Derynck (Succession de) et Compagnie minière IOC |
2011 QCCLP 3414 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 30 octobre 2009, la succession de Bryan-Earle Derynck (la succession) dépose une requête en révision et en révocation à l’encontre de la décision rendue le 30 septembre 2009 par la Commission des lésions professionnelles.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles refuse une prolongation de délai pour soumettre une expertise en hygiène environnementale et industrielle.
[3] La présente requête a fait l’objet d’une audience tenue le 9 décembre 2010 à Montréal à laquelle assistaient les représentants de la succession ainsi que ceux de l’employeur, Compagnie Minière IOC.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] La succession demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles et déclarer qu’il a droit à un délai supplémentaire pour compléter la preuve documentaire. En argumentation, le procureur de la succession précise qu’un délai de 90 jours à partir de la date de notification de la présente décision sur la requête en révision ou en révocation serait suffisant.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] La question en litige concerne une décision prise par le premier juge administratif dans l’administration de la preuve. Pour comprendre la portée de cette décision, il y a lieu de faire une mise en contexte des démarches qui ont suivi l’introduction du recours devant la Commission des lésions professionnelles.
[6] La contestation dont le premier juge administratif était saisi est datée du 23 septembre 2005. Elle est faite par la succession qui cherche à faire reconnaître que le travailleur est décédé d’un cancer pulmonaire relié à une exposition à l’amiante.
[7] Au départ, l’audience devant la Commission des lésions professionnelles avait été fixée au 13 juillet 2006. En avril 2006, l’employeur a obtenu un report au 23 novembre 2006 avec le consentement de la succession.
[8] Le 30 octobre 2006, l’employeur demande que l’audience du 23 novembre 2006 soit transformée en conférence préparatoire. Il suggère différents sujets à aborder, dont la communication de la preuve documentaire et la planification de l’audience.
[9] Le 17 novembre 2006, le premier juge administratif écrit aux procureurs des parties. Il indique que l’audience du 23 novembre 2006 sera tenue et qu’elle a pour objet la recevabilité de la réclamation de la succession. Il ajoute que ce 23 novembre 2006, une conférence préparatoire sera également tenue. Il avise les procureurs de se préparer en conséquence.
[10] Le procès-verbal de l’audience indique que la conférence préparatoire n’a pas été tenue faute de temps. Par contre, le premier juge administratif écrit que l’employeur a remis à la succession la copie d’une étude environnementale et que les parties ont convenu d’échanger sur les moyens de preuve qu’elles entendent faire valoir. Le premier juge administratif écrit également qu’il pourra intervenir au besoin et que la mise au rôle est suspendue en attendant que le dossier soit en état :
J’ai demandé aux procureurs de m’aviser de tout problème rencontré dans leurs échanges et également du moment où ils seront prêts à procéder au fond dans cette affaire. Donc après que j’aurai rendu ma décision écrite sur le moyen préalable (délai pour nouvelle réclamation) (la décision rejetant ce moyen ayant déjà été communiquée verbalement à l’audience) il faudra suspendre la mise au rôle jusqu’à ce que les parties se manifestent et soient prêtes.
[11] Le 14 décembre 2006, le premier juge administratif rend une décision écrite qui rend compte de la décision verbale déjà annoncée aux parties. Il déclare que la réclamation de la succession est recevable.
[12] Le 21 février 2007, le procureur de l’employeur écrit au premier juge administratif pour lui indiquer qu’il n’a pas encore eu d’échanges avec le procureur de la succession. Il demande la tenue d’une conférence préparatoire formelle. La demande est réitérée le 12 avril 2007 parce que les renseignements attendus de la succession ne lui sont pas encore parvenus. Il écrit :
Suite à l’envoi de la lettre datée du 21 février 2007, dont copie a été transmise à Me Sylvain Lamarche, ce dernier a communiqué avec le soussigné le 26 février 2007 afin de nous informer qu’il avait besoin encore de quelques semaines afin de compléter sa preuve (factuelle et expertise) au soutien de sa réclamation. Il nous a également informé qu’il souhaitait nous transmettre une liste de questions pour lesquelles il souhaitait obtenir une réponse concernant les conditions de travail du travailleur décédé.
En date de ce jour, nous n’avons toujours pas reçu ladite liste de questions et/ou la communication des différents éléments de preuve que Me Lamarche entend soumettre au fond au soutien de sa réclamation.
Dans les circonstances, nous sommes d’avis que la tenue d’une conférence préparatoire est toujours utile et nécessaire avant que le présent dossier ne soit fixé pour audition au mérite, le tout pour les motifs déjà exprimés au dossier par le soussigné.
[13] Le 5 juin 2007, le procureur de la succession écrit au procureur de l’employeur. Il indique qu’il est dans l’attente de renseignements sur l’emploi et la description de tâches du travailleur ainsi que sur les lieux précis où celui-ci a accompli ses fonctions. Il explique qu’il désire obtenir ces documents pour compléter sa preuve sur la présence d’amiante dans les bâtiments de la compagnie Iron Ore. Il requiert également la communication de plusieurs documents, dont un plan des bâtiments de Sept-Îles et du système de ventilation.
[14] Il ajoute qu’il déposera éventuellement des expertises en pneumologie, en pathologie et en hygiène industrielle ou épidémiologie après avoir obtenu les renseignements demandés.
[15] Le 11 juin 2007, une conférence préparatoire a lieu. Le premier juge administratif préside cette séance. Il est alors question des documents requis par le procureur de la succession. Un échéancier quant à la communication de la preuve est établi :
Il est alors convenu de dresser un échéancier pour la production et l’échange de documents entre les parties ainsi que pour exposer les objections à la fourniture de certains documents. Cet échéancier prévoit des délais très longs qui ne pourront être prolongés, mais qui pourront certainement être raccourcis au besoin.
Donc voici cet échéancier :
-Obtention, production et transmission par Me Charrette, au tribunal et à Me Lamarche, des informations ou documents requis par ce dernier sans sa lettre du 5 juin 2007 et trouvés par l’employeur ou production d’un affidavit confirmant que les informations ou les documents n’ont pu être trouvés malgré une recherche sérieuse à ce sujet : 6 AOÛT 2007;
-Production et transmission par Me Charrette, au tribunal et à Me Lamarche, d’écrits confirmant les informations verbales fournies à la conférence préparatoire sur le lieu du travail, la qualité de locataire de l’employeur et le temps de travail du travailleur : 6 AOÛT 2007;
-Production et transmission par Me Charrette, au tribunal et à Me Lamarche, de la ou des objections à la production de certains documents ou à la fourniture de certaines informations : 6 AOÛT 2007;
-Réponse aux objections de Me Charrette et collecte d’informations supplémentaires par Me Lamarche et transmission de celles-ci à Me Charette et au tribunal : 6 DÉCEMBRE 2007;
-Obtention, production et transmission par Me Lamarche, au tribunal et à Me Charrette, de toutes les expertises pertinentes au litige (pneumologue, pathologiste ou hygiéniste industriel, le cas échéant) : 6 MAI 2008;
-Obtention, production et transmission par Me Charrette, au tribunal et à Me Lamarche, de toutes les expertises en réponse à celles produites par Me Lamarche : 1er OCTOBRE 2008;
[Les caractères gras sont ajoutés]
[16] À cette conférence préparatoire, l’employeur dépose un relevé général des matériaux contenant de l’amiante et une description de différents postes de travail.
[17] Le procès-verbal est communiqué au procureur de la succession le 19 juin 2007.
[18] Le 30 juillet 2007, l’employeur remplit les engagements pris à la conférence préparatoire. Les plans architecturaux de l’édifice situé au 100 rue Retty à Sept-Îles et de la ventilation de cet établissement sont notamment fournis. L’employeur communique également des renseignements sur les postes occupés par le travailleur, les lieux occupés par celui-ci et son historique de travail.
[19] En outre, l’employeur formule certaines objections concernant la communication des coordonnées du responsable d’un plan d’action de mesures réparatrices. Il avance que les données ne sont pas pertinentes à la solution du litige.
[20] Le 3 décembre 2007, le procureur de la succession écrit au premier juge administratif. Il demande une prolongation de délai pour répondre à l’objection de l’employeur. L’employeur consent à cette demande. Le délai est prolongé au 29 février 2008.
[21] Ce 29 février 2008, le procureur de la succession informe le premier juge administratif qu’il entend produire une expertise médicale en pneumologie et en pathologie et une autre expertise éventuellement. Il annonce qu’il désire obtenir d’autres renseignements de l’employeur sans les préciser. Il ne dit mot sur l’objection formulée par l’employeur.
[22] Le 5 mars 2008, le procureur de l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de disposer de son objection à la preuve considérant que le délai accordé à la succession pour y répondre est expiré. Il fait valoir que la succession n’a pas respecté les engagements pris à la conférence préparatoire et demande au premier juge administratif de la déclarer « forclos de produire quelque information factuelle supplémentaire au soutien de leur réclamation ».
[23] Le 25 mars 2008, le premier juge administratif accueille l’objection soulevée par l’employeur. Par contre, il refuse de fermer la porte à un complément de preuve factuelle avant la tenue de l’audience.
[24] Le 2 mai 2008, la succession soumet deux expertises médicales datées respectivement du 22 janvier 2008 et du 30 avril 2008. La partie annonce toujours le dépôt éventuel d’une autre expertise et de preuve documentaire additionnelle. Quelques jours plus tard, elle fait parvenir des documents en appui des expertises soumises.
[25] Le 1er octobre 2008, l’employeur soumet une expertise médicale et la doctrine qui l’appuient.
[26] En novembre 2008, le dossier est de nouveau porté au rôle du tribunal pour les 13, 14 et 15 mai 2009.
[27] Le 30 avril 2009, l’employeur dépose un rapport rédigé en juillet 2007 par Golden Associates Ltd intitulé « Soil Characterization at the Tailing in Sept-Îles, Québec ». Ce document comporte la conclusion suivante :
No asbestos fibers detected in the ten (10) soil samples collected at the East and South sides of the IOC tailling in Sept-Îles.
[28] Les 13, 14 et 15 mai 2009, l’audience est tenue telle que prévue. Le travailleur et l’employeur déposent de nombreux documents. La succession fait entendre deux témoins de faits ainsi qu’un pneumologue. Quant à l’employeur, il fait entendre des témoins de faits, des ingénieurs et un pneumologue.
[29] À la séance du 15 mai 2009, le premier juge administratif permet une contre-preuve de la part de la succession:
Expertise d’un hygiéniste industriel - Me Lamarche doit m’aviser d’ici le 30 mai 2009 du délai nécessaire pour soumettre cette expertise un échéancier sera dressé après obtention de cette information après échange de documents une nouvelle journée d’audience sera fixée pour finaliser ce dossier.
[30] Le présent tribunal a fait l’écoute partielle de l’enregistrement sonore de la séance du 15 mai 2009. Voici ce qu’il retient relativement au dépôt d’une expertise à titre de contre-preuve.
[31] Le 15 mai 2009, la séance s’est terminée à 12 h 45. À ce moment, la preuve de l’employeur est close. Le premier juge administratif annonce qu’un échéancier doit être fixé pour le dépôt d’une expertise en hygiène industrielle que la succession désire déposer pour répondre à la preuve de l’employeur.
[32] Le procureur veut communiquer avec la firme d’expert avant de se commettre sur un délai pour le dépôt du rapport d’expert. Il requiert deux semaines pour identifier un hygiéniste industriel et lui donner un mandat. Il croit pouvoir soumettre le rapport d’expertise au milieu de l’été.
[33] Le premier juge administratif le met en garde considérant la période des vacances estivales. Le procureur demande deux semaines pour vérifier les disponibilités des experts et communiquer le délai dont il a besoin pour la production de l’expertise. Le procureur s’engage à fournir les détails requis par le premier juge administratif par courriel au plus tard le 30 mai 2009.
[34] Il n’apparaît pas du dossier que le procureur de la succession a respecté son engagement de communiquer par courriel au tribunal les précisions requises. Il n’est pas non plus au dossier qu’il a requis un report de l’échéance avant cette date du 30 mai 2009.
[35] Le 5 juin 2009, le procureur de l’employeur écrit à celui de la succession. Il lui demande de faire connaître son intention quant au dépôt d’une expertise à titre de contre-preuve. Une copie de cette lettre est communiquée au tribunal.
[36] Il appert des documents du dossier que, par la suite, l’échéance du 30 mai 2009 est reportée au 19 juin 2009 à la demande du procureur de la succession. À cette date, la succession n’avait pas fourni les détails attendus pour établir l’échéancier pour le dépôt de la contre-preuve et la suite des choses.
[37] Ce 19 juin 2009, le premier juge administratif convoque une conférence téléphonique à l’issue de laquelle, les arrangements suivants sont retenus :
Me Lamarche s’est alors engagé à produire une expertise en hygiène environnementale et industrielle d’ici le 30 septembre 2009 et à fournir les dates de disponibilité de son expert pour les audiences à venir. Le soussigné a alors informé Me Lamarche que, comme il s’agit d’une date choisie par ce dernier, ce délai ne serait pas prolongé et qu’un dépôt tardif ne serait pas accepté ou autorisé par le Tribunal.
Après le dépôt de ce document, Me Charette avisera la Commission des lésions professionnelles de ses intentions eu égard à celui-ci, à savoir une réponse par l’entremise d’un expert ou des commentaires écrits ou à l’audience à venir.
Enfin, lorsque l’échange de documents sera complété, une ou des dates d’audiences seront fixées afin de finaliser ce dossier.
La soussignée a profité de cette conversation téléphonique pour sensibiliser les parties aux longs délais écoulés dans cette affaire et a exprimé le souhait de terminer ce dossier, qui est en cours depuis l’année 2005, avant le début de l’année 2010.
[Notre soulignement]
[38] Le 24 septembre 2009, le procureur de la succession transmet au premier juge administratif une nouvelle demande de délai supplémentaire pour fournir l’expertise en hygiène industrielle et environnementale déjà annoncée. Pour expliquer son retard, il allègue les difficultés rencontrées pour identifier un expert, les problèmes financiers de sa clientèle et le manque de renseignements nécessaires. Il écrit :
Durant tout l’été, nous avons effectué des recherches pour obtenir les services d’une firme au Québec qui accepterait de produire une expertise à l’encontre de celle produite par l’Iron Ore Tinto. Il fut difficile de trouver une firme compétente et intéressée au mandat au Québec.
Aussi notre cliente a connue des difficultés pour le financement de l’expertise, de même que pour obtenir les informations requises et pertinentes pour la production du rapport.
[sic]
[39] À l’appui de sa demande, il soumet la lettre de l’hygiéniste Tom Beardall du 18 septembre 2009, lequel écrit qu’il a besoin d’environ cinq semaines pour produire le document requis à partir du moment où ses services seront retenus et les documents pertinents reçus.
[40] Dans une lettre du 25 septembre 2009, l’employeur s’objecte à cette demande en rappelant les termes de la dernière décision, laquelle annonce que le délai ne sera pas prolongé une seconde fois.
[41] Le 30 septembre 2009, le premier juge administratif refuse cette demande. Il fait un résumé des étapes déjà franchies et il répond à la demande en ces termes :
Ces énoncés sont toujours valables et je vous demanderais donc de les respecter. Ainsi, aucune prolongation de délai ne sera octroyée et j’attends donc vos disponibilités afin d’entendre vos argumentations dans cette affaire.
[42] La décision est communiquée aux parties vers 13 h.
[43] Ce 30 septembre 2009, en matinée, le procureur de la succession faisait parvenir à la Commission des lésions professionnelles une réplique à l’objection de l’employeur. La succession fait valoir qu’elle a eu de nombreuses embûches dans sa recherche d’un expert. Elle mentionne ses difficultés financières qui l’ont freinée dans son désir d’obtenir un rapport d’expert. Elle ajoute que ses recherches lui ont permis de repérer une source qui lui donnerait accès aux plans de l’établissement de Sept-Îles. Elle écrit :
I am writing you with regard to the necessary expertise of an occupational and environmental hygienist for my deceased husband, Brian Derynck’s case with the C.L.P. At this time, I find it necessary to ask you for your assistance in obtaining an extension of time to deposit the report with the C.L.P. As you are aware, I have contracted Mr Tom Beardall of Phoenix OHC to complete this task and you will have a letter from Mr Beardall confirming the time required. It is important for the C.L.P. to know since May with the help also of my brother John Wannop, we have vigorously pursued having this report completed. As you can appreciate, it was our preference to hire a Quebec firm or individual expert who was bilingual due to the fact that the bulk of the testimony and other relating information is in the French language. Mr Tom Beardall also thought that this should be pushed and said if he could refer someone in Quebec to take on the task, we would. Following an enormous amount of time making calls to enormous professionals, sending emails, writing, and following up, we were faced again and again with either an unwillingness to represent or a conflict of interest like Santinel. We are continuing with Phoenix OHC, Mr. Beardall’s firm although this is approximately six times more costly than the estimated obtained for the Santinel report. This unexpected difference in cost caused another delay as I have limited resources and had to arrange the necessary funds which took me longer than I had hoped, and would not have had him start until I was sure I could have the funds in place. This is completed, the funds are in place, and I look forward to having the chance to conclude this part of the process. In closing, I appreciate any assistance you may give me in extending the time needed. Also, Sylvain with regards to the drawings for 100 Retty St. Sept-Iles, my brother John Wannop has located a full set of drawings in the town archives and Ms. Valerie Haince of the town of Sept-Iles has confirmed she will release a copy once we obtain the OIC’s permission. I have enclosed a copy of her email to John for her contact info. The new owner who demolished the building has said they consent to the release subject to the OIC approval.
[44] Il n’apparaît pas que ce document a été soumis au premier juge administratif avant que la décision de celui-ci soit prise.
[45] Le 22 octobre 2009, le procureur de la succession écrit au premier juge administratif. Il lui demande de réviser la décision.
[46] Le 23 octobre 2009, le premier juge administratif écrit au procureur de la succession pour l’informer qu’il ne répondra pas à sa demande et qu’une autre formation sera constituée pour en disposer. Sa lettre comporte les remarques suivantes :
Je vous rappelle que, au terme des trois journées d’audience tenues les 13, 14 et 15 mai 2009, vous aviez demandé un délai (jusqu’au 30 mai 2009) au terme duquel vous deviez m’informer du temps nécessaire pour soumettre une expertise d’un hygiéniste industriel. Ce délai vous a été accordé.
Or, vous avez requis un délai additionnel afin de fournir cette information. Ce délai vous a été accordé et, donc, vous aviez alors jusqu’au 19 juin pour ce faire.
Comme cette information n’avait toujours pas été transmise, il a été convenu de tenir une conférence téléphonique entre la soussignée, Me Charrette et vous-même, le 19 juin 2009, afin de faire le point et de disposer de la question du dépôt de l’expertise. Un représentant de votre cliente semblait présent dans vos bureaux puisque vous avez consulté celui-ci à plusieurs reprises lors de cette conversation téléphonique. Je me souviens fort bien que vous aviez d’abord suggéré de produire ladite expertise en août 2009. Je vous avais alors fait valoir que, compte tenu des vacances estivales, ce délai semblait court. Je vous ai dit à plusieurs reprises de choisir une date réaliste tout en vous mentionnant que ce délai ne serait pas prolongé. Vous avez, après avoir consulté votre cliente, choisi le 30 septembre 2009 comme date de production de l’expertise et la soussignée a rédigé un procès-verbal reprenant les grandes lignes de cette conversation et les engagements pris à cette occasion.
Quelques jours avant la date butoir du 30 septembre, vous avez de nouveau requis un délai additionnel. Les documents que vous avez joints à cette demande démontrent qu’aucun mandat n’était encore confié à un expert à cette date.
Je vous ai donc rappelé, le 30 septembre 2009, les ententes survenues lors de la conversation téléphonique tenue le 19 juin 2009 et j’ai refusé toute prolongation.
[47] Le 30 octobre 2009, le procureur de la succession dépose une requête en révision et en révocation. Il allègue que la décision du premier juge administratif refusant de prolonger le délai accordé pour la production d’une expertise est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider. Il annexe à la requête certains documents. Voici les éléments que le présent tribunal retient.
[48] Le 21 juillet 2009, un courriel est adressé au procureur de la succession par le frère de la conjointe du travailleur. On lit que le procureur a été informé une semaine auparavant que monsieur Tom Beardall pourrait leur référer un expert du Québec ou à défaut produire lui-même l’expertise pour le 30 septembre 2009. Il demande au procureur de mandater l’expert Beardall : « Also as discussed, could you please provide him a mandate for the expertise and copy me please. »
[49] Le 22 juillet 2009, c’est l’expert Beardall qui transmet un courriel au procureur de la succession. Il écrit :
Further to our conversation, I understand that you seek an expert report from an Occupational Hygienist expressing an opinion as to whether it was probable or possible that Mr. Derynck was exposed to asbestos while working at Iron Ore of Canada.
My rate is 200 $ per hour. I would anticipate a minimum of 40 hours of work to produce the report, but I can better estimate this once I review the available information to be provided by you and/or the family, and based on written terms of reference.
The report would be completed by myself a Senior Registered Occupational Hygienist with 20 years of experience, much of it relating to asbestos and human health risk assessment. Our website can be found at www.phoenix-ohc.ca.
[50] Le 30 juillet 2009, la conjointe du travailleur autorise la communication à l’expert Beardall de tous les renseignements pertinents. Elle confirme le mandat confié au procureur de la succession quant à l’obtention et la transmission de « all the information asked and needed to process at the hygienist expertise report mention above and for the follow up of this file ».
[51] Le 18 septembre 2009, l’expert Beardall écrit au procureur de la succession pour l’informer que l’expertise peut être produite en cinq semaines à compter de la réception des documents pertinents. Cette lettre était également annexée à la demande de prolongation de délai que le premier juge administratif a refusé.
[52] Le 22 septembre 2009, le procureur de la succession reçoit un courriel de l’expert Beardall qui fait suite à un message laissé dans sa boîte vocale. Il mentionne le coût de l’expertise, soit 8 000 $. Il indique le moyen pour confirmer le contrat. L’expert mentionne également qu’il présume que ses travaux ne débuteront pas avant que la succession ait obtenu un délai additionnel. Il rappelle également qu’il doit obtenir une autorisation écrite pour procéder et « the background information ».
[53] D’autres documents concernent les démarches effectuées depuis juin 2009 par la succession pour avoir accès au plan de l’établissement où le travailleur a accompli ses fonctions pour l’employeur.
[54] À l’audience, le présent tribunal a entendu le témoignage de monsieur John Wannop, le frère de la conjointe du travailleur. Il indique qu’il est impliqué au dossier depuis novembre 2006. Il aide sa sœur et lui apporte son appui.
[55] Il raconte qu’après l’audience de mai 2009, il a entrepris des recherches pour compléter les renseignements déjà en preuve. Il confirme qu’il était présent au bureau du procureur de la succession au moment de la conférence téléphonique du 11 juin 2009. Il affirme que l’expert Beardall a accepté de produire un rapport en juillet 2009.
[56] Monsieur Wannop indique qu’il a aussi tenté d’avoir d’autres plans de l’établissement que ceux déposés par l’employeur. Il a fait plusieurs appels téléphoniques à cet égard. Il a finalement eu la confirmation que la municipalité en avait un exemplaire. On a refusé de lui en remettre une copie parce que, dit-il, l’employeur refusait d’autoriser cette communication. Il précise que ces documents sont nécessaires pour produire l’expertise.
[57] Il relate également les démarches faites pour obtenir la copie du dossier et de l’enregistrement sonore de l’audience et pour en obtenir la traduction. Il indique que les démarches ont été faites en septembre 2009.
[58] La conjointe du travailleur témoigne également. Elle explique qu’à l’été 2009 elle ne pouvait pas payer pour l‘expertise. Elle ne se souvient pas de la somme qu’elle aurait à débourser. Elle indique que c’est son frère qui a fait les démarches. Son souvenir des événements de l’été 2009 n’est pas précis.
L’AVIS DES MEMBRES
[59] Le membre issu des associations d’employeurs rejetterait la requête en révision ou en révocation. Il considère que la succession a disposé du temps suffisant pour présenter une preuve d’expert sur l’exposition professionnelle aux contaminants. Il fait valoir que la préparation de cette preuve aurait dû être une préoccupation dès l’introduction de la contestation.
[60] Le membre issu des associations syndicales accueillerait la requête en révocation. Il considère que la décision refusant un délai additionnel a été rendue sans permettre à la partie requérante de se faire entendre. Il révoquerait la décision du premier juge administratif et lui retournerait le dossier afin qu’une nouvelle décision soit rendue en toute connaissance de cause. Il fait remarquer que la décision sur la preuve relève de la prérogative du premier juge administratif.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[61] Avant d’aborder l’examen des reproches que la succession formule à l’encontre de la décision du premier juge administratif, il y a lieu de rappeler les règles et les principes de droit applicables dans le cas d’une requête en révision ou en révocation.
[62] Suivant l’article 429.49 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), les décisions de la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[Notre soulignement]
[63] Par ailleurs, la loi prévoit un recours qui fait exception à ce principe. Il s’agit de la révision ou la révocation comme le stipule l’article 429.56 de la loi :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[64] La succession allègue plusieurs motifs qui se rapportent aux trois paragraphes de cette disposition. Voyons d’abord les éléments qu’elle qualifie de faits nouveaux.
[65] La succession indique que la découverte du fait que la municipalité détenait des plans de l’établissement constitue un fait nouveau qui justifie une décision différente sur la prolongation du délai fixé pour déposer une expertise.
[66] La succession réfère à des documents qui existaient bien avant l’été 2009. Rien ne l’empêchait de faire ses démarches à la municipalité avant la conférence téléphonique du 19 juin 2009.
[67] En effet, les démarches entreprises par le frère de la conjointe du travailleur auraient pu être amorcées en temps utile pour que les plans soient déposés à l’audience de mai 2009 ou, à tout le moins, pour qu’une assignation à comparaître soit transmise à la municipalité en vue de l’audience du mois de mai 2009.
[68] Ainsi, la succession ne peut pas prétendre que la découverte du fait que la municipalité détenait des plans constitue un fait nouveau par rapport aux engagements qu’elle a pris le 19 juin 2009 et à la décision qui en a découlé quant à l’établissement d’une échéance péremptoire.
[69] L’allégation de faits nouveaux justifiant une décision différente n’est donc pas retenue.
[70] La succession plaide également qu’elle n’a pu se faire entendre sur sa demande de prolongation. Elle indique que le premier juge administratif a refusé, voire ignoré, les motifs de sa demande. Il tire cet argument du texte de la décision qui lui a été remise.
[71] Il faut d’abord constater que le premier juge administratif a pris connaissance de la lettre du procureur de la succession puisqu’il le mentionne. Il faut en inférer qu’il a pris connaissance des motifs allégués. Ce n’est pas parce que le premier juge ne les rapporte pas qu’il faut en conclure qu’il les a ignorés à tous égards.
[72] La décision du premier juge administratif démontre que celui-ci a tenu compte des faits antérieurs et surtout de la décision déjà rendue quant à l’établissement d’une échéance péremptoire. À sa lecture, on ne peut pas conclure que le premier juge administratif a omis d’entendre la succession.
[73] Il faut rappeler que la contre-preuve avait été autorisée par le premier juge administratif alors que la production d’une expertise environnementale était annoncée depuis juin 2007 sans avoir été réalisée. Il faut également souligner que la succession n’a pas respecté la première échéance du 30 mai 2009.
[74] C’est dans ce contexte particulier que le premier juge administratif a requis que la succession se commette sur un échéancier. Il a insisté pour que le délai soit réaliste. Il a laissé le choix de l’échéance au procureur de la succession en indiquant par ailleurs que la date serait péremptoire ce qui est raisonnable compte tenu des délais écoulés depuis l’introduction de la contestation et du non-respect de première date limite du 30 mai 2009.
[75] Cette manière de procéder est tout à fait correcte. Elle témoigne d’un souci d’accessibilité et de célérité qui est conforme aux objectifs de la justice administrative[2].
[76] La façon de procéder du premier juge administratif ne démontre pas qu’il a ignoré les motifs invoqués au soutien de la demande de prolongation et qu’il ait refusé d’entendre la succession. Il s’en est remis à ce qui a déjà été décidé le 19 juin 2009 que la succession n’avait d’ailleurs pas contesté.
[77] Lorsque le premier juge administratif a refusé de prolonger le délai péremptoire, il n’a pas rendu une décision qui contrevient au droit d’être entendu de la succession. Il faut plutôt comprendre qu’en ne se conformant pas à l’échéance péremptoire c’est la succession elle-même qui a renoncé implicitement à son droit de faire valoir une preuve.
[78] On en vient aux allégations de vice de fond et de procédure.
[79] Selon la jurisprudence constante de la Commission des lésions professionnelles, le vice de fond ou de procédure de nature à invalider une décision constitue une erreur manifeste de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur l’issue du litige[3]. Ce principe a été réaffirmé par les tribunaux supérieurs et notamment par la Cour d’appel du Québec qui a rappelé que la Commission des lésions professionnelles devait agir avec grande retenue en accordant une primauté à la première décision et se garder d’apprécier de nouveau la preuve et de réinterpréter les règles de droit[4].
[80] Dans le présent dossier, la succession soutient que sa réplique du 30 septembre 2009 n’a pas été soumise au premier juge administratif avant que celui-ci rende sa décision. Le présent tribunal fait le même constat.
[81] La succession plaide qu’il s’agit d’un manquement au droit d’être entendu qui est fatal et qui justifie la révocation de la décision[5].
[82] Avec respect, le tribunal juge qu’en l’espèce l’erreur, soit le fait que la décision du premier juge administratif a été rendue sans que la réplique lui soit soumise, constitue plutôt un vice de procédure qui est sans conséquence. En effet, cette réplique reprend les éléments déjà énoncés à la demande initiale. Le premier juge administratif était déjà au courant des problèmes soulevés par la succession.
[83] L’erreur n’a pas d’effet déterminant sur l’issue de la demande en prolongation de délai. Les documents déposés avec la requête en révision ou en révocation et la preuve administrée à l’audience sont venus nuancer, voire contredire, certains éléments de la réplique et de la demande initiale voulant que « Durant tout l’été nous avons effectué des recherches pour retenir les services d’une firme au Québec… ». La preuve indique plutôt que la succession a choisi de retenir les services de l’expert Beardall vers le 21 juillet 2009.
[84] Quant aux difficultés financières alléguées, la déclaration de la conjointe du travailleur n’est pas déterminante. Lorsque la succession a confirmé qu’elle désirait déposer une expertise en hygiène industrielle et donner son engagement à le faire pour le 30 septembre 2009, elle devait s’attendre à débourser un montant appréciable pour les services d’un expert. Elle avait d’ailleurs eu quelques semaines, soit du 15 mai au 19 juin 2009, pour s’enquérir des tarifs applicables.
[85] Enfin, nous avons déjà indiqué que la découverte du fait que la municipalité de Sept-Îles détenait des plans ne constitue pas un fait nouveau.
[86] Ainsi, le fait que le premier juge administratif a pris sa décision sans qu’on lui soumette la lettre du 30 septembre 2009 est sans conséquence sur la décision du premier juge administratif de refuser de reporter l’échéance établie pour le dépôt de l’expertise d’hygiène industrielle.
[87] La succession fait également valoir que la décision du premier juge administratif n’est pas suffisamment motivée et que de ce fait elle est entachée d’un vice de fond fatal. Avec égard, ce n’est pas la lecture que le présent tribunal fait.
[88] La décision est claire et intelligible. Le texte, bien que court, permet de comprendre le raisonnement et les motifs qui soutiennent la conclusion. Pour reprendre une expression utilisée dans une décision que le procureur de la succession cite, on ne peut conclure que le premier juge administratif s’est contenté de conclure sans expliquer[6].
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de la succession de Bryan-Earle Derynck.
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Michèle Juteau |
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Me Sylvain Lamarche |
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Procureur de la partie requérante |
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Me Alexis-François Charette |
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Ogilvy Renault |
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Représentant de la partie intéressée |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Loi sur la justice administrative, article 1, L.R.Q., c. J-3.
[3] Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P., 733; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P.; CSST et Viandes & Aliments Or-Fil, C.L.P. 86173-61-9702, 24 novembre 1998, S. Di-Pasquale; Louis- Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation, C.L.P. 214190-07-0308, 20 décembre 2005, L. Nadeau.
[4] Bourassa et Commission des lésions professionnelles [2003] C.L.P. 601 C.A.; CSST et Fontaine [2005] C.L.P. 626 C.A; CSST et Touloumi, [2005] C.L.P. 921 C.A.
[5] Casino de Hull et Gascon, C.L.P. 115946-07-9904, 14 novembre 2000, M. Zigby.
[6] Emballage Workman inc. (multisac) et Martinez et CSST, C.L.P. 141500-72-0006, 2 mai 2002, L. Landriault.
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