Décision

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Pichette et Atelier Carrosserie Claude Laflamme

2011 QCCLP 7208

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

4 novembre 2011

 

Région :

Québec

 

Dossier :

441188-31-1106

 

Dossier CSST :

136129541

 

Commissaire :

Me Guylaine Tardif, juge administratif

 

Membres :

Jean-Marc Simard, associations d’employeurs

 

Gilles Dubé, associations syndicales

 

 

Assesseure :

Dominique Lejeune

______________________________________________________________________

 

 

 

Sébastien Pichette

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Atelier Carrosserie Claude Laflamme

 

Atelier Débosselage Jean Blanchet

 

Fix Auto St-Jérôme

 

Procolor Prestige Laval-Ouest

 

Service Auto Gosselin

 

Trinity Collision Centre

 

Parties intéressées

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 9 juin 2011, monsieur Sébastien Pichette (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste la décision rendue en révision administrative par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 20 mai 2011.

[2]           Par cette décision, la CSST rejette la demande de révision du travailleur, entérine l’avis du Comité Spécial des présidents et déclare que le travailleur ne souffre pas d’une maladie professionnelle pulmonaire et qu’il doit rembourser la somme de 1 147,77 $ représentant l’indemnité de remplacement du revenu payée par Atelier Débosselage Jean Blanchet, son plus récent employeur.

[3]           L’audience s’est tenue à Québec le 2 novembre 2011 en présence du travailleur, du représentant du plus récent employeur et de la procureure de cet employeur. Les autres employeurs n’étaient ni présents ni représentés.

[4]           La cause a été mise en délibéré le 2 novembre 2011.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]           Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a souffert d’asthme par suite de son exposition professionnelle aux isocyanates.

L’AVIS DES MEMBRES

[6]           Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis d’accueillir la contestation.

[7]           Ils considèrent que la présomption de lésion professionnelle prévue à l’article 29 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) (la loi) s’applique et qu’elle n’est pas renversée, puisqu’il y a tout lieu de croire que les résultats négatifs des tests de provocation spécifique s’expliquent par un phénomène de désensibilisation attribuable à une longue période de retrait du travail.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[8]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a souffert d’une maladie professionnelle pulmonaire.

[9]           La maladie professionnelle est définie comme suit à l’article 2 de la loi :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[10]        Le travailleur invoque le bénéfice de la présomption de maladie professionnelle prévue à l’article 29 de la loi :

29.  Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.

 

Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

__________

1985, c. 6, a. 29.

 

 

[11]        L’annexe 1 prévoit ce qui suit à sa section V :

ANNEXE I

 

MALADIES PROFESSIONNELLES

(Article 29)

 

SECTION V

 

MALADIES PULMONAIRES CAUSÉES PAR DES POUSSIÈRES

ORGANIQUES ET INORGANIQUES

 

MALADIES

GENRES DE TRAVAIL

 

 

1.     Amiantose, cancer pulmonaire ou mésothéliome causé par l'amiante:

un travail impliquant une exposition à la fibre d'amiante;

2.     Bronchopneumopathie causée par la poussière de métaux durs:

un travail impliquant une exposition à la poussière de métaux durs;

3.     Sidérose:

un travail impliquant une exposition aux poussières et fumées ferreuses;

4.     Silicose:

un travail impliquant une exposition à la poussière de silice ;

5.     Talcose:

un travail impliquant une exposition à la poussière de talc:

6.     Byssinose:

un travail impliquant une exposition à la poussière de coton, de lin, de chanvre et de sisal;

7.     Alvéolite allergique extrinsèque:

un travail impliquant une exposition à un agent reconnu comme pouvant causer une alvéolite allergique extrinsèque;

8.     Asthme bronchique:

un travail impliquant une exposition à un agent spécifique sensibilisant.

__________

1985, c. 6, annexe I.

 

 

[12]        Le travailleur et l’employeur ont produit les fiches signalétiques des produits utilisés par le travailleur dans le cadre de son travail de peintre automobile. Selon ces documents, ces produits contiennent des isocyanates. Il s’agit d’agents spécifiques sensibilisants, selon ce qui ressort des rapports des pneumologues au dossier.

[13]        Il est prouvé par le témoignage du travailleur et de celui de monsieur Jean Blanchet, le propriétaire de l’entreprise où le travailleur a récemment occupé son emploi, que le port de divers moyens de protection individuelle n’empêche pas complètement l’exposition aux isocyanates.

[14]        Aussi, malgré les efforts louables consentis par cet employeur pour protéger ses travailleurs, l’exposition à son établissement demeure probable. Elle l’est encore davantage pour ce qui est du travail exercé chez certains des autres employeurs compte tenu de l’absence de moyens de protection efficaces.

[15]        Par ailleurs, il est non contesté que le travailleur souffrait d’asthme au moment de son retrait du travail le 22 décembre 2009. Tel est l’avis du docteur Boulet, pneumologue consulté ce jour-là. Cet avis repose sur les symptômes présentés par le travailleur au moment de l’examen, les résultats du test de provocation à la métacholine réalisé le même jour et la réversibilité de la réactivité bronchique observée par suite de l’administration de bronchodilatateurs.

[16]        Notons que malgré les résultats négatifs obtenus lors de plusieurs tests ultérieurs, aucun des médecins évaluateurs n’a jamais exprimé un doute au sujet de l’existence de la maladie le 22 décembre 2009.

[17]        Les deux éléments nécessaires à l’application de la présomption sont donc prouvés. Le récent employeur reconnaît d’ailleurs que la présomption s’applique. Le travailleur est présumé souffrir d’une maladie professionnelle.

 

[18]        La présomption peut être renversée si la preuve démontre qu’il est improbable que la maladie a été contractée par le fait ou à l’occasion du travail[1]. L’employeur n’a pas cependant à prouver la cause de la maladie[2]. En l’espèce, le récent employeur prétend que la présomption est renversée compte tenu de l’absence de réaction asthmatique lors des tests de provocation spécifique aux isocyanates. Le tribunal en arrive à la conclusion contraire.

[19]        Il ressort clairement des avis médicaux au dossier que l’histoire de la maladie est compatible avec un asthme d’origine professionnelle. C’est sans doute la raison qui explique que les épreuves de provocation se sont poursuivies malgré les résultats négatifs obtenus initialement.

[20]        Ainsi, le travailleur n’a aucun antécédent d’asthme dans l’enfance, il n’a jamais fumé, il ne souffre pas d’allergie selon les résultats des tests cutanés, ses symptômes sont apparus après cinq années d’exposition professionnelle aux isocyanates, ils ont par la suite évolué en fonction de cette exposition[3] et ils ont complètement disparus dans les quatre semaines qui ont suivi son retrait complet de l’exposition.

[21]        Le travailleur était totalement asymptomatique au moment du test de provocation spécifique aux isocyanates en laboratoire. L’épreuve a eu lieu du 14 juin au 18 juin 2010. Le retrait de l’exposition remontait à près de six mois à ce moment.

[22]        Le docteur Boulet, pneumologue traitant, conclut que le travailleur n’a pas présenté de réaction asthmatique franche lors du test. Il souligne cependant que sa réactivité bronchique a augmenté de façon importante à la suite du test.

[23]        En effet, à la fin du premier jour de test, la CP20 était supérieure à 64 mg/ml lors de la provocation à la métacholine et elle a chuté à 2,7 mg/ml lors de la même épreuve réalisée le cinquième jour du test. Le tribunal constate qu’on a aussi observé l’apparition de « wheezing » au cours de l’épreuve.

[24]        Les membres du Comité des maladies professionnelles pulmonaires ont ensuite jugé qu’une provocation spécifique en milieu de travail devait être réalisée. Le test a eu lieu du 4 au 7 octobre 2010. Le retrait de l’exposition remontait à plus de huit mois à ce moment.

[25]        Lors du test de provocation à la métacholine fait le 30 septembre 2010, la CP20 est à nouveau à 64 mg/ml. Le même test réalisé le 8 octobre 2010, après l’épreuve de provocation en milieu de travail, démontre que la CP20 est abaissée à 11 mg/ml.

[26]        Il importe de noter que le VEMS a chuté de plus en plus atteignant jusqu’à 16 % au cours du dernier jour du test. La variation est concluante lorsqu’elle atteint 20 % selon la preuve au dossier. Les variations du VEMS au cours de la provocation spécifique sont donc jugées insuffisantes par les membres du comité des maladies professionnelles pulmonaires et par ceux du Comité Spécial des présidents.

[27]        Néanmoins, le Comité Spécial des présidents recommande la prudence et un suivi en pneumologie lors de la reprise du travail. Le tribunal en déduit que les membres du Comité n’excluent pas la présence d’asthme d’origine professionnelle.

[28]        Selon la littérature[4] produite par le travailleur, lorsqu’un test de provocation spécifique est positif, on peut conclure à la présence d’asthme professionnel; cependant, un résultat négatif ne permet pas d’exclure la maladie lorsque l’exposition professionnelle a cessé depuis plusieurs mois et ce, surtout lorsque la CP20 varie à la suite de la provocation, ce qui est le cas ici à la suite des deux épreuves de provocation spécifique.

[29]        Le docteur Boulet pneumologue soulève l’hypothèse d’une désensibilisation par suite du retrait de l’exposition et ajoute que l’administration d’un médicament différent de décembre 2009 à janvier 2010 ne peut expliquer à elle seule l’« amélioration incroyable » observée.

[30]        Par ailleurs, selon la preuve au dossier, la CP20 est considérée comme normale lorsqu’elle est supérieure à 16 mg/ml et anormale lorsqu’elle est inférieure à 8 mg/ml. Il existe une zone grise pour les résultats se situant entre 8 et 16 mg/ml. Les données obtenues postexposition spécifique en milieu de travail chez le travailleur se situent dans cette zone grise alors que le résultat obtenu par suite du test de provocation spécifique en laboratoire est anormal.

[31]        De cette preuve, le tribunal retient que le travailleur n’a pas présenté de réactivité bronchique claire lors des tests de provocation spécifique, mais qu’il a néanmoins présenté des réactions compatibles avec la présence d’asthme (wheezing et chute de la CP20).

[32]        Compte tenu de l’histoire clairement compatible avec la présence d’asthme d’origine professionnelle, de l’existence de variations de la CP20 postépreuves de provocation spécifique situées à l’intérieur des limites de la zone grise ou dans la zone d’anormalité, et non pas dans la zone de normalité, ainsi que du long retrait de l’exposition, le tribunal conclut, comme dans d’autres affaires similaires[5], que la présomption n’est pas renversée. Il n’est pas en effet improbable que la maladie a été contractée par le fait ou à l’occasion du travail.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la contestation de monsieur Sébastien Pichette, le travailleur;

INFIRME la décision rendue en révision administrative par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 20 mai 2011;

DÉCLARE que monsieur Sébastien Pichette souffrait d’asthme professionnel le 22 décembre 2009 et qu’il a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

__________________________________

 

Guylaine Tardif

 

 

 

 

Me Anne-Marie Vézina

ADP SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

Procureure d’Atelier Débosselage Jean Blanchet

 

 

 



[1]          Perron c. CLP, [1999] C.L.P. 311 (C.S.), appel rejeté, [2002] C.L.P. 345 (C.A.).

[2]          Société canadienne des postes et Coulombe, [1988] C.A.L.P. 166 , requête en évocation rejetée, [1988] C.A.L.P. 146 (C.S.), appel rejeté, [1994] C.A.L.P. 927 (C.A.).

[3]          Ils avaient tendance à s’empirer avec l’accumulation de l’exposition et à régresser pendant les      périodes de congé.

[4]          Dick HEEDERIK et Torben SIGSGAARD, « Occupational Asthma », [En ligne],
            <http://books.google.ca/books?id=Og5mLX5709oC&pg=PA17&lpg=PA17&dq=Occupational+asth            ma+Torben+Sigsgaard+Dick+Heederik> (page consultée à une date inconnue).

[5]          Castonguay et Procar, C.L.P. 355878-08-0808, 10 mai 2010, P. Champagne; Lo Schiavo et          Bonaventure Chevrolet Oldsmobile inc., C.L.P. 307340-61-0701, 28 juillet 2008, G. Morin.

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