Décision

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Gendreau et H & R Block Canada inc.

2010 QCCLP 4892

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Laval

5 juillet 2010

 

Région :

Laval

 

Dossier :

390795-61-0910

 

Dossier CSST :

118124809

 

Commissaire :

Ginette Morin, juge administrative

 

Membres :

Gisèle Lanthier, associations d’employeurs

 

Chantal Desrosiers, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Louise Gendreau

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

H & R Block Canada inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 8 octobre 2009, la travailleuse, madame Louise Gendreau, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 30 septembre 2009 à la suite d'une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu'elle a initialement rendue le 17 juillet 2009 et déclare que madame Gendreau n'a pas droit au remboursement des frais engagés à l’occasion de son déménagement, soit 3 225 $ payé à la municipalité à titre de droit de mutation immobilière et 1 100 $ payé à un notaire à titre d’honoraires professionnels pour la transaction d’achat de sa nouvelle propriété.

[3]                Madame Gendreau est présente à l'audience tenue à Laval le 16 mars 2010 et elle n'est pas représentée. L'employeur, H & R Block Canada inc., n'est pas représenté à cette audience.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                Madame Gendreau demande de déclarer qu’elle a droit au remboursement de ces frais en vertu de l’article 154  de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) parce qu’il s’agit de frais de déménagement.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]                La membre issue des associations d'employeurs et la membre issue des associations syndicales sont d'avis que la requête de madame Gendreau doit être rejetée. Elles estiment que les frais dont cette dernière réclame le remboursement ne sont pas visés par l’article 154 de la loi puisqu’ils ne constituent pas des frais de déménagement, mais plutôt des frais inhérents à l’acquisition d’une propriété.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[6]                La Commission des lésions professionnelles doit décider si madame Gendreau a droit au remboursement des montants qu’elle a dû payer pour le droit de mutation immobilière et les honoraires du notaire à l’occasion de son déménagement.

[7]                C’est dans le contexte factuel suivant que la Commission des lésions professionnelles doit décider de cette question.

[8]                Madame Gendreau est victime d’un accident du travail le 9 février 2000 lors duquel elle subit une blessure à la cheville gauche. Une lésion à la cheville droite est diagnostiquée en cours d’évolution et celle-ci est reconnue à titre de lésion professionnelle étant donné son lien de causalité avec la lésion à la cheville opposée. La lésion à gauche est jugée consolidée en avril 2004, mais alors que la lésion à droite n’a pas encore atteint un plateau thérapeutique, survient une aggravation de cette première lésion. Les lésions aux deux chevilles sont finalement consolidées en octobre 2007 et ce, avec une atteinte permanente à l’intégrité physique et des limitations fonctionnelles importantes, soit des limitations de classe IV selon l’échelle de restrictions de l’Institut de recherche en santé et en sécurité du travail.

[9]                En janvier 2009, en application de l’article 53 de la loi, la CSST détermine que ces limitations fonctionnelles ne permettent pas à madame Gendreau de reprendre son emploi prélésionnel de secrétaire ni d’exercer un emploi convenable ailleurs sur le marché de l'emploi et qu’elle a en conséquence droit à l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle atteigne l’âge de 68 ans.

[10]           Entre-temps, soit au cours de l’année 2008, madame Gendreau fait l’achat d’une nouvelle maison et elle déménage dans celle-ci au mois le 8 août 2008. Dans une décision qu’elle rend en juin 2009[2], la Commission des lésions professionnelles déclare que, conformément aux dispositions de l’article 154 de la loi, madame Gendreau a droit au remboursement des frais qu’elle a dû engager pour déménager dans sa nouvelle résidence, soit un montant de 1 378,66 $ exigé par l’entreprise ayant procédé au déménagement de ses meubles et autres biens. Cet article se lit comme suit :

154.  Lorsque le domicile d'un travailleur visé dans l'article 153 ne peut être adapté à sa capacité résiduelle, ce travailleur peut être remboursé des frais qu'il engage, jusqu'à concurrence de 3 000 $, pour déménager dans un nouveau domicile adapté à sa capacité résiduelle ou qui peut l'être.

 

À cette fin, le travailleur doit fournir à la Commission au moins deux estimations détaillées dont la teneur est conforme à ce qu'elle exige.

__________

1985, c. 6, a. 154.

 

 

[11]           Pour sa part, l’article 153 auquel réfère cet article se lit comme suit :

153. L'adaptation du domicile d'un travailleur peut être faite si:

 

1°   le travailleur a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique;

 

2°   cette adaptation est nécessaire et constitue la solution appropriée pour permettre au travailleur d'entrer et de sortir de façon autonome de son domicile et d'avoir accès, de façon autonome, aux biens et commodités de son domicile; et

 

3°   le travailleur s'engage à y demeurer au moins trois ans.

 

Lorsque le travailleur est locataire, il doit fournir à la Commission copie d'un bail d'une durée minimale de trois ans.

__________

1985, c. 6, a. 153.

 

 

[12]           Ces deux dispositions se retrouvent au chapitre IV de la loi portant sur la réadaptation du travailleur victime d’une lésion professionnelle et elles font partie des mesures de réadaptation sociale auxquelles ce dernier peut avoir droit, lesquelles poursuivent l’objectif suivant :

151.  La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.

__________

1985, c. 6, a. 151.

 

 

[13]           La possibilité pour un travailleur victime d’une lésion professionnelle de se voir rembourser des frais de déménagement est aussi prévue à l’article 177 de la loi à titre de mesure de réadaptation professionnelle :

177. Le travailleur qui, à la suite d'une lésion professionnelle, redevient capable d'exercer son emploi ou devient capable d'exercer un emploi convenable peut être remboursé, jusqu'à concurrence de 3 000 $, des frais qu'il engage pour:

 

1°   explorer un marché d'emplois à plus de 50 kilomètres de son domicile, si un tel emploi n'est pas disponible dans un rayon de 50 kilomètres de son domicile; et

 

2°   déménager dans un nouveau domicile, s'il obtient un emploi dans un rayon de plus de 50 kilomètres de son domicile actuel, si la distance entre ces deux domiciles est d'au moins 50 kilomètres et si son nouveau domicile est situé à moins de 50 kilomètres de son nouveau lieu de travail.

 

Le travailleur doit fournir à la Commission au moins deux estimations détaillées dont la teneur est conforme à ce qu'elle exige.

__________

1985, c. 6, a. 177.

 

 

[14]           Par ailleurs, en vertu de l’article 118 de la loi, c’est à un montant maximal de 5 537 $ et non pas de 3 000 $ qu’un travailleur peut avoir droit en 2008 à titre de frais de déménagement :

118. Toutes les sommes d'argent fixées dans le présent chapitre, à l'exception des articles 50, 63 et 66, dans le chapitre IV et dans les annexes II et V sont revalorisées le 1er janvier de chaque année.

 

L'indemnité de décès que reçoit un bénéficiaire en vertu du premier alinéa de l'article 102 est aussi revalorisée à cette date.

__________

1985, c. 6, a. 118.

 

 

[15]           Dans la décision qu’elle rend en juin 2009, la Commission des lésions professionnelles conclut que les conditions d’application de l’article 153 de la loi sont rencontrées dans le cas de madame Gendreau puisque la preuve démontre que les séquelles permanentes qui résultent de sa lésion professionnelle sont importantes et rendent difficiles ses déplacements dans sa maison qui comporte quatre paliers, afin d’avoir accès aux biens et commodités de celle-ci.

[16]           La Commission des lésions professionnelles conclut aussi que les conditions d’application de l’article 154 de la loi sont rencontrées puisque la preuve démontre que cette maison ne peut être adaptée à la capacité résiduelle de madame Gendreau compte tenu des coûts importants que cela impliquerait et que, dans ce contexte, la solution la plus appropriée est celle retenue par cette dernière en 2008, soit l’acquisition d’une nouvelle maison dont toutes les pièces sont situées sur un seul palier et son déménagement dans celle-ci.

[17]           À la suite de cette décision, madame Gendreau demande à la CSST le remboursement d’autres frais que celui de 1 378,66 $ exigé par la compagnie de déménagement, soit un montant de 3 225 $ perçu par la municipalité à titre de droit de mutation immobilière et un montant de 1 100 $ réclamé par un notaire à titre d’honoraires professionnels relatifs à la transaction d’achat de sa nouvelle propriété.

[18]           La CSST refuse cette demande au motif que ces frais ne sont pas visés par l’article 154 de la loi et, de l’avis de la Commission des lésions professionnelles, cette décision est bien fondée.

[19]           Madame Gendreau soumet qu’elle a droit au remboursement de ces frais puisque la loi prévoit que c’est un montant de 5 537 $ qui peut lui être octroyé en 2008, alors que le montant qui lui a été remboursé pour le déménagement de ses biens n’est que de 1 378,66 $.

[20]           Cette prétention ne peut cependant pas être retenue puisque l’article 154 prévoit qu’un travailleur peut être remboursé de ses frais de déménagement « jusqu’à concurrence » d’un montant déterminé annuellement, de sorte qu’il s’agit là d’un montant maximal auquel celui-ci peut avoir droit et non pas d’un montant minimal qui lui est versé de manière automatique. Ce sont les frais réellement engagés pour son déménagement, jusqu’à concurrence d’un maximum prévu par la loi pour une année donnée, dont le travailleur peut réclamer le remboursement et, s’il s’avère que ces frais sont inférieurs à ce montant, celui-ci ne peut pas prétendre avoir droit au montant restant.

[21]           La Commission des lésions professionnelles estime que la seconde prétention que fait valoir madame Gendreau selon laquelle les frais dont elle réclame le remboursement constituent des frais de déménagement ne peut pas non plus être retenue.

[22]           Seulement deux décisions du tribunal s’attardent à définir la notion de « frais engagés pour déménager dans un nouveau domicile » retrouvée aux articles 154 et 177 de la loi.

[23]           Dans l’affaire St-Pierre et Legault & Touchette inc.[3], le travailleur réclamait, en vertu de l’article 154 de la loi, le remboursement des frais reliés à l’achat de peinture pour repeindre son nouveau logement et le montant représentant la différence entre son ancien loyer et le nouveau qu’il doit dorénavant assumer en raison de son déménagement.

[24]           En référant au sens usuel du terme « déménager », la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles conclut que les frais de déménagement n’incluent pas ceux qui consistent en des frais d’aménagement :

« La dépense pour l’achat de peinture est-elle comprise dans l’expression « frais de déménagement » ? La Commission d’appel ne le croit pas. Déménager, c’est « se transporter d’un logement à un autre » (Petit Robert, ed. 1990). Si le législateur avait voulu prévoir le remboursement des frais « d’aménagement », en plus de ceux du déménagement, il l’aurait dit expressément.

 

 

[25]           Elle conclut aussi qu’une hausse de loyer à la suite d’un déménagement n’est pas visée par la notion de « frais de déménagement » retrouvée à l’article 154 de la loi puisque cette notion ne doit pas être interprétée dans le sens des « dommages » subis en raison d’un changement de domicile :

« Il en est de même pour la réclamation qu’il fait de la différence du coût de loyer depuis le 1er octobre 1991. En effet, l’article 154 ne traite aucunement de frais dans le sens de dommages résultant d’un déménagement comme, dans le cas sous étude, une augmentation dans le montant du loyer. »

 

 

[26]           Dans l’affaire Yargeau et Service correctionnel du Canada et Travail Canada et CSST[4], le travailleur réclamait, en vertu de l’article 177 de la loi, les frais de courtage encourus pour la vente de sa maison à l’occasion de son déménagement dans une autre ville.

[27]           La Commission d’appel en matière de lésions professionnelles conclut que la notion de « frais engagés pour déménager dans un nouveau domicile » retrouvée à l’article 177 de la loi réfère uniquement au coût de transport des effets personnels d’une personne qui change de lieu de résidence et non pas aux autres frais afférents à ce changement :

« La Commission d’appel croit que c’est à tort que le travailleur inclut les frais de courtage dans les frais de déménagement.

 

Tels qu’utilisés dans le langage courant, les frais de déménagement réfèrent au coût du transport des effets personnels d’une personne qui change de résidence, et incluent le taux horaire de la main-d’œuvre, du camion de déménagement, de l’équipement requis, telles les boîtes d’emballage, possiblement le coût d’entreposage le cas échéant, ainsi que l’assurance pendant le temps de transport. En raison de la compétition du marché et de l’existence de facteurs variables, telles la distance entre les deux résidences et le volume d’effets à transporter, ces items font généralement l’objet d’estimations détaillées, que requiert d’ailleurs la Commission, en vertu de la loi, présumémment pour s’assurer du plus bas prix.

 

Nul ne songerait à considérer comme automatiquement inclus dans ces frais, ceux afférents, par exemple, à certains items entraînant inévitablement des déboursés à l’occasion d’un changement de domicile, telle l’installation d’une ligne téléphonique, voire même par les temps qui courent, l’installation du câble dans le nouveau domicile. De même, la Commission d’appel ne croit pas que l’on puisse considérer comme inclus dans de tels frais ceux afférents aux services d’un agent d’immeuble qu’un travailleur a cru bon de retenir pour effectuer la vente de sa maison ou, dans un même ordre d’idée, les coûts d’annonce dans un journal pour la location d’un appartement. »

 

 

[28]           Elle retient au surplus que les frais de courtage sont fixes et ne peuvent donc pas faire l’objet de deux estimations préalables comme l’exige l’article 177 de la loi :

« De plus, les frais de courtage sont fixes, en ce sens qu’ils équivalent à un pourcentage prédéterminé du prix de vente. Ils ne requièrent donc aucune estimation. »

 

 

[29]           La Commission des lésions professionnelles souscrit à la position adoptée dans ces affaires et elle retient de celle-ci que la notion de « frais engagés pour déménager dans un nouveau domicile » retrouvée aux articles 154 et 177 de la loi doit être interprétée dans le sens des seuls frais qui se rattachent au déplacement des meubles et autres biens du travailleur vers son nouveau lieu de résidence.

[30]           La Commission des lésions professionnelles estime que cette approche doit être privilégiée puisque, pour conclure autrement, il faudrait interpréter l’expression « frais qu’il engage pour déménager dans un nouveau domicile » comme voulant dire tous les frais qui résultent inévitablement d’un changement de lieu de résidence, peu importe leur nature, dont une multitude de frais dits de branchement, des frais d’acheminement de courrier à une nouvelle adresse, des frais d’annonces de maison à vendre ou de logement à louer dans les journaux, etc.

[31]           Or, si telle avait été l’intention du législateur, celui-ci aurait certes pris soin de libeller l’article 154 en des termes traduisant de manière claire cette intention, ce qu’il n’a cependant pas fait.

[32]           De plus, tel qu’il ressort de l’affaire Yargeau[5], l’obligation imposée au travailleur, tant à l’article 154 qu’à l’article 177, de soumettre au préalable deux estimations détaillées est un élément qui témoigne du fait qu’il n’était pas de l’intention du législateur de procéder au remboursement de tous les frais qu’il faut inévitablement débourser lors d’un changement de lieu de résidence puisque cette exigence ne peut être rencontrée dans bon nombre de ces frais. C’est le cas notamment pour ce qui est des frais exigés par un fournisseur d’électricité pour une modification apportée au contrat de services et, à l’instar des frais de courtage, c’est également le cas pour le droit de mutation immobilière.

[33]           Au surplus, un droit de mutation immobilière est une taxe que perçoit toute municipalité sur le transfert des immeubles situés sur son territoire et, tout comme les honoraires du notaire dont les services sont retenus pour la transaction d’achat, il s’agit de frais qui sont inhérents à l’acquisition d’une propriété et non, à proprement parler, au déménagement.

[34]           Pour l’ensemble de ces motifs, la Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion que madame Gendreau n’a pas droit au remboursement du montant de 3 225 $ perçu par la municipalité à titre de droit de mutation immobilière ni à celui de 1 100 $ réclamé par un notaire à titre d’honoraires professionnels.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de la travailleuse, madame Louise Gendreau;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 30 septembre 2009 à la suite d'une révision administrative; et

DÉCLARE que madame Louise Gendreau n'a pas droit au remboursement du montant de 3 225 $ payé à titre de droit de mutation immobilière ni à celui de 1 100 $ payé à titre d’honoraires professionnels juridiques.

 

 

__________________________________

 

Ginette Morin

 

 

 



[1]           L. R. Q., c. A-3.001

[2]           Gendreau et H & R Block Canada inc., C.L.P. 360789-61-0810, 16 juin 2009, D. Martin.

[3]           C.A.L.P. 44225-60-9209, 20 mai 1994, L. Boucher, (J6-18-04).

[4]           [1992] C.A.L.P 1456

[5]           Id.

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