98011275
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL
No:
500-09-003289-964
(500-05-020724-967)
Le 6 mars 1998
CORAM: LES HONORABLES PROULX
FORGET
PIDGEON, JJ.C.A.
MARIA DE FATIMA GONCALVES DA SYLVA PACHECO
SUCCESSION DE FEU EDUARDO BENTO DA COSTA PACHECO,
APPELANTES - mises en cause
c.
HOPITAL DE MONTRÉAL POUR ENFANTS,
INTIMÉ - requérant
c.
COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL
DU QUÉBEC,
Mise en cause
LA COUR; Statuant sur le pourvoi des appelantes
contre un jugement de la Cour supérieure (district de Montréal,
l'honorable Jean-Jacques Croteau, le 1
er octobre 1996) qui a
accueilli une demande de révision judiciaire d'une décision de la
Commission d'appel en matière de lésions professionnelles;
Après étude du dossier, audition et délibéré:
Pour les motifs exprimés dans l'opinion écrite du
juge Robert Pidgeon auxquels souscrivent messieurs les juges Michel
Proulx et André Forget:
ACCUEILLE l'appel avec dépens et, procédant à
rétablir la décision de la CALP:
DÉCLARE que le 22 octobre 1992 le travailleur
Eduardo Pacheco a subi une lésion professionnelle entraînant sa mort
et lui donnant droit à tous les avantages prévus à la
Loi sur les
accidents du travail et les maladies professionnelles.
MICHEL PROULX, J.C.A.
ANDRÉ FORGET, J.C.A.
ROBERT PIDGEON, J.C.A.
Me Bruno Themens
Pour les appelantes
Me Jean-François Gilbert
Pour l'intimé
Me Claude Verge
Pour Commission d'appel en
matières de lésions professionnelles
Audition le 3 février 1998
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL
No:
500-09-003289-964
(500-05-020724-967)
CORAM: LES HONORABLES PROULX
FORGET
PIDGEON, JJ.C.A.
MARIA DE FATIMA GONCALVES DA SYLVA PACHECO
SUCCESSION DE FEU EDUARDO BENTO DA COSTA PACHECO,
APPELANTES - Mises en cause
c.
HÔPITAL DE MONTRÉAL POUR ENFANTS,
INTIMÉ - requérant
et
COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL
DU QUÉBEC,
Mise en cause
OPINION DU JUGE PIDGEON
Il s'agit de l'appel d'un jugement de la Cour
supérieure (district de Montréal, l'honorable Jean-Jacques Croteau,
le 1
er octobre 1996) accueillant une demande de révision judiciaire
d'une décision de la Commission d'appel en matière de lésions
professionnelles (la CALP).
Le présent litige ne soulève qu'une seule
question: Le juge de première instance a-t-il erré en retenant le
caractère manifestement déraisonnable de la décision de la CALP qui
conclut que l'époux de l'appelante est décédé des suites d'un
accident de travail?
LES FAITS
Le 22 octobre 1992, l'Hôpital de Montréal
pour enfants (l'hôpital) opérait un service alimentaire (les
cuisines) où travaillaient depuis le début des années 1970
Eduardo Pacheco (Pacheco) et Manuel Rivas (Rivas).
Ce même jour, Rivas assassina son
compagnon de travail, Pacheco, pendant le cours de leur
journée régulière de travail.
Rivas connaissait des troubles
psychiatriques depuis 1986. Des rapports d'expertises,
préparés à l'occasion du procès criminel et déposés au dossier
de la Commission de la santé et de la sécurité au travail du
Québec (CSST), démontrent clairement que Rivas, lors de cette
agression du 22 octobre 1992, était atteint de troubles
délirants chroniques de type paranoïde. Cette maladie se
caractérise par la représentation mentale de concepts faux que la personne tient pour vrais. Ici, les idées délirantes de
Rivas à l'endroit de Pacheco se seraient, selon le dossier de
la CSST, manifestées à la suite d'un incident survenu en 1987,
sur les lieux du travail(1).
En janvier 1989, le comportement de Rivas
était à ce point inquiétant que sa femme consulta des médecins
qui lui prescrivirent une médication que Rivas abandonna
quelque temps plus tard en raison de l'apparition d'effets
secondaires importants. Manquant totalement d'autocritique,
il ne jugea pas opportun de stabiliser de nouveau son état par
une autre médication.
Le 6 novembre 1991, à la suite de menaces
de mort proférées à son endroit par Rivas, Pacheco déposa une
plainte à la police. L'hôpital fut informé de la situation
conflictuelle.
Au cours de l'été 1992, l'épouse de Rivas
nota une détérioration manifeste non seulement de l'état
mental de son époux mais également de son état physique.
Cette détérioration entraîna d'ailleurs des répercussions
néfastes sur son travail. En effet, les différends entre Rivas et Pacheco se multiplièrent et les deux salariés durent,
selon un rapport d'intervention d'un enquêteur de la
Commission déposé devant le Bureau de révision paritaire
(BRP), être affectés à des cuisines distinctes par leur
employeur(2).
Finalement, le 22 octobre 1992 à 14h45,
Rivas, dans un moment de délire, attaqua mortellement Pacheco.
L'événement est ainsi décrit dans le jugement de la Cour
supérieure, chambre criminelle, qui rendait, le 16 mars 1993,
un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de
troubles mentaux:
Le jour en question, il rencontre la victime par hasard, une
marmite lui bascule sur la jambe, il voit Pacheco et il se défend avec
le couteau qu'il porte à la main. Il croit que la victime voudrait
l'agresser elle-même avec un couteau. Il y avait ce qu'on appelle de la
projection, il voyait l'individu qu'il a lui-même agressé, le blesser
comme un agresseur potentiel avec un couteau et au moment du délit,
il agit dans un moment de désorganisation et a la conviction qu'il se
défend. Il était alors en proie à une maladie psychiatrique importante,
une psychose à tel point qu'il ne peut plus agir de façon adéquate. Il
a perdu contact avec la réalité et ne pouvait apprécier la nature et la
qualité des gestes posés, il croyait vraiment se défendre. (Jugement
m.a. pp. 114, 115)
(J'ai souligné)
Le 27 janvier 1993, l'appelante, la veuve
de Pacheco, déposa auprès de la CSST une réclamation pour
lésion professionnelle, rejetée le 22 février 1993.
Le 8 mars 1993, cette décision fut portée
en révision devant le BRP qui, par une décision majoritaire,
confirma la décision de la CSST.
La succession de Pacheco en appela à la
CALP qui cassa la décision du BRP.
L'hôpital s'adressa finalement à la Cour
supérieure qui renversa la décision de la CALP.
L'ANALYSE DES DIFFÉRENTES DÉCISIONS
CSST - 22 février 1993
L'agent de la CSST conclut qu'au moment où
Pacheco est assassiné, il n'accomplissait pas une activité qui
était reliée ou connexe à son travail de cuisinier. En
corollaire, l'employeur de Pacheco n'exerçait aucun contrôle
sur cette activité qui, par ailleurs, ne lui était d'aucune
utilité professionnelle.
En conséquence, la CSST conclut que le
salarié n'a pas été victime d'un accident du travail et que la
présomption de lésion professionnelle prévue à l'article
28
de
la Loi sur les accidents du travail et maladies professionnelles(3) (L.A.M.T.) a été écartée.
Bureau de révision paritaire - 7 juin 1994
Des différents témoignages et des
expertises psychiatriques au dossier, le BRP retient les faits
suivants:
- L'agresseur, Rivas, est une personne
isolée, renfermée et peu
communicative.
- On le décrit comme un homme doux et
aucunement agressif, si ce n'est de
ses nombreuses altercations bien sûr
avec Pacheco.
- Dans les deux expertises consultées,
on constate que le délire de monsieur
Rivas tire son origine dans
l'incident où il s'est coupé
accidentellement un doigt avec sa
tondeuse, soit en 1986 ou 1987.
- C'est un peu après que Manuel Rivas
eut une altercation assez violente
avec Eduardo Pacheco à l'hôpital.
Tous deux transportaient de la
nourriture avec un chariot et les
chariots se heurtèrent.C'est alors
qu'ils s'invectivèrent de façon
hostile, agres-sive, dans des mots
chargés de méchanceté. Ils se
traitèrent mutuellement de «fils de
pute». À partir de ce moment,
mentionne Manuel Rivas, la tension ne
cessa jamais entre Pacheco et lui. À partir de ce moment, Manuel Rivas
réalisa que les ingrédients pour la
pâtisserie étaient mélangés, la
farine avec le sel, avec le sucre, si
bien qu'il avait de la difficulté à
faire son travail. Il fut rapidement
persuadé que ce désordre mis dans son
département était l'oeuvre de
Pacheco.
- Rivas se croyait persécuté par
Pacheco.
- Dans les expertises psychiatriques
consultées, Rivas attribue faussement
au travailleur une série interminable
d'incidents qui pouvaient se produire
dans sa vie quotidienne. En aucun
cas il n'a fait référence à des
problèmes reliés au travail.
- Enfin, l'agression a eu lieu de façon
fortuite et «sans savoir pourquoi».
- L'agression mortelle à laquelle s'est
livré Rivas est survenue dans le
contexte de son trouble délirant.
Obsédé et totalement obnubilé par sa
suspicion, sa conviction d'être
persécuté et sa crainte à l'endroit
de la victime, il présentait un
contact avec la réalité de plus en
plus ténu et des émotions et un
comportement de plus en plus
perturbé.
En somme, conclut le BRP, Rivas avait
perdu tout contact avec la réalité et la cause de son délire
n'originait pas de son travail. De plus, en aucun moment, il
n'a mentionné avoir des problèmes reliés à son travail tels la
peur de perdre son emploi, comme le laisse sous-entendre la
veuve de la victime.
Le BRP est donc d'avis que la preuve
prépondérante est à l'effet que les motifs de l'agression du
22 octobre 1992 n'avaient aucune relation avec le travail de
la victime. Conséquemment la présomption de l'article
28
de
la L.A.T.M.P. a été renversée.
Pour les mêmes raisons, le BRP est d'avis
que la lésion infligée à Pacheco n'est pas survenue par le
fait ou à l'occasion de son travail et ainsi ne rencontre pas
la notion d'accident de travail défini à l'article 2 de la
Loi. Elle rejette donc majoritairement la demande de
révision, le représentant des travailleurs étant dissident.
La CALP - 28 mai 1996
La CALP note l'admission des parties à
l'effet que la succession de la victime a droit à une
indemnisation mais souligne leur désaccord sur la source
d'indemnisation.
La succession soutient qu'il s'agit d'un
accident du travail, conséquemment, elle a droit à une
indemnisation en vertu de la L.A.T.M.P. L'employeur prétend
que l'aliénation mentale et ses conséquences n'ont, ici,
aucune connexité avec le travail et que la succession de Pacheco aurait dû se prévaloir des autres recours prévus au
Code civil ou encore de la Loi d'indemnisation des victimes
d'actes criminels(4).
* * *
La CALP formule ainsi la question dont
elle doit décider: Le 22 octobre 1992, le travailleur Pacheco
a-t-il subi une lésion professionnelle?
Elle conclut que la présomption de
l'article
28
L.A.T.M.P. s'applique puisque la victime a subi
une blessure entraînant sa mort sur les lieux et alors qu'il
était à son travail. Elle note toutefois que cette
présomption n'est pas absolue et peut être renversée par la
démonstration de l'absence de relation avec le travail.
Selon elle, la présomption n'a pas été
renversée, elle conclut en conséquence à l'existence d'une
lésion professionnelle.
La CALP souligne en outre que pour établir
l'existence d'une lésion professionnelle, il faut se placer du
point de vue de celui qui subit la blessure. Ici, la preuve
est claire: Pacheco a subi une blessure mortelle infligée par un collègue de travail, sur les lieux de son travail, alors
qu'il était au travail et il n'existe aucune preuve de
provocation de sa part.
La CALP considère qu'il est essentiel de
retenir le caractère fortuit et spontané de l'agression en
connexion étroite avec l'événement déclencheur survenu au
travail; c'est-à-dire la chute de la marmite. Il faut se
garder de tenter de déterminer l'état d'esprit véritable dans
lequel se trouvait l'agresseur au moment de son acte, le
législateur n'en demande pas tant.
Elle utilise ensuite la définition de
«accident de travail» de l'article 2 de la
Loi pour rappeler
qu'un événement, qu'il soit attribuable à la crise de démence
de l'agresseur ou à un pan de mur qui s'effondre, n'en demeure
pas moins un événement imprévu et soudain au sens de la
Loi,
puisqu'il peut être attribuable
à toute cause. Elle conclut
ainsi à une lésion survenue à l'occasion du travail.
Elle accueille en conséquence l'appel et
infirme la décision du BRP.
LE JUGEMENT FRAPPÉ D'APPEL
Selon le juge, l'approche empruntée par le
commissaire de la CALP pour conclure à l'existence d'une
lésion professionnelle constitue un non-sens irréconciliable
avec les textes.
Pour appuyer sa position, il fait sienne
l'opinion de monsieur le juge Claude Tellier dans
Montréal
(Communauté urbaine de) c. CALP,
[1995] CALP
1305
(5):
Le législateur n'a sûrement pas voulu qu'à même
les fonds de la CSST on se mette à payer les
indemnités pour toutes sortes d'événements qui ne
constituent pas en soi des accidents au sens de la
loi.
Il ajoute que la CALP a omis de considérer
l'état de santé mentale antérieur de l'agresseur. Ce dernier
était atteint de troubles délirants de persécution tant avant
qu'au moment de l'agression. Rivas n'agresse pas Pacheco
parce qu'il est cuisinier ou à l'emploi de l'hôpital ou encore
parce qu'il a été provoqué, mais à cause de son état de santé
mentale. Selon lui, la chute de la marmite ne peut justifier
une attaque aussi violente. Le comportement agressif de Rivas
à l'endroit de la victime résultait de son état mental
délirant et la CALP a, sans droit, mis de côté ce fait
essentiel.
La CALP, en fait, a confondu l'élément de
la marmite et la cause réelle de l'accident. Elle aurait dû
s'interroger sur la cause immédiate et déterminante de
l'agression, ce qu'elle a négligé de faire.
En conclusion, le juge convient que la
CALP a le pouvoir de se prononcer sur le sens et la portée de
la Loi et même de se tromper. Mais sa démarche et son
interprétation doivent apparaître compatibles avec la preuve,
sans cela, on permettrait à l'organisme de se tromper au point
d'indemniser les conséquences de n'importe quel acte qui n'est
pas un accident de travail.
Pour ces motifs, la demande de révision
judiciaire est accueillie et la décision de la CALP renversée.
ANALYSE ET DISCUSSION
- La norme de contrôle judiciaire applicable
L'interprétation de la notion «d'accident
de travail» définie à l'article
2
de la L.A.T.M.P. relève de
la compétence
stricto sensu
de la CALP. Une analyse pragmatique et
fonctionnelle de cette loi, démarche utilisée depuis l'arrêt
Bibeault(6), démontre clairement l'intention du législateur de
confier à ce tribunal le pouvoir de se prononcer de manière
définitive sur la détermination de l'existence d'un accident
de travail(7).
À titre de tribunal administratif d'appel,
la CALP connaît et décide exclusivement de tous les appels
interjetés en vertu de la L.A.T.M.P. (art. 397) et ses membres
possèdent tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de leur
compétence (art. 400) y compris le pouvoir de décider de
toutes questions de droit et de faits (art. 407). Ici,
l'appel a été formé en vertu de l'article 359 à l'encontre
d'une décision rendue par le Bureau de révision (BRP) créé en
vertu de l'article 176.1 de la Loi sur la santé et la sécurité
au travail(8). Les décisions de la CALP, protégées par une
clause privative complète (art.
409
L.A.T.M.P.), sont finales
et sans appel (art.
405
L.A.T.M.P.), et toute personne visée
doit s'y conformer sans délai.
La décision que devait rendre la CALP
porte sur une notion qui se situe au coeur de son domaine
d'expertise. Elle nécessite l'interprétation et l'application
de dispositions législatives qu'elle a pour mission
d'interpréter et d'appliquer dans le cadre de sa compétence
exclusive et spécialisée. Cette reconnaissance ne fait plus
de doute depuis les arrêts
Chaput c. S.T.C.U.M.(9) et
Domtar Inc. c. Québec
(CALP)(10). Dans ce dernier arrêt, la Cour suprême a eu
l'occasion d'examiner la mission dévolue à la CALP par le
législateur québécois dans le cadre de l'article
60
de la
L.A.T.M.P.
Après avoir analysé, comme le suggérait le
juge Beetz dans l'arrêt
Bibeault(11), le libellé de la disposition
attributive de compétence du tribunal, l'objet de la loi qui
le crée, sa raison d'être, le domaine d'expertise de ses
membres et la nature du problème soumis, elle décidait qu'il
revenait au tribunal administratif et non à une cour de
justice de résoudre le problème soumis en regard de
l'interprétation de l'art. 60 de la Loi.
Elle soulignait, entre autres, que la
nature du problème dont la CALP était saisie faisait appel à
des
«notions qui sont au coeur de son domaine d'expertise, soit l'incapacité, la lésion
professionnelle et le régime d'indemnisation complexe instauré par le législateur québécois»
. En
outre, elle concluait que l'objectif poursuivi par le
législateur québécois était
«de permettre à un tribunal administratif de disposer,
en dernier ressort, des décisions des instances inférieures en interprétant sa loi constitutive».
Puisque la détermination de l'existence
d'un accident de travail relève de la compétence de la CALP,
la norme de contrôle applicable est définitivement le
caractère manifestement déraisonnable de sa décision.
- La nature du problème et les dispositions
pertinentes de la loi
La CALP devait essentiellement déterminer
si le travailleur Pacheco avait été victime d'un accident de
travail. Pour ce faire, le commissaire devait analyser les
articles
2
,
25
et
28
de la L.A.T.M.P. et les appliquer aux
faits soumis à son appréciation.
L'article 25 de cette loi énonce un
principe de base en matière d'accident de travail et de lésions professionnelles: les droits conférés par la loi sont
sans égard à la responsabilité de quiconque.
Quant à l'article 2, il définit ainsi
l'accident du travail:
2. Dans la présente loi, à moins que le
contexte n'indique un sens différent, on entend
par:
«accident du travail»: un événement
imprévu et soudain attribuable à toute cause,
survenant à une personne par le fait ou à
l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle
une lésion professionnelle;
En somme, cette disposition prévoit qu'il
y aura indemnisation si le travailleur-victime établit les
éléments suivants:
a) un événement imprévu et soudain survient;
b) cet événement est attribuable à toute
cause;
c) cet événement survient à une personne;
d) soit par le fait ou à l'occasion du
travail de cette personne; et
e) cet événement entraîne, pour la personne,
une lésion professionnelle(12).
On constate aisément que l'élément
principal de cette définition est sans conteste l'expression
«survenant à une personne par le fait de son travail ou à l'occasion de son travail»
(13). C'est
d'ailleurs cette expression qui est au coeur du présent
litige.
En outre, pour faciliter au travailleur la
démonstration qu'il a été victime d'une lésion professionnelle
ou d'un accident de travail la Loi prévoit, à l'article 28,
l'application d'une présomption de lésion professionnelle
lorsque les trois conditions d'ouverture y mentionnées sont
prouvées de façon prépondérante. Ici, son application est
incontestée.
Cette présomption peut cependant être
repoussée. En effet, il est constant que si la blessure
survient par le fait ou à l'occasion de l'activité personnelle
du travailleur et non par le fait ou à l'occasion de son
travail, la présomption est renversée. Le commissaire de la
CALP le reconnaît:
La présomption acquise n'est toutefois pas absolue et peut être
renversée. Pour ce faire, la Commission d'appel, à plusieurs
reprises, a précisé qu'il faut démontrer l'absence de relation avec
le travail pour pouvoir conclure que la présomption est renversée(14).
Avec respect pour l'opinion contraire, la Commission d'appel
considère que dans la présente cause la présomption n'est pas
renversée et qu'il y a lieu de conclure à l'existence d'une lésion
professionnelle.
[Décision p-12, m.a. p-52]
- Application
Dans un premier temps, il est important de
noter le contexte particulier de la présente affaire: le décès
du travailleur est survenu à la suite d'une agression physique
par un collègue de travail, sur les lieux du travail et alors
que la victime est au travail. De plus, l'employeur était au
courant des relations tendues et acerbes entre les
travailleurs. Il les a même, à cause de leurs différends,
affectés à des lieux de travail distincts. Enfin, selon le
dossier de la CSST, le début des hostilités remonte en 1987,
alors que les salariés transportaient de la nourriture à
l'aide de chariots qui se heurtèrent.
Les problèmes reliés aux relations de
travail et aux conflits de personnalité ont, depuis les quelques années, fait l'objet de décisions contradictoires de
la Commission des affaires sociales (CAS), du BRP et de la
CALP. Les motifs sur lesquels se sont basés ces organismes
pour accorder une indemnisation aux travailleurs victimes
d'agression au travail par un collègue diffèrent quelque peu.
Au début des années 80, la CAS avait adopté une position
sévère face aux blessures infligées à un travailleur à la
suite de querelles entre collègues de travail et ce, même si
l'objet de la dispute était une divergence d'opinion sur la
façon d'exécuter le travail(15).
[...] Participer à une bataille, donner un coup ou
en recevoir un ou plusieurs n'est pas, de l'avis de
la Commission, un acte connexe au travail de
débosseleur ou qui serait plus ou moins utile à son
accomplissement. [...](16)
.
La CAS refusait ces réclamations puisqu'il
ne s'agissait pas d'accidents survenus à l'occasion du
travail. Ce raisonnement a été, depuis, abandonné. Le BRP et
la CALP considèrent désormais comme un accident survenant à
l'occasion du travail l'objet d'une dispute qui se rapporte au
travail(17). Par exemple, la réclamation d'un travailleur qui
exécute un ordre de son supérieur et qui se fait par la suite frapper par un collègue mécontent, a été accueillie(18). Un
travailleur agressé «amicalement» par un collègue a été
indemnisé(19).
Par contre, lorsqu'il a été démontré que
l'objet de la dispute relevait plutôt d'activités étrangères
au travail, la pêche(20); la conduite de l'épouse de
l'agresseur(21); d'une affaire personnelle(22); ou d'un motif
demeuré obscur(23), les réclamations furent refusées.
On note également quelques décisions où
certaines réclamations ont été refusées parce que la victime
avait elle-même initié ou provoqué la bataille au cours de laquelle elle avait été blessée(24). Ce qui n'est manifestement
pas le cas en l'espèce. Dans une autre affaire, le BRP
acceptait une réclamation en se basant sur le seul fait que le
travailleur avait été victime de son agresseur et qu'on ne
pouvait lui imputer aucune responsabilité(25).
Il convient toutefois de noter que la
jurisprudence récente du BRP et de la CALP est pratiquement
unanime à considérer comme critère déterminant le lien entre
le travail et la raison de l'agression, et non à déterminer si
le travailleur blessé a une part de responsabilité dans
l'altercation. Le BRP a d'ailleurs énoncé: «qu'il importe peu
en matière d'un accident de travail de déterminer qui a été
l'investigateur d'une querelle; tout ce qu'il faut
questionner, c'est le but visé qui, lui doit avoir un lien
quelconque avec le travail(26). En fait, il faut se questionner
sur la cause véritable de l'agression pour déterminer si elle
est reliée au travail ou si elle est étrangère à celui-ci(27). Ainsi, l'absence de connexité entre le travail et l'agression
implique nécessairement le rejet d'une réclamation puisque,
dès lors, l'accident n'est pas survenu à l'occasion du
travail(28).
Ici, il suffit d'examiner les
circonstances entourant le meurtre afin de déterminer s'il y
a ou non une preuve de connexité entre l'agression et le
travail de la victime, Pacheco.
Le lendemain de son arrestation,
l'agresseur Rivas a fait une déclaration libre et volontaire
aux policiers. La juge Claire Barrette-Joncas, dont le
jugement a été déposé au dossier de la CALP en fait ainsi
mention:
Les faits admis par la défense sont les suivants:
Le 29(sic) octobre 1992, monsieur Rivas a tué M. Edwardo
Pacheco et il a fait librement et volontairement une déclaration,
après que tous ses droits constitutionnels furent respectés. Cette
déclaration, rédigée à compter de minuit et terminée le 23 octobre
à 1 h 15, est déposée sous la cote P-1. Le rapport médico-légal
est aussi admis.
Ces deux documents révèlent que l'accusé (qui travaille comme
cuisinier au Montreal Children's Hospital) s'est rendu à la cuisine
de l'institution pour y chercher des petits pots. La victime «se
trouvait près de la marmite qui bascule, il était moitié penché au
début, la marmite (lui) a basculé sur la jambe, et (il a) fait le saut et (il a) frappé Eduardo». Après s'être changé, il est retourné au
4e étage parce qu'il «n'avai(t) pas fini (son) travail. [m.a. p-10]
Il est également nécessaire pour mieux
situer et comprendre les événements de référer aux deux
rapports d'expertises psychiatriques déposés lors du procès
criminel. Quant aux circonstances de l'agression du 22
octobre 1992, un des experts, le Dr Wolwertz, fait lui aussi
référence à l'épisode de la marmite alors que le Dr Lafleur
fait allusion au fait que Rivas se serait senti frappé sur la
jambe.
Les déclarations de l'agresseur aux
policiers et aux médecins dénotent un élément commun:
l'agresseur s'est senti frapper sur la jambe. Le dossier, tel
que constitué, démontre que l'agression est survenue après
qu'un chaudron, échappé par la victime, ait heurté
l'agresseur. Ce dernier, se sentant menacé et attaqué par la
victime, a réagi violemment dans le seul but de se défendre.
Il est manifeste que cette impression de Rivas est directement
liée à ses troubles délirants de persécution et à sa
personnalité schizoïde. Cependant, il n'était pas irrationnel
de retenir que la marmite a été l'élément déclencheur de
l'agression. Sans cet incident, il est possible que la
victime serait toujours vivante.
À cet égard, je ne considère pas
manifestement déraisonnable ou irrationnelle la conclusion du
commissaire de la CALP:
«Ce qui est ici essentiel de retenir, c'est le
caractère fortuit et spontané de l'agression en
connexion étroite avec un événement déclencheur
survenu au travail, c'est-à-dire la chute de la
marmite. Il faut se garder ici de sombrer dans un
psychologisme qui nous amènerait à essayer de
déterminer l'état d'esprit véritable dans lequel se
trouvait monsieur X au moment de l'agression. Le
législateur n'en demande pas tant.»
[Décision pp-14-15, m.a. pp-54-55]
À mon avis, il n'était pas dépourvu de
sens de conclure à l'existence d'un lien entre l'agression
subie par Pacheco et son travail de cuisinier. La victime
était à son travail, exécutait des tâches reliées à son
travail (la manipulation de chaudrons) et a été agressée par
un collègue de travail. Je rappelle que l'employeur était au
fait des relations tendues entre ces employés et que le début
de l'agressivité de Rivas à l'endroit de Pacheco a débuté en
1987 alors que ces travailleurs exerçaient leurs fonctions de
cuisiniers. En fait, l'état mental de Rivas a contribué à
aggraver la violence de sa réaction. Se croyant attaqué par
la victime il a voulu se défendre.
Je ne suis pas d'accord avec le premier
juge lorsqu'il commente la décision de la CALP en la
qualifiant de non-sens. Avec égards, je suis plutôt d'avis
que la décision de la CALP fait partie d'une gamme de
solutions acceptables(29) compte tenu de la preuve au dossier.
Bien que la décision de la CALP suscite
des interrogations voire même des doutes, elle n'est pas de ce
fait irrationnelle. À mon avis, la CALP n'a pas commis
d'erreur déraisonnable d'appréciation des faits justifiant
l'intervention de notre cour. Il était de sa compétence de se
prononcer sur l'existence ou non d'un accident de travail et
dans les circonstances, la Cour supérieure n'aurait pas dû
intervenir et substituer son opinion à la sienne.
Pour ces motifs, je suis d'avis
d'accueillir l'appel avec dépens et de rétablir la décision de
la CALP.
ROBERT PIDGEON, J.C.A.
1.
Voir la décision du Bureau de Révision paritaire, m.a. vol.1,
p. 132, p. 137.
2. Voir décision du Bureau de révision paritaire, m.a., vol.1, p.
135.
3.
L.C.Q. c. A-3.001.
4.
L.R.Q., c. I-6.
5.
[1995] CALP 1305
.
6. ____
Union des employés de services, local 298 c. Bibeault,
[1988]
2 R.C.S. 1048
.
7.
Welch c. CALP, et Bristol Myers Squibb et CSST, C.A. Québec,
21 janvier 1998, Brossard, Forget et Zerbisias.
8. 8
L.R.Q. c. S-2.1.
9. 9
[1992] R.J.Q. 1774
(C.A.)
10. 10
[1993] 2 R.C.S. 756
.
11. 11
U.E.S. Local 298 c. Bibeault,
[1988] 2 R.C.S. 1048
.
12. 12
Chaput, précité note 8.
13. 13
BOUCHER Lucien et BROCHU Denis, Droit du travail, Wilson &
Lafleur Ltée, 1993.
14.
Relativement au renversement de la présomption, voir: Fuoco et
Sûreté du Québec,
[1993] CALP 873
; Morin et Twin Pack inc.,
[1993] CA LP 77; Hôpital Louis-H. Lafontaine et Teasdale,
[1993] CALP 894l; Transport V.A. inc. et Meunier, CALP 34581-
60-9112, du 22 juin 1993, de la commissaire Pepita Capriolo.
15.
[1984] CAS 334
.
16.
AT-53266 CAS, 1er novembre 1984.
17.
Michel Brière et Benoît et Kerson Ltée,
[1986-87] BRP 447
.
18.
Daniel Blanchet et Société canadienne des postes,
[1990] BRP
342
; voir également Simon Bouchard et Steinberg,
[1990] BRP
442
.
19.
Lalancette c. Donohue St-Félicien,
(1994) CALP 92
.
20.
Jacques Tremblay et Donohue Inc.,
[1987] CALP 94
.
21.
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et Bertrand
R. Thériaux,
[1988] CALP 111
.
22.
La Corporation de tapis Peerless et Salvatore Cavalieri,
14
novembre 1989, BRP no 0050988.
23.
André Rousseau et Meubles All Steel du Canada Ltée,
7 fév.
1991, CALP no 09607-60-8810; Marc-François Nagy et Télé-
Métropole Inc.,
[1990] BRP 174
.
24.
Restaurant Ruby Foo's et Ricardo Bopp,
[1991], CALP no 03715-
60-8707; All Steel du Canada, [1991], CALP no 09607-60-8810;
Air Canada et Boily, [1994] CALP no 28867-62-9105; Cuerrier et
Ville de Verdun, [1995] CALP no 38710-62-9204.
25.
Marc-François Nagy et Télé-Métropole Inc.,
[1990] BRP 174
;
voir également
Ville de Montréal et Roger Caron,
[1989] CALP 382
.
26.
La Corporation de tapis Peerless et Salvatore Cavalieri,
[1989], BRP no 0050988.
27.
Bouchard et Cité de Dorval,
[1996] CALP no 64114-60-9411.
28.
Versabec Inc. et Landry, CALP no 64244-60-9411; no 75407-
039512; Larivière-Durand et Frigidaire Canada et CSST,no
70091-63-9505, 13 mars 1997.
29.
. Syndicat des travailleuses et travailleurs d'Épiciers-Unis Métro-Richelieu c. Lefebvre,
[1996]
R.J.Q. 1509
.