montre une « arthrose légère genou g, compartiment int ». À l’examen, il n’y a pas d’œdème; le ROM (Range of movement) est de 0° à 135°; il y a une laxité postérieure grade II. Le docteur Blanchette recommande une orthèse valgisante pour diminuer la pression sur le compartiment interne. Il conclut à un début d’arthrose du compartiment interne. Il y a une indication mitigée de réparation vu que la douleur est plus grande que l’instabilité.
[52] Dans son témoignage à l’audience, le travailleur affirme qu’en travaillant chez l’employeur en décembre 2003, son genou lui faisait mal, ce qui l’a amené à arrêter de travailler. Son travail prélésionnel d’opérateur de balance implique beaucoup de marche. Il marche à longueur de journée. Lorsqu’il y a un bris d’équipement dans son équipe ou ailleurs, il doit faire du travail d’entretien et grimper dans les échelles. Il doit travailler sous l’équipement pour pelleter. Au moment de son retour au travail le 3 décembre 2003, son genou lui semblait en bon état de même que les deux premiers jours alors qu’il y a eu beaucoup d’arrêts pour l’entretien des machines. Quand il a vraiment repris son travail régulier, il avait de la douleur vers 15 heures. Le plus difficile était de monter les marches. Il avait aussi de la difficulté à marcher. Après sa journée de travail, à la maison, il apposait de la glace sur son genou et le lendemain, il allait bien. Pourtant, lorsqu’il recommençait son travail, la douleur revenait.
[53] Il n’a pas fait le démontage de la fournaise, tâche qu’il doit faire occasionnellement. Au moment où ce travail devait se faire, il n’avait pas son orthèse. L’ergothérapeute, qui était sur les lieux à ce moment, a suggéré au travailleur, qui ne voyait pas comment il pourrait descendre l’échelle avec l’orthèse, de déchirer son pantalon, d’apporter l’orthèse avec lui en descendant l’escalier et de la poser en bas de l’escalier. Le travailleur a dit que cela était impossible puisqu’il doit revêtir un équipement particulier, un casque ainsi que des tubes, pour défaire le revêtement de la fournaise. Il ajoute qu’il y a des pièces par terre, ce qui rend le terrain instable.
[54] Le 17 décembre 2003, son genou n’allait pas bien. Il avait plus de douleurs et il boitait. Il avait de la douleur au côté collatéral interne et lors du pivot. Il a appelé madame Tapp et lui a expliqué son problème. Il y avait un froid entre eux puisqu’ils avaient eu un différend concernant le salaire estimé de magasinier.
[55] Le 6 janvier 2004, le docteur Blanchette lui a dit que son genou était exposé trop longtemps et que les quarts de travail de 12 heures étaient trop longs pour lui.
[56] L’employeur ne pouvait rien lui offrir à raison de 8 heures par jour. Le travailleur a donc cherché un emploi de magasinier, emploi qu’il exerce à compter du 22 mars 2004. Comme magasinier, sa douleur se situe à trois ou quatre sur dix, alors qu’elle était à sept ou huit sur dix chez Domfer.
[57] Le travailleur n’a pas contesté la décision du 5 décembre 2003 parce qu’il voulait retourner à son travail prélésionnel, ce qu’il avait d’ailleurs demandé. Au moment de la reprise de son travail, il ne connaissait pas la capacité de son genou. Après le 17 décembre 2003, il n’a pas contesté la décision du 5 décembre 2003 puisqu’il voulait retourner au travail à raison de 8 heures par jour, ce que l’employeur n’a pas accepté. De plus, il attendait la décision de la CSST concernant sa rechute du 6 janvier 2004.
[58] Le travailleur précise que, le 6 janvier 2004, il a expliqué ses douleurs au docteur Blanchette. Le docteur Blanchette a examiné son genou. Lors de l’évaluation en 2003, le docteur Blanchette n’était pas au courant qu’il retournerait éventuellement à son travail.
[59] L’ergothérapeute lui disait de ne pas aller voir le médecin qui recommanderait un arrêt de travail. Le travailleur précise qu’il n’a pas eu de traitements après le 6 janvier 2004 sauf du repos, chez lui. Du 6 janvier au mois d’avril 2004, il n’a pas vu de médecin.
[60] Dans son témoignage à l’audience, le docteur Blanchette affirme que le travailleur a une atteinte sévère, bi-ligamentaire, maintenant de grade III. Il présente une instabilité du genou, surtout au pivot et pour monter des échelles et des échafaudages. Il n’est pas rare, dans ces cas, que l’on opte pour une sanction chirurgicale. Avec le temps, à la suite d’une telle lésion, on développe de l’arthrose de façon accélérée ou lente, dépendant beaucoup de l’utilisation que l’on fait du genou.
[61] Selon la description du travail chez Domfer que le travailleur lui a rapportée, le docteur Blanchette souligne que le plus problématique est la période de 12 heures de travail, ce qui est extrêmement exigeant. Le docteur Blanchette souligne que l’ergothérapeute a interprété les limitations fonctionnelles pour leur faire dire autre chose que ce qu’elles disent. Il faut que le travailleur évite la position debout ou accroupie, dans l’ensemble de son travail. L’ergothérapeute a décortiqué chaque tâche et chaque posture et a conclu que le travailleur n’avait pas à rester debout de façon continue. Toutefois, le travailleur reste debout 50% du temps de son travail de 12 heures, soit 6 heures dans la journée.
[62] Le docteur Blanchette affirme qu’il n’a pas fait l’examen du genou du travailleur, ni le 6 janvier 2004, ni le 19 avril 2004, mais selon lui, on allait vers l’aggravation de la condition. Il a émis des limitations fonctionnelles plus sévères parce que les premières n’avaient pas été respectées, notamment parce qu’il travaillait 12 heures et qu’il travaillait debout. Le docteur Blanchette croyait alors à une aggravation et au développement d’une arthrose. Il croit avoir demandé à ce moment, pour objectiver l’arthrose, une résonance magnétique que le travailleur a eue au mois d’août 2004. La résonance magnétique montre des changements alors que la résonance antérieure ne montrait pas d’arthrose. L’atteinte ligamentaire a accéléré le développement de l’arthrose. D’autre part, lorsqu’il y a une arthrose débutante, on retrouve peu à l’examen physique.
[63] Selon lui, l’aggravation de l’état du travailleur relève du fait qu’il ne tolère pas ses activités et qu'il a développé une arthrose au compartiment interne du genou.
[64] Il n’a pas eu de traitement en janvier 2004 puisque les traitements conservateurs ont déjà été faits et le travailleur est au courant de ce qu’il doit faire et ne pas faire. Or, l’orthèse est la dernière étape avant la chirurgie. Lorsque la douleur deviendra insoutenable, le travailleur devra s’adresser à lui et il procédera alors à une chirurgie.
L’AVIS DES MEMBRES
[65] Conformément aux dispositions de l'article 429.50 de la loi, la commissaire soussignée a demandé aux membres qui ont siégé auprès d'elle leur avis sur les questions faisant l'objet de la présente requête, de même que les motifs de cet avis.
[66] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la requête du travailleur devrait être rejetée et la décision de la CSST confirmée. La lettre du 30 mars 2004 de la CSST n’est pas une décision mais une lettre d’information. L’article 146 de la loi se rapporte à des modifications du plan de réadaptation, avant la détermination de l’emploi convenable. Il ne porte pas à interprétation.
[67] D’autre part, le travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation le 6 janvier 2004. Le médecin du travailleur admet qu’il n’y a aucun signe d’aggravation et qu’il a conclu à une rechute en présence des allégations de douleur du travailleur. De plus, aucun traitement n’a été prescrit ni aucune investigation médicale entreprise. En dernier lieu, lorsque la douleur du travailleur l’a amené à boiter le 16 ou 17 décembre 2003, il était encore dans le délai pour contester la décision concernant sa capacité à exercer l’emploi convenable du 5 décembre 2003, mais il ne l’a pas fait.
[68] La membre issue des associations syndicales est d’avis que la requête du travailleur devrait être accueillie et la décision de la CSST infirmée. L’objection préliminaire de la CSST devrait être rejetée. L’article 146 de la loi s’applique. Le retour au travail dans les conditions décrites par le travailleur, la consultation médicale du 6 janvier 2004, l’opinion du docteur Blanchette constituent des circonstances nouvelles qui permettent de rouvrir le plan individualisé de réadaptation en vertu de l’article 146 de la loi. La CSST a donc le pouvoir de réviser sa décision de capacité de travail, compte tenu des nouveaux éléments au dossier.
[69] De plus, le travailleur a présenté le 6 janvier 2004 une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle. La preuve médicale au dossier et le témoignage non contredit du docteur Blanchette confirment clairement qu’il y a aggravation objective de la lésion du travailleur comparativement à sa condition lors de l’évaluation de mai 2003.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[70] La Commission des lésions professionnelles doit décider de la question préliminaire soumise par la CSST.
[71] La Commission des lésions professionnelles est-elle valablement saisie d’une contestation d’une décision de la CSST? Plus précisément, la « lettre » du 30 mars 2004 de la CSST constitue-t-elle une décision que le travailleur pouvait contester en vertu des articles 358 et 359 de la loi?
[72] La Commission des lésions professionnelles doit aussi décider s’il y a ouverture à une demande de modification du plan individualisé de réadaptation du travailleur (en vertu de l’alinéa 2 de l’article 146 de la loi) après que la CSST ait rendu une décision non contestée sur la capacité du travailleur à exercer son emploi.
[73] La Commission des lésions professionnelles doit aussi décider si le travailleur a présenté, le 6 janvier 2004, une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion initiale du 1er février 2001.
QUESTION PRÉLIMINAIRE
[74] La Commission des lésions professionnelles conclut qu’elle a compétence pour se prononcer sur la contestation du travailleur de la décision du 27 mai 2004 dans laquelle la CSST déclare irrecevable la demande de révision de la « lettre » ou décision du 30 mars 2004. En effet, selon la Commission des lésions professionnelles, la « lettre » du 30 mars 2004 constitue une décision.
[75] Le 19 mars 2004, le procureur du travailleur demande à la CSST de rendre une décision sur l’indemnité de remplacement du revenu réduite à laquelle le travailleur aurait droit en fonction de l’emploi de magasinier. Il fait état d’un retour au travail infructueux dans son poste prélésionnel et d’une récidive, rechute ou aggravation.
[76] Selon la Commission des lésions professionnelles, la lettre du 19 mars 2004 constitue une demande de modification du plan individualisé de réadaptation du travailleur, en vertu de l’alinéa 2 de l’article 146 de la loi. La CSST devait donc rendre une décision pour statuer sur la demande du travailleur.
[77] Le 30 mars 2004, la CSST répond par une « lettre d’information » qu’une décision a été rendue le 5 décembre 2003 sur la capacité du travailleur de refaire son emploi prélésionnel et que cette décision n’a pas été contestée. Selon la Commission des lésions professionnelles, cette lettre constitue une décision dans laquelle la CSST refuse de modifier le plan de réadaptation pour le motif qu’une décision a été rendue sur la capacité du travailleur d’exercer son emploi prélésionnel. La CSST a donc rejeté la demande de modification du plan individualisé de réadaptation.
[78] Le 6 avril 2004, le procureur du travailleur comprend que la CSST refuse d’évaluer l’indemnité de remplacement du revenu réduite de l’emploi de magasinier. Le procureur apporte des précisions à sa demande. Il veut voir appliquer l’alinéa 2 de l’article 146 de la loi, soit que la CSST rouvre le plan de réadaptation en raison de circonstances nouvelles. La CSST a considéré, à bon escient, la lettre du 6 avril 2004 comme une demande de révision.
[79] Dans sa décision du 27 mai 2004, la CSST déclare irrecevable la demande de révision du travailleur, pour le motif qu’il ne peut demander la révision de la « lettre » du 30 mars 2004 puisqu’il ne s’agit pas d’une décision. La Commission des lésions professionnelles considère que la CSST a, par là, commis une erreur. En effet, la « lettre » de la CSST du 30 mars 2004 a eu comme effet de refuser la demande du travailleur du 19 mars 2004 de modifier son plan de réadaptation. Elle se prononçait sur un droit et donc, produisait des effets légaux. Cette décision pouvait donc faire l’objet d’une demande de révision selon l’article 358 de la loi. La CSST devait donc, dans le cadre de la révision administrative, statuer sur le droit du travailleur de voir son plan individualisé de réadaptation modifié, selon l’article 146 de la loi.
[80] La Commission des lésions professionnelles conclut que le travailleur pouvait, valablement, demander la révision de la décision du 30 mars 2004 et contester la décision du 27 mai 2004 devant la Commission des lésions professionnelles.
[81] Puisque la Commission des lésions professionnelles doit, en vertu de l’article 377 de la loi, rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu, elle doit décider de la demande de modification du plan individualisé de réadaptation du travailleur en vertu de l’alinéa 2 de l’article 146.
[82] La Commission des lésions professionnelles a donc compétence pour statuer sur le présent litige.
[83] Dans un deuxième temps, la Commission des lésions professionnelles ne retient pas l’argument de la CSST selon lequel l’alinéa 2 de l’article 146 de la loi ne peut trouver application lorsqu’une décision finale a été rendue sur la capacité de travail, puisque le plan de réadaptation serait alors terminé. L’affaire Dubé[4] qu’elle invoque n’appuie pas ses prétentions.
[84] En effet, dans l’affaire Dubé, la CSST plaidait qu’étant donné que le plan de réadaptation du travailleur était complété et que les deux décisions sur l’emploi convenable n’avaient pas été contestées (décision du 2 octobre 1991 déterminant l’emploi convenable et décision du 3 février 1994 sur la capacité du travailleur à l’exercer), le travailleur ne pouvait (le 31 mai 1994) demander la modification de ce plan en vertu de l’article 146 de la loi. Le travailleur s’appuyait sur une nouvelle expertise médicale où le médecin concluait que l’emploi convenable ne respectait pas ses limitations fonctionnelles. Or, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles ne retenait pas l’argument de la CSST, comme le démontrent les passages suivants de la décision :
« (…)
Toutefois, parce que la contestation du travailleur vise la modification du plan de réadaptation en vertu de l’article 146, il ne s’agit pas, pour la Commission d’appel, de réévaluer la détermination de l’emploi convenable et la capacité d’exercer l’emploi convenable, décisions du 2 octobre 1991 et du 3 février 1994.
La détermination de l’emploi convenable a eu lieu en octobre 1991, avec le concours et l’accord du travailleur. Les limitations fonctionnelles que la Commission a prises en considération pour déterminer l’emploi convenable sont identiques à celles que le docteur Tremblay a données au travailleur en mai 1991 et réitérées le 3 mai 1994. Il n’y a aucune circonstance nouvelle mise de l’avant par le rapport du docteur Tremblay ou par la lettre du représentant syndical. Le docteur Tremblay reprend strictement les mêmes limitations fonctionnelles que celles déjà accordées.
Le travailleur ne peut pas, par le biais d’une contestation d’un refus de modification du plan de réadaptation en vertu de l’article 146, remettre en question une décision rendue par la Commission trois années plus tôt sur la détermination de l’emploi convenable. Permettre une modification du plan de réadaptation pour un tel motif, en l’absence de toute considération nouvelle, équivaut à remettre en question une décision non contestée sur la détermination de l’emploi convenable.
(…)
En conclusion, il semble assez clair que le travailleur demande plutôt la détermination d’un nouvel emploi convenable, en déposant une demande pour obtenir une subvention pour un projet de résidence pour personnes âgées. Il conteste dans les faits la détermination de l’emploi convenable et sa capacité à exercer l’emploi convenable. Or, ces deux décisions de la Commission sont finales. Le travailleur ne présente aucune circonstance nouvelle à l’appui de sa demande logée en vertu de l’article 146 de la loi.
La décision de la Commission du 20 juin 1994 de refuser de modifier le plan de réadaptation est donc tout à fait bien fondée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION D’APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
(…)
DÉCLARE que la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail était bien fondée, le 20 juin 2004, de refuser de modifier le plan de réadaptation, en l’absence de circonstance nouvelle, tel que prévu par l’article 146 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. »
[85] La Commission des lésions professionnelles n’a pas trouvé, dans la jurisprudence, de décision qui appuierait les prétentions de la CSST. Au contraire, la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles et de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles conclut qu’un travailleur peut demander la modification de son plan individualisé de réadaptation en présence d’une circonstance nouvelle, malgré qu’une décision sur sa capacité à exercer l’emploi convenable n’ait pas été contestée[5]. La Commission des lésions professionnelles est d’avis que cette jurisprudence s’applique aussi à une décision non contestée concernant la capacité d’un travailleur à exercer son emploi prélésionnel, dans la mesure où un plan individualisé de réadaptation a été mis en œuvre, comme dans le cas de monsieur Grenier.
[86] Dans l’affaire Béland[6], le commissaire Brazeau se saisissait d’une demande de modification du plan de réadaptation en vertu de l’alinéa 2 de l’article 146 de la loi, bien que le travailleur se soit désisté de sa demande de révision de la décision sur sa capacité à exercer l’emploi convenable, et bien qu’il n’y ait pas de lésion sous forme de rechute. Le commissaire soulignait que la seule question dont le tribunal était saisi consistait à déterminer s’il existait une circonstance nouvelle au sens de l’article 146 de la loi, donnant ouverture à modifier le plan individualisé de réadaptation dont le travailleur a bénéficié et à recouvrer ainsi son droit au versement d’une indemnité de remplacement du revenu à être éventuellement réduite en fonction d’un nouvel emploi convenable. Le tribunal concluait que l’abolition du poste du travailleur ne constituait pas une circonstance nouvelle, s’appuyant sur l’affaire Villeneuve et Ressources Aurore inc.[7], décision de principe en la matière qui circonscrit ce qui est considéré comme une circonstance nouvelle :
« Une circonstance nouvelle au sens de l’article 146 doit se rapporter directement au plan individualisé de réadaptation : soit que le travailleur ne puisse accomplir le travail ou que l’emploi ne répond plus au critère énoncé à la définition d’emploi convenable. »
[87] Dans l’affaire Carrière[8], la Commission des lésions professionnelles concluait que la demande de révision du 1er mars 2002 d’un travailleur à l’encontre d’une décision du 16 mai 2001 déterminant qu’il était capable d’exercer un emploi convenable, demande hors délai donc, constituait plutôt une demande de modification du plan individualisé de réadaptation selon l’alinéa 2 de l’article 146. Le tribunal s’exprimait ainsi :
« (…)
[31] Le soussigné considère qu’il n’y a pas lieu, notamment dans le présent dossier, de recourir à la recherche d’un motif raisonnable permettant de relever le travailleur de son défaut d’avoir contesté dans le délai la détermination de l’emploi convenable, considérant que tel n’est pas le motif invoqué et considérant que l’article 146 de la loi prévoit une telle circonstance.
[32] Le soussigné estime que l’article 146 de la loi est suffisamment explicite en ce qui concerne les conditions de modification d’un plan individualisé de réadaptation pour tenir compte de circonstances nouvelles, sans que soit nécessairement et obligatoirement remis en cause la détermination même de l’emploi convenable. Par ailleurs, cet article ne prévoit aucun délai dans la formulation d’une telle modification, des circonstances nouvelles pouvant survenir à tout moment.
[33] Aussi, la Commission des lésions professionnelles juge donc recevable la demande du travailleur logée le 1er mars 2002.
[34] Par ailleurs, quant à l’application de l’article 146, la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles est à l’effet que les circonstances nouvelles prévues au deuxième alinéa de l’article 146 doivent se rapporter directement au plan individualisé de réadaptation3. Une circonstance nouvelle pourrait être, par exemple, lorsque la preuve démontre qu’un travailleur ne peut pas accomplir le travail ou encore lorsqu’un emploi convenable ne répond plus aux critères énoncés à la définition de l’emploi convenable.
[35] Cependant, la cessation des activités de l’employeur ne constitue pas une circonstance nouvelle au sens de l’article 146 de la loi4. (…)
____________
3 Villeneuve et Ressources Aunore inc. [1992] C.A.L.P. 06; Chassé et Jules Fournier inc., 29829-03-9106, 8 octobre 1993, R. Jolicoeur; Foisy et Clarke Transport Canada inc., 44094-62-9208, 14 mars 1994, A. Suicco, (J6-12-02); Rocca et J.A. Hubert ltée, 35236-08-9112, 26 février 1996, B. Lemay; Brodeur et Coopers & Lybrand inc. Syndic, 106594-61-9811, 25 février 1999, M. Cuddihy; Bolduc et Restaurant Trois cent trente-trois inc., 109871-72-9902, 5 juin 2001, J.-D. Kushner.
4 Villeneuve et Ressources Aunore inc., [1992] C.A.P.L 06 ; Lelièvre et Multifoof inc., 49644-63-9302, 27 juillet 1997, M. Cuddihy ; Boucher et Produits forestiers Canadien Pacific (Avenor), 058051-04-9404, 26 octobre 1995, P. Brazeau (J7-10-06)
[88] Dans l’affaire Gagnon et BG Atutomatique (BG Checo Senc)[9], le commissaire Bérubé soulignait, parlant des articles 145 et 146, et plus spécifiquement de l’alinéa 2 de l’article 146 de la loi :
«Aucun de ces articles précités ne prévoit de périodes spécifiques pendant lesquelles une modification peut être apportée à un plan individualité de réadaptation. »
[89] Il est vrai que le travailleur aurait pu contester la décision du 5 décembre 2003, mais le fait qu’il ne l’ait pas contesté n’exclut pas l’application de l’alinéa 2 de l’article 146 de la loi.
[90] En conséquence, la Commission des lésions professionnelles conclut que l’alinéa 2 de l’article 146 de la loi, peut trouver application, malgré la décision de la CSST du 5 décembre 2003 qui détermine que le travailleur est capable d’exercer son emploi, et malgré que le travailleur n’ait pas contesté cette décision. D’autre part, l’article 51 de la loi ne s’applique pas au présent cas puisqu’il s’applique à l’abandon d’un emploi convenable et non à l’abandon de l’emploi prélésionnel.
[91] Puisqu’il y a ouverture à l’application de l’alinéa 2 de l’article 146 de la loi, les parties seront convoquées à nouveau pour être entendues sur les circonstances nouvelles alléguées par le travailleur au soutien de sa demande de modification de son plan individualisé de réadaptation.
RÉCIDIVE, RECHUTE OU AGGRAVATION ALLÉGUÉE
[92] La Commission des lésions professionnelles conclut que le travailleur n’a pas présenté, le 6 janvier 2004, de récidive, rechute ou aggravation. En effet, le 6 janvier 2004, bien qu’il y ait des allégations de douleurs, il n’y a pas d’examen objectif effectué par le médecin. Il n’y a pas de recommandation de traitements. Bien qu’à l’audience, le docteur Blanchette affirme qu’il a pu, à cette date, demander une résonance magnétique pour confirmer la présence d’une arthrose, non seulement il n’y a pas, dans ses notes du 6 janvier 2004, d’indication à l’effet qu’il aurait suspecté la présence d’arthrose ou demandé un examen pour la documenter, mais la résonance magnétique du 29 août 2004 a été demandée pour éliminer une pathologie au ménisque interne, ce qui n’a pas non plus été soulevé le 6 janvier 2004.
[93] La Commission des lésions professionnelles conclut qu’il n’y a pas, le 6 janvier 2004, de reprise évolutive, de réapparition ou de recrudescence de la lésion initiale. Il n’y a pas non plus de détérioration de la condition du travailleur.[10] Le travailleur avait d’ailleurs dit le 5 janvier 2004 à la conseillère en réadaptation qu’il avait une douleur légère.
[94] Il n’y a pas d’examen objectif d’un médecin avant le 29 septembre 2004. La présence d’une arthrose notée en août 2004 à la résonance magnétique et la présence d’une mobilisation du genou gauche diminuée en septembre 2004, ne permettent pas de conclure à la présence d’une rechute en janvier 2004.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE en partie la requête de monsieur Sylvain Grenier, le travailleur;
DÉCLARE qu’elle a compétence pour décider de la contestation du travailleur de la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du 27 mai 2004 qui déclare irrecevable la demande de révision de la décision du 30 mars 2004;
CONVOQUERA à nouveau les parties pour leur donner l’occasion d’être entendues sur les circonstances nouvelles invoquées par le travailleur pour demander la modification de son plan individualisé de réadaptation;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas subi, le 6 janvier 2004, de récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle du 1er février 2001.
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Me Lucie Landriault |
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Commissaire |
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Me Daniel Thimineur |
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TEAMSTERS QUÉBEC |
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Procureur de la partie requérante |
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Mme Annick Méthot |
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Représentante de la partie intéressée |
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Me Karine Morin |
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PANNETON LESSARD |
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Procureure de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] C.A.L.P. 67006-60-9502, 27 juin 1996, J. L’Heureux
[3] C.A.L.P. 31239-61-9107, 7 avril
[4] Précitée, note 2
[5] Béland et Barrette-Chapais ltée,
C.L.P. 211061-03B-0306, 27 octobre 2004, P.Brazeau;
Carrière et Béton de la 344 inc., C.L.P. 185806-64-0206, 22 août 2002,. D.
Robert; Gagnon et BG Automatique (BG GHECO SENC), C.L.P.
84223-09-9612, 16 juillet
[6] Id.
[7] [1992] C.A.L.P. 6
[8] Précitée note 5
[9] Précitée, note 5
[10] Boisvert et Halco, [1995] C.A.L.P. 19
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.