Levasseur et Sécurité-Policiers

2012 QCCLP 3129

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec 

9 mai 2012

 

Région :

Lanaudière

 

Dossier :

389813-63-0909, 403008-63-1002

 

Dossier CSST :

130277841

 

Commissaire :

Paul Champagne, juge administratif

 

Membres :

Luc Dupéré, associations d’employeurs

 

Robert P. Morissette, associations syndicales

 

 

Assesseur :

Michel Lesage, médecin

______________________________________________________________________

 

 

 

Steve Levasseur

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Sécurité-Policiers

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier 389813-63-0909

[1]           Le 23 septembre 2009, monsieur Steve Levasseur (le travailleur) dépose auprès de la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 11 septembre 2009 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme deux décisions qu’elle a initialement rendues le 31 juillet 2009. Elle déclare que la lésion professionnelle n’a entraîné aucune atteinte permanente à l’intégrité physique et que le travailleur n’a pas droit à une indemnité pour préjudice corporel. Elle déclare également que le travailleur est capable d’exercer son emploi à compter du 13 juillet 2009 et qu’il n’a plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu après cette date.

Dossier 403008-63-1002

[3]           Le 23 février 2010, le travailleur dépose auprès de la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 16 février 2010 à la suite d’une révision administrative.

[4]           Par cette décision, la CSST confirme une décision qu’elle a initialement rendue le 17 décembre 2009 et elle déclare que le travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation le 14 septembre 2009 en relation avec sa lésion professionnelle du 9 juin 2006.

[5]           Une audience est tenue à Joliette le 28 septembre 2011 et le 1er mars 2012. Le travailleur est présent et il est représenté. L’employeur est représenté. Le dossier a été mis en délibéré le 2 mars 2012.

L’OBJET DES CONTESTATIONS

Dossier 389813-63-0909

[6]           Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision rendue par la CSST le 11 septembre 2009 et déclarer que sa lésion professionnelle a entrainé une limitation fonctionnelle soit de ne plus porter de bâton télescopique à son ceinturon.

Dossier 403008-63-1002

[7]           Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision rendue par la CSST le 16 février 2010 et déclarer qu’il a subi une lésion professionnelle le 14 septembre 2009 soit une récidive, rechute ou aggravation en relation avec la lésion professionnelle du 9 juin 2006.

L’AVIS DES MEMBRES

[8]           Conformément aux dispositions de l’article 429.50 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), le soussigné a obtenu l’avis des membres qui ont siégé auprès de lui sur les questions faisant l’objet de la contestation dans le présent dossier.

[9]           Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis que le tribunal devrait maintenir la décision rendue par la CSST le 11 septembre 2009 à la suite d’une révision administrative. À leur avis, le devoir d’information du médecin qui a charge du travailleur ne va pas jusqu’à donner l’occasion au travailleur de contester les conclusions de son médecin ce que la loi ne lui permet pas de faire. Le 13 juillet 2009, le médecin du travailleur a conclu dans un rapport d’évaluation médicale que la lésion n’a pas entrainé d’atteinte permanente à l’intégrité physique ni limitations fonctionnelles. Dans les circonstances, le travailleur avait la capacité d’exercer son emploi à compter du 13 juillet 2009 et il n’avait plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu après cette date. Le travailleur n’a pas droit à une indemnité pour préjudice corporel puisque sa lésion n’a entrainé aucune atteinte permanente.

[10]        Par ailleurs, les membres sont d’avis que le tribunal devrait également rejeter la requête du travailleur en ce qui concerne sa réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation en date du 14 septembre 2009. La preuve prépondérante au dossier ne permet pas de conclure à une détérioration objective du travailleur à partir de cette date.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[11]        La Commission des lésions professionnelles doit décider si la lésion professionnelle du 9 juin 2006 a entraîné des limitations fonctionnelles. Le tribunal doit également décider si le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation le 14 septembre 2009 en relation avec la lésion professionnelle du 9 juin 2006.

[12]        De l’ensemble de la preuve, le tribunal retient les éléments suivants.

[13]        Le travailleur est policier pour l’employeur depuis 1998.

[14]        Le 20 septembre 2006, le travailleur consulte le docteur Poirier qui diagnostique un étirement musculaire. Des traitements de physiothérapie sont prescrits ainsi que des anti-inflammatoires non stéroïdiens.

[15]        Le 24 septembre 2006, le travailleur produit une réclamation auprès de la CSST dans laquelle il allègue qu’il a des douleurs au dos et à l’aine causées par l’ajout d’un bâton télescopique à son ceinturon.

[16]        Le 7 décembre 2006, le travailleur rencontre le docteur Marc Goulet, médecin désigné de l’employeur. Il conclut à un diagnostic de méralgie paresthésique gauche. Il mentionne dans son rapport que des ajustements ergonomiques au niveau du ceinturon pourraient être bénéfiques pour le travailleur.

[17]        Le 8 décembre 2006, la CSST rend une décision par laquelle elle accepte la réclamation du travailleur pour un accident du travail survenu le 9 juin 2006 en raison d’une posture ergonomie inadéquate avec l’ajout d’une nouvelle pièce d’équipement à son ceinturon. Les diagnostics acceptés par la CSST sont un étirement musculaire à l’aine gauche et une lombalgie.

[18]        Le travailleur sera suivi régulièrement par le docteur Poirier par la suite. Des traitements sont prescrits. Le 29 janvier 2007, le docteur Poirier cesse les traitements de physiothérapie et il réfère le travailleur en physiatrie.

[19]        Le 18 avril 2007, le travailleur consulte le docteur Sarto Imbeault, physiatre. Le travailleur rencontrera à plusieurs reprises le docteur Imbeaul par la suite, soit jusqu’au 21 mars 2008.

[20]        Le 1er mai 2007, le travailleur passe un examen par résonance magnétique de la colonne lombaire. Le rapport de cet examen fait état d’une petite hernie postéro-centrale au niveau L5-S1 sans évidence de compression radiculaire.

[21]        Le 14 mai 2007, le travailleur passe un examen par résonance magnétique du bassin et de la hanche gauche. La radiologiste mentionne dans son rapport qu’il y a une lésion impliquant l’os iliaque droit, elle suggère une scintigraphie osseuse et une tomodensitométrie axiale du bassin. La hanche gauche ne présente pas d’anomalie.

[22]        Une scintigraphie osseuse du bassin et une tomoscintigraphie de la colonne dorsolombaire sont effectuées le 11 juin 2007. Le rapport de ces examens situe la condition du travailleur dans les limites de la normale.

[23]        Le 1er octobre 2007, le travailleur subit une arthro IRM et un test diagnostique intra-articulaire. Le rapport de cet examen ne fait état d’aucune déchirure du labrum ni de stigmate d’un syndrome d’accrochage fémoro-acétabulaire.

[24]        À partir du 21 janvier 2008, le travailleur est suivi par le docteur M.G.[2]

[25]        Le 12 février 2008, le travailleur passe un électromyogramme. La docteure Muriel Haziza, physiatre, conclut qu’il n’y a aucune anomalie qui puisse expliquer la symptomatologie du travailleur.

[26]        Le 4 mars 2008, le travailleur passe un examen échographique de la hanche gauche. Le rapport de cet examen ne met aucune pathologie particulière en évidence.

[27]        Le 30 octobre 2008, le travailleur passe une radiographie simple de la colonne lombaire. L’alignement est bon, il n’y a pas de modification dégénérative ou post-traumatique et aucun signe d’anomalie de transition. Le même jour, le travailleur passe un examen par résonance magnétique de la colonne lombaire, le radiologiste conclut à une petite hernie discale sans sténose spinale au niveau L5-S1, trois anomalies d’os médullaire vertébral pour lesquelles il suggère une scintigraphie osseuse.

[28]        Le 16 avril 2009, le docteur G. consolide la lésion avec une atteinte permanente à l’intégrité physique et des limitations fonctionnelles. Il indique sur le formulaire d’usage qu’il va produire le rapport d’évaluation médicale conformément au Barème des dommages corporels.

[29]        Le 13 juillet 2009, le docteur G. confectionne le rapport d’évaluation médicale. Il mentionne dans son rapport les éléments suivants :

[…]

 

8.         décrire les limitations fonctionnelles résultant de sa lésion professionnelle, en tenant compte de ses capacités fonctionnelles biologiques ou mécaniques;

 

9. aucune

 

[…]

 

13.       syndrome douloureux hanche Gauche sans lésion radiologique ou physiologique ou clinique avec composante myofaciale ! vs neuropathie par irritation des terminaisons nerveuses par appui indu de l’équipement de travail ! non décelable en date de l’examen du 16-06-2009.

 

14.       dresser le bilan des séquelles sur le formulaire 2064 avec description de la séquelle, pourcentage de DAP et PE, selon le barème des dommages corporels

 

Aucun DAP

 

Garder possibilité de répéter des infiltrations myofaciales 2°/ an qui semblait l’aider ainsi que des traitements de chiropractie 1°/ mois qui semblait être soulageant.

 

 

[30]        Le 20 juillet 2009, le docteur G. inscrit « cas discuté » sur un rapport médical destiné à la CSST. Aucun diagnostic constaté ni prescription de traitement.

 

[31]        Suite au rapport du docteur G., la CSST a rendu ses deux décisions du 31 juillet 2009 concernant la capacité du travailleur à exercer son emploi à compter du 13 juillet 2009 et la fin de son droit à l’indemnité de remplacement du revenu. La lésion n’a entrainé aucune atteinte permanente à l’intégrité physique et, en conséquence, le travailleur n’a pas droit à une indemnité pour préjudice corporel. Ces deux décisions seront confirmées en révision administrative le 11 septembre 2009, il s’agit de l’une des décisions sous étude par le tribunal.

[32]        Le 3 août 2009, le médecin du bureau régional de la CSST fait un résumé d’un bilan médical téléphonique effectué auprès du docteur G. Ce bilan fait état des éléments suivants :

[…]

 

Docteur G. répond à ma question concernant le maintien ou non de la consolidation de la lésion sur le rapport médical final du 16 avril 2009 malgré 3 rapports médicaux d’évolution par la suite et la consultation du docteur André Desjardins, que la lésion est bien consolidée, car le patient n’a pas besoin d’autres consultation, d’investigation supplémentaire sous forme d’imagerie médicale ou autres et qu’il n’a pas besoin de chirurgie.

 

Selon docteur G., il n’y a pas de pathologie articulaire. Il y aurait compression d’une branche nerveuse par irritation duremérienne et peut-être une composante sacro-iliaque, ce qui explique le « Trigger Point » (TRP du RME du 19 mai 2009) au niveau du muscle petit fessier.

 

Docteur G. indique que le patient est subjectivement amélioré par le chiropraticien et les infiltrations myofaciales. Le patient ne demeure pas avec des séquelles permanentes. Il aura besoin possiblement de Xylocaine en myofacial 2 fois par année pour l’année à venir, ce qui est un traitement palliatif de soulagement de douleurs sans un but curatif direct.

 

Le travailleur ferait son travail sans problème selon le médecin.

 

[…]

 

 

[33]        Le 14 septembre 2009, le travailleur consulte le docteur Narbonne. Il mentionne dans son rapport médical les éléments suivants :

Entorse lombaire (rechute)

H discale connue L5-S1

Lasègue (illisible)

Mobil  e douleur sacre D

Physio à reprendre

 

[…]

 

 

[34]        Le 16 septembre 2009, le travailleur dépose auprès de la Commission de la santé et de la sécurité du travail une réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation qui serait survenue le 14 septembre 2009. Le 17 décembre 2009, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse cette réclamation. Cette décision sera maintenue en révision administrative le 16 février 2010, il s’agit de l’une des décisions sous étude par le tribunal.

[35]        Le 2 octobre 2009, le travailleur consulte le docteur Sarrazin, il inscrit dans son rapport que le travailleur a une lombalgie en investigation et qu’un scan est en attente pour le bassin.

[36]        Le 18 novembre 2009, le travailleur consulte le docteur Desjardins, il mentionne sur un rapport médical que le travailleur présente une cruralgie gauche et des douleurs lombaires et à l’hémibassin. Il indique aussi que le scan du bassin est négatif et que le problème est complexe.

[37]        Le 17 décembre 2009, le docteur Beauchemin diagnostique une lombalgie chronique et douleur à la hanche gauche, il réfère le travailleur en orthopédie et il prescrit un retour au travail dans les tâches habituelles.

[38]        Un rapport médical daté du 30 mars 2010 fait état d’un diagnostic de syndrome facettaire. Le travailleur subira des blocs facettaires le 6 avril 2010 et le 7 juillet 2010. Une épidurale sera administrée le 4 octobre 2010.

[39]        Le travailleur a témoigné à l’audience. Il a affirmé que la symptomatologie qu’il présente au niveau du bas du dos et de la hanche gauche coïncide avec l’obligation de porter un nouveau ceinturon avec bâton télescopique (talonnette) depuis 2005. Ce nouvel équipement crée un inconfort lorsqu’il fait de la patrouille en automobile. La talonnette dépasse et elle crée une surélévation.

[40]        En raison de ses pathologies, le travailleur aura des traitements de chiropractie, de physiothérapie et d’acupuncture ainsi que des prescriptions médicamenteuses. En raison de la prise du médicament « Dilaudid », le travailleur a été en arrêt de travail à partir du 31 octobre 2007. Il sera en travaux légers à partir du 11 février 2008. Le 7 mai 2008, le travailleur est à son travail régulier sans l’obligation de porter le bâton télescopique.

[41]        Le 16 avril 2009, le docteur G. a cessé les traitements de physiothérapie. Le travailleur a affirmé que le docteur G. lui aurait alors demandé de dresser la liste des activités qu’il ne pouvait pas faire et les traitements qui lui semblaient les plus efficaces. Il a fait des suggestions au docteur G. et celui-ci n’en n’a pas tenu compte dans son rapport d’évaluation médicale.

[42]        Du 30 mars 2009 au 16 mai 2009, le travailleur a été en vacances et en formation. Durant cette période, il était peu exposé aux contraintes dans son milieu de travail et sa condition s’était améliorée. Le travailleur a discuté avec le docteur G. des activités qui présentaient des difficultés  le 19 mai 2009.

[43]         Le 15 juin 2009, lors d’une autre consultation auprès du docteur G., les douleurs avaient augmenté selon le travailleur, il n’a pas eu d’examen clinique ce jour.

[44]        Le 20 juillet 2009, le travailleur a revu le docteur G. Le travailleur affirme que le docteur G. lui aurait dit que sa lésion a entrainé des limitations fonctionnelles permanentes et que des traitements seraient toujours nécessaires. Aucun examen clinique n’a été effectué ce jour.

[45]        C’est la secrétaire du docteur G. qui lui a remis une copie du rapport d’évaluation médicale le 20 juillet 2009.

[46]        Jusqu’au 16 août 2009, le travailleur faisait de la supervision et sa condition était supportable. Par la suite, le travailleur a fait ses tâches habituelles de patrouilleur et les douleurs sont devenues insupportables. Il a consulté un médecin.

[47]        Le 30 octobre 2009, le travailleur a déposé une plainte auprès du Collège des médecins du Québec concernant le docteur G. Le 28 juillet 2010, le syndic adjoint du Collège des médecins transmet une correspondance au travailleur dans laquelle il affirme qu’après révision de son dossier, il est d’avis que le docteur G. a procédé à une évaluation superficielle de sa condition médicale. Le travailleur a demandé la révision de cette décision. Le tribunal ignore si le dossier du docteur G. a fait l’objet d’une plainte devant le conseil de discipline du Collège des médecins.

[48]        Le 8 novembre 2010, l’employeur a informé le travailleur qu’il avait désormais l’obligation de porter le bâton télescopique. Un bâton plus petit a été fourni au travailleur et il n’a pas l’obligation de le porter lorsqu’il fait de la patrouille automobile. En date du 28 septembre 2011, le travailleur décrit sa situation comme étant « endurable ».

[49]        À ce stade, le tribunal dispose de toute la preuve utile pour disposer des litiges dans le présent dossier.

[50]        Dans un premier temps, le tribunal tient à préciser qu’il ne fait pas de doute que le docteur G. est le médecin qui a charge du travailleur au sens de la loi. Le travailleur a été pris en charge par ce médecin le 21 janvier 2008, des traitements et des examens ont été prescrits, il a assuré le suivi médical de la lésion jusqu’à sa consolidation le 16 avril 2009 et il a produit le rapport médical final requis par la loi. En l’absence de procédure d’évaluation médicale, le tribunal est lié par les conclusions médicales du médecin qui a charge du travailleur comme le prévoit l’article 224 de la loi qui se lit comme suit :

224.  Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 .

__________

1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.

 

 

[51]        À l’audience, la représentante du travailleur a plaidé que le rapport d’évaluation médicale du docteur G. était irrégulier et qu’il ne reflétait pas la réalité clinique du travailleur. Au surplus, le travailleur n’a pas été informé du contenu du rapport avant que celui-ci soit transmis à la CSST alors que le médecin du travailleur devait le faire comme le prévoit la loi. Dans les circonstances, elle demande de déclarer nul le rapport d’évaluation médicale du docteur G.

[52]        La loi prévoit que le médecin qui a charge du travailleur doit informer sans délai le travailleur du contenu de son rapport d’évaluation. L’article 203 de la loi se lit comme suit :

203.  Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.

 

Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant :

 

1° le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;

 

2° la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;

 

3° l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.

 

Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.

__________

1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.

 

 

[53]        Dans une décision récente[3], le soussigné a rendu une décision concernant la portée de l’obligation d’information prévue à l’article 203 de la loi. Cette obligation vise surtout à permettre au travailleur de savoir si le processus d’indemnisation par la CSST se poursuit ou s’il doit reprendre son travail habituel chez son employeur. Puisque le droit à l’indemnité de remplacement du revenu prend fin à la date ou la CSST reçoit un rapport indiquant la date de consolidation de la lésion sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles, il est donc essentiel que le travailleur soit informé sans délai du contenu du rapport de son médecin afin qu’il réintègre son poste de travail sans subir de perte financière.

[54]        Lorsque la lésion a entrainé une atteinte permanente ou des limitations fonctionnelles, il peut s’agir de l’occasion pour le travailleur de préciser à son médecin traitant les conditions habituelles de son travail afin de s’assurer que sa condition lui permet de l’exercer.

[55]        Cette obligation d’information n’a pas pour but de permettre au travailleur de contester les conclusions de son médecin, ce que la loi ne permet pas, ni de dicter à son médecin les conclusions médicales qu’il désire, ni de lui permettre de changer de médecin s’il n’est pas d’accord[4].

[56]        Le médecin du travailleur a consolidé la lésion sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles. L’appréciation des conditions d’exercice du travail du travailleur par son médecin n’est donc pas nécessaire puisque aucune limitation ne résulte de la lésion. Néanmoins, les notes médicales du docteur G. font état des difficultés qu’éprouve le travailleur dans l’exécution de ses tâches au travail, le médecin du travailleur était donc en mesure d’apprécier ses conditions de travail. La preuve révèle par ailleurs qu’à la date de consolidation de la lésion professionnelle, le travailleur exerçait son travail habituel pour l’employeur.  

[57]        Dans certains cas, la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles[5] a jugé que pour être valide, un rapport final doit être préparé à la suite d’un examen clinique du travailleur. De l’avis du soussigné, cet examen n’a pas nécessairement à être fait le jour de la confection du rapport final. Il peut s’écouler quelques jours ou quelques semaines entre la consolidation de la lésion et la confection du rapport final.

[58]        Dans le présent dossier, les notes médicales du docteur G. font état de nombreux examens cliniques tout au long du suivi médical du travailleur. Au jour de la consolidation de la lésion, soit au 16 avril 2009, les notes médicales du docteur G. font état d’un examen clinique du travailleur. Bien que le rapport final a été confectionné près de 3 mois plus tard, le docteur G. connaissait bien la condition du travailleur puisqu’il l’avait examiné à plusieurs reprises depuis sa prise en charge en janvier 2008.

[59]        L’ensemble du suivi médical depuis la prise en charge du travailleur par le docteur G. permet de conclure qu’il connaissait très bien la condition du travailleur puisqu’il l’a examiné à plusieurs reprises jusqu’à la consolidation de la lésion, son rapport médical final rencontre donc toutes les conditions pour être valide.

[60]        L’examen clinique du 16 avril 2009 est « silencieux » suite à diverses manœuvres. La position de cobra avec hyperextension de l’axe lombaire et bon appui du bassin est « silencieux », le psoas est « silencieux », l’examen des hanches et ses amplitudes articulaires est « silencieux ». Dans le contexte de l’évaluation de l’atteinte permanente à l’intégrité physique, le docteur G. a suggéré au travailleur qu’il précise ses points douloureux pour la prochaine visite.

[61]        Le tribunal retient donc que l’examen clinique réalisé le 16 avril 2009 ne permet pas d’identifier des limitations dans les amplitudes articulaires au niveau du rachis lombaire ou de la hanche gauche. Il n’est pas possible non plus d’identifier une atteinte permanente qui soit indemnisable en vertu du Règlement sur le barème des dommages corporels[6] (le barème). L’examen clinique réalisé par le docteur G. ce jour est compatible avec ses conclusions dans son rapport d’évaluation médicale, soit que la lésion n’a pas entrainé d’atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.

[62]        Puisque le tribunal ne peut conclure à la nullité du rapport final du docteur G., que ce soit en raison d’un manquement au devoir d’information prévu à l’article 203 de la loi ou en raison de l’absence d’un examen clinique préalable ou que ses conclusions sont incompatibles avec son examen clinique, le tribunal se déclare donc lié par le rapport d’évaluation médicale du médecin G.

[63]        Puisque la lésion professionnelle du 9 juin 2006 a été consolidée le 16 avril 2009 et qu’il a été déterminé, le 13 juillet 2009, qu’elle n’a pas entrainé d’atteinte permanente à l’intégrité physique ni limitations fonctionnelles, le travailleur a donc la capacité d’exercer son emploi à compter du 13 juillet 2009 et il n’a plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu à compter de cette date. Sur cette question, il y a lieu de confirmer la décision de la CSST du 11 septembre 2009.

[64]        La Commission des lésions professionnelles doit maintenant déterminer si le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation le 14 septembre 2009 en relation avec sa lésion initiale du 9 juin 2006.

[65]        L’article 2 de la loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles inclut dans sa définition de lésion professionnelle la notion de rechute, récidive ou aggravation :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[66]        La notion de rechute, récidive ou aggravation n’est pas définie à la loi. Selon une jurisprudence bien établie[7], la rechute est une reprise évolutive, la récidive est une réapparition alors que l’aggravation est la recrudescence de la lésion ou de ses symptômes y incluant la complication de la lésion initiale.

[67]        Dans tous les cas, il doit exister une modification de l’état de santé par rapport à ce qui existait antérieurement et il doit être démontré un lien de causalité entre la lésion initiale et la modification de l’état de santé.

[68]        La jurisprudence a développé des critères permettant d’établir s’il existe une relation entre la lésion alléguée à titre de récidive, rechute ou aggravation et la lésion initiale.

[69]        Ces critères ont été énoncés dans la décision Boisvert et Halco[8] en 1995. Depuis ce temps, ils ont été cités à maintes reprises et sont toujours utiles pour analyser les réclamations pour récidive, rechute ou aggravation.

[70]        Il s’agit des critères suivants : la gravité de la lésion initiale, la compatibilité ou la similitude des sites de lésion, la continuité des symptômes, l’existence ou non d’un suivi médical, le retour au travail avec ou sans limitations fonctionnelles, la présence ou l’absence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, la présence ou l’absence de conditions personnelles, la compatibilité des symptômes allégués lors de la récidive, rechute ou aggravation avec la nature de la lésion initiale et finalement, le délai entre la récidive, rechute ou aggravation et la lésion d’origine.

[71]        Dans le présent dossier, l’événement accidentel n’est pas important. Un problème ergonomique en raison d’un nouvel équipement est à l’origine de la lésion. La lésion a été consolidée sans atteinte permanente à l’intégrité physique ni limitations fonctionnelles. Toutefois, le docteur G. mentionne dans son rapport final que le travailleur présente toujours un syndrome douloureux à la hanche gauche, symptomatologie qui perdure depuis plus de 3 ans malgré de nombreux traitements pendant cette période.

[72]        Le rapport d’évaluation du docteur G. réserve la possibilité de procéder à des infiltrations myofaciales et de prescrire des traitements de chiropractie. Le bilan préparé par le médecin du bureau médical de la CSST mentionne que le médecin traitant a suggéré un traitement palliatif[9] au travailleur afin de soulager la douleur. Le tribunal retient que le travailleur présentait des douleurs résiduelles suite à la consolidation de sa lésion et que des traitements de support ont été suggérés par son médecin.

[73]        Suite à la consolidation de la lésion, le travailleur a poursuivi un suivi médical pour ses douleurs à la hanche gauche et au bas du dos. Des examens et des traitements ont été prescrits. Différents diagnostics ont été retenus par les médecins consultés : lombalgie, douleur latérale gauche, entorse lombaire, hernie discale L5-S1, cruralgie gauche et syndrome facettaire. Différents traitements ont été prescrits dont de la physiothérapie, des blocs facettaires et une épidurale.

[74]         Le tribunal retient que le travailleur a subi, pendant trois années, une panoplie d’examens médicaux dans différentes disciplines qui se sont tous avérés négatifs. Seule particularité : une hernie discale en L5-S1 sans compression radiculaire. Différents traitements ont été administrés: anti-inflammatoires, antidouleurs, infiltrations, blocs facettaires, chiropractie, physiothérapie, acupuncture; avec des résultats très variables dans le temps. Parfois, le travailleur se dit amélioré, parfois il ne l’est pas.

[75]         Le tribunal ne dispose pas d’une preuve de l’existence d’une modification de l’état de santé du travailleur entre la consolidation de sa lésion professionnelle et la récidive, rechute ou aggravation alléguée du 14 septembre 2009. Il n’existe aucune preuve de détérioration objective de la condition du travailleur.

[76]        De l’avis du soussigné, les consultations médicales après la consolidation de la lésion ne visent qu’à obtenir des investigations médicales et des traitements pour des douleurs chroniques qui étaient déjà présentes le 13 juillet 2009.

[77]        Le médecin traitant a  suggéré des traitements palliatifs pour soulager la douleur chronique du travailleur. Le tribunal est d’avis que les traitements prodigués à partir du 14 septembre 2009 visent le même objectif. La consolidation d’une lésion signifie sa stabilisation, des traitements de support peuvent être indiqués pour soulager les douleurs résiduelles.

[78]        Dans les circonstances, le tribunal conclut que le travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation le 14 septembre 2009 en relation avec sa lésion professionnelle du 9 juin 2006.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 389813-63-0909

REJETTE la requête de monsieur Steve Levasseur, le travailleur;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 11 septembre 2009 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur a la capacité d’exercer son emploi à partir du 13 juillet 2009 et qu’il n’a plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu à partir de cette date;

DÉCLARE que la lésion professionnelle du 9 juin 2006 n’a entrainé aucune atteinte permanente à l’intégrité physique et que le travailleur n’a pas droit à une indemnité pour préjudice corporel.

Dossier 403008-63-1002

REJETTE la requête de monsieur Steve Levasseur, le travailleur;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 16 février 2010 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 14 septembre 2009.

 

 

 

Paul Champagne

 

Me Maud Frémont-Assel

CLERMONT, MAZZA, RIVARD, avocats

Représentante de la partie requérante

 

 

Mme Marie-France Pinard

SERVICE DU CAPITAL HUMAIN

Représentante de la partie intéressée

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Le nom du médecin du travailleur a été caviardé à sa demande.

[3]           Desrosiers et CEGEP de l’Abitibi-Témiscamingue et CSST, C.L.P. 375761-08-0904, 13 mai 2010, P. Champagne

[4]           Gaudreau Technologies Directes P.G. inc., C.L.P. 338249-31-0801, 11 août 2008, G. Tardif.

[5]           Brière et Vinyle Kaytec inc., C.L.P.215828-62A-0309, 18 juin 2004, J. Landry; Cliche et Gicleurs Éclairs inc., C.L.P.248046-32-0411, 29 mars 2005, A. Tremblay; Prévost-Bastien et Au printemps Gourmet, [2007] C.L.P. 379 ; Boudreau et Ministère des Transports, C.L.P.292495-09-0606, 28 juin 2007, J.-F. Clément; Larocque et Alliance H inc., C.L.P. 307493-64-0701, 28 août 2007, J.-F. Martel ; contra : Poulin et Manac inc., C.L.P.125439-03B-9910, 9 juin 2000, R. Savard; Bérubé et DJ Express, C.L.P. 244511-64-0409, 16 mars 2005, R. Daniel; Smith et Soucy International inc., C.L.P. 356738-04B-0808, 29 janvier 2009, M. Watkins.

 

[6]           (1987) 119 G.O. II, 5576

[7]           Dubé et Entreprises du Lalaumé enr. C.L.P. 380599-01A-0906, 21 septembre 2009, G. Tardif.

[8]          Boisvert et Halco inc. [1995] C.A.L.P. 19 .

[9]           Injections de Xylocaine en myofacial deux fois par année pour l’année à venir.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.