Décision

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Fortin et Gestion Berthelot inc.

2007 QCCLP 3709

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Jean-sur-Richelieu

20 juin 2007

 

Région :

Richelieu-Salaberry

 

Dossier :

290718-62A-0605

 

Dossier CSST :

127732030

 

Commissaire :

Me Johanne Landry

 

Membres :

Yvette Moreau Duc, associations d’employeurs

 

Carmen Surprenant, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Richard Fortin

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Gestion Berthelot inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 26 mai 2006, monsieur Richard Fortin (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 17 mai 2006 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST déclare que sa décision initiale du 14 décembre 2005 refusant au travailleur le remboursement d’une intervention chirurgicale en clinique privée est nulle parce qu’elle est prématurée et qu’il appartient à la CSST de donner suite au traitement du dossier, s’il y a lieu.

[3]                La CSST est intervenue devant la Commission des lésions professionnelles comme le permet l’article 429.16 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[4]                Les parties ont été convoquées à une audience devant se tenir le 4 mai 2007 à Saint-Jean-sur-Richelieu. Cependant, elles ont demandé à la Commission des lésions professionnelles de procéder sur dossier. Un délai a été accordé pour transmettre les argumentations écrites et l’affaire a été prise en délibéré le 25 mai 2007.  

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]                Le travailleur demande de déclarer qu’il a droit au remboursement de la somme de 5 575 $ pour le coût d’une intervention chirurgicale pratiquée par le docteur Marc Beauchamp en clinique privée le 20 octobre 2005.

L’AVIS DES MEMBRES

[6]                La membre issue des associations d’employeurs et la membre issue des associations syndicales constatent que la chirurgie du 20 octobre 2005 constitue une assistance médicale à laquelle le travailleur a droit et que le coût de cette assistance est à la charge de la CSST. Elles retiennent également que la « nouvelle orientation » de la CSST a été adoptée après le 20 octobre 2005. Elles estiment que, dans ce cas particulier, le travailleur doit être remboursé des frais qu’il a réellement déboursés pour cette intervention. Elles sont donc d’avis que la requête du travailleur devrait être accueillie.

L’ARGUMENTATION

LE TRAVAILLEUR

[7]                Le procureur du travailleur allègue que le docteur Beauchamp est un professionnel de la santé au sens de l’article 189 de la loi et que l’intervention chirurgicale qu’il a pratiquée constitue une assistance médicale visée à l’article 188 de la loi. Il s’appuie essentiellement sur la décision Brousseau et Isolation Confort ltée[2] dans laquelle la Commission des lésions professionnelles a déterminé que le travailleur a droit au remboursement du coût d’une telle intervention. Le procureur reconnaît que cette décision a été révoquée sur l’aspect du montant à être remboursé[3]; cependant, dans le présent dossier, il estime que pour des raisons d’équité prévues à l’article 351 de la loi, le travailleur devrait être remboursé des frais réellement encourus.

[8]                À cet effet, il dépose une facture de 5 575 $ adressée au travailleur, un reçu pour le paiement effectué par carte de crédit de la moitié de cette somme (2 787,50 $) et le protocole opératoire.

LA CSST

[9]                Le représentant de la CSST soumet que celle-ci a modifié son orientation en mars 2006 et qu’elle accepte désormais de payer la composante technique à une clinique privée en sus de la composante professionnelle au médecin non participant. Toutefois, il allègue qu’un tel paiement est assujetti à des modalités qui n’ont pas été suivies dans le cas présent. Il allègue que la décision Brousseau a été révoquée parce qu’elle ne respectait pas l’article 194 de la loi, lequel oblige le professionnel de la santé, même non participant au régime public, à produire sa réclamation auprès de la CSST et non du travailleur, puisque l’objectif de cet article est d’éviter que les travailleurs aient à assumer une telle dépense. Par conséquent, la CSST considère que la réclamation du travailleur est irrégulière, car il « ne peut réclamer à la CSST des frais pour les services d’un professionnel de la santé, car ceux-ci sont payables, suivant l’article 196 LATMP, par la Régie de l’assurance-maladie du Québec, selon une entente entre cette dernière et la CSST. La CSST rembourse la Régie par la suite ».

[10]           Le représentant de la CSST ajoute que selon l’article 349 de la loi, celle-ci peut se prononcer sur les montants auxquels les médecins non participants ont droit pour leurs services professionnels fournis en assistance médicale à des travailleurs. Elle doit alors tenir compte de l’article 586 de la loi qui réfère à un coût « convenable et raisonnable ». Elle n’a pas à assumer des coûts plus élevés que ceux prévus par les régimes publics d’assurance, tel celui de la Régie de l’assurance maladie du Québec car, comme mentionné dans la décision Broussau révoquée, il en résulterait une injustice et une iniquité à l’encontre de l’ensemble des citoyens du Québec. Or, en l’espèce, aucun montant n’a encore été établi par la CSST et la Commission des lésions professionnelles, telle que précisée dans la décision Brousseau révoquée, s’arrogerait une compétence qu’elle n’a pas en se prononçant sur le quantum admissible sans que la CSST n’ait pu se prononcer sur la question.

[11]           D’autre part, depuis la décision Brousseau, la CSST a adopté une orientation concernant le paiement de ces frais et une lettre a été expédiée à tous les médecins non participants leur expliquant l’application de ces nouvelles règles. Toutefois, il constate que « cette orientation ne fut, par contre, pas assez rapide pour permettre d’éviter le présent débat ».  

[12]           Le représentant de la CSST soumet qu’une application rigoureuse de la loi est de mise afin de mieux définir les devoirs et obligations des médecins non participants et d’assurer la protection des travailleurs énoncée à l’article 194 de la loi tout en permettant un traitement plus équitable à l’égard de l’ensemble des travailleurs au Québec. Conséquemment, il demande donc de maintenir la décision de la révision administrative.

[13]           Il dépose la circulaire adressée par la CSST aux professionnels non participants au régime de l’assurance maladie du Québec avec en annexe une « description des frais payables » et un « exemple de facturation » ainsi qu’une liste de ces professionnels et une lettre adressée au docteur Marc Beauchamp en date du 4 décembre 2006.

[14]           La circulaire indique que l’orientation de la CSST, en ce qui concerne le paiement des frais reliés à des soins dispensés par les médecins non participants, s’inscrit dans le respect de la loi laquelle prévoit notamment que le travailleur victime d’une lésion professionnelle a droit à l’assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion, que les services des professionnels de la santé font partie de l’assistance médicale et que le travailleur a droit aux soins du professionnel de la santé de son choix. Ainsi, « la CSST paie maintenant aux médecins non participants et aux cliniques où ils pratiquent, les mêmes montants que ceux qu’elle verse aux médecins participants et aux établissements du réseau public de la santé pour les mêmes services dispensés ».

[15]           La lettre adressée au docteur Beauchamp lui rappelle que le travailleur est indemnisé par la CSST, que la chirurgie qu’il a pratiquée était nécessaire et qu’en vertu de l’article 194 de la loi, le coût de l’assistance médicale est à la charge de la CSST et qu’aucun montant ne peut être réclamé au travailleur pour une prestation d’assistance médicale à laquelle il a droit. Il est donc demandé au docteur Beauchamp de rembourser le travailleur du montant déjà versé et de transmettre à la CSST sa facture détaillée, laquelle lui remboursera le même montant que celui qu’elle aurait versé à un médecin participant et à l’établissement du réseau public de la santé pour les mêmes services dispensés.  Le représentant de la CSST signale que le docteur Beauchamp n’a pas répondu à cette demande.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[16]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a droit au remboursement des frais qu’il a réellement encourus pour une intervention chirurgicale pratiquée en clinique privée le 20 octobre 2005 par le docteur Marc Beauchamp.

[17]           Le travailleur subit une lésion professionnelle le 13 mai 2005. Tel qu’énoncé aux articles 192 et 193 de la loi, il a droit aux soins du professionnel de la santé et à l’établissement de santé de son choix.

[18]           La CSST reconnaît que ce choix inclut les médecins non participants au régime de l’assurance maladie du Québec (la RAMQ) exerçant dans des cliniques privées. La Loi sur l’assurance maladie[4] définit le professionnel non participant :

e)      « professionnel non participant » : un professionnel qui exerce sa profession en dehors des cadres du régime institué par la présente loi, mais qui n’accepte pas d’être rémunéré suivant le tarif prévu à une entente ou qui fait l’objet d’une ordonnance émise en vertu de l’article 77, 77.01 ou 77.11 et dont tous les patients assument seul le paiement des honoraires qui comprennent le prix des médicaments dans le cas d’un pharmacien.

 

 

[19]           Le docteur Beauchamp est un médecin non participant à la RAMQ. Il n’est pas contesté que l’intervention chirurgicale qu’il a pratiquée (une arthroscopie et reconstruction de la coiffe des rotateurs gauches) fait partie de l’assistance médicale prévue à l’article 188 et au premier paragraphe de l’article 189 de la loi :

188. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.

__________

1985, c. 6, a. 188.

 

 

189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit:

 

1°   les services de professionnels de la santé;

__________

1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166.

 

 

[20]           Dans l’affaire Brousseau à laquelle se réfère le procureur du travailleur et le représentant de la CSST, la Commission des lésions professionnelles a initialement conclu que, dans un cas semblable, le travailleur avait droit au remboursement de la somme qu’il a défrayée personnellement pour une chirurgie effectuée en clinique privée par un médecin non participant et qui était reconnu comme étant une assistance médicale au sens de la loi.  

[21]           Par la suite, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision ou révocation, a révoqué uniquement la partie de cette décision portant sur le montant à être remboursé et a retourné le dossier à la CSST afin qu’elle se prononce sur cet aspect. La Commission des lésions professionnelles estime que le décideur initial a omis de tenir compte de l’article 194 de la loi.  Elle considère que cet article oblige un professionnel de la santé qui offre des services à un patient victime d’une lésion professionnelle à produire sa réclamation auprès de la CSST. Elle signale qu’en réclamant directement au travailleur, le professionnel de la santé transgresse l’article 194 de la loi et commet une infraction pénale prévue par l’article 463 de la loi. Cependant, comme le fait remarquer, à juste titre, le représentant de la CSST, elle n’infirme pas la conclusion à l’effet que le travailleur a droit au remboursement des frais pour cette chirurgie. Elle reproche simplement au premier commissaire de s’être prononcé sur le « quantum admissible » alors que la CSST et la révision administrative ne l’avaient pas fait, ce qui ne respecte pas l’article 586 de la loi.

[22]           Les articles 194 et 586 de la loi énoncent :

194. Le coût de l'assistance médicale est à la charge de la Commission.

 

Aucun montant ne peut être réclamé au travailleur pour une prestation d'assistance médicale à laquelle il a droit en vertu de la présente loi et aucune action à ce sujet n'est reçue par une cour de justice.

__________

1985, c. 6, a. 194.

 

 

586. Malgré le quatorzième alinéa de l'article 3 de la Loi sur l'assurance-maladie (chapitre A-29), édicté par l'article 488, la Commission assume le coût d'un service visé dans cet alinéa tant qu'une entente visée dans le deuxième alinéa de l'article 19 de cette loi, édicté par l'article 489, n'est pas en vigueur relativement à ce service.

 

La Commission fixe ce coût d'après ce qu'il serait convenable et raisonnable de réclamer du travailleur pour un service semblable s'il devait le payer lui-même.

__________

1985, c. 6, a. 586; 1999, c. 89, a. 44.

 

 

[23]           Le tribunal estime que cette décision en révocation ne remet pas en cause le droit du travailleur d’être remboursé des frais qu’il a déboursés pour de l’assistance médicale, malgré que ces frais lui aient été réclamés en contravention de l’article 194 de la loi.  

[24]           De plus, contrairement à l’affaire Brousseau, le tribunal considère que dans le cas présent, la CSST s’est prononcée sur le « quantum admissible ». Il correspond, suivant sa nouvelle orientation, à ce que la RAMQ payerait dans un cas semblable. Il faut donc en déduire que pour la CSST, ce tarif est « convenable et raisonnable » au sens de l’article 586 de la loi.

[25]           Or, le tribunal constate que cette nouvelle orientation n’existait pas en octobre 2005 au moment où le travailleur a subi son intervention chirurgicale. Il n’y a donc pas lieu de s’y référer en l’espèce. Comme le précisait le premier commissaire dans l’affaire Brousseau, « le remboursement des services ici en cause n’est donc pas limité dans sa quotité à un tarif légalement déterminé ».

[26]           Dans une autre décision[5], la Commission des lésions professionnelles a également conclu qu’un travailleur devait être remboursé des frais de 3 800 $ déboursés pour une intervention chirurgicale (provocation discale et nucléo plastie discale) qui n’était pas un service prévu par une entente visée aux articles 195 et 196 de la loi. La Commission des lésions professionnelles écrit :

[34]      De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, les ententes visées aux articles 195 et 196 de la loi permettent de restreindre le montant des frais réclamés par les établissements de santé et les médecins à la Régie de l’assurance-maladie et à la CSST. Elles ne permettent toutefois pas de restreindre le droit même du travailleur à l’assistance médicale vis-à-vis la CSST, puisqu’elles ne changent pas la définition de l’assistance médicale, laquelle est prévue à l’article 189 de la loi.

 

[35]      Si la CSST peut opposer ces ententes aux professionnels de la santé et aux établissements de santé qui lui réclament certaines sommes, elle ne peut se libérer de son obligation à l’égard du travailleur ni exclure de facto le coût de certains soins ou services professionnels compris dans la définition de l’assistance médicale, en prenant appui sur ces ententes.

 

[36]      La Commission des lésions professionnelles trouve également confirmation de la justesse de cette conclusion dans le texte de l’article 586 de la loi qui prévoit ce qu’il advient du coût du service d’un professionnel de la santé lorsqu’aucune entente n’est intervenue relativement à ce service. […]

 

[37]      L’article 586 de la loi permet donc, en l’absence d’une entente, l’adoption par la CSST d’une politique fixant le montant de l’honoraire payable pour un service rendu par un médecin, ce qui constitue une réitération de sa responsabilité financière en matière d’assistance médicale à l’égard du travailleur.

 

[38]      Il va sans dire que la loi a préséance sur la politique de la CSST. Conséquemment, le fait que la politique de la CSST alors en vigueur ne prévoyait pas le remboursement des frais relatifs aux traitements reçus ne peut pas signifier que le travailleur n’y a pas droit. De même, le fait que le travailleur a payé ces frais directement alors qu’il n’y était pas obligé n’emporte aucune conséquence, puisque la CSST aurait pu être forcée, pour les motifs énoncés précédemment, de payer ces frais directement aux médecins et à l’Institut.

 

[39]      Comme dans d’autres affaires mettant en jeu les mêmes principes, il y a lieu de conclure que le travailleur a droit au remboursement des frais relatifs à la provocation discale et à la nucléo plastie discale1.

____________

1           Bouchard et Kronos Canada inc., 240066-62-0407, 24 novembre 2006, É. Ouellet; Ross et Les Entreprises Mont Sterling inc., 248697-01C-0411, 28 mars 2006, R. Arseneau; Lefebvre et Goodyear Canada inc., 245525-64-0410, 7 mars 2006, M. Montplaisir

[27]           Considérant la jurisprudence, les faits particuliers du présent dossier et la preuve dont il dispose, le tribunal conclut que le travailleur doit être remboursé des frais qu’il a réellement encourus pour obtenir l’assistance médicale à laquelle il avait droit. 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de monsieur Richard Fortin (le travailleur);

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 17 mai 2006 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur a droit, sur présentation des pièces justificatives, au remboursement par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, des frais qu’il a réellement encourus pour une chirurgie pratiquée le 20 octobre 2005 par le docteur Marc Beauchamp.

 

 

__________________________________

 

Me Johanne Landry

 

Commissaire

 

 

 

 

Me Denis Mailloux

C.S.N.

Représentant de la partie requérante

 

 

M. Simon Massicotte, stagiaire en droit

Panneton Lessard

Représentant de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

[2]           [2004] C.L.P. 509

[3]           [2004] C.L.P.1513

[4]           L.R.Q. c. A-29

[5]           Chabot et Super C Division E.U.M.R., C.L.P. 286839-31-0604, 16 janvier 2007, G.Tardif

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