Xstrata Nickel—Mine Raglan |
2009 QCCLP 8508 |
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[1] Le 26 mai 2009, Xstrata Nickel - Mine Raglan (l'employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 23 avril 2009 à la suite d'une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision qu'elle a initialement rendue le 10 octobre 2008 et déclare que la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Jean Shink (le travailleur) le 31 janvier 2006 doit être imputée à l'employeur.
[3] La présente décision est rendue sur dossier à la demande de l'employeur. Sa représentante a transmis une argumentation écrite et une opinion médicale.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4]
L’employeur prétend avoir droit au partage du coût des prestations
reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Shink et ce, en vertu de
l’article
[5] Il demande de répartir l'imputation des coûts de la lésion dans la proportion suivante : 10 % à son dossier et 90 % aux employeurs de toutes les unités.
LES FAITS
[6] Au moment de la survenance de sa lésion professionnelle, monsieur Shink occupe un emploi de plombier chez l'employeur depuis 1996 et il est âgé de 58 ans.
[7] Le 31 janvier 2006, en voulant jeter un sac de poubelle pesant 10 à 12 livres dans un conteneur à déchets, il ressent un craquement et une douleur vive à son épaule droite. Dans une expertise produite le 18 avril 2007, le docteur Louis Bellemare apporte les précisions suivantes sur les circonstances de l’accident :
Celui-ci nous précise l'événement initial tel qu'il a été décrit. Il nous précise que le bac à ordures était particulièrement élevé puisqu'il avait été changé de place. Il a donc dû dans un mouvement de circumduction faire basculer le sac à ordures pour le lancer dans la benne. C'est à ce moment qu'il a éprouvé un vif craquement et une douleur très intense au niveau de son épaule droite.
[8] Les premiers médecins consultés diagnostiquent une tendinite de l'épaule ou de la coiffe des rotateurs droite. La CSST reconnaît que cette tendinite constitue une lésion professionnelle résultant de l'événement survenu le 31 janvier 2006.
[9] Le 3 mai 2006, monsieur Shink passe un examen par résonance magnétique de l'épaule droite qui est interprété comme suit par le radiologiste :
Il y a des changements dégénératifs modérés qui sont remarqués dans les articulations acromio-claviculaires. Acromion de type 1.
Il y a une rupture transfixiante qui affecte le versant antérieur du tendon sus-épineux sur un centimètre. Les fibres tendineuses déchirées étaient réfractées de sorte que son bord libre est à l'apex de la tête de l'humérus. Il y a aussi des changements de signaux qui ont été remarqués dans le reste du tendon sus-épineux ainsi que dans les tendons sous-épineux. Ceci est caractéristique d'une tendinite / tendinopathie. Il n'y a aucune autre rupture qui a été vue dans le reste du tendon de la coiffe des rotateurs.
[…]
CONCLUSION :
IL S'AGIT D'UNE RUPTURE TRANSFIXIANTE DU VERSANT ANTÉRIEUR DU TENDON SUS-ÉPINEUX AINSI QU'UNE RÉTRACTION DES FIBRES tendineuses DÉCHIRÉES JUSQU'À L'APEX DE LA TÊTE DE L'HUMÉRUS. IL Y A DES SIGNES DE TENDINOPATHIE DES TENDONS SUS-ÉPINEUX ET SOUS-ÉPINEUX.
AUCUNE RUPTURE LABRALE N'A ÉTÉ MISE EN ÉVIDENCE.
[10] Le 11 mai 2006, le médecin traitant diagnostique une rupture complète du tendon sus-épineux. Le 6 juillet 2006, la CSST décide que ce nouveau diagnostic est relié à l'événement survenu le 31 janvier 2006. L'employeur demande la révision de cette décision, mais sa contestation est rejetée par la CSST le 27 octobre 2006 à la suite d'une révision administrative.
[11] À partir du 7 juillet 2006, monsieur Shink est suivi par la docteure Edith Beauregard, orthopédiste. Le 24 août 2006, elle effectue une reconstruction de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite. Dans son protocole opératoire, elle rapporte avoir remarqué une immense déchirure du sus-épineux et d'une partie du sous-épineux, un trou d'environ 1 cm étant présent à ce niveau. Elle retient comme diagnostic une déchirure de la coiffe des rotateurs à l'épaule droite.
[12] À la suite de cette intervention chirurgicale, monsieur Shink entreprend des traitements de physiothérapie. Les rapports produits par la docteure Beauregard font mention d'une progression constante de la condition de son épaule droite.
[13] Le 18 avril 2007, le docteur Louis Bellemare, orthopédiste, examine monsieur Shink à la demande de la CSST. Il estime que les traitements sont suffisants et il suggère qu’il recommence à travailler comme homme supplémentaire en respectant des limitations fonctionnelles temporaires. Il prévoit la consolidation de la lésion au début du mois de juin 2007 et il considère qu'il est trop tôt pour se prononcer sur l'existence de séquelles permanentes.
[14] Le 14 juin 2007, la docteure Beauregard donne suite à la suggestion du docteur Bellemare et recommande à l’essai le retour au travail comme homme supplémentaire. Cet essai n’aura toutefois pas lieu.
[15] Le 3 juillet 2007, le docteur Pierre Legendre, orthopédiste, examine monsieur Shink à la demande de l'employeur. Il estime que la lésion était consolidée le 14 juin 2007 et que les traitements étaient suffisants à cette date. Il considère qu'elle n'entraîne pas d'atteinte permanente à l'intégrité physique ni de limitations fonctionnelles, mais il recommande néanmoins des limitations fonctionnelles à titre préventif.
[16] Dans les notes médico-administratives qu'il produit le même jour, il écrit ce qui suit sur la relation entre le diagnostic de déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite et l'événement du 31 janvier 2006 :
Il ne fait aucun doute que l'événement décrit est insuffisant par lui-même pour causer une déchirure de la coiffe des rotateurs d'une épaule. De fait, les études radiographiques nous démontrent qu'autour de l'âge de monsieur Shink, environ 25% des individus présentent des déchirures soit partielles ou complètes asymptomatiques au niveau de la coiffe des rotateurs.
À notre avis, le mouvement décrit correspond à un mécanisme d'aggravation d'une condition personnelle asymptomatique de dégénérescence au niveau de la coiffe des rotateurs. Donc il y a eu, à notre avis, aggravation d'une condition personnelle préexistante de déchirure partielle ou complète asymptomatique. Il est également possible qu'il y ait eu déchirure sur une zone de tendinose sans présence de déchirure auparavant. Il est improbable que la déchirure diagnostiquée se soit produite sur une coiffe saine.
[17] En réponse à une question qui lui est posée concernant la prolongation de la période de consolidation par une condition personnelle, le docteur Legendre émet l'opinion suivante :
Pour ce qui est de la période de consolidation, notre expérience nous démontre que la reconstruction d'une coiffe des rotateurs chez un individu de cet âge peut prendre jusqu'à un an avant d'être consolidée. Nous constatons que l'évolution clinique de la lésion professionnelle de monsieur Shink après son opération est non surprenante quant à sa durée, mais fort surprenante quant à la qualité des résultats obtenus suite à l'opération du docteur Beauregard.
En effet, la majorité des travailleurs ayant bénéficié de cette chirurgie présentent encore un certain degré de douleur et des ankyloses persistantes.
[18] Dans une opinion complémentaire produite le 10 juillet 2007, il ajoute les commentaires suivants :
Nous avons émis l'opinion qu'une déchirure de la coiffe des rotateurs ne peut se produire sur une coiffe des rotateurs saine, et ceci, suivant l'action effectuée par monsieur Shink, le 31 janvier 2006, avec son membre supérieur droit. Il a donc fallu que, de façon préexistante à l'événement, il y ait présence d'une déchirure partielle ou complète de la coiffe des rotateurs.
Ce type de lésion se trouve chez environ 25% des individus de l'âge de monsieur Shink sans qu'il n'y ait de symptôme. Ceci fait que cette condition préexistante est en dehors de la norme biomédicale.
À notre avis, il y a une telle discordance entre le geste relativement bénin effectué par monsieur Shink, c'est-à-dire la manutention d'une charge de 10 à 12 livres et la présence d'une déchirure de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite ayant nécessité une chirurgie, qu'un partage de 90% pour les employeurs de toutes les unités versus 10% imputable à l'employeur actuel devrait être envisagé.
[19] Le 17 août 2007, la docteure Beauregard indique dans un rapport complémentaire qu’elle n’est pas d’accord avec l’opinion du docteur Legendre voulant que la lésion professionnelle n’ait entraîné aucune atteinte permanente à l'intégrité physique ni limitations fonctionnelles.
[20] Le 23 août 2007, elle émet un rapport final dans lequel elle consolide la lésion au 17 août 2007 en indiquant qu’elle entraîne une atteinte permanente à l'intégrité physique mais pas de limitations fonctionnelles.
[21] La controverse sur l’existence d’une atteinte permanente à l'intégrité physique n’a pas été soumise à un membre du Bureau d'évaluation médicale.
[22] Le 13 septembre 2007, la CSST décide que monsieur Shink est capable d’exercer son emploi à compter du 17 août 2007.
[23]
Le 13 décembre 2007, l’employeur transmet à la CSST une demande de
partage de l’imputation des coûts de la lésion professionnelle en vertu de l’article
[24] Le 19 mars 2008, le docteur Bellemare produit un rapport d'évaluation médicale en qualité de médecin ayant charge de monsieur Shink. Il rapporte que ce dernier effectue sans problème son travail de plombier chez l’employeur depuis le 8 octobre 2007. Il mentionne de plus ce qui suit :
La résonance magnétique démontrait la présence de tendinose des sus et sous-épineux, ce qui constitue une condition personnelle préexistante. Toutefois chez un individu de 59 ans, on retrouve un fort pourcentage de changements similaires constatés à la résonance magnétique pour le groupe d’âge.
[25] Il conclut à l’existence d’une atteinte permanente à l'intégrité physique de 5,65 % et il établit des limitations fonctionnelles pour une période de quatre mois.
[26] Le 10 octobre 2008, la CSST refuse la demande de partage de l’imputation des coûts de la lésion que lui a fait parvenir l’employeur. Elle retient que l’examen par résonance magnétique montre des conditions dégénératives qui sont fréquemment rencontrées chez des personnes de 58 ans et que le fait accidentel était suffisant pour causer la lésion professionnelle. Elle confirme cette décision le 23 avril 2009 à la suite d'une révision administrative, d’où l’appel de l’employeur à la Commission des lésions professionnelles.
[27] Au soutien de la contestation de l’employeur, sa représentante a transmis une opinion médicale produite le 30 octobre 2009 par le docteur Louis Besner, orthopédiste, laquelle se lit comme suit :
En matière de partage de coûts, il fait prouver à la CSST que le travailleur présente une condition personnelle hors norme biomédicale.
Le premier élément à considérer est la façon dont le travailleur se blesse. Il fait un geste normal et il apparaît une douleur à l’épaule droite. Le poids que le travailleur manipulait de 10 à 12 livres n’est pas un poids excessif pour causer une lésion professionnelle.
Comment un événement aussi mineur puisse déchirer une coiffe des rotateurs et cette déchirure doit être opérée? Il faut que cette coiffe des rotateurs soit affaiblie ou anormale.
Une argumentation que j’utilise fréquemment est : Est-ce qu’il y aurait des mesures préventives pour éviter que d’autres travailleurs se déchirent une coiffe des rotateurs en manipulant un sac de déchet de 10 à 12 livres ? Évidemment, il n’y en a aucune, le geste qu’a fait le travailleur est fait par des milliers de travailleurs à chaque jour sans qu’il n’y ait de blessure. À ce moment-là, en toute logique, la déchirure de la coiffe des rotateurs est sur une coiffe anormale ou pathologique.
Il est vrai dans la littérature que des personnes ont des déchirures même complètes de la coiffe des rotateurs qui sont petites et qui sont asymptomatiques. L’endroit également de la déchirure est important, si la déchirure est située en zone centrale et qu’elle est petite, elle peut être asymptomatique. Dans le cas du travailleur, la déchirure est située à la région antérieure du sus-épineux, ce qui rend les patients symptomatiques car la déchirure dans une zone qui n’est pas isométrique, ce qui occasionne de la faiblesse et de la raideur chez les patients. Lors de la chirurgie, la déchirure est mesurée 1 cm2 avec la rétraction des berges, ce qui est normal dans le cas d’une déchirure transfixiante.
Mon opinion est que la déchirure n’est pas située en zone isométrique et que le travailleur n’avait pas de déchirure lors de l’événement, mais le tendon du sus-épineux était affaibli par une tendinose et que le geste banal ou mineur au travail a produit cette déchirure.
Pour ce qui est de l’examen de résonance magnétique, il est décrit une atteinte mineur au cartilage à l’articulation acromio-claviculaire et un acromion de type I. Je suis d’accord que ces lésions décrites sont normales pour une personne âgée de 58 ans. Cependant, le site de la déchirure de la coiffe des rotateurs est hors norme biomédicale et cette tendinose sévère a causé une déchirure complète de la coiffe qui a nécessité un traitement chirurgical.[sic]
[28] Aux questions plus spécifiques qui lui sont posées, le docteur Besner répond que monsieur Shink souffrait d’un handicap avant de subir sa lésion professionnelle du 31 janvier 2006. Il écrit :
La déchirure s’est produite au tendon sus-épineux antérieur, elle n’est pas située dans une zone isométrique. Avant l’événement, le travailleur présentait une tendinose sévère de son sus-épineux.
Le geste au travail a provoqué une déchirure de cette tendinose sévère. Comme cette déchirure n’est pas située en zone isométrique, le travailleur a dû être opéré pour qu’on répare cette déchirure.
[29] Il estime que cette condition personnelle a influencé la survenance de la lésion compte tenu du fait que le geste produit au travail par monsieur Shink est un geste banal et il considère qu’elle a aussi prolongé la période de consolidation de la lésion. Il recommande un partage dans la proportion de 10 % à l’employeur et de 90 % aux employeurs de toutes les unités.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[30]
La Commission des lésions professionnelles doit décider si l'employeur a
droit, en vertu de l’article
[31]
L’article
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou une partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[32] La jurisprudence a établi que la notion de « travailleur déjà handicapé » réfère au travailleur qui, au moment de la survenance de sa lésion professionnelle, est atteint d’une déficience physique ou psychique qui a joué un rôle dans la production de la lésion ou au niveau de ses conséquences. Dans Municipalité Petite-Rivière-St-François et CSST[2], la Commission des lésions professionnelles expose à ce sujet ce qui suit :
[23] La Commission des lésions professionnelles
considère qu’un travailleur déjà handicapé au sens de l’article
[24] La première étape consiste donc à vérifier si le travailleur présente une déficience physique ou psychique. Sur ce point, il est utile de se référer à la Classification internationale des handicaps élaborée par l’Organisation mondiale de la santé (Paris, CTNERHI-Inserm, 1988) parce que ce manuel a l’avantage de représenter un consensus de la communauté médicale internationale sur ce que constitue un handicap. Selon cet ouvrage, une déficience constitue une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique et correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Cette déficience peut être congénitale ou acquise. Finalement, pour reprendre le courant de jurisprudence que la soussignée partage, la déficience peut ou non se traduire par une limitation des capacités du travailleur de fonctionner normalement. La déficience peut aussi exister à l’état latent, sans qu’elle se soit manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle.
[…]
[26] En plus de démontrer la présence d'une déficience, l'employeur a aussi le fardeau de démontrer que cette déficience a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion. […].
[33] Pour avoir gain de cause, l'employeur doit donc démontrer au départ que le travailleur est atteint d'une déficience préexistante, à savoir une condition personnelle préexistante qui est déviante par rapport à la norme biomédicale.
[34] La représentante de l’employeur fonde son argumentation sur la décision Zellers inc.[3], dans laquelle la Commission des lésions professionnelles n’exige pas la preuve du caractère déviant de la norme biomédicale de la condition personnelle pour conclure à la présence d’une déficience préexistante, comme en témoigne l’extrait suivant de cette décision :
[60] Pour le soussigné, la référence à la définition de déficience de l’Organisation mondiale de la santé n’est pas nécessaire, pas plus qu’une définition formelle de « handicap » pour respecter l’évolution jurisprudentielle du Tribunal et les termes de la loi.
[61] Dès qu’une condition personnelle, identifiée en
preuve, joue un rôle sur la survenance d’une lésion professionnelle ou a un
impact sur ses conséquences (diagnostic, traitements, date de consolidation ou
même le cas échéant, l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles),
que cette condition ait été connue ou non, symptomatique ou non avant la
lésion, nous sommes en présence d’un « désavantage », d’une « déficience
», d’un « handicap » en somme, la chose parle par elle-même. Le
handicap comme le rappelait le Tribunal dans Municipalité
Petite-Rivière-St-François, s’infère au temps de l’évolution de la lésion
professionnelle que de ce qui s’est passé avant. Il ne reste plus alors qu’à
déterminer l’importance du rôle joué par le handicap pour établir le
pourcentage du coût relié à la lésion professionnelle qui doit être imputé à
l’employeur et aux employeurs de toutes les unités, conformément à l’article
En ce sens, les paramètres utilisés dans Hôpital Général de Montréal, ainsi que les autres qui ont pu s’ajouter depuis, valent beaucoup plus qu’une définition qui force à sortir de la preuve et à parler de « norme bio-médicale » et de « déviation à la norme » de façon souvent désincarnée.
[62] Trop souvent, dans les dernières années, la CSST s’est référée à la norme biomédicale, sans explication d’ailleurs, pour rejeter une demande de partage d’imputation faite par un employeur. Il suffisait pour la CSST d’utiliser les mots devenus presque magiques de « vieillissement normal » et de « non déviation à la norme bio-médicale ».
[35] Avec respect, le tribunal n’entend pas suivre cette approche qui est isolée et ne correspond pas à la position de la jurisprudence actuelle[4] sur la question, soit celle voulant que la preuve du caractère déviant de la condition préexistante par rapport à la norme biomédicale doive être établie pour que l’on puisse conclure à l’existence d’une déficience préexistante.
[36] Dans le cas de monsieur Shink, le tribunal estime que l’employeur n’a pas apporté cette preuve et ce, pour les raisons suivantes.
[37] Premièrement, l’opinion du docteur Legendre voulant qu’avant la survenance de sa lésion professionnelle, monsieur Shink présentait une déchirure asymptomatique, laquelle constituait une condition hors norme biomédicale, est peu convaincante. D’une part, lui-même remet en cause cette hypothèse en envisageant que la déchirure ait pu se produire sur une tendinose lors de l’événement du 31 janvier 2006. D’autre part, elle est contredite par l’autre médecin expert de l’employeur, le docteur Besner, qui retient cette dernière hypothèse.
[38] Deuxièmement, l’opinion du docteur Besner voulant qu’il s’agisse d’une condition personnelle hors norme biomédicale du fait que la déchirure se soit produite « dans une zone qui n’est pas isométrique », ne peut davantage établir l’existence d’une déficience antérieure à l’événement du 31 janvier 2006 parce qu’elle n’est pas suffisamment motivée et que, sans plus d’explications, elle demeure incompréhensible.
[39] Par ailleurs, ce médecin est d’avis que la déchirure est survenue sur un tendon qui était déjà affaibli par une tendinose, mais il n’indique pas en quoi la présence de ce phénomène constitue une condition déviante par rapport à la norme biomédicale.
[40] Troisièmement, le tribunal retient l’opinion du docteur Bellemare voulant qu’un fort pourcentage de personnes âgées de 59 ans, comme monsieur Shink, présente des changements dégénératifs similaires à la tendinose qui a été montrée par l’examen par résonance magnétique qu’a passé monsieur Shink. Dans ce contexte, même si la tendinose constitue une condition personnelle préexistante, on doit considérer qu’il ne s’agit pas d’une condition déviante par rapport à la norme biomédicale, compte tenu de l’âge de monsieur Shink.
[41] Après considération de la preuve au dossier ainsi que de l’argumentation et de la jurisprudence soumises par la représentante de l’employeur, la Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion que l’employeur n’a pas établi que monsieur Shink était un travailleur déjà handicapé au moment de la survenance de sa lésion professionnelle du 31 janvier 2006 et en conséquence, que la totalité du coût des prestations reliées à cette lésion doit lui être imputée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de Xstrata Nickel - Mine Raglan;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 23 avril 2009 à la suite d'une révision administrative;
DÉCLARE que la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Jean Shink le 31 janvier 2006 doit être imputée à Xstrata Nickel-Mine Raglan.
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Claude-André Ducharme |
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Me Anne Moreau |
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Représentante de la partie requérante |
[1] L.R.Q. c. A-3.001.
[2]
[3] C.L.P.
[4] Les Armatures EB inc., C.L.P.