Décision

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Grondines et Centre hospitalier Robert Giffard

2008 QCCLP 6208

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Longueuil

29 octobre 2008

 

Région :

Québec

 

Dossier :

287279-31-0604-R

 

Dossier CSST :

129149720

 

Commissaire :

Richard L. Beaudoin, juge administratif

 

Membres :

Normand Beaulieu, associations d’employeurs

 

Pierrette Giroux, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

François Grondines

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Centre hospitalier Robert Giffard

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 30 août 2007, le Centre hospitalier Robert Giffard (l’employeur) dépose une requête en révision d’une décision rendue le 17 juillet 2007 par la Commission des lésions professionnelles.

[2]                Cette décision accueille la contestation de François Grondines (le travailleur) et détermine qu’il a subi une maladie professionnelle, soit une fasciite plantaire bilatérale, le 11 avril 2006, et qu’il a droit aux indemnités prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[3]                Les parties sont convoquées à une audience, à Québec, le 15 septembre 2008. Elles sont représentées. La Commission des lésions professionnelles a pris connaissance de la requête de l’employeur, entendu l’argumentation des parties puis a délibéré.

OBJET DE LA REQUÊTE

[4]                L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision rendue le 17 juillet 2007, de rejeter la requête du travailleur et de déclarer qu’il n’a pas subi de lésion professionnelle le 11 avril 2006.

AVIS DES MEMBRES

[5]                Le membre issu des associations d’employeurs et la membre issue des associations syndicales sont d’avis que l’employeur n’a pas démontré que la décision rendue par la première formation comporte un vice de fond ou de procédure de nature à l’invalider.

LA PREUVE ET LES MOTIFS

[6]                L’employeur soulève trois moyens au soutien de sa requête. La première commissaire n’aurait pas respecté la règle « audi alteram partem », aurait commis une erreur déterminante dans l’appréciation de la preuve médicale et aurait mal apprécié le témoignage du travailleur, lui accordant une crédibilité que la preuve ne permet pas de soutenir.

[7]                Rappelons que la loi prévoit que les décisions de la Commission des lésions professionnelles sont finales :

429.49.  Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.

 

Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

 

 

[8]                La loi prévoit cependant la possibilité que la Commission des lésions professionnelles révise ou révoque une décision qu’elle a rendue dans les circonstances suivantes :

429.56.  La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

 

 

[9]                En l’instance, les moyens soulevés par l’employeur sont à l’effet que la première décision serait affectée d’un vice de fond ou de procédure de nature à l’invalider.

[10]           De nombreuses décisions de la Cour supérieure et de la Cour d’appel ont interprété cette disposition. Le juge Morissette[2], de la Cour d’appel, faisant le point sur cette jurisprudence, a rappelé ce que constitue un vice de fond ou de procédure de nature à invalider une décision :

[50]      En ce qui concerne les caractéristiques inhérentes d’une irrégularité susceptible de constituer un vice de fond, le juge Fish note qu’il doit s’agir d’un «defect so fundamental as to render [the decision] invalid», «a fatal error». Une décision présentant une telle faiblesse, note-t-on dans l’arrêt Bourassa, est «entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige». Le juge Dalphond, dans l’arrêt Batiscan, effectue le rapprochement avec l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam inc. de la Cour suprême du Canada, où le juge Iacobucci apportait plusieurs éclaircissements utiles sur les attributs de deux notions voisines, l’erreur manifeste et la décision déraison¬nable. Il s’exprimait en ces termes :

 

Même d'un point de vue sémantique, le rapport étroit entre le critère de la décision «manifestement erronée» et la norme de la décision raisonnable simpliciter est évident. Il est vrai que bien des choses erronées ne sont pas pour autant déraisonnables; mais quand le mot «manifestement» est accolé au mot «erroné», ce dernier mot prend un sens beaucoup plus proche de celui du mot «déraisonnable». Par conséquent, le critère de la décision manifestement erronée marque un déplacement, du critère de la décision correcte vers un critère exigeant l'application de retenue. Cependant, le critère de la décision manifestement erronée ne va pas aussi loin que la norme du caractère manifestement déraisonnable. […]

 

On voit donc que la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur sont des traits distinctifs susceptibles d’en faire «un vice de fond de nature à invalider [une] décision».

 

[51]           En ce qui concerne la raison d’être de la révision pour un vice de fond de cet ordre, la jurisprudence est univoque. Il s’agit de rectifier les erreurs présentant les caractéristiques qui viennent d’être décrites. Il ne saurait s’agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première. Intervenir en révision pour ce motif commande la réformation de la décision par la Cour supérieure car le tribunal administratif «commits a reviewable error when it revokes or reviews one of its earlier decisions merely because it disagrees with its findings of fact, its interpretation of a statute or regulation, its reasoning or even its conclusions».  L’interprétation d’un texte législatif «ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique» mais, comme «il appart[ient] d’abord aux premiers décideurs spécialisés d’interpréter» un texte, c’est leur interprétation qui, toutes choses égales d’ailleurs, doit prévaloir. Saisi d’une demande de révision pour cause de vice de fond, le tribunal administratif doit se garder de confondre cette question précise avec celle dont était saisie la première formation (en d’autres termes, il importe qu’il s’abstienne d’intervenir s’il ne peut d’abord établir l’existence d’une erreur manifeste et déterminante dans la première décision).  Enfin, le recours en révision «ne doit […] pas être un appel sur la base des mêmes faits» : il s’en distingue notamment parce que seule l’erreur manifeste de fait ou de droit habilite la seconde formation à se prononcer sur le fond, et parce qu’une partie ne peut «ajouter de nouveaux arguments» au stade de la révision.

 

(références omises)

 

 

[11]           Ce jugement fait maintenant autorité en ce qui concerne les facteurs à analyser avant d’en arriver à réviser ou révoquer une décision de la Commission des lésions professionnelles. Le législateur s’est assuré que les décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles soient finales, sans appel et qu’elles méritent respect. Le vice de fond ou de procédure qui justifie une révision ou une révocation doit être grave, évident et déterminant.

[12]           Ces caractéristiques ne sont évidemment pas celles d’un recours en appel. La Commission des lésions professionnelles ne peut donc apprécier de nouveau la preuve. Ainsi, si une formation, saisie d’une requête en révision, ne partage pas l’avis de la première formation, il n’y a pas d’ouverture à une révision.

[13]           Voyons maintenant les moyens que l’employeur fait valoir à l’endroit de la première décision.

[14]           Il soumet tout d’abord que la première commissaire l’a empêché de faire toute sa preuve.

[15]           Dans sa requête, l’employeur résume ainsi les faits :

En début d’interrogatoire, la commissaire a sommé la représentante de l‘employeur de limiter les questions posées au témoin à certains aspects spécifiques du dossier, plus particulièrement à ne faire entendre le témoin que sur les éléments contradictoires à ceux exposés par le travailleur.

 

 

[16]           Cette intervention de la première commissaire se situe dans le contexte où elle demande à l’avocate de l’employeur, qui a commencé à interroger Yoland Caron, son témoin, de le faire témoigner au sujet des éléments qui pourraient être contradictoires ou différents du témoignage du travailleur, alors déjà entendu.

[17]           La première commissaire dit :

Je vous suggère qu’on s’oriente peut-être là où il y aurait des contradictions ou des différences.

 

 

[18]           L’avocate de l’employeur répond « OK » puis continue son interrogatoire, sans plus.

[19]           Citant des extraits du traité de Droit administratif[3], l’employeur soumet que la Commission des lésions professionnelles doit permettre à chacune des parties de faire sa preuve.

[20]           Ce principe de droit, « audi alteram partem », est reconnu et n’a pas besoin de faire l’objet d’une démonstration.

[21]           Y a-t-il eu un manquement à ce principe par la première formation ?

[22]           La Commission des lésions professionnelles est d’avis que non.

[23]           Les propos tenus par la première commissaire, en l’instance, relèvent simplement de la gestion d’audience. En effet, la première commissaire juge qu’il n’est ni utile, ni nécessaire de faire confirmer par un témoin de l’autre partie ce que le travailleur a affirmé plus tôt au cours de l’audience. Elle invite l’avocate de l’employeur à lui indiquer les faits qui, à la connaissance de ce témoin, peuvent ne pas correspondre au témoignage du travailleur. D’où l’indication de limiter sa preuve aux contradictions ou aux différences. L’avocate de l’employeur acquiesce et procède à son interrogatoire. C’est dans la requête en révision qu’elle soulève ce moyen.

[24]           Le professeur Garant s’exprime ainsi sur ce sujet :

Le tribunal, étant maître de sa procédure, a lui-même le pouvoir d’accepter tout mode de preuve qu’il croit le mieux servir les fins de la justice309. Certes il doit hésiter à entraver les efforts déployés par une partie pour établir sa preuve, mais il sera justifié d’intervenir dans celle-ci lorsqu’elle n’est pas pertinente. Ainsi dans Consortium Developments c. Sarnia310, la Cour suprême concluait que les tribunaux d’instance inférieure avaient eu raison d’annuler des assignations à comparaître, car la preuve que l’on cherchait à obtenir via celles-ci n’avait rien à voir avec une question soulevée dans les demandes de contrôle judiciaire. De même, une partie n’est pas empêchée de présenter sa preuve, lorsqu’un tribunal juge que certaines questions posées en contre-interrogatoire sont non pertinentes311. Le rejet d’une preuve non pertinente ne constitue pas une violation de la justice naturelle312, à moins qu’en révision judiciaire, le requérant ne démontre que les éléments de preuve visés sont cruciaux et que l’équité serait mise en danger par le refus de les admettre313.

________________

309         St-Jean-de-Matha (Municipalité de) c. Commission de protection du territoire agricole du Québec, J.E. 98-889 (C.S.).

310         [1998] 3 R.C.S. 3 . Aussi Addy c. Canada (Commissaire et président de la Commission d’enquête sur le déploiement des Forces armées canadiennes en Somalie), [1997] 3 C.F. 784 .

311         Automobiles Canbec inc. c. Hamelin, J.E. 96-2081 (C.S.); Bergeron c. Québec (Min. Sécurité du revenu), J.E. 98-1974 (C.S.); Montréal (Service de police de la Communauté urbaine de) c. Tribunal des droits de la personne, J.E. 2000-1778 (C.S.); Nguyen c. Université de Sherbrooke, J.E. 2002-86 (C.A.).

312         Montréal (Service de police de la Communauté urbaine de), ibid.

313         Michaud c. Commission municipale du Québec, J.E. 97-2161 (C.A.); Montréal (Service de police de la Communauté urbaine de), ibid.

 

 

[25]           Une saine gestion d’une audience exige que son président demande aux parties de faire une preuve pertinente. Il n’est pas pertinent de démontrer de nouveau ce qui est déjà en preuve et non contredit.

[26]           L’employeur n’a pas soumis, dans une argumentation écrite qu’il a fait parvenir à la première commissaire, le 22 mai 2007, d’argument portant sur cette directive. Il n’a pas fait valoir, à l’audience de septembre 2008, les éléments de la preuve qu’il n’a pu faire.

[27]           L’employeur n’a donc pas démontré que la première commissaire l’a empêché de faire une preuve pertinente. Cela dispose donc de son premier moyen.

[28]           Comme second moyen, l’employeur reproche à la première formation son appréciation de la preuve médicale.

[29]           Le travailleur, un plombier, présente une requête à l’encontre d’une décision de la CSST qui refuse sa réclamation pour une fasciite plantaire bilatérale.

[30]           Son travail est modifié en 2003, alors qu’il passe d’une assignation aux travaux d’installation à une assignation à des travaux urgents. Il doit alors pousser, d’un site à un autre, un chariot contenant tous les outils et matériaux nécessaires à son travail.

[31]           La première formation entend le docteur Lavoie-Ferland, pour l’employeur, et reçoit des informations techniques du docteur Desrochers, également médecin pour l’employeur. Le travailleur soumet de la littérature médicale.

[32]           Après analyse de toute la preuve, la Commission des lésions professionnelles en arrive à la conclusion qu’il y a une relation entre le travail décrit et le diagnostic de fasciite plantaire bilatérale.

[33]           L’avocate de l’employeur soumet que la preuve par de la littérature médicale extraite d’Internet n’est pas probante en l’instance. Elle n’a pas eu l’occasion de contre-interrroger les auteurs de cette littérature, diminuant ainsi la force probante de ces documents. Seule la preuve par le docteur Lavoie-Ferland aurait dû être retenue.

[34]           Par ailleurs, le travailleur présentait une condition personnelle qui expliquait l’apparition de cette fasciite plantaire.

[35]           Le rôle du commissaire est d’apprécier la preuve. Il doit d’analyser cette preuve, déterminer la crédibilité des témoins ainsi que la force probante à accorder aux différents éléments de preuve qui lui sont soumis. Il s’agit d’une opération complexe demandant l’analyse de tous les éléments, autant ceux qui sont au dossier que ceux qui lui sont soumis au cours de l’audience. Il en va de même de la preuve médicale.

[36]           La première commissaire rapporte ainsi la preuve médicale qui lui a été soumise :

[36]      Qui plus est, selon la docteure Lavoie-Ferland entendue à la demande de l’employeur, tous les facteurs qui tendent à provoquer une tension excessive sur le fascia plantaire sont susceptibles de provoquer le développement d’une fasciite plantaire. Or, elle admet que l’activité qui consiste à pousser une charge lourde implique une poussée du bout du pied qui met le fascia en tension et elle reconnait que le stress le plus important sur le fascia survient au moment du passage du poids corporel sur le bout du pied.

 

[37]      De l’avis du tribunal, si le fait de marcher de façon excessive peut causer une contrainte sur le fascia plantaire, un facteur de risque non contesté, il est raisonnable de penser que le fait de marcher en poussant une charge très lourde est susceptible d’avoir le même effet.

 

[38]      Néanmoins, la docteure Lavoie-Ferland prétend que l’effort requis pour déployer le chariot, une fois vaincue la phase d’inertie, est développé surtout par les bras, la colonne et les cuisses. Elle ne fournit aucune donnée objective et précise au soutien de cette affirmation. Le tribunal comprend qu’il s’agit de l’appréciation qu’elle fait de la question. Elle est donc d’opinion que le changement d’affectation du travailleur n’a provoqué aucune activité accrue.

 

[39]      Outre le témoignage de la docteure Lavoie-Ferland, le tribunal dispose de la littérature médicale produite par le travailleur1.

_________________

1           PASSEPORTSANTÉ.NET, «Troubles et maladies: Fasciite plantaire et épine de Lenoir», [En ligne],   http://www.passeportsante.net/fr/Maux/Problemes/ Fiche.aspx?doc=fasciite_ plantaire_epine_lenoir.pm; Timothy DANIELS (Dr), Fasciite plantaire (talalgie) : document de travail à l'intention du Tribunal d'appel de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail,[Toronto], Mars 2003, 9 p.; Y. BRAULT, chap. 29: « La cheville et le pied », dans Michel DUPUIS et Richard LECLAIRE, Pathologie médicale de l'appareil locomoteur, St-Hyacinthe, Edisem, Paris, Maloine, 1986, p. 697-719; Nouveau Larousse médical, Paris, Larousse, « s.d.», p. 779-781.

 

 

[37]           Procédant ensuite à analyser la preuve médicale en conjonction avec la preuve factuelle qui lui est soumise, la première commissaire tient la discussion suivante :

[46]      Avant cette affectation, le travailleur se déplaçait une fois sans pousser le chariot, pour se rendre sur les lieux des travaux d’installation, et une fois pour revenir à l’atelier en fin de journée, sauf les cas exceptionnels où il devait prêter main forte à ses collègues pour les urgences.

 

[47]      La docteure Lavoie-Ferland méconnaît ce fait non contredit et prouvé de façon prépondérante lorsqu’elle affirme que le travailleur n’a connu aucune recrudescence d’activités.

 

[48]      Le tribunal retient également que le fait de marcher en poussant un chariot pesant près de 500 livres ne peut être assimilé à une simple d’activité de marche physiologique.

 

[49]      Selon les mesures obtenues par le docteur Desrochers en effet, le fait de pousser un tel chariot, même sur une surface plane, implique un effort nettement plus grand que le fait de marcher sans pousser aucune charge et cet effort est particulièrement important lorsqu’il s’agit de pousser le chariot dans une pente.

 

[50]      Or, selon la preuve, il se créée une tension sur le fascia plantaire à chaque pas au moment où le poids est porté sur le bout du pied. De plus, en l’espèce, le tribunal retient que la tension imposée au fascia plantaire est vraisemblablement augmentée par le fait que le travailleur pousse une charge importante, parfois contre une pente. La preuve ne permet toutefois pas de déterminer quelle est précisément la charge transmise au fascia plantaire lors de cette activité. On connaît uniquement la mesure de l’effort global requis pour déplacer le chariot sur terrain plat et dans des pentes.

 

[51]      À l’évidence cependant, le fait de pousser une charge implique nécessairement un effort au niveau des pieds. D’ailleurs, le tribunal ne peut comprendre comment le fait de pousser une charge en marchant ne serait pas un facteur de risque de fasciite plantaire alors que tous, incluant la docteur Lavoie-Ferland, admettent que l’augmentation du poids corporel est un tel facteur de risque en raison de la tension accrue qu’il provoque sur le fascia plantaire.

 

[52]      Dans les deux cas, il s’exerce vraisemblablement une tension accrue sur le fascia plantaire et c’est cette tension accrue qui génère l’inflammation. En outre, le fait que les symptômes se soient développés dans un court laps de temps après l’accroissement de la charge sur les fascias plantaires doit être considéré ici comme significatif.

 

[53]      Selon la preuve, le temps d’exposition aux conditions associées à la nouvelle affectation est de trois ou quatre mois lorsque les malaises se manifestent au pied droit. Ce malaise au pied droit augmente graduellement. Dans le courant de l’année 2005, le travailleur commence à éprouver un malaise du même genre sous le pied gauche.

 

 

[38]           On trouve là les éléments qui lui permettent de conclure à une relation entre le travail et le diagnostic.

[39]            La Commission des lésions professionnelles est-elle tenue de retenir une preuve médicale d’expert unilatérale ?

[40]           La jurisprudence répond négativement à cette question.

[41]           Dans la décision Pelletier[4], la Cour supérieure écrit à ce sujet :

[38]      L’appréciation du témoignage d’un expert médical est au cœur de la compétence de la CLP.

 

[39]      Or, une preuve médicale peut être contredite ou nuancée par autre chose qu’une autre preuve médicale. Elle peut l’être par les faits mis en preuve qui peuvent venir corroborer, nuancer ou encore contredire l’opinion de l’expert.

 

[40]      S’il fallait conclure, chaque fois qu’un tribunal ne retient pas l’opinion d’un expert, que c’est parce qu’il se fonde nécessairement sur une autre opinion d’expert (la sienne) qui serait irrecevable, cela aurait pour effet de forcer les tribunaux à retenir, dans tous les cas, une preuve d’expert unique qui lui serait présentée.

 

[41]      Comme on le sait, un tribunal n’est jamais tenu de retenir l’opinion d’un expert, fût-elle non contredite. Dans l’arrêt Roberge c. Bolduc(3), la juge L’Heureux-Dubé ne laisse pas de doute à cet égard :

 

Le juge, cependant, reste l’arbitre final et n’est pas lié par le témoignage des experts.

_________________

(3)            [1991] 1 R.C.S. 374 , 430.

 

 

[42]           Cette opinion est reprise par la Commission des lésions professionnelles dans la décision Whitty et Centre hospitalier régional de Sept-Îles[5] et dans la décision Bermex International inc. et Rouleau[6].

[43]           En l’instance, la première commissaire analyse la preuve médicale qui lui est soumise. On ne saurait reprocher à la première commissaire de tenir compte de littérature médicale provenant d’Internet. Il est vrai que l’on trouve toutes sortes d’informations sur internet. Même les décisions de la Cour suprême y sont accessibles. Spécifiquement, le document dont il est question est préparé par un médecin, orthopédiste, pour le Tribunal d’appel de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents d’Ontario.

[44]           De plus, la première formation est assistée d’un assesseur médical dont le rôle est de la conseiller sur toute question de nature médicale :

423.  Le président nomme des assesseurs à temps plein, qui ont pour fonctions de siéger auprès d'un commissaire et de le conseiller sur toute question de nature médicale, professionnelle ou technique.

 

 

[45]           En ce qui a trait à une notion de condition personnelle, la première commissaire en dispose ainsi :

[54]      Sur le plan de ses activités personnelles, il reconnaît faire un peu de vélo, aller à la pêche et faire des travaux d’ébénisterie en position assise. Il ne fait pas de course, d’escalade, d’haltérophilie, de ski de fond ou de randonnées pédestres. Il n’a subi aucun traumatisme à l’un ou l’autre de ses pieds.

 

[55]      Notons par ailleurs que le travailleur a les pieds modérément creux et que son indice de masse corporelle est à 26, ce qui représente une légère surcharge. En l’espèce, ces deux facteurs de risque ne sont pas déterminants vu l’ensemble des autres faits prouvés.

 

[56]      Il existe en effet dans la présente affaire un ensemble d’indices suffisamment graves, précis et concordants pour permettre au tribunal de conclure que la fasciite plantaire droite et gauche a probablement été contractée par le fait du travail, à la suite de la nouvelle affectation du travailleur aux réparations dites urgentes, et qu’elle est probablement reliée aux risques particuliers que comporte ce travail, soit le fait de faire 18 000 pas par quart de travail en poussant un chariot pesant près de 500 livres sur une période non continue de deux heures par jour.

 

 

[46]           La Commission des lésions professionnelles ne peut trouver, dans cette analyse de la première commissaire, d’erreurs graves, évidentes et déterminantes constituant un vice de fond ou de procédure.

[47]           Ce moyen de l’employeur ne peut donc être retenu.

[48]           Le troisième moyen allégué par l’employeur serait une erreur dans l’appréciation de la crédibilité des témoins.

[49]           L’employeur soumet que la première commissaire commet une erreur en retenant, de la preuve soumise, le nombre de pas que le travailleur effectue dans la journée. Il ajoute que la première commissaire écarte le témoignage du travailleur lorsqu’il fait état du poids du chariot qu’il doit pousser et de l’inclinaison des pentes des corridors qu’il doit emprunter en poussant ce chariot. L’employeur soumet que la première commissaire ne peut donc rejeter certains aspects du témoignage du travailleur en les qualifiant d’exagérés tout en tenant pour avérés certains autres aspects de son témoignage.

[50]           Rappelons comment la première commissaire analyse la preuve factuelle en ce qui concerne la distance parcourue par le travailleur au cours d’une journée de travail et le poids du chariot :

[20]      La preuve relative au poids du chariot et à son contenu est contradictoire. Le travailleur affirme que le chariot pèse entre 600 et 700 livres. Il s’agit de son évaluation personnelle. Le docteur Jean Desrochers, qui l’a pesé après l’audience, affirme, quant à lui, que le chariot pèse 469,5 livres.

 

[21]      L’évaluation subjective faite par le travailleur doit évidemment céder le pas devant la mesure objective prise par le docteur Desrochers. Le tribunal retient donc que le poids du chariot est, selon les outils et le matériel qu’il contient, d’environ 500 livres.

 

[22]      Le travailleur affirme qu’il doit se déplacer entre cinq et vingt fois par quart de travail pour se rendre sur les lieux des bris à réparer. Il affirme au surplus que son travail l’oblige, depuis 2003, à marcher entre 18 000 et 25 000 pas par quart de travail. Il se réfère aux résultats inscrits par le podomètre porté à trois occasions différentes, par une personne, dans des circonstances et à une époque indéterminées.

 

[23]      Monsieur Yoland Caron, supérieur du travailleur, affirme quant à lui que le temps de déplacement se situe en moyenne à deux heures par jour, selon la compilation qu’il a lui-même faite de tous les bons de travail complétés depuis janvier 2007. Pour obtenir cette donnée, monsieur Caron a additionné les périodes de pause et de dîner ainsi que le temps passé à effectuer les réparations et il a soustrait la somme obtenue du temps de présence sur les lieux de travail.

 

[24]      La Commission des lésions professionnelles doit souligner que la preuve offerte par les parties sur ces questions factuelles laisse place à beaucoup d’interrogations. Le tribunal ignore en effet si les conditions et circonstances de travail qui prévalaient, à compter de janvier 2007, sont semblables à celles que le travailleur a connues depuis 2003. De même, le tribunal ne connait pas la cadence - nombre de pas à l’heure - que peut soutenir le travailleur en poussant son chariot. Il ignore également quelles sont les circonstances et conditions qui prévalaient lors des trois mesures au podomètre. Bref, le nombre de pas que le travailleur doit faire par jour en poussant son chariot mobile est difficile à déterminer.

 

[25]      Compte tenu du temps réellement consacré aux déplacements depuis janvier 2007, soit deux heures par jour, le tribunal retient la plus faible valeur obtenue au podomètre, soit 18 000 pas par quart de travail.

 

[26]      Le tribunal considère en effet, en l’absence de preuve concluante sur ce sujet, qu’il est improbable qu’une personne puisse soutenir une cadence de 25 000 pas en deux heures, compte tenu du ralentissement sans doute provoqué par le fait de pousser un chariot qui pèse environ 500 livres.

 

 

[51]           Voici comment elle analyse la preuve concernant les pentes et l’effort exigé pour pousser le chariot :

[30]      Selon le témoignage du travailleur, l’effort pour pousser le chariot dans les différents corridors se fait sentir surtout dans les pentes. Selon la preuve non contredite, les secteurs J, F, G, L et M du pavillon central et les corridors du pavillon Arthur-Vallée et de la Clinique Roy-Rousseau comportent des pentes de degrés variables.

 

[31]      Le travailleur évalue que la pente de la Clinique Roy-Rousseau est de 25 ou 30 degrés. Il s’agit certainement d’une exagération. Le tribunal ne voit pas comment, en effet, le travailleur pourrait remonter une pente d’une telle inclinaison en poussant un chariot qui pèse près de 500 livres.

 

[32]      Qui plus est, le docteur Desrochers a mesuré cette pente à 8,85 degrés. La pente du secteur M a été mesurée à 2,08 degrés alors que la pente du secteur L du pavillon principal a été mesurée à 4 degrés. Le tribunal s’en remet aux mesures obtenues par le docteur Desrochers compte tenu de leur précision et de leur objectivité.

 

[33]      Par ailleurs, selon son rapport, il existe un écart très important entre l’effort requis pour pousser le chariot sur une surface plane (en moyenne 8,83 livres) et l’effort requis pour initier la poussée dans des pentes, soit en moyenne 26,2 livres dans une pente de 2,8 degrés, 34,2 livres dans une pente de 4 degrés et 52,1 livres dans une pente de 8,85 degrés. Les valeurs obtenues pour continuer de pousser le chariot sont de 20 à 21 livres pour une pente de 2,08 degrés, de 23,5 à 24 livres pour une pente de 4 degrés et de 41,9 livres pour une pente de 8,85 degrés.

 

[34]      Les observations du docteur Desrochers confirment donc le témoignage du travailleur à l’effet que l’effort est plus grand dans les pentes, et en particulier au moment où il initie la poussée contre la pente.

 

[35]      Les mesures obtenues par le docteur Desrochers démontrant que l’effort requis pour vaincre la force d’inertie du chariot et continuer de le pousser contre la pente est bien plus intense que celui requis pour pousser le chariot sur une surface plane, il paraît à première vue logique de croire que cet effort supplémentaire sera transmis, à tout le moins en partie, aux fascias plantaires.

 

 

[52]           La première commissaire se trouve au cœur même de sa compétence lorsqu’elle apprécie la preuve[7] :

[34]      Rappelons que l’appréciation de la preuve par la Commission relève de sa compétence et le Tribunal ne peut intervenir que dans de rares circonstances :

 

45   Lorsqu’une cour de justice contrôle les conclusions de fait d’un tribunal administratif ou les inférences qu’il a tirées de la preuve, elle ne peut intervenir que « lorsque les éléments de preuve, perçus de façon raisonnable, ne peuvent étayer les conclusions de fait du tribunal(3) […] ».

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(3)         Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., précité, p. 508.

 

 

[53]           Elle analyse la preuve et en tire des conclusions. Elle ne retient pas le témoignage du travailleur sur certains aspects techniques (mesure d’un degré de pente et poussée nécessaire pour déplacer). Cela ne rend pas le témoignage du travailleur incroyable sur d’autres aspects[8].

[54]           Il n’y a pas absence totale de preuve sur l’un des éléments essentiels menant à la conclusion que le travailleur a subi une lésion professionnelle.

[55]           Ici, encore, la Commission des lésions professionnelles ne peut conclure que la décision de la première commissaire comporte des erreurs graves, évidentes et déterminantes pouvant constituer un vice de fond ou de procédure de nature à l’invalider.

[56]           L’employeur, finalement, demande une réappréciation de la preuve qui a été faite devant la première formation. Ce n’est pas l’objet d’une requête en révision.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête en révision du Centre hospitalier Robert Giffard.

 

 

 

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Richard L. Beaudoin

 

 

 

 

Me Georges-Étienne Tremblay

C.S.N.

Représentant de François Grondines

 

 

Me Amélie Asselin

Joli-Cœur, Lacasse et associés

Représentante du Centre hospitalier Robert Giffard

 



[1]           LRQ, c. A-3.001.

[2]           Commission de la santé et de la sécurité du travail et Fontaine, [2005] CLP 626 .

[3]           GARANT, Patrice, Droit administratif, 5e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2004, p. 713.

[4]           Pelletier et Commission des lésion professionnelles et al, [2002] CLP 207 .

[5]           CLP 194088-09-0211, 17 août 2004, G. Marquis, juge administratif.

[6]           CLP 233846-04-0405 et al., 19 mars 2007, L. Nadeau, juge administratif.

[7]           Solaris Québec inc. et Commission des lésions professionnelles, [2006] CLP 295 .

[8]           Cegerco inc. et Racine et Carrières Bob-Son et Services MCR 64 inc., [2004] CLP 1539 .

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