Décision

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Bernier et Construction A.S. Filiatreault inc.

2010 QCCLP 1728

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saguenay :

Le 2 mars 2010

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent et Côte-Nord

 

Dossier :

380002-01A-0906

 

Dossier CSST :

127870442

 

Commissaire :

Me Michel Sansfaçon, juge administratif

 

Membres :

Marcel Beaumont, associations d’employeurs

 

Jean-Jacques Malenfant, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Jean-Paul Bernier

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Construction A.S. Filiatreault inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 4 juin 2009, monsieur Jean-Paul Bernier (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 13 mai 2009 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST déclare

-     nulle et sans effet la décision qu’elle a rendue le 16 mars 2009;

-     sans objet la demande de révision du travailleur datée du 23 mars 2009.

[3]                La CSST arrive à ces conclusions compte tenu que la Commission des lésions professionnelles a déjà rendu, le 18 décembre 2007, une décision déclarant que le travailleur n’a pas droit à l’aide personnelle à domicile ni au remboursement des frais d’entretien courant de son domicile.

[4]                Les parties ont été convoquées à une audience le 15 janvier 2010 à Matane. Les deux parties étaient absentes, bien que dûment convoquées. Aucune d’elle n’ayant fait connaître le motif de son absence, le tribunal rend une décision sur dossier comme le permet l’article 429.15 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]                Dans la demande de révision qu’il adresse à la CSST le 6 février 2009, le travailleur demande à la CSST de lui rembourser la somme de 258 $ qu’il a payée en janvier 2009 pour le grand ménage de son domicile. Il demande aussi à la CSST de payer à l’avenir les coûts pour l’entretien hebdomadaire de son domicile.

L’AVIS DES MEMBRES

[6]                Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales considèrent que la requête du travailleur doit être rejetée. Ils sont d’accord avec les motifs du soussigné.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]                La Commission des lésions professionnelles doit décider si la CSST a eu raison de déclarer nulle et sans effet sa première décision rendue le 16 mars 2009, ainsi que sans objet la demande de révision du travailleur.

[8]                Dans la décision contestée, le réviseur précise qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer à nouveau sur les droits revendiqués par le travailleur, puisque ceux-ci ont fait l’objet d’une décision de la Commission des lésions professionnelles, le 18 décembre 2007. Il semble que le réviseur applique, de façon implicite, la règle de la chose jugée pour justifier sa décision.

[9]                Il est vrai que, le 18 décembre 2007, la Commission des lésions professionnelles a rendu une décision entérinant un accord conclu entre les parties. Cette décision portait, notamment, sur la question du droit à l’aide personnelle à domicile et l’entretien courant du domicile.

[10]           Le paragraphe 10 de l’accord stipule que « les parties s’entendent pour reconnaître que la lésion professionnelle qu’a subie le travailleur le 18 avril 2005 ne le rend pas incapable de s’occuper de lui-même et d’effectuer sans aide les tâches domestiques qu’il effectuerait normalement ».

[11]           Dans le dispositif de la décision qui entérine l’accord, la Commission des lésions professionnelles déclare « que le travailleur n’a pas droit à une allocation pour aide personnelle à domicile et pour frais d’entretien ».

[12]           Selon le tribunal, la CSST commet une erreur en refusant de se prononcer sur la demande du travailleur en s’autorisant uniquement de la décision rendue le 18 décembre 2007 par la Commission des lésions professionnelles.

[13]           D’une part, la règle de la chose jugée ne s’applique pas en droit administratif, comme le tribunal l’a maintes fois décidé[2]. D’autre part, même si cette règle existait, elle ne trouverait pas application ici puisqu’il n’y a pas identité de cause. En effet, la décision de la Commission des lésions professionnelles s’applique à la situation du travailleur telle qu’elle existait au moment où cette décision a été rendue.

[14]           La décision rendue par le tribunal le 18 décembre 2007 liait les parties et avait un caractère obligatoire comme le prévoit l’article 429.46 de la loi ;

« Tout accord est constaté par écrit et les documents auxquels il réfère y sont annexés, le cas échéant. Il est signé par le conciliateur et les parties et lie ces dernières.

 

Cet accord est entériné par un commissaire dans la mesure où il est conforme à la loi. Si tel est le cas, celui-ci constitue alors la décision de la Commission des lésions professionnelles et il met fin à l'instance.

 

Cette décision a un caractère obligatoire et lie les parties. »

 

 

[15]           Cependant, cette décision n’a pas pour effet d’empêcher toute demande ultérieure de la part du travailleur. En effet, il est possible que sa situation ait évolué et qu’elle justifie une décision différente de la part de la CSST.

[16]           Le tribunal doit donc se demander si le travailleur a droit à l’aide personnelle à domicile et à l’entretien courant de son domicile, et ce, en tenant compte de l’ensemble des circonstances.

[17]           L’article 158 de la loi permet d’accorder l’aide personnelle à domicile à un travailleur qui est incapable, en raison de sa lésion professionnelle, de prendre soin de lui-même et d’effectuer sans aide les tâches domestiques qu’il effectuerait normalement :

158.  L'aide personnelle à domicile peut être accordée à un travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, est incapable de prendre soin de lui-même et d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il effectuerait normalement, si cette aide s'avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.

__________

1985, c. 6, a. 158.

 

 

[18]           Cette disposition s’applique à trois conditions :

            -     le travailleur est incapable de prendre soin de lui-même;

            -     et d'effectuer sans aide les tâches domestiques ;

            -     qu'il effectuerait normalement lui-même.

[19]           En l’espèce, le travailleur n’invoque pas son incapacité à prendre soin de lui-même. Ce qu’il veut obtenir, c’est le remboursement d’une somme déboursée pour le grand ménage de sa résidence. Il demande aussi à la CSST de payer à l’avenir une femme de ménage, une fois par semaine, pour l’entretien de son logement.

[20]           De plus, dans un document daté du 12 décembre 2008 et intitulé « Référence interétablissements », le médecin du travailleur, docteur Gaétan Lavoie, écrit que son patient est handicapé physiquement, qu’il a des douleurs et une mobilité réduite. Il précise que le travailleur a perdu le contrôle de l’entretien de son domicile et qu’un grand ménage s’impose immédiatement et, par la suite, il y aura lieu d’y effectuer un entretien hebdomadaire.

[21]           Il est clair de ce qui précède que la demande du travailleur vise uniquement l’entretien de son domicile. Il ne s’agit pas d’un cas d’aide personnelle en vertu de l’article 158 de la loi. La demande du travailleur doit donc être étudiée à la lumière de l’article 165 de la loi qui vise spécifiquement l’entretien courant du domicile :

165.  Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.

__________

1985, c. 6, a. 165.

 

 

[22]           Le fait qu’un travailleur n’ait pas droit à l'aide personnelle à domicile prévue à l'article 158 parce qu’il est capable de prendre soin de lui-même, ne lui interdit pas d’avoir droit au remboursement de ses frais pour l’entretien de son domicile s’il répond aux conditions prévues à l’article 165 de la loi[3]. Le tribunal est d’accord avec le passage suivant de la décision Pitre et Entreprises Gérald Pitre enr.[4] :

« Le sens courant des mots fait en sorte que du ménage peut constituer aussi bien une tâche domestique qu’un travail d’entretien courant du domicile et, dans le cadre d’une loi remédiatrice et d’application large et libérale, il y a lieu d’inclure les travaux d’entretien ménager autant dans le concept d’aide à domicile que de travaux d’entretien courant en autant que les autres conditions élaborées par le législateur soient remplies bien entendu. »

[23]           Selon la jurisprudence, l’article 165 doit être interprété conformément à l'objet de la loi et au but recherché par la réadaptation sociale. Il faut donc analyser la gravité d'une atteinte permanente en tenant compte de la capacité résiduelle du travailleur à exercer les activités visées par l'article 165[5].

[24]           Le tribunal considère par ailleurs que l’entretien habituel d’une résidence[6] (incluant le grand ménage[7]) constitue de l'entretien courant d’un domicile.

[25]           En l’espèce, le dossier démontre que le travailleur a subi un accident du travail le 18 avril 2005. Le diagnostic de la lésion professionnelle est une entorse lombaire post-contusion.

[26]           Un examen par résonance magnétique de la colonne lombaire effectué le 29 juin 2005 n’a révélé aucune anomalie.

[27]           La lésion a été consolidée par le médecin qui a charge, docteur Guy Côté, le 24 octobre 2005.

[28]           Le 9 novembre 2005, le docteur Pierre-Paul Hébert, membre du BEM, a rendu un avis motivé. Dans ses conclusions, il retient la même date de consolidation que le docteur Côté. Il reconnaît une atteinte permanente de 2 % en raison d’une entorse lombaire avec séquelles fonctionnelles objectivées. Il retient des limitations fonctionnelles correspondant à la classe I selon l’IRSST :

            Éviter les gestes répétés de :

            -     tirer, pousser, soulever ou manipuler des objets de plus de 15 kg;

            -     ramper, grimper;

            -     travailler en position accroupie;

            -     effectuer des mouvements amples de la colonne lombaire dans toutes les directions;

            -     subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne lombaire.

[29]           L’avis du docteur Hébert n’a pas fait l’objet d’une contestation. Par la suite, le travailleur a été admis en réadaptation et un emploi convenable d’estimateur-vendeur de toitures a été déterminé.

[30]           Il est utile de préciser qu’une réclamation pour faire reconnaître une dépression à titre d’aggravation a été refusée par la CSST le 23 septembre 2005. Il y a eu contestation par le travailleur, mais la décision initiale a été confirmée par la Commission des lésions professionnelles le 18 décembre 2007, suite à l’accord dont il a été question précédemment.

[31]           Il faut également mentionner que le travailleur vit seul et s’occupe lui-même d’entretenir son domicile.

[32]           Pour déterminer si un travailleur a la capacité résiduelle pour effectuer l’entretien de son domicile, il faut d’abord et avant tout se référer aux conclusions médicales retenues par le médecin qui a charge, ou par le BEM, suite à la consolidation de la lésion professionnelle.

[33]           En effet, selon l’article 224 de la loi, la CSST est liée par les conclusions du médecin qui a charge ou par celles du BEM aux fins de rendre une décision en vertu de la loi :

224.  Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.

1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.

[34]           Étant donné l’absence du travailleur à l’audience, le tribunal n’est pas en mesure de conclure que le travailleur est incapable d’effectuer, en tout ou en partie, l’entretien de son domicile compte tenu de ses limitations fonctionnelles. Aucun élément au dossier ne permet d’arriver à cette conclusion. Il appartient au travailleur de faire la preuve de son incapacité, puisque c’est lui qui demande la reconnaissance d’un droit prévu à la loi. Cette preuve est inexistante et le tribunal ne peut la présumer.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de monsieur Jean-Paul Bernier, le travailleur;

CONFIRME pour d’autres motifs la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, rendue le 13 mai 2009, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais pour le grand ménage ou le ménage hebdomadaire de son domicile.

 

 

 

 

Michel Sansfaçon

 

 



[1] L.R.Q., c.A-3.001

[2] - Dallaire et Marcel Lauzon inc., [2000] C.L.P. 1046 , révision rejetée, M. Zigby; Meunier et Michel Desjardins ltée, 176858-72-0201, 02-09-05, F. Juteau; Hidalgo et Jack Victor ltée, 292710-71-0606, 07-11-13, P. Perron; Lamoureux et Fre Composites inc., 173789-64-0111, 04-01-15, T. Demers, révision rejetée, 04-11-22, L. Boucher; Simard et La Compagnie minière Québec Cartier, [2005] C.L.P. 204 (décision accueillant la requête en révision);Gonzalez et L'Archevêque & Rivest ltée, 250386-63-0411, 07-01-24, J.-P. Arsenault.

[3] - Paul et Garderie chez Tatie, 370403-71-0902, 09-09-29, A, Vaillancourt; Lebel et Municipalité Paroisse de St-Éloi , C.L.P., 124846-01A-9910, 00-06-29, L. Boudreault; Frigault et Commission scolaire de Montréal, 142721-61-0007, 01-05-25, L. Nadeau; Castonguay et St-Bruno Nissan inc., 137426-62B-0005, 01-11-21, A. Vaillancourt.

[4] - C.L.P. 251305-01C-0412 et 251522-01C-0412, 05-12-16, J-F Clément.

[5] - Chevrier et Westburne ltée, 16175-08-8912, 90-09-25, M. Cuddihy; Boileau et Les centres jeunesse de Montréal, 103621-71-9807, 99-02-01, Anne Vaillancourt; Filion et P.E. Boisvert auto ltée, 110531-63-9902, 00-11-15, M. Gauthier; Cyr et Thibault et Brunelle, 165507-71-0107, 02-02-25, L. Couture; Lalonde et Mavic Construction, 146710-07-0009, 01-11-28, M. Langlois.

[6] Pitre et Entreprises Gérald Pitre enr., C.L.P. 251305-01C-0412 et 251522-01C-0412, 05-12-16, J-F Clément; Lebel et Municipalité Paroisse de St-Éloi , C.L.P., 124846-01A-9910, 00-06-29, L. Boudreault.

[7] - Tardif et Alimentation Chez-vous, 29828-03-9106, 93-08-02, J.-M. Dubois; Liburdi et Les spécialistes d'acier Grimco, 124728-63-9910, 00-08-09, J.-M. Charette; Rouette et Centre hospitalier Cooke, 141411-04-0006, 01-05-31, S. Sénéchal.

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