Alcoa ltée |
2012 QCCLP 1585 |
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[1] Le 2 mai 2011, Alcoa ltée (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 13 avril 2011 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 4 novembre 2010 et déclare que l’employeur doit assumer la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle dont monsieur Marc Tremblay (le travailleur) a été victime le 7 janvier 2009.
[3] Une audience est tenue à Québec le 20 février 2012 en présence de l’avocat de l’employeur.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de lui accorder un partage d’imputation du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle survenue le 7 janvier 2009. Il demande que 5 % du coût de ces prestations soit imputé à son dossier financier et que le reste soit transféré aux employeurs de toutes les unités alléguant que le travailleur était déjà handicapé au moment où il est victime d’un accident du travail.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit au partage du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle survenue le 7 janvier 2009.
[6]
L’article
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[7]
L’employeur peut présenter une demande de partage du coût de ces
prestations en vertu de l’article
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[8] Selon la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles, la notion de « travailleur déjà handicapé » réfère à une personne atteinte d’une déficience physique ou psychique dont la présence a influencé l’apparition de la lésion professionnelle ou en a aggravé les conséquences.
[9] Cette déficience est définie comme « une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction, psychologique, physiologique ou anatomique et correspondrait à une déviation par rapport à une norme biomédicale ». Cette déficience peut être congénitale ou acquise et elle peut également exister à l’état latent sans qu’elle ne se soit manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle.
[10] Ainsi, le fardeau de preuve qui incombe à l’employeur est d’établir que le travailleur présente au moment où survient la lésion professionnelle, une déficience qui dévie de la norme biomédicale et de démontrer qu’il existe un lien entre cette déficience et la lésion professionnelle parce que celle-ci a influencé l’apparition de la lésion professionnelle ou ses conséquences[2].
[11] Le 7 janvier 2009, le travailleur né en 1962, est victime d’un accident du travail. Il subit un traumatisme direct à la face latérale de l’épaule droite lors d’une chute. Un diagnostic de rupture du tendon de la longue portion du biceps droit est retenu. Par décision de la CSST rendue le 11 janvier 2010 à la suite d’une décision rendue par la révision administrative, les diagnostics de déchirure du labrum à l’épaule droite et de tendinopathie du sus et du sous-épineux sont écartés.
[12] Le travailleur s’absente du travail entre le 8 et le 25 janvier 2009 puis, entre le 26 mars 2009 et le 24 janvier 2010. Par la suite, il bénéficie d’une assignation temporaire. La lésion est finalement consolidée le 27 mai 2010 sans limitations fonctionnelles. L’atteinte permanente à l’intégrité physique du travailleur est évaluée à 3 %.
[13] Au cours de la période de consolidation, le travailleur a suivi 161 traitements de physiothérapie, a reçu 4 infiltrations (février, mars, septembre et décembre 2009) et il a pris des anti-inflammatoires. Il a subi deux examens par résonance magnétique à l’épaule droite. Le premier (15 janvier 2009) démontre une déchirure complète du tendon de la longue portion du biceps s’accompagnant d’une rétraction tendineuse et une tendinopathie de la longue portion distale du sus-épineux, du sous-épineux et du sous-scapulaire, sans déchirure. Des signes d’une déchirure du labrum supérieur et un acromion de type I sont également décrits. Le second examen (24 juin 2009) démontre une progression des phénomènes de tendinose et de tendinopathie aux niveaux du sus-épineux et du sous-scapulaire. Par ailleurs, les changements notés initialement au tendon de la longue portion du biceps demeurent.
[14] Le 14 septembre 2009, l’employeur demande un partage du coût des prestations reliées à cette lésion professionnelle. Le tribunal constate que cette demande respecte le délai prévu à la loi.
[15] Cette demande s’appuie sur l’opinion du docteur Lacasse émise dans les rapports des 28 août 2009, 16 avril 2010 et 5 février 2012.
[16] Le docteur Lacasse fait d‘abord remarquer que le fait que le tendon de la longue portion du biceps se soit rompu et qu’il soit rétracté distalement, empêche de décrire directement les changements dégénératifs dans ce tendon. Il souligne aussi que la rupture du tendon ne s’est pas produite lors d’un mouvement impliquant une traction des tendons de la longue portion du biceps. S’appuyant sur une étude rapportée dans la littérature[3], le docteur Lacasse conclut qu’il s’agit d’une rupture spontanée du tendon de la longue portion du biceps. À l’article précité, on peut notamment lire ce qui suit :
A sponatneous rupture of a tendon may be defined as a rupture that occurs during movements and activities that should not - and usually do not - damage the involved musculotendinous units. […]
[17] Le docteur Lacasse s’appuie également sur cette étude pour conclure que le travailleur présentait des changements dégénératifs antérieurement à la rupture du tendon de la longue portion du biceps survenue au travail.
[18] L’analyse dont les résultats sont rapportés dans cette étude porte sur les tissus tendineux prélevés par biopsie chez 891 patients suivis pour des ruptures spontanées de tendons, incluant ceux de la longue portion du biceps. Ceux-ci ont été comparés à 445 tissus tendineux prélevés chez des personnes de même âge et de même sexe, par ailleurs en bonne santé au moment de leur décès survenu accidentellement.
[19] En ce qui concerne l’analyse des tendons du biceps, la moyenne d’âge des patients était de 63 ans, plus ou mois 8 ans, et les personnes décédées avaient en moyenne 66 ans, plus ou moins 10 ans. Selon cette étude, tous les patients traités pour des ruptures spontanées des tendons présentaient des anomalies, dont 97 % correspondaient à des pathologies dégénératives diverses; 34 % des tissus prélevés sur les cadavres présentaient le même type d’anomalie alors que 65 % étaient complètement intacts. Plus précisément, en ce qui concerne les tendons du biceps, dans le groupe contrôle, 51 % ne présentaient aucun changement dégénératif.
[20] Ainsi, le docteur Lacasse affirme « avec pratiquement une certitude » que le travailleur était porteur d’une tendinopathie dégénérative de la longue portion du biceps droit lors de l’événement du 7 janvier 2009 où il a subi une rupture de ce même tendon.
[21] Le tribunal retient cette conclusion du docteur Lacasse. La littérature permet de considérer qu’il est, non seulement possible mais probable, qu’antérieurement à la lésion professionnelle, le travailleur ait été porteur d’une pathologie de nature dégénérative affectant le tendon de la longue portion du biceps pour qu’il rupture dans les circonstances décrites en l’espèce.
[22] Le tribunal retient également que d’autres tendons de la coiffe des rotateurs sont touchés par des phénomènes de dégénérescence de nature diverse tels que décrits à l’imagerie.
[23] Le docteur Lacasse affirme également que la tendinopathie dégénérative doit être considérée en l’espèce, comme étant déviante par rapport à une norme biomédicale. Les auteurs précisent en effet qu’il est logique de croire que la rupture d’un tendon survient généralement en présence d’un stade avancé de dégénérescence. Au surplus, selon les statistiques rapportées cette dégénérescence, au niveau de la longue portion du biceps est présente chez moins de 50 % de la population d’âge comparable.
[24] Le tribunal conclut que le travailleur présentait, avant la survenance de la lésion professionnelle, une déficience considérant que l’ensemble des anomalies dégénératives décrites à l’imagerie constitue une condition déviante de la norme pour une personne de l’âge du travailleur.
[25] La Commission des lésions professionnelles a d’ailleurs déjà conclu en ce sens en se basant sur l’étude précitée dans les affaires Noël Rochette & Fils inc. et Fournel[4], Groupe NGB inc.[5] et Entreprises de Peinture Provinciale[6] déposée.
[26] Reste à déterminer si cette déficience a eu impact sur la survenance de la lésion professionnelle et/ou sur ses conséquences.
[27] À ce sujet, la Commission des lésions professionnelles s’en remet aux explications du docteur Lacasse et à la littérature. Elle conclut que la déficience a influencé la production de la lésion professionnelle et a prolongé la période de consolidation. Selon les paramètres de la jurisprudence, dans ces circonstances, il y a lieu d’accorder le partage de coûts selon une proportion de 95 % aux employeurs de toutes les unités et de 5 % au dossier financier de l’employeur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de Alcoa ltée;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 13 avril 2011 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que Alcoa ltée a droit à un partage de l’imputation du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle dont monsieur Marc Tremblay a été victime le 7 janvier 2009;
DÉCLARE que Alcoa ltée doit assumer 5 % du coût des prestations reliées à cette lésion professionnelle et 95 % doit être imputé aux employeurs de toutes les unités.
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MARIE BEAUDOIN |
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Me Jean-Sébastien Cloutier |
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NORTON ROSE CANADA S.E.N.C.R.L. |
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Représentant de la partie requérante |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Municipalité Petite-Rivière-St-François,
[3] P. KANNUS et L. JOZSA, Histopathological changes preceding spontaneous rupture of a tendon, Journal of Bone and Joint Surgery, (1991), 73, American Volume, p. 1507.
[4] C.L.P. 272150-31-0509, 7 novembre 2009, P. Simard.
[5] C.L.P.
[6] C.L.P.
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