Décision

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Auclair et Pétro-Canada

2009 QCCLP 2950

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

28 avril 2009

 

Région :

Québec

 

Dossier :

364064-31-0811

 

Dossier CSST :

075205815

 

Commissaire :

Carole Lessard, juge administratif

 

Membres :

Claude Jacques, associations d’employeurs

 

Marc Rivard, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Julien Auclair

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Pétro-Canada

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 24 novembre 2008, monsieur Julien Auclair (le travailleur) dĂ©pose une requĂŞte Ă  la Commission des lĂ©sions professionnelles par le biais de laquelle il conteste une dĂ©cision rendue par la Commission de la santĂ© et de la sĂ©curitĂ© du travail (la CSST), le 6 novembre 2008, Ă  la suite d’une rĂ©vision administrative.

[2]                Par cette dĂ©cision, la CSST confirme la dĂ©cision rendue le 4 septembre 2008 et refuse de payer au travailleur des intĂ©rĂŞts sur le montant rĂ©troactif d’aide personnelle Ă  domicile auquel il a droit.

[3]                L’audience s’est tenue Ă  QuĂ©bec, le 31 mars 2009, en prĂ©sence du reprĂ©sentant du travailleur. En effet, celui-ci annonce qu’il n’entend pas faire tĂ©moigner le travailleur et qu’il ne dĂ©sire que soumettre des reprĂ©sentations.

[4]                Quant Ă  PĂ©tro-Canada (l’employeur) et son reprĂ©sentant, ils sont absents bien que dĂ»ment convoquĂ©es.

[5]                La cause est mise en dĂ©libĂ©rĂ© le 31 mars 2009.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[6]                Le reprĂ©sentant du travailleur demande Ă  la Commission des lĂ©sions professionnelles d’infirmer la dĂ©cision rendue par la CSST, le 6 novembre 2008 et de dĂ©clarer que le travailleur a droit Ă  des intĂ©rĂŞts sur le montant d’aide personnelle Ă  domicile auquel il a droit et ce, tel que prĂ©cisĂ© par la dĂ©cision rendue par la Commission des lĂ©sions professionnelles le 18 juillet 2008.[1]

[7]                Ainsi, il entend dĂ©montrer que le travailleur a droit Ă  des intĂ©rĂŞts et ce, en respect de l’application de l’article 364 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi).

L’AVIS DES MEMBRES

[8]                Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la Commission des lĂ©sions professionnelles devrait rejeter la requĂŞte du travailleur, confirmer la dĂ©cision rendue par la CSST, le 6 novembre 2008 et dĂ©clarer que le travailleur n’a pas droit au paiement d’intĂ©rĂŞts sur le montant d’allocation d’aide personnelle Ă  domicile auquel il a droit, selon la Commission des lĂ©sions professionnelles.

[9]                Ă€ son avis, le texte de l’article 364 de la loi est clair et se veut en accord, d’ailleurs, avec le paiement d’intĂ©rĂŞts, tel que spĂ©cifiĂ© par le lĂ©gislateur Ă  d’autres dispositions; Ă  l’appui, rĂ©fĂ©rence est faite aux articles 90 et 135 de la loi.

[10]           Par consĂ©quent, l’intention du lĂ©gislateur, telle qu’exprimĂ©e Ă  l’ensemble de ces dispositions est Ă  l’effet de limiter le versement des intĂ©rĂŞts aux indemnitĂ©s versĂ©es dans le cadre de la loi et qui sont de trois types, Ă  savoir : une indemnitĂ© de remplacement du revenu, une indemnitĂ© de dĂ©cès ou enfin, une indemnitĂ© pour prĂ©judice corporel.

[11]           D’ailleurs, le lĂ©gislateur a dĂ©fini, Ă  l’article 2 de la loi, le terme « prestation Â». Selon cette dĂ©finition, il y a lieu de retenir qu’une prestation englobe les indemnitĂ©s de remplacement du revenu. En effet, le lĂ©gislateur a prĂ©vu qu’une prestation est une indemnitĂ© versĂ©e, en argent, une assistance financière ou un service fourni, en vertu de la prĂ©sente loi.

[12]           Or, Ă  l’article 364 de la loi, le lĂ©gislateur a spĂ©cifiquement utilisĂ© le terme « indemnitĂ© Â» et a fait fi d’avoir recours au terme « prestation Â»; Ă  son avis, le lĂ©gislateur ne parle pas pour ne rien dire et, si son intention Ă©tait telle que le paiement des intĂ©rĂŞts devait se faire Ă  l’égard de toute forme de prestation, telle que dĂ©finie de l’article 2 de la loi, il aurait certes utilisĂ© ce terme. Aussi, qu’il soit au fait de sa propre dĂ©finition, il a choisi de ne pas avoir recours Ă  ce terme et ce, pour les fins d’application.

[13]           Ce membre est donc d’avis que lorsque le libellĂ© d’une disposition est prĂ©cis et non-Ă©quivoque, le sens ordinaire des mots joue un rĂ´le primordial dans le processus d’interprĂ©tation.

[14]           D’ailleurs, lorsque l’article 364 de la loi est lu dans le contexte global de la loi, il y a lieu de conclure que ce texte s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du lĂ©gislateur et ce, telle que prĂ©alablement annoncĂ©e aux articles 90 et 135 de la loi.

[15]           Donc, la seule interprĂ©tation possible afin que la loi, dans son ensemble, demeure cohĂ©rente, est Ă  l’effet de conclure que l’article 364 de la loi ne prĂ©voit le paiement des intĂ©rĂŞts qu’à l’égard des indemnitĂ©s telles que spĂ©cifiquement mentionnĂ©es au sein des autres dispositions de la loi et qui sont des indemnitĂ©s de remplacement du revenu, des indemnitĂ©s de dĂ©cès ou des indemnitĂ©s pour prĂ©judice corporel.

[16]           Le membre issu des associations syndicales est d’avis contraire. Ă€ son avis, les intĂ©rĂŞts sont payables sur toute forme d’indemnitĂ© et ce, de manière Ă  inclure les frais d’aide personnelle Ă  domicile.

[17]           Tel que prĂ©vu Ă  l’article 158 de la loi, une prestation d’aide personnelle Ă  domicile s’avère une somme qui est attribuĂ©e en compensation de certains frais. Par consĂ©quent, une telle allocation, de nature monĂ©taire, est visĂ©e par l’article 364 de la loi.

[18]           Toutefois, une telle conclusion est Ă©mise sous rĂ©serve de la considĂ©ration suivante, soit celle voulant qu’une preuve soit soumise Ă  l’effet de dĂ©montrer que le travailleur eut Ă  dĂ©bourser, entre-temps, pour les services requis, une somme plus importante que celle dĂ©frayĂ©e par la CSST, pour l’obtention de ces mĂŞmes services.

[19]           Par consĂ©quent, le montant des intĂ©rĂŞts ne devrait ĂŞtre prĂ©vu qu’à l’égard de sommes qu’il dut dĂ©bourser, de manière additionnelle et dont il a Ă©tĂ© privĂ©, entre-temps. Or, une telle preuve n’a pas Ă©tĂ© soumise, en l’espèce.

 

LES FAITS ET LES MOTIFS

[20]           La Commission des lĂ©sions professionnelles doit dĂ©terminer si le travailleur a droit au paiement d’intĂ©rĂŞts pour un montant d’allocation d’aide personnelle Ă  laquelle il a droit consĂ©quemment Ă  la dĂ©cision rendue par la Commission des lĂ©sions professionnelles, le 18 juillet 2008.[3]

[21]           Aux fins d’apprĂ©cier cette question, la Commission des lĂ©sions professionnelles retient de l’ensemble de la preuve documentaire, les Ă©lĂ©ments pertinents suivants.

[22]           Le 14 fĂ©vrier 1981, le travailleur subit une lĂ©sion professionnelle alors qu’il occupe l’emploi de camionneur. La lĂ©sion subie est une hernie discale L3-L4, laquelle requiert la pratique d’une discoĂŻdectomie, le 25 novembre 1982. Cette lĂ©sion est consolidĂ©e le 10 juin 1983, avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.

[23]           Plusieurs rĂ©cidives, rechutes ou aggravations s’ensuivent lesquelles sont Ă©galement consolidĂ©es, avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles. Par consĂ©quent, le travailleur est en arrĂŞt de travail, depuis octobre 1998 et il conserve des limitations fonctionnelles, de grade III.

[24]           Le 18 juillet 2008, la Commission des lĂ©sions professionnelles infirme la dĂ©cision rendue par la CSST, le 30 aoĂ»t 2007, dĂ©clare que le montant auquel le travailleur a droit, pour son aide personnelle Ă  domicile, pour la pĂ©riode du 9 fĂ©vrier 2007 au 30 novembre 2009, excède le montant accordĂ© par la CSST et ce, compte tenu que le pointage devant ĂŞtre retenu (26,5/48) s’avère nettement supĂ©rieur Ă  celui considĂ©rĂ© par la CSST.

[25]           Tel qu’il appert de l’avis de paiement Ă©mis le 20 aoĂ»t 2008 (Pièce T-1, en liasse), le montant d’aide personnelle Ă  laquelle le travailleur a droit, en respect de cette dĂ©cision, est de 9 392.78 $.

[26]           Le reprĂ©sentant du travailleur soumet donc que la CSST est tenue de payer des intĂ©rĂŞts sur ce mĂŞme montant.

[27]           L’article 364 de la loi prĂ©voit ce qui suit :

364.  Si une dĂ©cision rendue par la Commission, Ă  la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358, ou par la Commission des lĂ©sions professionnelles reconnaĂ®t Ă  un bĂ©nĂ©ficiaire le droit Ă  une indemnitĂ© qui lui avait d'abord Ă©tĂ© refusĂ©e ou augmente le montant d'une indemnitĂ©, la Commission lui paie des intĂ©rĂŞts Ă  compter de la date de la rĂ©clamation.

 

Le taux de ces intérêts est déterminé suivant les règles établies par règlement. Ces intérêts se capitalisent quotidiennement et font partie de l'indemnité.

__________

1985, c. 6, a. 364; 1993, c. 5, a. 20; 1997, c. 27, a. 20; 1996, c. 70, a. 42.

 

 

[28]           Cet article prĂ©voit donc que si une dĂ©cision rendue par la CSST, Ă  la suite d’une rĂ©vision administrative, ou une dĂ©cision rendue par la Commission des lĂ©sions professionnelles reconnaĂ®t Ă  un travailleur le droit Ă  une indemnitĂ© qui avait d’abord Ă©tĂ© refusĂ© ou augmente le montant d’une indemnitĂ©, la CSST lui paie les intĂ©rĂŞts Ă  compter de la date de la rĂ©clamation.

[29]           La Commission des lĂ©sions professionnelles constate, en premier lieu, que le travailleur remplit la première condition prĂ©vue Ă  cette disposition, Ă  savoir que le montant d’aide personnelle Ă  domicile, tel que reconnu par la CSST, fut augmentĂ© par la Commission des lĂ©sions professionnelles.

[30]           Reste Ă  dĂ©terminer si un tel droit reconnu au travailleur Ă  un tel montant additionnel d’aide personnelle Ă  domicile, constitue ou non un droit Ă  une indemnitĂ© au sens l’article 364 de la loi.

[31]           Certes, la loi ne dĂ©finit pas le terme « indemnitĂ© Â». Toutefois, le lĂ©gislateur a prĂ©vu, Ă  l’article 2, la dĂ©finition du terme « prestation Â» en ces termes :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« prestation » : une indemnité versée en argent, une assistance financière ou un service fourni en vertu de la présente loi;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.

 

 

[32]           Par consĂ©quent, le lĂ©gislateur a prĂ©vu que le terme « prestation Â» englobe toutes formes de prestations versĂ©es en argent et inclut, par la mĂŞme occasion, une indemnitĂ© de remplacement du revenu, une assistance financière ou tout autre service fourni en vertu de la loi.

[33]           Or, manifestement, le lĂ©gislateur n’a pas fait rĂ©fĂ©rence au terme « prestation Â» Ă  l’article 364 de la loi, prĂ©fĂ©rant utiliser le terme « indemnitĂ© Â».

[34]           Sur l’interprĂ©tation Ă  donner Ă  cet article, une revue de la jurisprudence permet de constater que deux courants Ă©voluent au sein de la Commission des lĂ©sions professionnelles.

[35]           Dans l’affaire Tardif[4], la Commission d’appel en matière de lĂ©sions professionnelles (la CALP) fut appelĂ©e Ă  se prononcer sur le droit d’un travailleur Ă  des intĂ©rĂŞts en vertu de l’article 364 de la loi sur des frais encourus pour l’entretien courant du domicile (art. 165). Le juge administratif rappelle qu’on ne retrouve que trois sortes d’indemnitĂ©s dans la loi; or, comme l’article 364 ne fait rĂ©fĂ©rence qu’au terme « indemnitĂ© Â», il conclut que l’intention du lĂ©gislateur se limite Ă  ce qu’il qualifie lui-mĂŞme d’indemnitĂ© dans la loi, soit : une prestation versĂ©e en argent pour le remplacement du revenu, pour compenser un dommage corporel subi ou un dĂ©cès. Ce  juge administratif conclut donc que les frais encourus pour l’entretien courant du domicile constituent une prestation versĂ©e sous forme d’assistance financière eu Ă©gard Ă  laquelle aucun versement d’intĂ©rĂŞts n’est prĂ©vu.

[36]           Dans l’affaire Proulx[5], la Commission des lĂ©sions professionnelles dut dĂ©cider si le travailleur avait droit Ă  des intĂ©rĂŞts sur des frais d’aide personnelle Ă  domicile. Le juge administratif explique qu’il fait siens les motifs du Bureau de rĂ©vision qui s’appuyait sur l’affaire Tardif et dĂ©clare que les frais d’aide personnelle ne constituent pas des indemnitĂ©s de telle sorte que des intĂ©rĂŞts n’avaient pas Ă  ĂŞtre versĂ©s au travailleur, en vertu de l’article 364 de la loi.

[37]           Dans l’affaire Jacques[6], la Commission des lĂ©sions professionnelles accordait rĂ©troactivement au travailleur le droit Ă  de l’aide personnelle Ă  domicile ainsi que le droit Ă  des intĂ©rĂŞts, en vertu de l’article 364. Par contre, ce droit Ă  ces intĂ©rĂŞts est demeurĂ© non motivĂ©.

[38]           Dans l’affaire Thibault[7], la juge administrative s’appuyait Ă©galement sur l’affaire Tardif pour conclure comme suit :

[32]      La jurisprudence constante de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles ainsi que celle de la Commission des lésions professionnelles applique l’article 364 aux seules indemnités de remplacement du revenu, les frais d’engagement d’une personne pour aider la travailleuse à prendre soin d’elle-même ou à effectuer les tâches domestiques qu’elle effectuerait normalement elle-même si ce n’était de sa lésion constituant une prestation versée en tant qu’assistance financière ou pour obtenir de tels services domestiques.

 

[33]      Tel que la Commission d’appel l’indiquait dans l’affaire Tardif et CSST et Entreprises Réjean Turgeon Inc.1, on ne retrouve que trois sortes d’indemnités dans la loi, soit une prestation versée en argent pour le remplacement du revenu, pour compenser un dommage corporel subi ou un décès et, à l’article 364, le législateur se limite à ce qu’il qualifie d’indemnité sans référer aux autres prestations qu’il a définies à l’article 2.

 

[34]      Les frais d’engagement de personnel pour l’aide personnelle Ă  domicile ne peuvent ĂŞtre assimilĂ©s Ă  une indemnitĂ© et ne constituent donc pas une indemnitĂ© au sens de l’article 364 de la loi. Ils sont plutĂ´t couverts par la dĂ©finition de « prestation Â» soit par la notion d’assistance financière ou celle de service fourni.

_________________

1              C.A.L.P. 70437-03-9506, 30 octobre 1995, J.-M. Dubois

 

 

[39]           Or, l’affaire Phillips[8] est venue renverser ce premier courant jurisprudentiel aux motifs suivants :

[38]      Tout d’abord, il est vrai que l’article 364 réfère au mot indemnité sans qu’il ait été défini par le législateur, qui a cependant défini le mot prestation. Quand une expression ou un mot n’est pas précisément défini, le décideur n’a d’autre choix que de l’interpréter en regard de l’intention du législateur et la Loi d’interprétation7, en son article 41 édicte que toute disposition d’une loi est réputée avoir pour objet de reconnaître des droits, d’imposer des obligations ou de favoriser l’exercice des droits, ou encore de remédier à quelque abus ou de procurer quelque avantage, qu’une telle loi reçoit une interprétation large, libérale, qui assure l’accomplissement de son objet et l’exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin.

 

[39]      Quand un terme n’est pas dĂ©fini par la loi8, c’est au sens ordinaire qu’il faut se rĂ©fĂ©rer, au dictionnaire. Il n’est pas nĂ©cessaire, Ă  moins qu’une dĂ©finition porte Ă  confusion, de chercher l’intention du lĂ©gislateur en interprĂ©tant diverses dispositions de la loi.  Le dictionnaire Petit Robert dĂ©finit ce mot comme suit :

 

INDEMNITÉ n. f. 1° Ce qui est attribué à qqn en réparation d’un dommage, d’un préjudice. V. Compensation, dédommagement, dommages-intérêts, récompense, réparation.  2° Ce qui est attribué en compensation de certains frais.  V. Allocation.

 

[40]      On le voit par cette définition ordinaire du mot, une indemnité est tout ce qui est attribué en réparation d’un dommage, et cette définition inclut bien évidemment la prestation versée en argent pour aide personnelle à domicile.

 

[41]      L’interprétation faite par la jurisprudence est fondée sur l’étude des dispositions du chapitre III de la loi traitant des indemnités. Ce chapitre traite de trois sortes d’indemnités, l’indemnité de remplacement du revenu, l’indemnité pour préjudice corporel et les indemnités de décès. Les deux décisions jurisprudentielles en ont conclu qu’il s’agissait des seules indemnités prévues à la loi, une interprétation restrictive. Rien ne permet ici de s’écarter du sens ordinaire du mot indemnité et de voir si le législateur a voulu restreindre sa portée. Quand le législateur veut restreindre un droit, il l’indique précisément, s’il ne le fait pas il faut présumer qu’il n’a pas voulu de restriction au droit, qu’il faut se référer au sens ordinaire des mots.

 

[42]      L’interprétation retenue par la jurisprudence est restrictive et ne tient pas compte de l’intention réelle du législateur, avec égard, le soussigné conclut qu’elle ne rencontre pas les dispositions de la Loi d’interprétation. 

 

[43]      L’article 364, on en conviendra, a pour objet de reconnaître au travailleur un droit, celui du paiement d'intérêt par la CSST sur tout montant d’indemnité non versée à la date à laquelle il est dû. L’intention du législateur en utilisant exclusivement le mot indemnité sans utiliser celui de prestation qu’il a défini à l’article 2 de la loi était-il de soustraire l’indemnité versée en argent pour l’aide personnel à domicile? Le soussigné est d’avis qu’au contraire, l’article 364 vise toute prestation versée en argent.

 

[44]      En effet, la définition du mot prestation à l’article 2 de la loi ne peut être prise en considération pour conclure que le législateur a voulu écarter de l’application de l’article 364 tous les éléments qui y sont contenus. Si tel était le cas, on pourrait écarter de l’application de cet article toute indemnité versée en argent, et, rappelons-le, l’indemnité de remplacement du revenu est une indemnité versée en argent.

 

[45]      En effet, il est clair que le mot prestation tel que défini par l’article 2 est une notion plus large que l’indemnité de remplacement du revenu, elle comprend une telle indemnité9 (qui est indemnité versée en argent), mais comprend aussi tout service fourni10 qui ne serait pas relié à une somme versée en argent. La loi dans son ensemble vise des prestations de toute sorte, non seulement l’indemnisation monétaire, mais la réparation des lésions physiques et psychique, d’où la définition du mot prestation englobant l’ensemble de celles-ci.

 

[46]      On ne peut interpréter l’article 364 comme écartant les prestations d’aide personnelle à domicile versées en argent parce que ne s’y retrouve pas le mot prestation. De toute évidence, le législateur utilise le mot indemnité et non celui de prestation non pas pour écarter l’indemnité d’aide personnelle à domicile visée par l’article 158, mais pour y exclure, cela va de soi, toute autre prestation non versée en argent, comme les services médicaux, les services de réadaptation et toute prestation n’étant pas de nature monétaire. Inclure les prestations non monétaires à l’article 364 eût été un non-sens tout simplement parce qu’un service non monétaire non fourni n’encourt pas de perte monétaire, or les intérêts visent à compenser une perte monétaire.

 

[47]      Une prestation d’aide personnelle à domicile est en fait une somme attribuée en compensation de certains frais11. Une telle allocation de nature monétaire est visée par l’article 364. Le soussigné, avec égard, n’adhère pas à la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles, qui donne une interprétation non seulement restrictive à l’application de l’article 364 ne respectant pas la Loi d’interprétation, mais qui est mal fondée.

__________________

7              L.R.Q., c. 1-16.

8              Quand le législateur décide de définir un mot ou une expression, c’est généralement pour donner une signification différente du sens ordinaire.

9              D’ailleurs, si on rĂ©fère au texte anglais, l’expression « indemnitĂ© versĂ©e en argent Â» y est traduite par « compensation Â».

10             On peut penser ici aux services médicaux, aux services de physiothérapie, aux services de psychologie, par exemple.

11             Le deuxième sens du mot indemnité au dictionnaire Petit Robert.

[40]           Dans cette affaire, le juge administratif a rĂ©fĂ©rĂ© Ă  la dĂ©finition du terme « indemnitĂ© Â» prĂ©vue au dictionnaire Le Nouveau Petit Robert[9] et a conclu qu’une indemnitĂ© constitue tout ce qui permet la rĂ©paration d’un dommage incluant, ainsi, la prestation versĂ©e en argent pour de l’aide personnelle Ă  domicile.

[41]           La Commission des lĂ©sions professionnelles a donc conclu que l’interprĂ©tation faite jusqu’alors, par la jurisprudence, et qui limitait aux seules indemnitĂ©s de remplacement du revenu, pour prĂ©judice corporel et de dĂ©cès, les indemnitĂ©s pour lesquelles la CSST devait verser des intĂ©rĂŞts en vertu de l’article 364, Ă©tait restrictive et ne tenait pas compte de l’intention rĂ©elle du lĂ©gislateur. Or, la Commission des lĂ©sions professionnelles a dès lors conclu qu’on ne pouvait interprĂ©ter l’article 364 comme Ă©cartant les prestations d’aide personnelle Ă  domicile au seul motif qu’on n’y retrouvait pas le mot « prestation Â»; en effet, le lĂ©gislateur avait utilisĂ© le mot « indemnitĂ© Â» Ă  l’article 364 non pas pour Ă©carter l’indemnitĂ© d’aide personnelle Ă  domicile mais pour y exclure toute autre prestation non versĂ©e en argent, comme les services mĂ©dicaux, les services de rĂ©adaptation et toute prestation n’étant pas de nature monĂ©taire.

[42]           La Commission des lĂ©sions professionnelles retenait donc que les prestations d’aide personnelle Ă  domicile correspondaient Ă  une allocation de nature monĂ©taire, visĂ©e par l’article 364 de la loi.

[43]           Le 31 dĂ©cembre 2006, la Commission des lĂ©sions professionnelles rend une autre dĂ©cision reconnaissant Ă©galement le paiement des intĂ©rĂŞts sur des montants d’aide personnelle Ă  domicile; il s’agit de l’affaire Turner[10]. La juge administrative rappelle que la loi doit recevoir une interprĂ©tation large et libĂ©rale qui assure l’accomplissement de son objet, soit la rĂ©paration des lĂ©sions professionnelles et des consĂ©quences qu’elles entraĂ®nent. Ă€ son avis, l’interprĂ©tation restrictive retenue par la CSST n’est aucunement justifiĂ©e.

[44]           Ensuite, la juge administrative analyse le sens des expressions « indemnitĂ©s versĂ©es en argent Â», « assistance financière Â» « services fournis et prestations Â» et, s’attarde ensuite au contexte dans lequel le lĂ©gislateur a utilisĂ© ces termes. La Commission des lĂ©sions professionnelles ne juge pas utile, en l’espèce, de reprendre en dĂ©tail cette analyse sauf pour rappeler la conclusion voulant que les sommes versĂ©es pour l’aide personnelle Ă  domicile, prĂ©vues Ă  l’article 158 de la loi. sont non seulement des prestations de rĂ©adaptation mais Ă©galement des indemnitĂ©s versĂ©es en argent, au sens des articles 2 et 364 de la loi.

[45]           Ă€ l’appui de cette conclusion, il importe de rĂ©fĂ©rer plus particulièrement au passage suivant de la dĂ©cision :

« […]

 

[117]    Le tribunal est d’avis qu’une analyse minutieuse et rigoureuse de l’ensemble des dispositions lĂ©gislatives et rĂ©glementaires amène Ă  conclure que le lĂ©gislateur inclut dans le terme « prestation Â» tous les coĂ»ts d’indemnisation versĂ©s par la CSST ou par l’employeur Ă  un travailleur ou Ă  un bĂ©nĂ©ficiaire en vertu de la loi et que « l’indemnitĂ© versĂ©e en argent Â» prĂ©vue par la dĂ©finition de « prestation Â» inclut tout montant d’argent attribuĂ© Ă  un bĂ©nĂ©ficiaire en rĂ©paration de sa lĂ©sion professionnelle ou en compensation de certains frais reliĂ©s Ă  cette lĂ©sion.

 

[118]    Ainsi, le terme « indemnitĂ© Â» utilisĂ© Ă  la loi ne comprend pas les seules indemnitĂ©s retrouvĂ©es au chapitre III de la loi, mais aussi celles versĂ©es en argent prĂ©vues par les autres chapitres de la loi, notamment celles versĂ©es Ă  titre d’aide personnelle Ă  domicile en vertu de l’article 158 de la loi.

 

[…] Â»

 

 

[46]           Au prĂ©sent stade de son analyse, la Commission des lĂ©sions professionnelles rappelle que le chapitre III de la loi a trait plus spĂ©cifiquement, aux indemnitĂ©s de remplacement du revenu, aux indemnitĂ©s versĂ©es pour prĂ©judicie corporel et aux indemnitĂ©s de dĂ©cès.

[47]           Et, quant Ă  l’interprĂ©tation Ă  donner au mot « indemnitĂ© Â», telle qu’effectuĂ©e dans l’affaire Turner[11], il y a lieu de considĂ©rer la motivation suivante :

« […]

 

[120]    « L’indemnitĂ© Â» Ă©dictĂ©e par l’article 364 de la loi ne vise donc qu’une indemnitĂ© versĂ©e en argent qui est reconnue Ă  un bĂ©nĂ©ficiaire après dĂ©cision de la rĂ©vision administrative ou de la Commission des lĂ©sions professionnelles. Le tribunal est d’avis qu’il s’agit de la mĂŞme « indemnitĂ© versĂ©e en argent Â» que celle prĂ©vue Ă  la dĂ©finition de prestation.

 

[…] Â»

 

 

[48]           Donc, ayant retenu que le terme « indemnitĂ© Â» n’était pas dĂ©fini Ă  la loi, la Commission des lĂ©sions professionnelles a dĂ©cidĂ© de rĂ©fĂ©rer Ă  son sens usuel, tel que prĂ©vu Ă  la dĂ©finition suivante du dictionnaire[12] :

IndemnitĂ© : … 1. Ce qui est attribuĂ© Ă  qqn en rĂ©paration d’un dommage, d’un prĂ©judice, ou de la perte d’un droit ] compensation, dĂ©dommagement, dommage (dommages-intĂ©rĂŞts), indemnisation, vx rĂ©compense, rĂ©paration …2. Ce qui est attribuĂ© en compensation de certains frais, ] allocation, dĂ©fraiement …

 

 

[49]           En somme, l’affaire Turner,[13] a conclu qu’une indemnitĂ© est un montant d’argent versĂ© Ă  quelqu’un pour rĂ©parer un dommage ou compenser certains frais. La conclusion ainsi retenue par la juge administrative a permis de reconnaĂ®tre le droit aux intĂ©rĂŞts prĂ©vus par l’article 364 et ce, Ă  l’égard du montant octroyĂ© pour une allocation d’aide personnelle Ă  domicile.

[50]           SubsĂ©quemment Ă  cette dĂ©cision, une autre dĂ©cision[14] de la Commission des lĂ©sions professionnelles fut appelĂ©e Ă  se prononcer sur le droit aux intĂ©rĂŞts, tel que prĂ©vu Ă  l’article 364 de la loi. Il s’agit de l’affaire Gauthier[15] au sein de laquelle la juge administrative fait sienne la motivation Ă©laborĂ©e dans l’affaire Turner[16]; la juge administrative conclut donc que le travailleur a droit au paiement des intĂ©rĂŞts sur la somme versĂ©e Ă  titre d’aide personnelle Ă  domicile.

[51]           La soussignĂ©e ne retient pas la motivation exprimĂ©e au sein de ces rĂ©centes dĂ©cisions puisqu’elle prĂ©fère adhĂ©rer Ă  la motivation initialement offerte au sein du premier courant jurisprudentiel et qui est Ă  l’effet que l’article 364 de la loi doit se limiter Ă  une indemnitĂ© versĂ©e en argent, Ă  savoir une indemnitĂ© de remplacement du revenu, une indemnitĂ© de dĂ©cès ou une indemnitĂ© pour dommage corporel.

[52]           En effet, l’intention du lĂ©gislateur est clairement exprimĂ©e au sein de l’article 364 de la loi et ce, lorsqu’il rĂ©fère au terme « indemnitĂ© Â» au lieu et place du terme « prestation Â», tel que dĂ©fini Ă  l’article 2 de la loi.

[53]           RĂ©fĂ©rer ainsi au sens ordinaire et grammatical du terme « indemnitĂ© Â» s’harmonise davantage avec l’esprit de la loi, son objet et, par consĂ©quent, l’intention du lĂ©gislateur. En effet, cet article se veut ainsi en accord avec ce qui est dĂ©jĂ  Ă©noncĂ© articles 90 et 135 de la loi.

[54]           Ces articles se lisent comme suit :

90.  La Commission paie au travailleur des intĂ©rĂŞts sur le montant de l'indemnitĂ© pour prĂ©judice corporel Ă  compter de la date de la rĂ©clamation faite pour la lĂ©sion professionnelle qui a causĂ© l'atteinte permanente Ă  l'intĂ©gritĂ© physique ou psychique du travailleur.

 

 

 

Le taux de ces intérêts est déterminé suivant les règles établies par règlement. Ces intérêts sont capitalisés quotidiennement et font partie de l'indemnité.

__________

1985, c. 6, a. 90; 1993, c. 5, a. 2; 1999, c. 40, a. 4.

 

 

135.  La Commission paie des intĂ©rĂŞts sur le montant de l'indemnitĂ© de dĂ©cès prĂ©vue par les articles 98 Ă  100 Ă  compter de la date du dĂ©cès du travailleur.

 

Le taux de ces intérêts est déterminé suivant les règles établies par règlement. Ces intérêts sont capitalisés quotidiennement et font partie de l'indemnité.

__________

1985, c. 6, a. 135; 1993, c. 5, a. 3.

 

 

[55]           Pour reprendre ce qui a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© dans l’affaire Tardif[17], il s’avère certes exact de constater que la loi n’a prĂ©vu que trois sortes d’indemnitĂ©, soit une prestation versĂ©e en argent pour le remplacement du revenu, pour compenser un dommage corporel subi ou un dĂ©cès.

[56]           D’ailleurs, le lĂ©gislateur s’est limitĂ©, Ă  l’article 364 de la loi, Ă  prĂ©voir des intĂ©rĂŞts pour ce qu’il qualifie « d’indemnitĂ© Â» et ce, distinctement du terme « prestation Â» qu’il a dĂ©fini lui-mĂŞme, Ă  l’article 2 de la loi.

[57]           La soussignĂ©e s’inspire ainsi des règles enseignĂ©es par la Cour suprĂŞme voulant qu’il faut lire les termes d’une loi dans son contexte global et ce, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit et l’objet de la loi.

[58]           Ă€ cet effet, rĂ©fĂ©rence est faite Ă  l’affaire Verdun c. Banque Toronto-Dominion[18], dans laquelle la Cour suprĂŞme rappelle ce qui suit :

2. Les tribunaux doivent gĂ©nĂ©ralement utiliser la « mĂ©thode contextuelle moderne Â» comme mĂ©thode normative standard d’interprĂ©tation des lois et ils peuvent exceptionnellement recourir Ă  l’ancienne règle du « sens ordinaire Â» quand les circonstances s’y prĂŞtent. […]

 

 

6. En consĂ©quence, la mĂ©thodologie exposĂ©e dans Driedger on the Construction of Status (3e Ă©d. 1994) Ă  la p. 131, est appropriĂ©e :

 

 

[TRADUCTION] Il n’existe qu’une seule règle d’interprĂ©tation moderne : les tribunaux sont tenus d’interprĂ©ter un texte lĂ©gislatif dans son contexte global, en tenant compte de l’objet du texte en question, des consĂ©quences des interprĂ©tations proposĂ©es, des prĂ©somptions et des règles spĂ©ciales d’interprĂ©tation, ainsi que des sources acceptables d’aide extĂ©rieure. Autrement dit, les tribunaux doivent tenir compte de tous les indices pertinents et acceptables du sens d’un texte lĂ©gislatif. Cela fait, ils doivent ensuite adopter l'interprĂ©tation qui est appropriĂ©e. L’interprĂ©tation appropriĂ©e est celle qui peut ĂŞtre justifiĂ©e en raison a) de sa plausibilitĂ©, c’est-Ă -dire sa conformitĂ© avec le texte lĂ©gislatif, b) de son efficacitĂ©, dans le sens oĂą elle favorise la rĂ©alisation de l’objet du texte lĂ©gislatif, et c) de son acceptabilitĂ©, dans le sens oĂą le rĂ©sultat est raisonnable et juste. [Les soulignĂ©s sont dans le texte.]

 

(Nos soulignements)

 

 

[59]           Et, dans l’affaire Rizzo & Rizzo Shoes Ltd[19], le juge Lacobucci note que :

21. Bien que l’interprĂ©tation lĂ©gislative ait fait couler beaucoup d’encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e Ă©d. 1994) (ci-après «Construction of Statutes); Pierre-AndrĂ© CĂ´tĂ©, InterprĂ©tation des lois (2e Ă©d. 1990), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulĂ© Construction of Statutes (2e Ă©d. 1983) rĂ©sume le mieux la mĂ©thode que je privilĂ©gie. Il reconnaĂ®t que l’interprĂ©tation lĂ©gislative ne peut pas ĂŞtre fondĂ©e sur le seul libellĂ© du texte de loi. Ă€ la p. 87, il dit :

 

[TRADUCTION] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du lĂ©gislateur.

 

27. (…) Selon un principe bien établi en matière d’interprétation législative, le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes. D’après Côté, op. cit., on qualifiera d’absurde une interprétation qui mène à des conséquences ridicules ou futiles, si elle est extrêmement déraisonnable ou inéquitable, si elle est illogique ou incohérente, ou si elle est incompatible avec d’autres dispositions ou avec l’objet du texte législatif (aux pp. 430 à 4232). Sullivan partage cet avis en faisant remarquer qu’on peut qualifier d’absurdes les interprétations qui vont à l’encontre de la fin d’une loi ou en rendent un aspect inutile ou futile. 

 

(Nos soulignements)

 

 

[60]           Quant Ă  l’affaire Hypothèques Étrusco Canada c. Canada[20], elle permit Ă  la Cour suprĂŞme de rappeler les principes gĂ©nĂ©raux d’interprĂ©tation comme suit :

5.1 Principes généraux d’interprétation

 

10        Il est depuis longtemps Ă©tabli en matière d’interprĂ©tation des lois qu’«il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du lĂ©gislateur» : voir 65302 British Columbia Ltd c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804 , par 50. L’interprĂ©tation d’une disposition lĂ©gislative doit ĂŞtre fondĂ©e sur une analyse textuelle, contextuelle et tĂ©lĂ©ologique destinĂ©e Ă  dĂ©gager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellĂ© d’une disposition est prĂ©cis et non Ă©quivoque, le sens ordinaire des mots joue un rĂ´le primordial dans le processus d’interprĂ©tation. Par contre, lorsque les mots utilisĂ©s peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rĂ´le moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprĂ©tation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher Ă  interprĂ©ter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

 

(Nos soulignements)

 

 

[61]           Enfin, dans l’affaire Ville de MontrĂ©al et 2952-1366 QuĂ©bec inc.[21], la juge Deschamps, de la Cour suprĂŞme, rĂ©itère ces principes en indiquant :

9                    Comme notre Cour l’a maintes fois rĂ©pĂ©tĂ© : [TRADUCTION] « Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du lĂ©gislateur Â» (…) Cela signifie que, comme on le reconnaĂ®t dans Rizzo & Rizzo Shoes, « l’interprĂ©tation lĂ©gislative ne peut pas ĂŞtre fondĂ©e sur le seul libellĂ© du texte de loi Â».

 

 

[62]           La Commission des lĂ©sions professionnelles note aussi, dans le mĂŞme ordre d’idĂ©e, que l’article 41 de la Loi d’interprĂ©tation[22] quĂ©bĂ©coise stipule qu’une loi doit recevoir une interprĂ©tation large, libĂ©rale, qui assure l’accomplissement de son objet et l’exĂ©cution de ses prescriptions suivant leurs vĂ©ritables sens, esprit et fin.

[63]           Par ailleurs, le professeur Pierre-AndrĂ© CĂ´tĂ©, dans son ouvrage intitulĂ© InterprĂ©tation des lois[23], indique que la mĂ©thode tĂ©lĂ©ologique est celle qui met l’accent sur les objectifs du texte lĂ©gislatif. Il note qu’il est difficile d’imaginer une disposition lĂ©gislative qui n’aurait d’autre raison d’être que sa propre Ă©nonciation. Pour lui, chacune des dispositions d’un texte lĂ©gislatif possède une raison d’être, poursuit un objectif et la rĂ©alisation de cet objectif concourt Ă  l’atteinte des objectifs de l’ensemble des dispositions du texte.

[64]           La Commission des lĂ©sions professionnelles privilĂ©gie donc la mĂ©thode contextuelle ou tĂ©lĂ©ologique pour interprĂ©ter l’article 364 de la loi. Dans le prĂ©sent dossier, il faut donc rĂ©fĂ©rer Ă  l’esprit de la loi, Ă  son objet et Ă  l’intention du lĂ©gislateur pour dĂ©terminer si le travailleur a droit Ă  des intĂ©rĂŞts sur le montant d’allocation d’aide personnelle Ă  domicile auquel il a droit depuis la dĂ©cision rendue par la Commission des lĂ©sions professionnelles.

[65]           Donc, en considĂ©ration des règles ci-haut Ă©noncĂ©es par la Cour suprĂŞme et par le professeur Pierre-AndrĂ© CĂ´tĂ©, la Commission des lĂ©sions professionnelles considère, dans un premier temps, que l’article 364 de la loi est clair et qu’il n’est pas sujet Ă  interprĂ©tation.

[66]           D’ailleurs, lorsque cette disposition est mise en parallèle avec d’autres dispositions prĂ©vues par la loi qui prĂ©voient le paiement d’intĂ©rĂŞts, il y a lieu de constater qu’elle se veut en accord avec les articles 90 et 135.

[67]           En effet, la volontĂ© du lĂ©gislateur y est dĂ©jĂ  clairement exprimĂ©e et est Ă  l’effet que les indemnitĂ©s de dĂ©cès et les indemnitĂ©s pour prĂ©judice corporel peuvent faire l’objet de paiement d’intĂ©rĂŞts.

[68]           D’ailleurs, pour reprendre la citation ci-haut reproduite et qui est tirĂ©e de l’affaire Hypothèques Étrusco Canada[24], il y a lieu de rappeler que lorsque le libellĂ© d’une disposition est prĂ©cis et non-Ă©quivoque, le sens ordinaire des mots joue un rĂ´le primordial dans le processus d’interprĂ©tation. De plus, les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher Ă  interprĂ©ter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

[69]           Donc, l’interprĂ©tation que la soussignĂ©e retient et ce, contrairement Ă  celle Ă©laborĂ©e dans les rĂ©centes dĂ©cisions rendues par la Commission des lĂ©sions professionnelles, est certes Ă  l’effet de s’harmoniser avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du lĂ©gislateur, le tout tel que plus particulièrement exprimĂ© aux articles 90 et 135 de loi.

[70]           Aussi, mĂŞme si l’article 41 de la Loi d’interprĂ©tation quĂ©bĂ©coise[25] stipule qu’une loi doit recevoir une interprĂ©tation large et libĂ©rale, encore faut-il que l’accomplissement de son objet et l’exĂ©cution de ses dispositions suivent le vĂ©ritable sens, l’esprit et la fin y prĂ©vus par le lĂ©gislateur.

[71]           Dans ce mĂŞme ordre d’idĂ©es, la soussignĂ©e considère que le lĂ©gislateur ne parle pas pour ne rien dire et que l’utilisation du terme « indemnitĂ© Â» au lieu et place du terme « prestation Â», au sein de l’article 364 de la loi, le fut aux fins de reflĂ©ter ses intentions qui Ă©taient Ă  l’effet que des intĂ©rĂŞts ne soient payĂ©s qu’à l’égard des indemnitĂ©s prĂ©vues au sein de la loi.

[72]           En effet, si le lĂ©gislateur avait voulu que de tels paiements d’intĂ©rĂŞts s’effectuent sur toutes formes de prestations, telles que prĂ©vues dans la loi, il aurait certes utilisĂ© le terme « prestation Â» qu’il a dĂ©fini Ă  l’article 2 de la loi et qui, de façon plus large que le terme « indemnitĂ© Â» inclut non seulement des indemnitĂ©s versĂ©es en argent, une assistance financière mais Ă©galement tous services fournis en vertu de la loi.

[73]           Aussi, c’est certes dans une intention bien prĂ©cise que le lĂ©gislateur a cru utile de dĂ©finir le terme « prestation Â» au sein de l’article 2 de la loi et ce, tout en omettant de dĂ©finir le terme « indemnitĂ© Â». En effet, la dĂ©finition de ce dernier terme ne s’avĂ©rait nullement utile et ce, compte tenu qu’il n’a prĂ©vu, au sein de la loi, que trois formes d’indemnitĂ©s, soit une indemnitĂ© de remplacement du revenu, une indemnitĂ© pour prĂ©judice corporel et une indemnitĂ© de dĂ©cès.

[74]           De l’avis de la soussignĂ©e, la lecture des termes utilisĂ©s dans la loi et ce, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, le tout de manière Ă  interprĂ©ter les dispositions comme pouvant former un tout harmonieux, impose la conclusion voulant que l’intention du lĂ©gislateur, telle que clairement exprimĂ©e Ă  l’article 364 de la loi, vise le paiement d’intĂ©rĂŞts sur les indemnitĂ©s qu’il a prĂ©vues Ă  la loi, soit des indemnitĂ©s de remplacement du revenu, des indemnitĂ©s pour prĂ©judice corporel et des indemnitĂ©s de dĂ©cès.

[75]           D’ailleurs, retenir une toute autre interprĂ©tation voulant que le lĂ©gislateur, Ă  l’article 364 de la loi, ait prĂ©vu le paiement d’intĂ©rĂŞts non seulement sur les indemnitĂ©s prĂ©vues Ă  la loi mais Ă©galement sur toutes les autres formes de prestations qui y sont Ă©galement prĂ©vues, consiste Ă  modifier le texte de l’article 364 au lieu et place de ce dernier.

[76]           C’est donc avec respect pour l’opinion contraire que la soussignĂ©e conclut que l’article 364 de la loi doit ĂŞtre interprĂ©tĂ© selon la lettre et l’esprit gĂ©nĂ©ral de la loi qui est Ă  l’effet que le paiement d’intĂ©rĂŞts, tel que prĂ©vu par le lĂ©gislateur, ne peut s’effectuer qu’à l’égard des indemnitĂ©s de remplacement du revenu, des indemnitĂ©s pour prĂ©judice corporel et des indemnitĂ©s de dĂ©cès, excluant ainsi la possibilitĂ© du paiement d’intĂ©rĂŞts sur toutes autres formes de prestations prĂ©vues Ă  la loi dont celle spĂ©cifiquement visĂ©e Ă  l’article 158 et qui a trait Ă  une allocation d’aide personnelle Ă  domicile.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requĂŞte de monsieur Julien Auclair, le travailleur;

CONFIRME la dĂ©cision rendue par la Commission de la santĂ© et de la sĂ©curitĂ© du travail, le 6 novembre 2008, Ă  la suite d’une rĂ©vision administrative;

DÉCLARE que la Commission de la santĂ© et de la sĂ©curitĂ© du travail est justifiĂ©e de refuser le paiement d’intĂ©rĂŞts et ce, de manière rĂ©troactive, sur le montant d’aide personnelle Ă  domicile auquel a droit monsieur Julien Auclair depuis la dĂ©cision rendue par la Commission des lĂ©sions professionnelles, le 18 juillet 2008.

 

 

__________________________________

 

Carole Lessard

 

M. Martin Cadieux

ACTION INDEMNISATION

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Jean-François Cloutier

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN, AVOCATS

Représentant de la partie intéressée

 



[1]           327075-31-0709, M.A. Jobidon.

[2]           L.R.Q., c. A-3.001.

[3]           Précitée, note 1.

[4]           Tardif et CSST et Entreprises Réjean Turgeon inc., C.A.L.P. 70437-03B-9506, 30 octobre 1995, J.-M. Dubois.

[5]           Proulx et Arthur Anderson inc. syndic et Corporation Raymor ltée, 78766-60A-9604 et 85235-60A-9701, 10 août 1998, J.-D. Kushner.

[6]           Jacques et Rancourt Fina Service (fermĂ©e), 103839-03B-9808, 6 octobre 1998, R. Jolicoeur.

[7]           Thibault et Lucien ParĂ© et Fils ltĂ©e, 136681-32-0004 et 148148-32-0010, 29 mars 2001, L. Langlois.

[8]           Phillips et Centre hospitalier rĂ©gional de Lanaudière, 231142-63-0403, 30 mai 2005 (dĂ©cision rectifiĂ©e le 13 juin 2005 et le 20 juin 2005), R. Brassard, requĂŞte en rĂ©vision rejetĂ©e, 27 janvier 2006, B. Lemay.

[9]           Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, nouv. éd. remaniée et amplifiée, Paris, Dictionnaires Le Robert, juin 1996, p. 1156.

[10]         Turner et Centre communautaire bénévole Matawinie, 245143-63-0410, 21 décembre 2006, F. Mercure.

[11]         Précitée, note 10.

[12]         Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, nouv. éd. remaniée et amplifiée, Paris, Dictionnaires Le Robert, juin 1996, p. 1156.

[13]         Précitée, note 10.

[14]          Gauthier et Sécurité Tenox ltée (fermée) 335070-63-0712, 15 décembre 2002, L. Morissette.

[15]          Précitée, note 14.

[16]          Précitée, note 10.

[17]          Précitée, note 4.

[18]         [1996] 3 R.C.S. 550 .

[19]         [1998] 1 R.C.S. 27 .

[20]         [2005] 2 R.C.S. 601 .

[21]         [2005] 3 R.C.S. 141 .

[22]         L.R.Q., c. I-16.

[23]         CÔTÉ, Pierre-André, Interprétation des lois, Les Éditions Yvon Blais inc., 2e édition, 1990, 353 p.

[24]          Précitée, note 19.

[25]          Précitée, note 21.

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