Décision

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Sherbrooke (Office municipal d'habitation de)

2010 QCCLP 5724

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Sherbrooke

Le 29 juillet 2010

 

Région :

Estrie

 

Dossier :

397613-05-0912

 

Dossier CSST :

128841251

 

Commissaire :

Micheline Allard, juge administratif

 

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Office municipal d’habitation Sherbrooke

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

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DÉCISION

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[1]           Le 17 décembre 2009, l’Office municipal d’habitation Sherbrooke (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 24 novembre 2009 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 6 mai 2009. Elle déclare que le coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Steve Laprade (le travailleur), le 3 octobre 2005, doit être imputé à l’employeur puisqu’il n’a pas été démontré que la déficience dont était porteur le travailleur avant cette date a eu un impact sur la survenance de la lésion professionnelle ou sur ses conséquences.

[3]           Le procureur de l’employeur a renoncé à l’audience prévue le 13 avril 2010 à Sherbrooke. Il a produit un rapport médical et une argumentation écrite le 23 juin 2010, date à laquelle la cause a été mise en délibéré.

 

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           L’employeur demande de reconnaître que la déficience du travailleur a joué un rôle dans la survenance de sa lésion professionnelle du 3 octobre 2005 en plus d’avoir prolongé la période de consolidation. Il demande de déclarer que 85 % des coûts qui sont reliés à la lésion professionnelle doivent être imputés aux employeurs de toutes les unités, et ce, en application de l’article 329 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

LES FAITS ET LES MOTIFS

[5]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’employeur a droit à un partage du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par le travailleur le 3 octobre 2005, et ce, en vertu de l’article 329 de la loi se lisant ainsi :

329.  Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.

[6]           Pour obtenir un partage de coûts en application de l’article 329, l’employeur doit démontrer que le travailleur était déjà handicapé lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle.

[7]           L’expression travailleur déjà handicapé n’est pas définie à la loi. La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles établit toutefois un consensus quant à l’interprétation à lui donner. Il en ressort que le travailleur déjà handicapé, au sens de l’article 329 de la loi, est celui qui, avant que ne se manifeste sa lésion professionnelle, présente une déficience physique ou psychique. Cette déficience constitue une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique et correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Cette déficience peut être congénitale ou acquise, latente ou apparente, mais elle doit exister avant la survenance de la lésion professionnelle et doit entraîner des effets sur la production ou sur les conséquences de cette lésion[2].

[8]           Dans le présent dossier, le travailleur est âgé de 29 ans et préposé à l’entretien et aux réparations chez l’employeur lorsqu’il est victime d’un accident du travail le 3 octobre 2005.

[9]           En descendant un escalier avec deux coffres d’outils, il subit une torsion du genou gauche, sans chute associée.

[10]        Le 4 octobre 2005, il consulte un médecin qui pose un diagnostic d’entorse au genou gauche et prescrit un traitement au moyen de repos, d’application de glace et de médication.

[11]        La CSST accepte la réclamation du travailleur à titre d’accident du travail pour une entorse au genou gauche.

[12]        Les 11 et 18 octobre 2005, le médecin du travailleur suspecte une déchirure méniscale au genou gauche et demande une résonance magnétique. Le 10 novembre suivant, une déchirure du ligament croisé antérieur est suspectée.

[13]        La résonance magnétique du membre inférieur gauche est effectuée le 12 décembre 2005 avec comme renseignements cliniques : éliminer lésion méniscale, blocage à l’extension complète. Cet examen est interprété comme suit par la radiologiste :

.     une ancienne déchirure partielle du rétinaculum interne probable

.     une déchirure complète et chronique du tiers moyen du ligament croisé antérieur

.     des signes d’un ancien traumatisme ostéochondral de la surface portante du condyle fémoral externe avec arthrose secondaire et d’un ancien traumatisme au plateau tibial interne

.     une déchirure du ménisque interne avec déplacement d’un fragment

.     une suspicion d’une petite déchirure verticale du ménisque interne.

 

 

[14]         Il est à noter que le travailleur présente un antécédent de traumatisme au genou gauche lors d’une chute en jouant au baseball en 1993. Cette chute a été suivie d’une invalidité pendant trois mois et de traitements de chiropractie.

[15]        Le 13 janvier 2006, le médecin du travailleur rapporte comme diagnostics : une entorse au genou gauche, une déchirure du ligament croisé antérieur, une déchirure du ménisque externe et une suspicion de déchirure au ménisque interne.

[16]        Une chirurgie est alors prévue et le travailleur est inscrit sur une liste d’attente.

[17]        Le 22 décembre 2006, la docteure Théoret pratique la chirurgie consistant en une méniscectomie partielle externe au genou gauche par arthroscopie. Le diagnostic postopératoire est celui de déchirure en anse de seau du ménisque externe du genou gauche et de déchirure du ligament croisé antérieur. Il n’y a pas d’intervention au niveau de ce ligament.

[18]        Le 9 janvier 2007, le docteur Balg, orthopédiste traitant, rapporte que la déchirure du ligament croisé antérieur du genou gauche est sans impact clinique.

[19]        Après des traitements de physiothérapie post-chirurgicaux, la lésion est consolidée le 30 avril 2007.

[20]        Le 24 mai 2007, le docteur Gaétan Langlois, orthopédiste, évalue le travailleur aux fins de déterminer les séquelles permanentes résultant de la lésion professionnelle.

[21]        À l’examen physique, la palpation du genou gauche éveille une douleur au niveau de l’interligne interne. Il n’y a pas de douleur au niveau du compartiment fémoral tibial externe. Il y a un épanchement discret par le signe du flot. Les mouvements s’inscrivent de 0 à 140 degrés. Il n’y a pas d’instabilité dans le plan latéro-latéral ni dans le plan antéropostérieur et le signe du pivot est négatif. Compte tenu de son examen, le docteur Langlois conclut à une atteinte permanente à l’intégrité physique de 1,1 % pour une méniscectomie externe du genou gauche sans séquelles fonctionnelles.

[22]        Par une décision du 28 mai 2009, la CSST déclare que le diagnostic de déchirure méniscale au genou gauche est relié à l’accident survenu le 3 octobre 2005. Le 29 mai 2009, elle déclare que le diagnostic de déchirure du ligament croisé antérieur n’est pas relié à cet accident.

[23]        C’est le 28 juillet 2007, soit dans le délai prescrit par le second alinéa de l’article 329 de la loi, que l’employeur demande un partage de coûts à la CSST.

[24]        La CSST en première instance et en révision administrative reconnaît que le travailleur était porteur de déficiences avant la survenance de sa lésion professionnelle à savoir des signes d’anciens traumatismes ostéochondraux de la surface portante du condyle fémoral externe avec arthrose secondaire et des signes d’ancien traumatisme du plateau tibial interne. La CSST conclut cependant que ces déficiences n’ont pas eu d’effet sur la survenance de la lésion professionnelle ou sur ses conséquences.

[25]        Devant la Commission des lésions professionnelles, l’employeur produit un rapport du 10 juin 2010 du docteur Carl Giasson ayant procédé à une étude du dossier.

[26]        Le docteur Giasson mentionne que la déchirure en anse de seau du ménisque externe décrite au protocole opératoire est de nature dégénérative et nullement étrangère à la déchirure chronique et complète du ligament croisé antérieur, laquelle s’est traduite par une instabilité du genou gauche. Selon le docteur Giasson, cette instabilité a entraîné une sollicitation inhabituelle sur les ménisques en causant une détérioration rapide et précoce et ultimement, la déchirure du ménisque externe. Il ajoute que la lésion au ligament croisé antérieur est responsable, entre autres, de la crise d’instabilité vécue par le travailleur le 3 octobre 2005.

[27]        Le docteur Giasson réfère ensuite aux notes de consultation du 4 octobre 2005 dans lesquelles le médecin traitant décrit une douleur à la palpation de l’interligne articulaire interne, des mouvements normaux de façon passive et un Mc Murray négatif. Le docteur Giasson est d’opinion que la déchirure du ménisque externe est une découverte fortuite lors de la résonance magnétique aux motifs que lorsqu’une lésion méniscale se produit, elle s’accompagne dans les heures qui suivent d’un épanchement articulaire important qui se traduit cliniquement par des blocages en flexion, extension et un test de Mc Murray positif. Il en conclut que la déchirure était préexistante à l’examen et qu’elle a pu être rendue symptomatique lors de sa survenance.

[28]        Le docteur Giasson ajoute que les anomalies montrées à la résonance magnétique sont des altérations à la structure anatomique du travailleur qui sont hors normes et qui étaient présentes avant le 3 octobre 2005.

[29]        Le docteur Giasson conclut ainsi :

L’événement tel que rapporté par le travailleur était un événement des plus banals, contestable jusqu’à un certain point, mais tel que mentionné plus haut, le médecin-conseil de l’employeur aurait été forcé d’admettre la vulnérabilité du travailleur notamment en raison de l’instabilité conférée par la déchirure complète et complexe du ligament croisé antérieur. Ce même médecin aurait été forcé d’admettre qu’un geste banal aurait pu rendre le tout symptomatique rendant caduc toute forme de contestation à l’égard de l’admissibilité. Dans ce contexte et en toute équité, l’employeur demande une désimputation et on lui oppose le fait que le geste banal aurait eu les mêmes conséquences.

 

Tel qu’exprimé plus haut, le simple geste, qu’il y ait eu torsion ou non, rapporté par le travailleur, ne se serait pas traduit entre autres par une lésion méniscale pas plus que par une méniscectomie. Ces nombreuses anomalies mises en évidence à la résonance magnétique, confirmées au protocole opératoire, sont hors normes biomédicales et elles doivent données ouverture à une désimputation. Dans ce contexte, la règle du plus que déterminant devrait trouver ici son application.

 

(Nos soulignements)

 

[30]        La Commission des lésions professionnelles est d’accord avec le docteur Giasson pour dire que la déchirure complète du tiers moyen du ligament croisé antérieur, montrée à la résonance magnétique du 12 décembre 2005, était présente avant l’accident du 3 octobre 2005 compte tenu de son aspect chronique.

[31]        Par ailleurs, le tribunal considère que l’employeur n’a pas démontré, de manière prépondérante, que la déchirure du ménisque externe était présente avant la lésion professionnelle.

[32]        L’opinion du docteur Giasson en ce sens repose en effet sur l’hypothèse d’une instabilité du ligament croisé antérieur qui serait préexistante à la lésion et qui aurait sollicité de façon inhabituelle le ménisque externe et aurait, à la longue, entraîné sa détérioration et ultimement, sa déchirure.

[33]        Or, cette hypothèse est infirmée par les deux orthopédistes qui ont examiné le travailleur. Le docteur Balg a en effet rapporté l’absence d’impact clinique de la déchirure du ligament croisé antérieur et la docteure Théoret n’est du reste pas intervenue à ce niveau lors de la chirurgie. Le docteur Langlois a pour sa part décrit une absence d’instabilité du genou gauche.

[34]        De plus, le travailleur jouait à la balle molle et au hockey avant le 3 octobre 2005, activités qui tendent à démontrer l’absence d’instabilité.

[35]        L’opinion du Dr Giasson sur le caractère préexistant de la déchirure du ménisque externe repose aussi sur l’absence de signe clinique d’une déchirure traumatique en octobre 2005. À la lecture des notes de consultation, la Commission des lésions professionnelles a cependant pu constater que le travailleur présentait un blocage en extension à 160 degrés, le 4 octobre, et à 170 degrés, le 11 octobre. Le 18 octobre, il était noté que le travailleur présentait encore un blocage en extension. Ces blocages sont des signes cliniques d’une déchirure traumatique du ménisque externe.

[36]        La déchirure du ménisque interne du genou gauche n’est donc pas une déficience.

[37]        Concernant la déchirure du ligament croisé intérieur, la Commission des lésions professionnelles ne retient pas l’opinion du docteur Giasson voulant que cette déficience ait joué un rôle déterminant dans la survenance de la lésion professionnelle.

[38]        Cette opinion repose encore une fois sur l’hypothèse d’une instabilité du genou gauche qui se serait manifestée le 3 octobre, hypothèse que la Commission des lésions professionnelles a déjà écartée plus haut.

[39]        Quant aux autres déficiences, l’employeur n’a pas démontré comment elles avaient pu favoriser la manifestation de la déchirure méniscale externe.

[40]        La Commission des lésions professionnelles estime que le traumatisme par torsion du genou gauche survenu le 3 octobre 2005 comporte un mécanisme lésionnel d’une déchirure méniscale.

[41]        Relativement à la période de consolidation qui a été de 574 jours, l’employeur n’a pas établi que les déficiences du travailleur avaient prolongé cette période. C’est plutôt le délai d’attente d’un an pour subir une chirurgie, auquel sont confrontés tous les employeurs, qui explique la longue période de consolidation.

[42]        L’employeur n’a donc pas droit à un partage de coût.

[43]        En terminant, la Commission des lésions professionnelles tient à souligner que « l’argumentation » présentée par le docteur Giasson sur l’équité et ce qu’il nomme la « règle du plus que déterminant » dépasse largement le mandat d’un expert médical et n’est pas acceptable.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de l’employeur, Office municipal d’habitation de Sherbrooke;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 24 novembre 2009 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la totalité du coût des prestations de la lésion professionnelle subie par monsieur Steve Laprade, le travailleur, le 3 octobre 2005 doit être imputée à l’employeur.

 

 

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Micheline Allard

 

 

 

Me Linda Lauzon

MONETTE, BARAKETT & ASSOCIÉS

Représentante de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

[2]           Municipalité Petite Rivière St-François et CSST, [1999] C.L.P. 779 .

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