Décision

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Delisle et Allianz Madvac inc.

2011 QCCLP 5144

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Longueuil

28 juillet 2011

 

Région :

Montérégie

 

Dossier :

429956-62-1102

 

Dossier CSST :

132939877

 

Commissaire :

Carmen Racine, juge administratif

 

Membres :

Jean-Benoît Marcotte, associations d’employeurs

 

Nicole Milhomme, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Joanne Delisle

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Allianz Madvac inc. (fermée)

 

et

 

PricewaterhouseCoopers inc., syndic

 

Parties intéressées

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 4 février 2011, madame Joanne Delisle (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 21 janvier 2011 à la suite d’une révision administrative (la révision administrative).

[2]           Par celle-ci, la CSST maintient une décision qu’elle a initialement rendue le 23 septembre 2010 et, en conséquence, elle détermine que la travailleuse n’a pas droit au remboursement des frais relatifs à l’entretien ménager régulier de son domicile car elle a les capacités résiduelles nécessaires à l’accomplissement de tels travaux.

[3]           L’audience dans cette affaire a lieu à Longueuil, le 25 juillet 2011, en présence de la travailleuse et de la représentante de la CSST, Me Rébecca Branchaud.

[4]           Comme la travailleuse n’est pas représentée, la Commission des lésions professionnelles s’assure de sa volonté de procéder seule dans son dossier et elle lui explique la façon dont se déroulera l’audience.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]           La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’elle a droit au remboursement des frais relatifs à l’entretien ménager régulier de son domicile puisqu’elle estime qu’elle ne peut plus exécuter de tels travaux en raison des séquelles découlant de la lésion professionnelle subie par celle-ci le 23 janvier 2008.

L’AVIS DES MEMBRES

[6]           Conformément à l’article 429.50 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), la soussignée recueille l’avis des membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sur la question soulevée par le présent litige.

[7]           La membre issue des associations syndicales est d’avis qu’il y a lieu d’accueillir la requête déposée par la travailleuse, d’infirmer la décision rendue par la révision administrative et de déclarer que cette dernière a droit au remboursement des frais relatifs à l’entretien ménager régulier de son domicile.

[8]           En effet, la membre issue des associations syndicales estime que, en raison des séquelles laissées par la lésion professionnelle, la travailleuse présente des incapacités l’empêchant de réaliser de tels travaux.

[9]           La membre issue des associations syndicales remarque qu’elle ne fait plus usage de sa main droite et qu’il est difficile, sinon impossible, de faire l’entretien ménager de son domicile de sa seule main valide. Elle croit donc qu’elle a droit au remboursement des frais engagés pour faire exécuter ces travaux au sens de l’article 165 de la loi.

[10]        Le membre issu des associations d’employeurs fait une toute autre lecture de la preuve disponible. Il est plutôt d’avis qu’il y a lieu de rejeter la requête déposée par la travailleuse, de confirmer la décision rendue par la révision administrative et de déclarer que cette dernière n’a pas droit au remboursement des frais relatifs à l’entretien ménager régulier de son domicile.

[11]        En effet, d’une part, le membre issu des associations d’employeurs estime que la travailleuse n’a pas droit à l’aide personnelle à domicile au sens de l’article 158 de la loi puisque, comme elle en témoigne à l’audience, elle est capable de prendre soin d’elle-même.

[12]        D’autre part, le membre issu des associations d’employeurs considère que la travailleuse n’a pas démontré se trouver dans la situation couverte par l’article 165 de la loi car, compte tenu des limitations fonctionnelles découlant de sa lésion professionnelle, elle est en mesure d’effectuer les travaux d’entretien ménager régulier pour lesquels elle réclame un remboursement.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[13]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a droit au remboursement des frais relatifs à l’entretien ménager régulier de son domicile.

[14]        La Commission des lésions professionnelles précise que, pour qu’un tel remboursement soit accordé, il faut qu’il soit autorisé par la loi. Ainsi, la Commission des lésions professionnelles doit pouvoir retrouver une disposition qui s’applique au cas de la travailleuse et qui permette de payer les sommes revendiquées.

[15]        La travailleuse plaide, à l’audience, que la loi est dépassée et que le tribunal doit décider en son âme et conscience et non selon les dispositions législatives vétustes et non adaptées aux réalités d’aujourd’hui.

[16]        Or, la Commission des lésions professionnelles ne peut suivre la travailleuse sur cette voie. Elle doit plutôt décider selon la preuve prépondérante disponible et selon les articles de la loi traitant du sujet en litige, en l’occurrence le remboursement de frais relatifs à l’entretien ménager régulier du domicile.

[17]        Deux articles de la loi peuvent couvrir une telle demande.

[18]        L’article 158 de la loi édicte que l’aide personnelle à domicile peut être accordée à une travailleuse qui, en raison de la lésion professionnelle dont elle a été victime, est incapable de prendre soin d’elle-même et d’effectuer sans aide les tâches domestiques qu’elle effectuerait normalement, si cette aide s’avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.

[19]        Or, la travailleuse témoigne à l’audience et elle confirme qu’elle est en mesure de prendre soin d’elle-même malgré les conséquences de la lésion professionnelle subie par celle-ci le 23 janvier 2008. Comme il s’agit d’une condition essentielle à la reconnaissance de l’aide personnelle à domicile, la travailleuse ne respecte pas cet élément prévu à l’article 158 de la loi et elle n’a donc pas droit à une telle aide.

[20]        L’article 165 de la loi est également pertinent dans la présente affaire.

[21]        Cet article énonce que la travailleuse qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison de sa lésion professionnelle et qui est incapable d’effectuer les travaux d’entretien courant de son domicile qu’elle effectuerait normalement elle-même n’eut été de sa lésion, peut être remboursée des frais engagés pour faire exécuter ces travaux.

[22]        Dans ce dossier, la travailleuse est victime d’une lésion professionnelle le 23 janvier 2008 lorsque l’outil qu’elle tient de sa main droite bloque brusquement générant un contrecoup au poignet et au pouce droits.

[23]        Elle fait l’objet d’un suivi médical et de traitements pour des diagnostics d’entorse au poignet droit, de tendinite de De Quervain au pouce droit et de perforation du ligament scapho-lunaire.

[24]        Le 28 avril 2008, le médecin traitant de la travailleuse, le docteur Pierre Rhéaume, consolide ces lésions avec un déficit anatomo-physiologique de 7 % et des limitations fonctionnelles consistant à éviter les mouvements répétitifs du poignet droit et à éviter les efforts avec des poids de plus de 1 kilo du poignet droit.

[25]        Le 6 novembre 2008, le docteur Pierrette Girard, chirurgienne orthopédiste, examine la travailleuse à la demande de l’employeur. Celle-ci rapporte une amélioration de 70 % de sa condition. Elle indique qu’elle n’a plus de douleur au repos. Elle se plaint de douleur au poignet et au pouce droits lorsqu’elle doit faire des mouvements de rotation du poignet droit ou lorsqu’elle doit forcer ou serrer avec sa main. La travailleuse relate donc des difficultés à ouvrir les portes, à brasser la nourriture, à mettre de l’essence dans son véhicule, à se brosser les dents, à prendre des objets lourds ou à saisir les sacs d’épicerie de sa main droite.

[26]        L’examen objectif met en évidence une perte d’amplitude des mouvements du poignet droit, mais une mobilisation normale du pouce droit et des autres doigts de la main droite. Le docteur Girard précise que la force musculaire de la main droite est diminuée en raison de la douleur, ce qui la limite dans l’accomplissement de ses activités quotidiennes et domestiques.

[27]        Le docteur Girard octroie un déficit anatomo-physiologique de 5 % et des limitations fonctionnelles consistant à éviter d’effectuer tout mouvement répétitif avec le poignet droit, que ce soit en flexion-extension, pronation-supination ou en rotation et à éviter des manipulations de charges de plus de 2 kilos de façon répétitive.

[28]        Le 12 novembre 2008, le docteur Rhéaume produit un second rapport final où il consolide les lésions à cette date et où il réfère à son évaluation d’avril 2008 en ce qui concerne les conséquences médicales de la lésion professionnelle.

[29]        Le 20 novembre 2008, le docteur Nonneman, plasticien traitant de la travailleuse, remplit un rapport complémentaire où il se dit d’accord avec les conclusions du docteur Girard et où il précise qu’il n’a aucune chirurgie à offrir puisque « la douleur principale vient du poignet, où se trouve l’entorse, et non du premier compartiment dorsal du poignet, siège de la tendinite ».

[30]        Cependant, le 15 décembre 2008, le docteur Rhéaume manifeste son désaccord avec les constats du docteur Girard et, dès lors, l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale est requis sur les questions de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.

[31]        Ainsi, le 19 février 2009, le docteur Pierre Beaumont, chirurgien orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale, examine la travailleuse à cette fin. Celle-ci rapporte un état différent de ce qui est mentionné par le docteur Girard. La travailleuse dit que son état est peu amélioré, que les douleurs sont constantes, qu’elle ressent des brûlements et des craquements au niveau de l’interphalangienne, que son pouce est raide et qu’elle l’accroche constamment. Elle relate aussi des difficultés à pincer, à tenir des objets, à se brosser les dents et « à laver ». Toutefois, elle n’a pas de problème au repos.

[32]        Le docteur Beaumont note une perte d’amplitude de la dorsiflexion et de la flexion palmaire du poignet droit ainsi qu’une perte de force de la main droite. Bien qu’il remarque que la supination est difficile, le mouvement est tout de même complet et, dès lors, il ne retient aucune séquelle permanente à ce chapitre. Le docteur Beaumont rapporte aussi que l’ensemble du pouce droit de la travailleuse présente une « légère déformation en « col de cygne », mais il n’explique aucunement l’impact d’une telle déformation sur la fonctionnalité du pouce et il ne propose aucun déficit anatomo-physiologique à ce site.

[33]        Le docteur Beaumont suggère donc l’octroi d’un déficit anatomo-physiologique de 5 %, soit 2 % pour une atteinte des tissus mous du membre supérieur droit, 1 % pour une perte de 10 ° de la dorsiflexion et 2 % pour une perte de 30° de la flexion palmaire du poignet droit.

[34]        Il décrit également des limitations fonctionnelles consistant à éviter les mouvements répétitifs et fréquents avec le poignet droit et le pouce droit et à éviter de manipuler des charges de plus d’un kilo avec le pouce droit.

[35]        Enfin, la travailleuse conserve des limitations fonctionnelles à l’épaule gauche des suites d’une autre lésion professionnelle survenue précédemment et qui consistent à ne pas soulever et/ou transférer des charges de plus de 20 kilos jusqu’à la hauteur de la taille et à ne pas soulever de charges de plus de 10 kilos au-dessus de l’épaule gauche. Cependant, le docteur Beaumont effectue un examen similaire des épaules droite et gauche et, en conséquence, il ne décèle aucune séquelle permanente antérieure à cette épaule.

[36]        La CSST entérine donc les conclusions du docteur Beaumont et elle admet la travailleuse en réadaptation.

[37]        Un premier emploi de préposée à l’accueil et aux renseignements est déterminé mais, le 26 novembre 2010[2], la Commission des lésions professionnelles décide qu’il n’est pas convenable. Il ressort de cette décision que le principal motif invoqué par la Commission des lésions professionnelles pour accueillir la contestation est le soulèvement d’un poids plus important que celui décrit dans les limitations fonctionnelles. La Commission des lésions professionnelles évoque aussi les pertes d’amplitude des mouvements du poignet sans indiquer en quoi cette séquelle interfère dans l’accomplissement des tâches d’une préposée à l’accueil. Toutefois, la Commission des lésions professionnelles ne déclare pas que la travailleuse est incapable d’exercer tout emploi ou encore qu’elle ne peut, d’aucune façon, utiliser son membre supérieur droit. La Commission des lésions professionnelles rappelle plutôt à cette dernière qu’elle a des obligations eu égard au processus de réadaptation et que « l’acceptation de sa nouvelle condition est un facteur important ».

[38]        Cette décision de la Commission des lésions professionnelles oblige la CSST à reprendre le processus de réadaptation et, dans le cadre de cette nouvelle démarche, la travailleuse rencontre monsieur Rolland Stébenne, conseiller en orientation. Celui-ci produit un rapport le 8 mai 2011 où il note un état qui ne correspond pas aux observations faites lors des examens médicaux antérieurs. Il écrit ce qui suit :

Selon ce que j’ai pu observer au plan fonctionnel, madame Delisle ne peut pas vraiment se servir de son bras droit sans éprouver de la douleur. Elle est incapable de mouvements rapides et coordonnés de sa main droite. Le simple fait d’écrire son nom ou de répondre à des questions dans un questionnaire est une opération lente et imprécise. Il faut quasiment la considérer comme ayant une seule main valide : la gauche. Cette main n’était pas sa main prioritaire et ne l’est pas encore devenue, ce qui limite considérablement le travail, même léger.

 

 

 

[39]        Entre temps, la travailleuse réclame le remboursement de certains frais et elle dépose des soumissions à cet égard.

[40]        Ainsi, elle revendique le paiement des frais engagés pour le grand ménage annuel et, en 2009 et en 2010, la CSST autorise cette dépense et ce remboursement à titre de frais d’entretien courant du domicile au sens de l’article 165 de la loi. Toutefois, le 23 septembre 2010, elle refuse de rembourser les frais relatifs à l’entretien ménager régulier. La travailleuse demande la révision de cette décision mais, le 21 janvier 2011, elle est maintenue par la révision administrative d’où le présent litige.

[41]        Les discussions à ce sujet et les motifs invoqués par la CSST sont bien décrits aux notes évolutives rédigées les 8 décembre 2009, 20 août et 21 septembre 2010 :

2009-12-08 :

 

[…]

 

T (travailleuse) me demande ce qu’elle peut faire pour avoir de l’aide pour son ménage quotidien, plus particulièrement le lavage des planchers. Explique à T qu’elle a droit au grand ménage annuel qui relève des travaux d’entretien. Pour l’entretien quotidien cela relève de l’aide personnelle et T n’est pas admissible selon les critères déterminés car elle est capable de prendre soin d’elle-même (se lever, s’habiller, se nourrir, etc.) Si T veut une réponse officielle, je lui suggère d’en faire la demande formelle et je pourrai rendre une décision de capacité, ce qui lui permettra de contester. […]

 

2010-08-20 :

 

Le grand ménage annuel a été accordé à la T en 2009. Elle a reçu le montant demandé cette année. Je lui demande pourquoi elle conteste. Elle dit qu’elle n’est pas capable de laver son plancher donc elle passe 1 an sans le faire laver. Elle veut de l’aide. Je l’informe qu’elle doit faire une demande écrite et nous fournir des soumissions pour qu’une décision soit rendue par la réadaptation.

 

2010-09-21 :

 

Mme Delisle demande le remboursement des frais pour l’entretien ménager mensuel de son domicile. Nous analyserons la demande dans le cadre de l’art. 165 de la LATMP.

 

En mai 2009, une analyse a été réalisée dans le dans le cadre [sic] de la politique sur les travaux d’entretien courant du domicile et nous avons autoriser [sic] le remboursement des frais de grand ménage annuel. À cette période, Mme avait signalé ses difficultés à accomplir certaines tâches ménagères relatives à l’entretien régulier du domicile. Cette demande n’avait pas été considéré [sic] puisqu’elle ne répondait pas aux critères d’admissibilité pour l’aide perso à domicile (art. 158 de la LATMP).

 

Cependant, en considérant le courant jurisprudentiel, il est établit [sic] assez clairement que lorsque les T ne sont pas admissibles à recevoir une allocation pour de l’aide perso à domicile, parce qu’ils sont autonome [sic] pour prendre soin d’eux-mêmes mais que des besoins peuvent être présent [sic] au niveau de l’accomplissement des tâches ménagères (ex : l’entretien ménager hebdomadaire) ces besoins doivent être analysé [sic] dans le cadre de l’art 165 de la LATMP (travaux d’entretien courant du domicile)

 

ANALYSE

 

Pour les besoins de la présente analyse, nous nous sommes servi [sic] des informations recueillis [sic] pour l’analyse du remboursement des frais du grand ménage annuel réalisé en 2009.

 

Mme habite seul [sic] un logement 4 ½.

Elle est droitière.

 

Mme conserve les LF (limitations fonctionnelles) suivantes :

Pour le poignet :

-Éviter les mouvements répétitifs du poignet droit.

-Éviter les efforts avec des poids de plus de 1 kg du poignet droit [sic].

 

Pour l’épaule gauche

Ne pas soulever et/ou transférer des charges de plus de 20 kg jusqu’à la hauteur de la taille.

Ne pas soulever de charges de plus de 10 kg au-dessus de l’épaule.

 

Lors de la rencontre du 26 mars 2009, Mme Delisle avait précisé qu’elle parvenait à se débrouiller pour la réalisation des activités domestiques en les exécutant à son rythme. Elle mentionnait cependant avoir de la difficulté à laver son plancher.

 

À notre point de vue, il n’y a pas d’évidence que les restrictions fonctionnelles de Mme Delisle soient incompatibles avec les exigences des tâches relatives à l’entretien ménager régulier d’un logement 4 ½.

Il est probable que Mme éprouve un peu plus de difficulté à accomplir les tâches mais en modifiant un peu le rythme de réalisation de l’activité et en adoptant certaines stratégies compensatoires nous sommes d’avis qu’elle a les capacités pour le faire.

Par exemple, il est possible d’effectuer des tâches de récurage et d’époussettage [sic] en effectuant des mouvements du coude ou du bras sans nécessairement avoir à effectuer des mouvements répétitifs du poignet droit. Mme peut aussi occasionnellement utiliser sa main gauche pour permettre un temps de repos à la main droite.

Pour le lavage des planchers, il existe maintenant sur le marché des produits (ex : swiffer) qui permettent d’exécuter la tâche sans devoir effectuer des mouvements répétitifs des poignets.

 

L’entretien régulier normal d’un logement ne demande pas beaucoup de temps.

 

Nous sommes d’avis que Mme possède les capacités résiduelles pour accomplir de façon autonome l’ensembles [sic] des activités relatives à l’entretien régulier de son domicile.

Par conséquent, nous refusons de rembourser à Mme les frais encourus pour l’entretien mensuel de son domicile.

 

 

 

[42]        À l’audience, la travailleuse réitère que, depuis 2008, elle ne peut plus se brosser les dents ou tenir des objets. Elle réfère aux expertises qui rapportent ses plaintes à ce sujet.

[43]        Elle ajoute que, selon le membre du Bureau d’évaluation médicale, la supination du poignet droit est difficile ce qui l’empêcherait de vider une chaudière lorsqu’elle lave un plancher. La travailleuse s’abstient donc de faire un tel travail.

[44]        La travailleuse note aussi que son pouce droit présente une déformation en col de cygne, comme le mentionne le membre du Bureau d’évaluation médicale, et elle semble inférer de cette information que son pouce est dorénavant dysfonctionnel.

[45]        La travailleuse signale également la perte d’amplitude des mouvements de dorsiflexion et de flexion palmaire du poignet droit observée par le membre du Bureau d’évaluation médicale et elle y voit, une fois de plus, un obstacle aux activités de la vie quotidienne.

[46]        La travailleuse considère que son membre supérieur droit est devenu pratiquement inutilisable depuis l’événement du 23 janvier 2008. Elle peine à écrire, elle ne peut plus se brosser les dents, elle ne peut laver son plancher et le récurage et l’époussetage sont très difficiles.

[47]        La travailleuse estime qu’elle ne peut plus se servir de sa main droite et de son poignet droit. Elle ne prend que des douches car elle croit qu’elle ne pourrait se relever d’un bain en s’aidant d’une seule main.

[48]        La travailleuse précise qu’elle est très autonome avant l’événement et qu’elle n’aime pas dépendre des autres. Cependant, elle demande de l’aide pour faire son ménage car elle ne peut se débrouiller seule pour laver son plancher.

[49]        La travailleuse commente l’analyse faite par la CSST concernant sa capacité. Elle ne voit pas comment elle peut laver la toilette ou l’évier en utilisant son coude ou son épaule. Elle ne comprend pas cela. Elle croit que c’est impossible.

[50]        La travailleuse réalise qu’on lui refuse l’aide demandée car elle peut s’habiller seule et se faire à manger. Elle admet qu’elle est en mesure de réaliser de telles activités. Toutefois, elle s’achète divers objets pour s’aider car, selon elle, elle n’est plus en mesure de soulever une boîte de conserve de sa main droite de telle sorte qu’elle se munit d’un ouvre-boîte à piles qui lui facilite la vie.

[51]        La travailleuse prétend aussi qu’elle ne peut plus soulever un verre d’eau puisque cela pèse plus d’un kilo.

[52]        La travailleuse soutient que la douleur à son poignet et à sa main droite est constante, vive, et qu’elle préférerait presque être amputée plutôt que de subir un tel sort.

[53]        La travailleuse concède qu’elle peut toujours conduire un véhicule à transmission automatique, mais qu’elle ne pourrait conduire un véhicule à transmission manuelle puisqu’elle devrait alors utiliser sa main droite.

[54]        La travailleuse admet aussi que, depuis 2008, elle s’occupe elle-même de son ménage. Elle lave même sa toilette tous les jours. Elle se sert de son bras gauche pour ce faire. Elle réalise ces tâches à son rythme, du mieux qu’elle peut, car elle ne travaille pas actuellement. Toutefois, elle se demande comment elle pourra se débrouiller lorsqu’elle aura réintégré le marché du travail. Enfin, la travailleuse réitère qu’elle ne peut laver son plancher. Elle explique que, pour elle, récurer est très important et qu’elle ne peut le faire que lorsqu’elle a le temps. Elle souligne que, pour elle, il ne s’agit pas seulement d’une question de saleté ou de propreté. Cela va au-delà de ces considérations puisque la saleté porte atteinte à l’estime de soi.

[55]        La travailleuse demande donc à la Commission des lésions professionnelles d’accueillir sa requête et de déclarer qu’elle a droit à l’aide réclamée pour faire son ménage.

[56]        De son côté, la représentante de la CSST indique que l’accident du travail du 23 janvier 2008 laisse certes des séquelles à la travailleuse et ces séquelles rendent l’accomplissement de certaines tâches plus difficiles.

[57]        Toutefois, la travailleuse n’a pas droit à l’aide personnelle à domicile en vertu de l’article 158 de la loi puisqu’elle est en mesure de prendre soin d’elle-même.

[58]        De plus, la représentante de la CSST soutient que l’entretien courant du domicile visé à l’article 165 de la loi ne s’applique pas aux tâches domestiques pour lesquelles la travailleuse réclame un remboursement. Cet article ne serait donc d’aucun secours à cette dernière.

[59]        La représentante de la CSST ajoute que, si la Commission des lésions professionnelles estime que de tels travaux sont couverts par l’article 165 de la loi, la travailleuse n’a tout de même pas droit au remboursement des frais relatifs à ceux-ci puisque la preuve ne démontre pas que les séquelles de son accident l’empêchent d’accomplir ces tâches domestiques.

[60]        En effet, la représentante de la CSST rappelle que le tribunal est lié par les conclusions médicales émises par le docteur Beaumont.

[61]        Or, selon la représentante de la CSST, les limitations fonctionnelles décrites ne sont pas aussi incapacitantes que ce qu’allègue la travailleuse. Ainsi, le docteur Beaumont connaît les plaintes de cette dernière concernant le brossage des dents ou la tenue d’objets et, pourtant, il ne prévoit pas de limitations fonctionnelles spécifiques à ce sujet. De même, le docteur Beaumont ne dit pas que la travailleuse ne peut se servir de son membre supérieur droit. Les limitations ciblent le poignet droit et le pouce droit et elles concernent les mouvements répétitifs du poignet et la manipulation de charges avec le pouce droit.

[62]        La travailleuse ne démontre pas que les tâches relatives à l’entretien ménager régulier contreviennent aux limitations fonctionnelles reconnues. En outre, la travailleuse peut accomplir ces tâches à son rythme et utiliser le bras gauche au besoin afin de reposer son bras droit.

[63]        Enfin, la représentante de la CSST indique que l’analyse faite par la CSST est complète et qu’elle doit être privilégiée. Elle demande donc à la Commission des lésions professionnelles de maintenir la décision rendue par la révision administrative et elle dépose et commente quelques décisions[3] au soutien de son argumentation.

[64]        La Commission des lésions professionnelles doit donc déterminer si la travailleuse a droit au remboursement des frais relatifs à l’entretien ménager régulier de son domicile en vertu de l’article 165 de la loi.

[65]        La CSST prétend que cet article ne s’applique pas à de tels travaux.

[66]        Avec respect, la Commission des lésions professionnelles ne peut retenir cette prétention.

[67]        En effet, l’expression « travaux d’entretien courant de son domicile » retrouvés à l’article 165 de la loi englobe les travaux d’entretien ménager régulier.

[68]        Ainsi, dans les décisions Lebel et Municipalité Paroisse de Saint-Éloi[4], Frigault et Commission scolaire de Montréal[5], Castonguay et St-Bruno Nissan inc.[6] et Côté et Pulvérisateur MS inc.[7], la Commission des lésions professionnelles détermine que les travaux d’entretien ménager du domicile font partie des « travaux d’entretien courant »  et que les coûts afférents à ces travaux peuvent être défrayés en vertu de cet article.

[69]        La Commission des lésions professionnelles considère que ce courant jurisprudentiel est plus conforme au but de la loi qui est la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires.

[70]        D’ailleurs, la Commission des lésions professionnelles remarque que, dans son analyse, la CSST considère ce courant jurisprudentiel puisqu’elle envisage la demande de la travailleuse sous l’angle de l’article 165 de la loi et que, bien loin de rejeter cette demande au motif qu’elle ne serait pas couverte par cet article, elle procède plutôt à une analyse approfondie de la capacité de la travailleuse en regard des travaux pour lesquels elle réclame un remboursement.

[71]        La Commission des lésions professionnelles considère donc que l’article 165 de la loi peut servir de base légale à la demande de la travailleuse.

[72]        Cependant, pour pouvoir bénéficier du remboursement des frais qui y est prévu, la travailleuse doit démontrer qu’elle a subi une atteinte permanente grave des suites de sa lésion professionnelle et qu’elle est incapable d’effectuer les travaux d’entretien ménager régulier.

[73]        L’atteinte permanente grave dont il est question à l’article 165 de la loi ne s’évalue pas en termes de chiffre ou de pourcentage, mais bien en termes de capacité. Ainsi, c’est la capacité résiduelle de la travailleuse à effectuer le type de tâches pour lesquelles elle réclame qui doit servir de guide en cette matière[8].

[74]        Dans ce dossier, la Commission des lésions professionnelles est confrontée à deux tableaux fort différents, à savoir les conséquences médicales objectives de la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 23 janvier 2008 et la perception de cette dernière face à sa capacité résiduelle.

[75]        Ainsi, les conséquences médicales, bien que sérieuses, ne sont pas dramatiques. Le déficit anatomo-physiologique est de 5 % et il couvre des pertes d’amplitudes qui sont loin d’être majeures, soit une perte de 10°/60° de la dorsiflexion et de 30°/70° de la flexion palmaire.

[76]        Les limitations fonctionnelles n’interdisent pas à la travailleuse de se servir de son membre supérieur droit. Elles sont plutôt d’éviter les mouvements répétitifs et fréquents avec le poignet et le pouce droits et d’éviter de manipuler des charges de plus d’un kilo avec le pouce droit.

[77]        Ces limitations fonctionnelles n’empêchent pas tout mouvement du poignet ou du pouce droits ou toute manipulation de charge avec le membre supérieur droit.

[78]        La travailleuse perçoit certes son état différemment. Elle accorde de l’importance à des données telles la supination difficile, alors que le membre du Bureau d’évaluation médicale indique que le mouvement est normal et qu’il ne retient aucun déficit ni aucune limitation à ce chapitre. Elle souligne aussi le pouce en « col de cygne » alors qu’aucun médecin n’indique que cette déformation a une quelconque influence sur sa capacité résiduelle.

[79]        En somme, la travailleuse croit que son membre supérieur droit est invalide et ce sont ces plaintes qui sont reflétées par le conseiller en orientation.

[80]        Toutefois, la Commission des lésions professionnelles doit s’en remettre aux éléments objectifs du dossier et non aux perceptions de la travailleuse.

[81]        L’entretien ménager régulier implique assurément des mouvements des membres supérieurs droit et gauche. Cependant, la preuve ne révèle aucunement que les tâches relatives à cet entretien contreviennent aux limitations fonctionnelles reconnues.

[82]        En fait et de fait, la travailleuse peut accomplir ces tâches de son bras gauche.

[83]        De plus, lorsqu’elle utilise son bras droit, elle peut les faire à son rythme, limitant ainsi le caractère répétitif ou fréquent des mouvements.

[84]        Elle peut aussi, comme le mentionne la CSST, bloquer son poignet droit et exécuter les mouvements en sollicitant plutôt les articulations du coude ou de l’épaule. Il ne s’agit pas, bien entendu, de nettoyer avec le coude ou l’épaule, mais bien de se servir de ces articulations pour induire les mouvements du bras et de la main.

[85]        Enfin, la travailleuse n’a pas établi devoir manipuler des charges de plus d’un kilo avec le pouce droit dans le cadre de ses travaux d’entretien ménager.

[86]        Il est vrai que la travailleuse soutient que le simple fait de lever un verre d’eau est incompatible avec cette limitation. Toutefois, considérant qu’un kilo équivaut à 2.2 livres, la Commission des lésions professionnelles doute fortement de cette affirmation.

[87]        Quant au lavage de plancher qui, selon la travailleuse, est une tâche qu’elle ne peut plus accomplir, la Commission des lésions professionnelles constate, une fois de plus, que le bras gauche peut être mis à contribution pour manipuler la chaudière, tordre la serpillère ou même frotter le carrelage. La main gauche peut également être utilisée pour soulever la chaudière et la main droite pour la faire basculer afin de la vider.

[88]        La Commission des lésions professionnelles rappelle que le bras droit de la travailleuse n’est pas complètement dysfonctionnel et qu’il peut être mis à contribution en respectant l’encadrement prévu aux limitations fonctionnelles décrites par le membre du Bureau d’évaluation médicale.

[89]        La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que la travailleuse n’est pas incapable d’effectuer les travaux d’entretien ménager régulier pour lesquels elle réclame un remboursement et elle maintient donc la décision rendue par la révision administrative.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête déposée par la travailleuse, madame Joanne Delisle;

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 21 janvier 2011 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la travailleuse n’a pas droit au remboursement des frais relatifs à l’entretien ménager régulier de son domicile.

 

 

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Carmen Racine

 

 

Me Rébecca Branchaud

VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Delisle et Allianz Madvac inc. et CSST, C.L.P. 396173-62-0912, le 26 novembre 2010, J.-M. Dubois.

[3]           Gagné et Manoir Heather Lodge 2010 QCCLP 8924 ; Lahaise et Sabico Constructions, C.L.P. 197071-64-0212, le 17 octobre 2003, R. Daniel ; Loiselle et Brasserie La Seigneurie (fermée) et CSST, C.L.P. 278183-05-0512 et 292786-05-0606, le 31 octobre 2006, M. Allard.

[4]           C.L.P. 124846-01A-9910, le 29 juin 2000, L. Boudreault.

[5]           C.L.P. 142721-61-007, le 25 mai 2001, L. Nadeau.

[6]           C.L.P. 137426-62B-0005, le 21 novembre 2001.

[7]           2011 QCCLP 3169 .

[8]           Voir la décision Côté et Pulvérisateur MS inc. précitée à la note 7 et la jurisprudence invoquée dans cette décision à ce sujet.

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