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CSSS de Port-Cartier

2011 QCCLP 2344

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Gaspé

30 mars 2011

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent et Côte-Nord

 

Dossier :

404271-09-1003

 

Dossier CSST :

133555599

 

Commissaire :

Louise Desbois, juge administratif

 

Assesseur :

Dr Marc Mony

______________________________________________________________________

 

 

 

CSSS de Port-Cartier

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 10 mars 2010, le CSSS de Port-Cartier (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 22 février 2010 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 7 juillet 2009 et déclare que l’employeur doit assumer la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par madame Claudine Gauthier (la travailleuse) le 6 août 2008.

[3]           Le procureur de l’employeur a renoncé à la tenue d’une audience, demandé qu’une décision soit rendue sur dossier et soumis plus particulièrement un complément de dossier médical de la travailleuse, son argumentation écrite ainsi que des rapports d’expertise médicale. Le dossier a été assigné à la soussignée, et pris en délibéré, le 22 mars 2011.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           L’employeur demande de reconnaître qu’il ne doit être imputé que de 10 % du coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie par la travailleuse, du fait que cette dernière était déjà handicapée lors de la survenance de cette lésion.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[5]           Il a été reconnu par la CSST, et non contesté, que le 6 août 2008, la travailleuse, alors âgée de 43 ans et chef d’équipe à l’entretien sanitaire, responsable de la buanderie et de la lingerie et couturière chez l’employeur depuis 2005, est atteinte d’une maladie professionnelle.

[6]            Cette maladie consiste en une épicondylite bilatérale et est considérée constituer une maladie professionnelle à la suite de l’analyse des tâches de la travailleuse. L’agent d’indemnisation de la CSST conclut alors que le travail de la travailleuse présente des risques particuliers de développer une telle pathologie. Il apparaît opportun dans le contexte de citer un extrait de ce qui sous-tend ses conclusions :

Article 30 : La T [travailleuse] a des tâches de travail diverses mais qui sollicitent les mêmes muscles et tendons au niveau des épicondyles.

 

            La T effectue des mouvements de supination au niveau des avant-bras      avec    force :

 

           Lorsqu’elle doit tordre tous les linges qu’elle utilise à plusieurs reprises (changement de linges aux 2-3 minutes environ) Ex : un linge pour les poignées, un linge pour le lavabo, un linge pour une table etc…

 

Elle fait cette tâche lorsqu’elle désinfecte des chambres (1 à 2 par jour environ 45 minutes-1 heure, les lits à l’urgence environ 8-12 fois par jour environ 15 minutes. Elle a aussi d’autres appels lorsqu’il y a des dégâts qu’elle doit nettoyer. La T est seule à faire ce travail durant le jour.

 

Elle doit également soulever des poches de linge (mouvement de préhension avec force à 2 mains et flexion des poignets) (environ 60 poches) d’environ 30 jusqu’à 50 livres de linge souillés et mouillés pour les déposer dans des bacs (environ + de 300 lbs) qu’elle doit par la suite pousser ou tirer avec difficulté et faire basculer pour vider. La T mentionne que lorsqu’elle les pousse au niveau des portes qu’elle doit franchir, les portes frottent sur les côtés du mur et passent difficilement donc elle force encore plus avec les poignets en extension.

 

·         La T effectue les tâches de travail ciblées ci-haut avec ses deux mains;

·         La T doit aussi laver 2 escaliers à genou en frottant avec un linge sur une surface en caoutchou difficile à laver (à tous les jours);

·         La travailleuse porte la plus part du temps des gants durant son travail;

·         La T doit également faire de la couture lorsqu’il y a des besoins (pas régulièrement)

 

 

[7]           Selon la preuve, la travailleuse n’a aucun antécédent de même nature, si ce n’est une épicondylite droite dix ans plus tôt (le médecin qu’elle consulte évoque son travail d’alors de couturière), laquelle serait rentrée dans l’ordre sans séquelles.

[8]           Le tribunal souligne par ailleurs que la travailleuse ne mesure que 5 pieds 2 pouces et ne pèse que 120 livres, ce qui permet certainement de la considérer comme étant de petit gabarit. Elle est droitière.

[9]           À la suite de sa réclamation à la CSST le 6 août 2008, la travailleuse reçoit des prestations de la CSST pendant onze jours, puis est affectée à des travaux légers par son employeur dans le cadre d’une assignation temporaire.

[10]        Dès le 13 novembre 2008, l’employeur soumet une demande de partage de coût, invoquant la présence d’un handicap préalable du fait de l’antécédent de 1998.

[11]        Le médecin de la travailleuse autorise son retour au travail régulier à compter du 11 mars 2009, mais sans déclarer la lésion consolidée et sans se prononcer sur la présence de séquelles, prévoyant plutôt revoir la travailleuse.

[12]        Il a ensuite été reconnu, et non contesté, que la travailleuse a subi une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion le 8 juillet 2009, son médecin diagnostiquant à nouveau l’épicondylite bilatérale, mais y ajoutant également un diagnostic d’épitrochléite bilatérale. En fait, la CSST aurait légalement été censée considérer qu’il s’agissait de la continuité de la lésion initiale, puisque celle-ci n’avait jamais été déclarée consolidée, mais cela ne change rien eu égard au litige dont le tribunal est saisi.

[13]        Il y a alors arrêt de travail jusqu’au 12 août 2009, puis à nouveau assignation temporaire par l’employeur.

[14]        Selon la preuve au dossier, la légère douleur qui persistait pendant l’assignation temporaire est devenue de plus en plus vive à la suite du retour au travail régulier en mars 2009, nécessitant finalement un arrêt de travail complet en juillet.

[15]        Le médecin régional de la CSST précise par ailleurs alors au dossier que le diagnostic d’épitrochléite bilatérale est acceptable en relation avec la lésion professionnelle reconnue, du fait du retour au travail régulier, du fait que ce dernier sollicite les muscles épitrochléens et du fait que la lésion initiale n’était pas encore consolidée.

[16]        Le tribunal note d’ailleurs au dossier que la travailleuse indique à son physiothérapeute en mars 2009, soit à l’aube de son retour au travail régulier, qu’elle modifiera ses façons de travailler. Cette modification a très bien pu protéger ses épicondyliens, mais de façon telle que les épitrochléens étaient quant à eux plus sollicités. Chose certaine, les épitrochléens ont été sollicités indûment puisqu’il est reconnu que la travailleuse a développé une épitrochléite bilatérale constituant une lésion professionnelle.

[17]        Sur son rapport médical du 6 janvier 2010, le médecin de la travailleuse ajoute aux diagnostics d’épicondylite et d’épitrochléite bilatérales un diagnostic de syndrome du canal cubital bilatéral. Ce sera cependant la seule et unique fois, le médecin ne réitérant jamais ce diagnostic sur ses rapports suivants et ne le retenant pas non plus sur son rapport final.

[18]        Dans un rapport d’expertise médicale qu’il signe le 30 janvier 2010 à la demande de l’employeur, le docteur Patrick Kinnard, chirurgien orthopédiste, retient lui aussi des diagnostics d’épicondylite et d’épitrochléite bilatérales. Il ne retient pas celui de syndrome ou de névrite du canal cubital bilatéral, précisant notamment qu’il n’en retrouve pas de signes lors de son examen, les douleurs alléguées à ce niveau étant plutôt dues selon lui à la proximité des épitrochlées.

[19]        Le docteur Kinnard suggère ensuite une résonance magnétique « pour examiner l’état dégénératif éventuel de l’insertion des muscles extenseurs et fléchisseurs au niveau des épicondyles et des épitrochlées » et se prononcer, selon ce qu’il écrit, sur la pertinence d’un traitement chirurgical. Il précise en outre ce qui suit en ce qui concerne l’assignation temporaire, n’autorisant que les tâches de chef d’équipe à la travailleuse et, avec restrictions, celles de couturière, reconnaissant dès lors implicitement le fait que les épicondyliens de la travailleuse sont mis à contribution dans le cadre de son travail régulier qu’il n’autorise pas :

Dans l’attente du protocole de résonances, madame peut continuer à faire ses activités de chef d’équipe et pourrait effectuer ses activités de couturière si elle évite les mouvements de dorsiflexion et de préhension répétés des poignets droit et gauche ainsi que de flexion palmaire forcée des poignets droit et gauche. Elle devra éviter les mouvements articulaires extrêmes des coudes en flexion/extension et en prosupination.

 

 

[20]        Une résonance magnétique est donc pratiquée le 27 avril 2010 et est interprétée comme suit par le radiologiste :

À DROITE :

 

Sur les séquences en pondération T2 avec saturation graisseuse, on note de l’hypersignal, témoignant d’œdème, au niveau d’une partie du tendon extenseur commun soit celui qui s’insère sur la face externe du condyle huméral externe. Il y a un léger épanchement intra-articulaire à l’étage huméroradial mais sans anomalie cartilagineuse ni nodularité synoviale. Discret foyer d’hypersignal en T2 au niveau du tendon fléchisseur commun soit celui qui s’insère sur la portion distale du condyle huméral interne. Il n’y a pas de discontinuité des fibres constituant ces tendons.

 

Les autres structures tendinoligamentaires du coude sont normales ainsi que les tissus osseux et musculaires. Pas d’anomalie osseuse.

 

CONCLUSION :

 

Epicondylite et épitrochléite non compliquée.

 

À GAUCHE :

 

Sur l’acquisition en pondération T2 avec saturation graisseuse, on apprécie de l’hypersignal, témoignant d’œdème, au niveau de la portion centrale du tendon fléchisseur commun et du tendon extenseur commun. L’œdème est beaucoup plus significatif en interne qu’en externe. Il n’y a pas de discontinuité anatomique des fibres tendineuses impliquées.

 

Aspect normal des autres structures tendinoligamentaires du coude, des tissus osseux et musculaires, des récessus synoviaux, des surfaces cartilagineuses.

 

CONCLUSION :

 

Épicondylite légère et épitrochléite plus importante, sans déchirure, au niveau du coude gauche.

 

 

[21]        Dans un rapport complémentaire du 7 juin 2010, le docteur Kinnard résume les résultats de la résonance magnétique, en conclut qu’il n’y a pas d’indication chirurgicale et suggère la poursuite des travaux légers, soit avec les restrictions mentionnées dans son précédent rapport.

[22]        Le 22 juillet 2010, le docteur Kinnard écrit ce qui suit à l’employeur, semblant maintenant, sans autre motivation, retenir le diagnostic de névrites cubitales comme s’il était avéré, ce qui permet selon lui de conclure à la présence d’un syndrome que l’employeur pourrait invoquer pour obtenir un partage de coûts auprès de la CSST :

À votre demande, je vous joins l’article d’autorité du « Current Concepts Review » du Journal of Bone and Joint Surgery de 1999 qui démontre bien en pages 259 et 260 que madame Gauthier remplit les conditions d’une problématique de syndrome mésenchymateux, à savoir des épicondylites et épitrochléites bilatérales associées à des névrites cubitales.

 

Par conséquent, comme un partage de coûts pour ce genre de problématique a déjà été accepté en jurisprudence, il y a lieu d’en demander un à raison de 10 % pour l’événement allégué au travail et 90 % pour la condition personnelle préexistante à imputer à l’ensemble des employeurs.

 

(Soulignements ajoutés)

 

 

[23]        La lésion est finalement déclarée consolidée le 21 septembre 2010 par le médecin de la travailleuse, avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles, toujours pour les mêmes diagnostics reconnus d’épicondylite et d’épitrochléite bilatérales. La travailleuse n’aurait toujours pas repris son travail régulier, si tant est qu’elle puisse jamais le faire.

[24]        L’employeur invoque donc que la travailleuse serait atteinte d’un syndrome mésenchymateux (ou mésenchymal), lequel serait essentiellement selon lui responsable du développement de son épicondylite et de son épitrochléite bilatérale, qu’il dit associées à des névrites cubitales, ainsi que de la longue période de consolidation et de la persistance de séquelles. Il produit en ce sens les opinions des docteurs Patrick Kinnard du 22 juillet 2010 (précitée) et Alain Quiniou (du 23 novembre 2010), chirurgiens orthopédistes, lesquels appuient leur hypothèse diagnostiqué, car c’en est une, sur l’opinion d’un chercheur exprimée notamment dans un article paru en 1999 dans une revue médicale[1].

[25]        Dans son rapport d’expertise médicale du 23 novembre 2010, le docteur Quiniou s’exprime plus particulièrement comme suit, le tribunal jugeant opportun d’en citer un large extrait afin d’ensuite commenter son argumentation, qui constitue à toutes fins utiles celle de l’employeur :

EN RÉPONSE À VOTRE QUESTION, à savoir s’il y a matière à partage de coûts dans ce dossier :

 

Considérant qu’il s’agit d’une patiente de 43 ans en bon état général;

 

Considérant que madame a déjà présenté un antécédent de douleur au coude droit identifiée comme une épicondylite au coude droit en 1998 qui, semble-t-il, est rentrée dans l’ordre sans conséquence;

 

Considérant qu’à la lecture de la description de ses activités de travail, ceux-ci ne comportent aucun facteur de risque pour des lésions attribuables à un travail répétitif, non plus que de facteur de risque sollicitant de façon indue dans un premier temps le tendon conjoint des extenseurs du coude droit et du coude gauche et, dans un deuxième temps le tendon conjoint des fléchisseurs du coude droit et du coude gauche;

 

Considérant qu’au moment de la déclaration d’événement du 6 août 2008, lors des activités de travail de madame, n’est survenu aucun événement subit, soudain, traumatique, hors de son contrôle ou encore imprévu;

 

Considérant qu’aucun mécanisme lésionnel susceptible de provoquer une lésion au niveau du coude droit et/ou du coude gauche n’est survenu;

 

Considérant qu’il s’agit d’une condition bilatérale chez une patiente droitière;

 

Considérant que lors de la rechute, récidive, aggravation du 8 juillet 2009, s’est ajouté le diagnostic d’épitrochléite bilatérale à celui d’épicondylite bilatérale;

 

Considérant que quelques mois plus tard, s’est ajouté le diagnostic d’un syndrome du canal cubital bilatéral;

 

Considérant que lors des événements allégués de la rechute, récidive, aggravation ou lors de ses activités de travail précédant cette rechute, récidive, aggravation, aucun mécanisme lésionnel susceptible de provoquer une lésion au niveau du coude droit ou du coude gauche ne peut être identifié, tout comme lors des événements allégués du 6 août 2008 et de ses activités de travail précédant le 6 août 2008;

 

Considérant que dans un premier temps, madame s’est vue offrir un traitement conservateur dont les résultats ont été satisfaisants faisant en sorte qu’elle puisse reprendre ses activités de travail au mois de mars 2009;

 

Considérant qu’après les événements allégués du mois de juillet 2009, le traitement conservateur a été sous-optimal et que madame a vu sa condition consolidée par le Dr Gosselin le 21 septembre 2010 avec APIPP et limitations fonctionnelles;

 

Considérant les résultats de l’investigation paraclinique avec une résonance magnétique qui est compatible avec la présence d’une épicondylite/épitrochléite bilatérale non compliquée;

 

Considérant que lors de cette évaluation, aucune condition médicale personnelle préexistance à l’apparition de son épicondylite et de son épitrochléite bilatérales ayant pu avoir une influence sur l’apparition de cette condition ou encore les délais de guérison de cette condition n’a pu être identifiée;

 

Considérant la nomemclature médicale telle que citée par le Dr Kinnard dans l’article du JBJS de 1999 s’intitulant : « Tendinosis of the Elbow » où l’on décrit :

 

§  que des phénomènes de tendinose sont plutôt associés à un processus dégénératif qu’inflammatoire que l’on qualifie d’hyperplasie angiofibroblastique;

§  que chez certains patients qui ont une épicondylite au coude, il pourrait y avoir une prédisposition génétique qui les rendrait plus susceptible de tendinose à des sites multiples et que cette condition est appelée « syndrome mésenchymateux »;

§  que les patients peuvent avoir un syndrome mésenchymateux s’ils ont deux ou plus des conditions suivantes :

ð    épicondylite bilatérale aux coudes;

ð    épicondylite médiale;

ð    syndrome du tunnel cubital;

ð    syndrome du canal carpien;

ð    ténosynovite de De Quervain;

ð    doigts en gâchette

ð    tendinose de la coiffe des rotateurs.

 

On se doit de conclure en réponse à votre question :

 

Force est de constater, à la lecture du dossier, qu’il n’y a pas de relation entre les conditions cliniques d’épicondylite bilatérale, d’épitrochléite bilatérale et de syndrome du canal cubital bilatéral chez madame Gauthier et ses activités de travail ou des événements allégués qui seraient survenus au mois d’août 2008 ou au mois de juillet 2009 bien que ces pathologies semblent avoir été reconnues et acceptées par la CSST et non contestées.

 

Force est de constater également que madame Gauthier est porteuse d’une condition médicale reconnue et documentée dans la littérature scientifique, soit sa condition de syndrome mésenchymateux où, de façon génétique, madame est prédisposée et plus susceptible à l’apparition de tendinose à de multiples sites anatomiques, comme c’est tout à fait le cas, et bien démontré dans la continuité évolutive et à la lecture du dossier chez madame Gauthier.

 

Bien que la résonance magnétique ne nous démontre pas d’image de condition hors norme biomédicale chez une patiente de 43 ans, on se doit de conclure que madame Gauthier est porteuse d’une condition personnelle préexistante à l’apparition de son épicondylite et de son épitrochléite bilatérale, condition médicale hors norme que l’on qualifie de syndrome mésenchymateux.

 

Il ne s’agit pas d’une condition que l’on est en droit de s’attendre à retrouver chez une cohorte de patientes de 43 ans normalement constituées. Cette condition médicale a fait en sorte de fragiliser l’enthèse au niveau du tendon conjoint des extenseurs et des fléchisseurs au coude droit et au coude gauche chez madame Gauthier, a fait en sorte également de fragiliser sa condition au niveau de ses tissus fibreux aux tunnels cubitaux droit et gauche, la rendant ainsi susceptible aux traumatismes et à l’apparition de tendinose et de syndrome compressif au niveau des deux coudes, contribuant ainsi de façon prépondérante à l’apparition de ses conditions cliniques d’épicondylite bilatérale, d’épitrochléite bilatérale et de syndrome du canal cubital bilatéral.

 

Bien entendu, cette condition de syndrome mésenchymateux fait également en sorte que madame Gauthier ne possède pas toutes les caractéristiques physiologiques nécessaires pour récupérer de façon optimale de ses conditions d’épicondylite bilatérale, d’épitrochléite bilatérale et de syndrome du canal cubital bilatéral, ayant une influence prépondérante, voire exclusive, sur la prolongation des délais de guérison chez madame Gauthier et les séquelles qui s’en suivent.

 

Il y a donc ici à notre avis effectivement matière à partage de coûts.

 

(Soulignements et caractères gras ajoutés)

 

 

[26]        Il apparaît également opportun de citer l’extrait plus particulièrement pertinent de l’article évoqué :

One of us (R.P.N.) postulated that some patients who have tennis elbow may have a genetic predisposition that makes them more susceptible to tendinosis at multiple sites41. He termed this condition mesenchymal syndrome on the basis of the stem-cell line of fibroblasts and the presence of a potentially systemic abnormality of cross-linkage in the collagen produced by the fibroblasts. Patients may have mesenchymal syndrome if they have two or more of the following conditions : bilateral lateral tennis elbow, medial tennis elbow, cubital tunnel syndrome, carpal tunnel syndrome, de Quervain tenosynovitis, trigger finger, or rotator-cuff tendinosis41,45.

 

(Références omises)

(Soulignements ajoutés)

 

 

[27]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit de n’être imputé que d’une fraction du coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 6 août 2008 (incluant la récidive, rechute ou aggravation qui a suivi) et, le cas échéant, déterminer cette fraction.

[28]        L’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi) établit le principe général selon lequel le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail est imputé à l’employeur :

326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[29]        L’article 329 prévoit quant à lui une exception au principe général d’imputation :

329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.

 

 

[30]        D’entrée de jeu, la Commission des lésions professionnelles constate au dossier que la demande de l’employeur en vertu de l’article 329 a été présentée à l’intérieur du délai imparti, soit avant l’expiration de la troisième année suivant l’année de la lésion professionnelle. La lésion professionnelle initiale est en effet survenue en 2008 alors que la demande a également été présentée en 2008.

[31]        La Commission des lésions professionnelles retient que pour qu’il y ait ouverture à l’application de l’article 329, et ainsi imputation de tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités, il faut qu’il soit démontré que le travailleur était déjà handicapé lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle.

[32]        Selon la jurisprudence maintenant bien établie de la Commission des lésions professionnelles[3], un travailleur déjà handicapé au sens de l’article 329 de la loi est celui qui, au moment de la survenance de sa lésion professionnelle, présente une déficience physique ou psychique qui entraîne des effets sur la production de cette lésion ou sur ses conséquences.

[33]        L’employeur qui entend obtenir l’application de l’article 329 de la loi et, par le fait même, que tout ou partie du coût des prestations soit imputé aux employeurs de toutes les unités, doit ainsi, selon cette jurisprudence unanime, établir par une preuve prépondérante :

            1°        Que le travailleur présentait, préalablement à la survenance de sa lésion professionnelle, une déficience physique ou psychique.

                        Cela implique la preuve d’une perte de substance ou d’altération d’une structure ou fonction psychologique, physiologique ou anatomique correspondant à une déviation par rapport à la norme biomédicale;

            2°        Que la déficience démontrée a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur ses conséquences.

                        Dans le cadre de l’appréciation de cette relation entre la déficience et la lésion professionnelle, la jurisprudence a développé certains critères ou paramètres qui, considérés dans leur ensemble, peuvent être de bons indicateurs :

                        •          La nature et la gravité du fait accidentel;

                        •          Le diagnostic initial;

                        •          L’évolution du diagnostic et de la condition du travailleur;

                        •          La conformité entre le plan de traitement prescrit et le diagnostic reconnu en relation avec le fait accidentel;

                        •          La durée de la période de consolidation;

                        •          La gravité des conséquences.

[34]        Dans le présent dossier, après considération de la preuve et de l’argumentation soumises, la Commission des lésions professionnelles en vient à la conclusion que l’employeur n’a pas démontré de façon prépondérante que la travailleuse présentait une déficience ayant entraîné des effets sur la lésion professionnelle.

[35]        La preuve n’est en fait pas prépondérante quant au fait que la travailleuse présentait une déficience.

[36]        Le tribunal souligne son malaise à la lecture des opinions des médecins experts de l’employeur, plus particulièrement celle du docteur Kinnard du 22 juillet 2010, mais surtout celle du docteur Quiniou, quant à elle clairement destinée à sa production devant le tribunal : des lacunes importantes en ressortent effectivement quant au rapport objectif, à l’examen et à l’analyse des faits pertinents, quant à l’impartialité de l’éclairage apporté au tribunal et quant à sa rigueur scientifique, le tout consistant plutôt essentiellement en une argumentation en faveur de la thèse favorable à son client. Ce constat incite le tribunal à la plus grande prudence et l’amène à accorder très peu de force probante à cette opinion. Quant à celle du docteur Kinnard, il s’agit d’une lettre adressée à l’employeur et dans laquelle il fait une affirmation laconique à laquelle le tribunal ne peut non plus accorder une grande force probante en l’instance.

[37]        Le tribunal rappelle ses attentes quant aux experts, lesquelles correspondent en fait à celles de l’ensemble des tribunaux et à leur jurisprudence en la matière, mais qui ont été regroupées et écrites noir sur blanc dans Les attentes relatives au rôle des experts du tribunal :

[…]

 

3.         RÔLE DE L’EXPERT

 

            Le rôle de l’expert est d’éclairer le tribunal et de l’aider à évaluer la preuve qui relève de l’expertise que le tribunal lui reconnaît.

 

[…]

 

5.         RECONNAISSANCE DU STATUT D’EXPERT

 

[…]

 

5.4        Le tribunal apprécie la qualité de la preuve d’expert (sa force probante) comme il le fait pour toute autre preuve qu’il doit considérer aux fins de la décision qu’il doit rendre.

 

6.         ATTENTES GÉNÉRALES À L’ÉGARD DE L’EXPERT

 

6.1       Le tribunal s’attend à ce que l’expert respecte les exigences suivantes :

 

            6.1.1     Compétence

            6.1.2     Objectivité et impartialité

            6.1.3     Respect des normes scientifiques, professionnelles ou techniques                                  actuelles les plus élevées possible

            6.1.4     Collaboration à l’objectif de célérité du tribunal par sa diligence à                                     communiquer son rapport et sa disponibilité à témoigner

            6.1.5     Connaissance du contexte juridique dans lequel s’inscrit l’opinion requise

 

6.2        Le tribunal s’attend à ce que l’expert respecte toutes autres exigences de l’ordre professionnel ou d’une association dont il est membre.

 

6.3        L’expert doit toujours se rappeler que son devoir premier est à l’égard du tribunal.

 

6.4        L’expert évite de se comporter en représentant de la partie qui l’engage, s’abstenant, entre autres, de commenter les règles de droit applicables au cas soumis.

 

6.5       L’expert doit être prêt à modifier les opinions qu’il a énoncées si les         circonstances le justifient.

 

6.6        Lorsque l’expert connaît l’existence de thèses scientifiques qui peuvent être différentes de celle qui a servi à son analyse, il en informe le tribunal s’il est appelé à témoigner pour soutenir le choix qu’il a fait.

 

6.7        L’expert s’exprime clairement et utilise un langage qui lui permet d’être compris facilement.

 

7.         ATTENTES PARTICULIÈRES À L’ÉGARD DE L’EXPERT

 

7.1        Le tribunal s’attend à ce que l’expert porte une attention particulière aux éléments suivants :

 

            7.2.1     L’identification des sujets soumis à son analyse;

            7.2.2     L’historique du dossier;

            7.2.3     La collecte de toutes les informations pertinentes;

            7.2.4     L’énoncé, sans lecture partisane, de toutes les informations qu’il a                                  recueillies;

            7.2.5     Des conclusions motivées par une analyse des informations recueillies;

            7.2.6     L’énoncé des références à la littérature consultée;

 

[…]

 

(Soulignements ajoutés)

 

 

[38]        Il va de soi qu’il eut été en quelque sorte plus facile pour le tribunal d’abonder dans le sens des opinions soumises par les deux experts de l’employeur, sans plus de motivation. Mais il est de la responsabilité du tribunal d’évaluer la preuve qui lui est soumise, et la preuve d’expert ne fait pas exception à ce principe, le tribunal devant évaluer le bien-fondé de l’opinion qui lui est soumise[4]. D’ailleurs, il est bien reconnu que le tribunal n’est pas lié par l’opinion d’un expert, fut-elle la seule[5].

[39]        Il est ainsi reconnu au sein de la jurisprudence que l’évaluation de la force probante de la preuve d’expert doit être faite, et ce, en fonction de la qualification de l’expert, de sa crédibilité, de son impartialité, de son attitude et de la qualité de son travail[6] et que, plus particulièrement, le manque d’impartialité ou d’objectivité peut affecter la valeur probante de l’opinion d’un expert et même entraîner son rejet[7], alors que la rigueur scientifique d’une expertise s’avère elle aussi un élément important de l’évaluation de sa force probante[8], le tribunal accordant notamment beaucoup d’importance à l’opinion d’un médecin expert qui est fondée sur un examen minutieux de la preuve[9].

[40]        En terminant sur ce point, il apparaît également opportun, considérant la preuve soumise dans le présent dossier, de citer la Cour suprême du Canada sur la question des nouvelles théories scientifiques et sur la nécessité pour l’expert d’en faire état et de préciser ce qui en est quant à sa reconnaissance au sein de la communauté médicale :

2.  Nouvelle théorie ou technique scientifique

 

33 L’arrêt Mohan a laissé la porte ouverte aux nouvelles théories ou techniques scientifiques, rejeté le critère de [traduction] «l’acceptation générale» formulé aux États-Unis dans Frye c. United States, 293 F. 1013 (D.C. Cir. 1923), et s’est engagé dans la même direction que le critère qui l’a remplacé, à savoir celui du [traduction] «fondement fiable» qui a été établi plus récemment par la Cour suprême des États-Unis dans l’arrêt Daubert c. Merrell Dow Pharmaceuticals Inc., 509 U.S. 579 (1993).  Bien que l’arrêt Daubert doive s’interpréter en fonction du texte particulier des Federal Rules of Evidence, qui diffère de celui de nos propres règles de procédure, la Cour suprême des États-Unis a énuméré un certain nombre de facteurs susceptibles d’être utiles pour évaluer la solidité d’une nouvelle théorie ou technique scientifique (aux pp. 593 et 594): 

 

(1)   la théorie ou la technique peut-elle être vérifiée et l’a-t-elle été? 

 

[traduction] La méthode scientifique actuelle est fondée sur la formulation d’hypothèses et leur vérification pour voir si elles sont fausses; en réalité, cette méthode est ce qui distingue la science des autres domaines de la connaissance. 

 

(2)   la théorie ou la technique a-t-elle fait l’objet d’un contrôle par des pairs et d’une publication?  

 

[traduction] [L]’assujettissement à l’examen de la communauté scientifique fait partie de l’«application rigoureuse de la démarche scientifique», en partie parce qu’il augmente les chances de déceler des failles importantes dans la méthode en cause. 

(3)   le taux connu ou potentiel d’erreur ou l’existence de normes, et 

 

(4)   la théorie ou la technique utilisée est-elle généralement acceptée? 

 

[traduction] L’«évaluation de la fiabilité n’exige pas, quoiqu’elle le permette, l’identification explicite d’une communauté scientifique pertinente ni la détermination d’un degré particulier d’acceptation au sein de cette communauté.»                        . . .

 

 L’acceptation générale peut être un facteur important pour décider qu’un élément de preuve particulier est admissible, et «une technique connue qui n’a obtenu qu’un appui minimal au sein de la communauté,» [. . .] peut à juste titre être envisagée avec scepticisme.[10]

 

(Soulignements ajoutés)

 

 

[41]        En l’occurrence, le docteur Quiniou remet essentiellement en question le caractère professionnel des lésions diagnostiquées chez la travailleuse, insistant sur le fait que son travail ne comportait aucun risque de développer de telles pathologies et qu’il n’est pas survenu d’accident du travail. Or, le caractère professionnel de ces pathologies a été reconnu, plus précisément à titre de maladies professionnelles, et n’a pas été contesté en temps opportun par l’employeur; cette conclusion est devenue finale et liante pour les parties comme pour le tribunal et elle est fondée sur la présence, dans le travail de la travailleuse, de risques particuliers de développer de telles pathologies. Tel que mentionné précédemment, même le docteur Kinnard reconnaissait implicitement la présence, à tout le moins, de sollicitations dans le travail régulier de la travailleuse puisqu’il recommandait des restrictions dans le cadre de l’assignation temporaire.

[42]        En outre, avant de conclure dans le sens précité, le docteur Quiniou, qui n’a par ailleurs jamais rencontré la travailleuse, se garde bien de décrire et d’analyser les tâches de la travailleuse et les mouvements, postures et efforts qu’elles impliquent, se limitant à affirmer, sans démonstration ou motivation, que son travail ne comporte pas de facteurs de risque ou de mécanismes lésionnels susceptibles d’engendrer les lésions diagnostiquées. Il n’évoque en outre que la fonction de chef d’équipe, minimisant ainsi les tâches physiques de la travailleuse pourtant démontrées au dossier. En fait, l’assignation temporaire de la travailleuse consistait d’ailleurs à se limiter à ces tâches de chef d’équipe, tâches de nature administrative. Le tribunal ne peut accorder de force probante à une telle affirmation si peu motivée.

[43]        Ensuite, le docteur Quiniou évoque comme argument le fait que les pathologies seraient bilatérales, alors que la travailleuse est droitière. Il va de soi que si une personne présente une pathologie bilatérale alors que son travail ne sollicite pas l’un de ses membres, il sera permis de soupçonner que l’ensemble de la pathologie bilatérale est plutôt d’origine personnelle. Or, le docteur Quiniou ne peut que savoir que cet argument ne trouve évidemment pas application dans les cas où le travail, tel que rapporté en l’occurrence, sollicite les deux membres et peut donc être à l’origine d’une pathologie bilatérale.

[44]        Le docteur Quiniou, comme le docteur Kinnard le 22 juillet 2010, évoque le diagnostic de syndrome du canal cubital bilatéral pour appuyer leur hypothèse selon laquelle la travailleuse présente des pathologies multiples ne pouvant découler du travail et témoignant plutôt de la présence d’un syndrome personnel, et pour rencontrer les critères de l’auteur qui évoque l’existence du syndrome mésenchymateux.

[45]        Or, il ne s’agit pas d’un diagnostic qui a été retenu au dossier : il a été évoqué une fois seulement dans un rapport médical, soit le 6 janvier 2010, mais jamais repris par la suite, et les symptômes présentés par la travailleuse, qui pouvaient laisser suspecter une atteinte du nerf cubital, étaient à d’autres moments plutôt associés à une ou à des hernies discales cervicales. En outre, lors de la résonance magnétique des coudes pratiquée le 27 avril 2010, le radiologiste ne rapporte aucune pathologie de la gouttière cubitale. Finalement, le docteur Kinnard lui-même ne le retenait pas comme diagnostic lorsqu’il a évalué la travailleuse et produit son rapport d’expertise le 30 janvier 2010.

[46]        Or, les docteurs Kinnard et Quiniou soumettent maintenant ce diagnostic de syndrome du canal cubital au tribunal comme s’il était établi et sans, minimalement, souligner au tribunal le doute, pour le moins, qui subsiste quant à la présence de cette pathologie chez la travailleuse. Pour le tribunal, cela témoigne encore une fois d’un manque de transparence, d’objectivité et d’impartialité.

[47]         Considérant plus particulièrement le fait qu’aucun médecin (si ce n’est une fois, ce médecin ne le reprenant plus par la suite), ne retient le diagnostic de névrite cubitale, considérant que le docteur Kinnard ne le retenait pas non plus à la suite de son examen de la travailleuse, considérant que d’autres conditions peuvent expliquer les symptômes de la travailleuse à ce niveau, et considérant que la résonance magnétique n’en a pas révélé de trace, le tribunal conclut que ce diagnostic n’a pas été établi de façon prépondérante et ne peut donc être considéré.

[48]        Le tribunal note ensuite que le docteur Quiniou fait référence à l’article de littérature médicale produit par le docteur Kinnard. Son résumé de cet article laisse bien voir le caractère quelque peu hypothétique de la théorie avancée, d’ailleurs par un seul des deux auteurs, et la possibilité, et non la probabilité, qu’une personne présente le syndrome évoqué lorsqu’elle présente au moins deux des pathologies évoquées : « chez certains patients », « il pourrait y avoir prédisposition génétique » « qui les rendrait plus susceptibles » et « patients peuvent avoir un syndrome mésenchymateux s’ils ont deux ou plus des conditions suivantes ».

[49]        En outre, ni le docteur Kinnard ni le docteur Quiniou n’affirment et encore moins ne démontrent que cette hypothèse représente maintenant un certain consensus au sein de la communauté médicale.

[50]        Or, de façon étonnante et en dépit des réserves importantes exprimées dans cet article, sur lequel le docteur Quiniou fonde son opinion, il affirme ensuite de façon catégorique que « Force est de constater » que la travailleuse est porteuse de ce syndrome puisqu’elle présenterait des tendinoses à de multiples sites anatomiques, ce qui ressortirait selon lui clairement de son dossier médical.

[51]        Le tribunal ne peut tenir cette affirmation pour avérée, selon la balance des probabilités, pour les motifs qui précèdent, mais également ceux qui suivent.

[52]        Ainsi, il est exagéré de dire que la travailleuse présente des tendinoses multiples et que rien n’explique. Encore une fois, l’épicondylite et l’épitrochléite diagnostiquées en l’instance doivent être considérées des lésions professionnelles, quoiqu’en pense le docteur Quiniou. Ensuite, pour les motifs précités, le syndrome du canal cubital ne peut être retenu comme probant au dossier. Ne demeure donc que les deux lésions aux coudes considérées originer de sollicitations excessives au travail. Peut-on vraiment dans ce contexte parler de tendinoses à de multiples sites anatomiques? Le tribunal en doute fortement.

[53]        Finalement, même en présence de telles tendinoses à de multiples sites anatomiques, l’auteur qui avance la théorie du syndrome mésenchymateux le fait avec de multiples précautions et réserves, n’évoquant que la possibilité de ce syndrome, chez certains patients seulement. Tous ces éléments auraient minimalement mérité d’être mentionnés et discutés par les experts de l’employeur avant de conclure péremptoirement comme ils l’ont fait.

[54]        De surcroît, le tribunal comprend mal comment la travailleuse a pu, dix ans auparavant, si ce syndrome existe, qu’elle en est atteinte et qu’il entraîne les effets présumés (dont une guérison tardive et incomplète), présenter une épicondylite dont elle a parfaitement guéri, sans séquelles. Encore une fois, cela n’est pas ne serait-ce qu’évoqué par les experts de l’employeur.

[55]        Ne sont d’ailleurs non plus jamais évoqués et encore moins discutés le petit gabarit de la travailleuse, particulièrement eu égard aux tâches qu’elle devait accomplir, et le fait que la travailleuse ait présenté son épitrochléite bilatérale dans un contexte de retour au travail avec une épicondylite bilatérale non consolidée, alors qu’elle mentionnait qu’elle tenterait de modifier sa façon de travailler en conséquence.

[56]        Ainsi, même si le tribunal jugeait que le syndrome mésenchymateux constitue plus qu’une hypothèse avancée par un auteur et qu’il peut constituer une déficience, force lui serait de conclure que sa présence chez la travailleuse n’a pas été démontrée de façon probante en l’instance.

[57]        Le docteur Kinnard, s’avançant sur le terrain juridique, évoque dans son opinion du 22 juillet 2010 qu’un tel syndrome « a déjà été accepté en jurisprudence » (sic). Le procureur de l’employeur ne soumet quant à lui aucune décision au tribunal au soutien de son argumentation.

[58]        Une revue exhaustive de la jurisprudence concernant ce syndrome appelé « mésenchymateux » ou « mésenchymal », impliquant incidemment toujours les trois mêmes médecins experts (sauf pour un cas) permet en fait de constater qu’il a bien été reconnu constituer une déficience, mais dans une faible minorité de cas, dans lesquels la preuve avait été jugée probante en ce sens[11], le tout dans un contexte bien démontré de pathologies multiples, difficilement explicables autrement que par une prédisposition en ce sens et déviant ainsi clairement de la norme biomédicale.

[59]        Dans l’affaire Les Industries Rouillard inc.[12], la travailleuse avait ainsi présenté au fil des ans plusieurs des pathologies associées à un tel syndrome, à différents endroits du corps, le tribunal évoquant même une « accumulation de telles pathologies », le médecin expert avait témoigné à l’audience, et le tribunal avait finalement conclu que l’employeur avait soumis une preuve prépondérante de la présence d’une déficience, du fait de l’opinion du médecin expert dont le tribunal précisait qu’elle était « suffisamment étayée pour permettre de répondre de façon rationnelle et détaillée à cette première condition » (soit la présence d’une déficience).

[60]        Dans l’affaire Finition Chez Soi inc.[13], la travailleuse, âgée seulement de 28 ans, avait présenté un nombre impressionnant de pathologies diverses (plus d’une douzaine de diagnostics étant rapportés), dont certaines s’étaient manifestées avant le travail ou après l’arrêt de travail et n’étaient d’ailleurs pas reconnues constituer des lésions professionnelles, un médecin expert avait témoigné à l’audience, expliqué et motivé longuement ses conclusions et déposé une littérature médicale importante au soutien de celles-ci. Il s’agissait donc encore une fois d’une preuve fort différente de celle en l’espèce.

[61]        Finalement, dans l’affaire Entreprises D.F.[14], une résonance magnétique avait révélé la présence de signes de tendinose avec un foyer de déchirure partielle intratendineuse, il avait précédemment été reconnu que le travail du travailleur n’était responsable que d’avoir rendu symptomatique une condition dégénérative déjà présente, plusieurs diagnostics avaient été posés, outre l’épicondylite en cause, soit une névrite cubitale, un syndrome du canal carpien bilatéral et une neuropathie, le travailleur avait présenté une autre épicondylite, refusée à titre de lésion professionnelle, après la consolidation de la lésion professionnelle reconnue et un médecin expert avait encore une fois témoigné pour expliquer et motiver son opinion.

[62]        Le tribunal souligne incidemment une autre décision reconnaissant en quelque sorte un syndrome mésenchymal à titre de déficience[15], mais sans trop de discussion, du fait que dans une précédente décision d’admissibilité rendue par le tribunal, entérinant un accord en ce sens, le diagnostic retenu pour la lésion professionnelle était celui d’ « aggravation d’une condition personnelle de syndrome mésenchymal […] », la CSST ayant en outre par la suite dans ce contexte reconnu la présence d’une déficience, l’employeur ne contestant plus que le pourcentage de partage de coût alors accordé.

[63]        Dans la majorité des décisions recensées en la matière, le tribunal a refusé de reconnaître ce syndrome à titre de handicap au sens de l’article 329 de la loi[16], soit du fait de son caractère hypothétique, soit du fait que sa présence n’avait pas été démontrée dans le cas soumis, souvent pour les deux motifs.

[64]        Ainsi, dans l’affaire Commission scolaire des Samares[17], le tribunal rejetait la demande de partage de coût en indiquant plus particulièrement ce qui suit :

[27]      La Commission des lésions professionnelles constate, tel que précisé dans le texte, qu’il s’agit d’un postulat, d’une hypothèse émise par l’un des auteurs de l’article médical.  Cette notion de syndrome mésenchymateux n’est pas une entité nosologique établie et généralement reconnue dans le monde médical.

 

[28]      De plus, une telle prédisposition génétique ne pourrait être considérée comme étant une déficience selon le sens développé par la jurisprudence, soit une perte de substance, une altération d’une structure ou d’une fonction correspondant à une déviation par rapport à une norme biomédicale.

 

[29]      Finalement, la preuve médicale au dossier ne permet pas de confirmer le fait que la travailleuse présente des lésions de type tendinite à plusieurs sites.  Bien qu’au mois de février 1997 le médecin traitant ait noté le diagnostic de tunnel carpien, ce diagnostic n’a pas été repris par la suite, aucune investigation n’a été effectuée et aucun traitement n’a été prodigué en regard d’un tel diagnostic.

 

[30]      De plus, dans son expertise médicale du 10 octobre 1997, le docteur Dehnade notait qu’il était en présence d’une patiente de 51 ans qui présentait un problème d’épicondylite au coude droit et émettait l’avis que les mouvements répétitifs effectués dans le cadre du travail, surtout chez une personne qui travaille depuis 21 ans, est susceptible d’entraîner une symptomatologie reliée à une épitrochléite du coude.

 

(Soulignements ajoutés)

 

 

[65]        Dans les affaires Meubles Laurier ltée et CSST[18] et Bermex International inc.[19], le tribunal ne retient pas le syndrome mésenchymateux parce qu’il considère qu’il n’est pas démontré de façon probante que la travailleuse en est atteinte dans le cas d’espèce qui lui est soumis. Ces cas s’apparentent beaucoup plus au présent cas que ceux, précités, dans lesquels ce syndrome a été retenu.

[66]        Dans l’affaire Bermex International inc. plus particulièrement, le tribunal note que, comme dans le présent dossier, seul le médecin expert de l’employeur évoquait ce diagnostic de syndrome mésenchymateux, aucun autre médecin au dossier ne l’ayant jamais posé, le médecin-expert n’avait pas examiné la travailleuse (comme le docteur Quiniou, le docteur Kinnard n’ayant quant à lui mentionné ce diagnostic que bien après son examen et son rapport d’expertise en découlant, de façon par ailleurs très laconique), et la majorité des lésions alléguées avaient été reconnues constituer des lésions professionnelles, les autres n’ayant finalement pas été retenues par les médecins au dossier.

[67]        Dans l’affaire Les Ferrailleurs du Québec inc.[20], comme dans l’affaire Commission scolaire des Samares précitée, le tribunal rejette carrément le fait que le syndrome mésenchymateux puisse être retenu et constituer une déficience au sens de l’article 329 de la loi :

[74]      En l’espèce, la preuve présentée par l’employeur repose sur des hypothèses et des connaissances médicales qui restent encore à valider. Dans les circonstances, le tribunal ne croit pas qu’il faille conclure à la présence d’une déficience préexistante du seul fait que certaines personnes pourraient présenter une susceptibilité à développer une épicondylite ou une épitrochléite.

 

[75]      Cette seule susceptibilité à développer une pathologie, sans appui d’éléments objectifs précis et concordants partagés par l’ensemble de la communauté médicale, ne peut correspondre à une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique, une condition requise par la jurisprudence pour conclure à la présence d’une déficience préexistante chez un travailleur.

 

(Soulignements ajoutés)

 

 

[68]        Dans l’affaire Les Meubles Victorama inc.[21], le tribunal rejette, en dépit du témoignage d’un médecin expert à l’audience, à la fois l’idée du syndrome mésenchymal à titre de déficience et le fait que les éléments associés à sa présence aient été démontrés dans le cas d’espèce dont il est saisi, le tout encore une fois dans des circonstances s’apparentant au présent cas :

[32]      La thèse qu’il défend est certes intéressante. Cependant, en matière de partage de coûts dans le cas d’un travailleur déjà handicapé, l’employeur a le fardeau de démontrer au moyen d’une preuve prépondérante l’existence d’une déficience chez le travailleur avant la survenance de la lésion professionnelle.

 

[33]      Or, en l’espèce, le syndrome mésenchymal invoqué par le docteur Bois n’est aucunement documenté par la preuve médicale au dossier. Le docteur Bois le dit lui même, l’état actuel de la médecine ne permet pas d’identifier le gène qui serait à l’origine des anomalies dans la réparation des tissus tendineux.

 

[34]      En somme, le syndrome mésenchymal invoqué par le docteur Bois ne repose que sur une hypothèse avancée dans la littérature médicale. Même si l’on est en matière de financement, la plus grande prudence s’impose avant de conclure qu’un travailleur est porteur d’une anomalie génétique qui n’est nullement démontrée.

 

[35]      D’autre part, la preuve dont dispose le tribunal ne lui permet pas de présumer que le travailleur est porteur d’un syndrome mésenchymal. Les présomptions de fait sont laissées à l’appréciation de celui qui décide et il ne faut prendre en considération que les faits graves, précis et concordants pour établir la probabilité du fait à prouver8. Or, une hypothèse de recherche ne saurait constituer des faits graves, précis et concordants.

 

[36]      De plus, le fait que le travailleur soit ou ait été porteur de plusieurs autres maladies intéressant les membres supérieurs peut s’expliquer par d’autres causes que l’hypothèse d’un syndrome mésenchymal. Ainsi, les épicondylites bilatérales sont le résultat de lésions professionnelles reconnues comme telles, donc, en lien avec le travail exercé. De même, selon une expertise médicale faite le 19 février 2007 par le docteur Michel Blanchet, orthopédiste à la demande de l'employeur, le travailleur s’est infligé en septembre et octobre 2002, de même qu’en avril 2003 une élongation musculaire à l’avant-bras droit et une épicondylite droite survenues au travail et reconnues par la CSST. Enfin, le canal carpien bilatéral survenu le 16 janvier 1995 a lui aussi été reconnu comme une maladie professionnelle selon la décision rendue le 24 septembre 1997. De plus, ces diagnostics n’ont pas été établis comme résultant de l’aggravation d’un condition personnelle de sorte que l’on ne peut prétendre que le travailleur présentait une condition personnelle.

 

(Soulignements ajoutés)

(Référence omise)

 

 

[69]        Le tribunal rejette également la thèse du syndrome mésenchymateux dans l’affaire Min. Emploi et Solidarité Sociale[22] :

[33]      Malgré l’opinion du docteur Kinnard, le tribunal est d’avis qu’il ne dispose pas d’une preuve prépondérante à l’effet que la condition de la travailleuse est déviante par rapport à celle des personnes de son âge. À cet égard, il convient de rappeler que, comme le mentionne le tribunal dans l’affaire Les Coffrages C.C.C. ltée4, le handicap ne se présume pas et il doit être démontré par une preuve médicale objective et rigoureuse.

 

[…]

 

[37]      Or, le tribunal dispose d’une preuve prépondérante que la travailleuse a subi un traumatisme qui n’est pas banal, contrairement à ce qu’allègue l’employeur, et qui paraît être la cause la plus probable de la tendinite de De Quervain du pouce droit traumatique diagnostiquée de façon contemporaine par les médecins consultés par la travailleuse.

 

[38]      À cet égard, il convient de rappeler que la décision de la CSST, selon laquelle le diagnostic de ténosynovite de De Quervain est relié à l’accident du travail du 4 novembre 2008, n’a pas été contestée. Or, il n’est pas possible de remettre indirectement en question la reconnaissance d’un diagnostic à l’occasion d’une demande de partage de coûts5.

 

[39]      Par ailleurs, le tribunal constate que jamais un diagnostic de syndrome mésenchymateux n’a été posé avant le 28 décembre 2010, soit dans l’étude de dossier du docteur Kinnard. Il invoque, dans son expertise du 21 juin 2009, le fait que la travailleuse a une prédisposition « à avoir des problèmes de tendinite des membres supérieurs et notamment au niveau du majeur droit et des canaux carpiens » ce qui l’amène à affirmer qu’elle a donc une certaine fragilité à ce niveau qui la prédispose au développement d’une tendinite.

 

[40]      En l’espèce, la tendinite de De Quervain dont a souffert la travailleuse résulte de son accident du travail, et en conséquence, il ne peut être question d’une prédisposition à développer ce type de pathologie.

 

[41]      De plus, le tribunal est d’avis que les informations au dossier quant aux autres pathologies musculo-squelettiques qu’a présentées la travailleuse dans le passé sont trop sommaires et incomplètes pour permettre de conclure, comme le fait le docteur Kinnard, que la travailleuse présente un syndrome mésenchymateux. En effet, les pathologies qu’elle a présentées peuvent résulter de multiples étiologies et elles ne sont pas nécessairement idiopathiques. C’est ce qui fait que le tribunal ne peut présumer, comme semble le faire le docteur Kinnard que la travailleuse présente un syndrome mésenchymateux en raison d’antécédents dont l’histoire n’est aucunement documentée.

 

[42]      En outre, à la lecture de l’article sur lequel s’appuie le docteur Kinnard6 qui concerne les « Clinical features and Findings of Histological, Immunohistochemical, and Electron Microscopy Studies », le tribunal note que l’on y rapporte qu’un seul des auteurs a proposé l’hypothèse suivante :

 

One of us (R.P.N.) postulated tha some patients who have tennis elbow may have a genetic predisposition that makes them more susceptible to tendinosis at multiple sites. He termed this condition mesenchymal syndrome on the basis of the stem-cell line of fibroblasts and the presence of a potentially systemic abnormality of cross-linkage in the collagen produced by the fibroblascs. Patients may have mesenchymal syndrome If they have two or more of the following conditions bilateral lateral tennis elbow, medial tennis elbow, cubital tunnel syndrome, carpal tunnel syndrome, de Quervain tenosynovitis, trigger finger or rotator-cuff tendinosis.

 

[43]      Une revue de cet article ne révèle pas que cette hypothèse a été prouvée. De plus, le tribunal ne dispose pas de littérature plus contemporaine démontrant que cette hypothèse a été acceptée par le monde médical.

 

[44]      Dans ce contexte, le tribunal considère qu’il ne dispose pas d’une preuve suffisante pour conclure que la travailleuse présentait, au moment de sa lésion professionnelle, une déviation par rapport à la norme biomédicale.

 

(Soulignements ajoutés)

(Références omises)

 

 

[70]        En conclusion, sans fermer complètement la porte à la reconnaissance d’une prédisposition d’un travailleur à développer certaines pathologies particulières, le tribunal invite à beaucoup de rigueur et à la plus grande prudence.

[71]        En ce qui concerne précisément le syndrome mésenchymateux, le tribunal réitère d’abord le fait que sa présence chez un travailleur ne peut médicalement être démontrée, ne pouvant qu’être présumée. Ce qui, comme pour l’application de toute présomption, nécessite la preuve de faits graves, précis et concordants en ce sens. Il en allait vraisemblablement ainsi dans les cas où le tribunal a reconnu la présence de ce syndrome ou, de façon plus générale, d’une claire prédisposition d’un travailleur à développer des lésions musculosquelettiques : la prédisposition, indépendamment du nom qu’on lui accole, pouvait être clairement présumée du fait de la présence de multiples lésions musculosquelettiques difficilement explicables autrement.

[72]        Ensuite, le tribunal ne peut que constater que le critère « diagnostique », ou, plus justement, de suspicion de ce syndrome, soit la présence de deux lésions musculosquelettiques ou plus, paraît de prime abord extrêmement large, alors qu’aucune étude n’est par ailleurs en preuve quant à la prévalence d’une telle situation dans la population en général ainsi qu’en fonction des différentes tranches d’âge. Or, cette information s’avère essentielle pour conclure qu’il s’agit d’une condition hors-norme médicalement. D’où, vraisemblablement, encore une fois, le fait que de multiples lésions aient toujours été présentes dans les cas où le tribunal a reconnu la présence de ce syndrome ou d’une prédisposition toute particulière du travailleur.

[73]        De façon plus générale, mais toujours dans la même optique, la soussignée, dans l’affaire Société d’exploitation des ressources des Monts[23], reconnaissait une prédisposition du travailleur à des réactions allergiques à titre de déficience, établissant alors un parallèle avec l’atopie, reconnue à plusieurs reprises à titre de lésion professionnelle, mais dans le contexte où il était clairement établi que le travailleur présentait des réactions allergiques au contact de multiples allergènes banals et n’affectant pas la majorité des gens. La prédisposition s’avérait ainsi démontrée et pouvait être assimilée à une altération de fonction déviant de la norme biomédicale, soit une déficience.

[74]        Par contre, dans l’affaire Deniso Lebel inc.[24], la soussignée refusait de reconnaître à titre de déficience une condition personnelle seulement présumée de bagage héréditaire, écrivant alors plus particulièrement ce qui suit et qui correspond toujours, de l’avis du tribunal en l’instance, à l’approche devant être préconisée dans ce genre de cas :

[24]      Or, une simple condition personnelle ne constitue pas nécessairement une déficience. De plus, le bagage génétique ou héréditaire personnel qui correspondrait à une déficience n’a pas fait l’objet d’une preuve prépondérante. Ce bagage est présumé par l’employeur, du fait que le travailleur a présenté une pathologie dont peu de gens en général et peu de travailleurs exposés aux mêmes produits sont atteints et que le travailleur présente une allergie à un autre produit que ceux auxquels il aurait été, selon l’employeur, exposé dans son travail. Cela n’est cependant pas suffisant.

 

[…]

 

[28]      De plus, le tribunal tient à signaler que la doctrine médicale déposée par l’employeur consiste en des documents dont la source exacte est inconnue, lorsqu’elle n’est pas patronale, et dont il n’est pas établi qu’ils représentent un certain consensus médical. Il convient donc de les apprécier avec circonspection.

 

[29]      En outre, chaque individu a un bagage génétique qui lui est propre et il serait pour le moins hasardeux, voire dangereux, de conclure que le bagage génétique d’une personne est déficient, simplement parce qu’il a développé telle ou telle pathologie. Une prédisposition génétique, serait-elle prouvée, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, ne constitue qu’un vague, hypothétique potentiel qui ne s’actualisera peut-être jamais. Elle ne peut, de ce fait, être assimilée à une déficience.  Un facteur de risque ne constitue pas une déficience en soi.

 

[30]      L’employeur demande à toutes fins utiles au tribunal de déclarer que toute personne qui développe une allergie a nécessairement un bagage génétique déficient. Commencerons-nous également à déclarer que toute personne qui développe un cancer ou une quelconque infection a nécessairement un bagage génétique déficient, pour ne nommer que ces pathologies? C’est une chose de déclarer que l’atopie constitue chez une personne une déficience, c’en est une toute autre de déclarer que tout développement d’une allergie implique une déficience chez la personne. Dans le cas de l’atopie, il y a un risque élevé et même une expression clinique du potentiel, donc une certaine actualisation de ce dernier, et la preuve peut en être faite. S’il faut tracer une ligne quelque part, elle est là.

 

[31]      En fait, la question que soulève la demande de l’employeur est presque tout autant philosophique et éthique que juridique : commencerons-nous à considérer déficients, voire handicapés, tous les gens dont le patrimoine génétique pourrait prédisposer, présenter plus de risques de les voir développer telle ou telle pathologie qu’ils ne développeront par ailleurs peut-être jamais?

 

[32]      Il est par ailleurs rare que l’origine d’une pathologie ne soit pas multi-factorielle et que la condition intrinsèque du travailleur n’ait absolument rien à voir avec le développement de la pathologie : cela ne fait pas de tous ces travailleurs des handicapés pour autant.

 

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de l’employeur, CSSS de Port-Cartier;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 22 février 2010 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que l’employeur n’a pas droit à un partage du coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie par la travailleuse, madame Claudine Gauthier, le 6 août 2008 en vertu de l’article 329 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

 

 

Louise Desbois

 

 

Me Alain Galarneau, avocat

POULIOT, CARON & ASSOCIÉS

Représentant de la partie requérante

 

 



[1]           B. S. KRAUSHAAR et R. P. NIRSCHL, « Tendinosis of the Elbow ( Tennis Elbow ) : Clinical Features and Findings of Histological, Immunohistochemical, and Electron Microscopy Studies », (1999) 81-A Journal of Bone and Joint Surgery, American Volume pp. 259-278.

[2]           L.R.Q., c. A-3.001

[3]           Voir notamment : Municipalité Petite-Rivière St-François et C.S.S.T. [1999] C.L.P. 779 ; Commission scolaire de Montréal et Desbiens, C.L.P. 117981-73-9906, 10 janvier 2000, Y. Ostiguy; Service maritime Coulombe, C.L.P., 115974-03B-9905, 3 avril 2000, M.-A. Jobidon; Les Rôtisseries St-Hubert ltée, C.L.P. 136285-64-0004, 3 novembre 2000, M. Montplaisir; Bas de nylon Doris ltée, C.L.P. 126058-72-9911, 22 novembre 2000, M. Lamarre; Mines Wabush et Medeiros, C.L.P. 122433-09-9908, 19 décembre 2000, Y. Vigneault; Centre hospitalier et soins de longue durée centre-ville de Montréal, C.L.P. 141733-71-0006, 1er février 2001, C. Racine; Ville de Montréal, C.L.P. 143022-61-0007, 15 mars 2001, G. Morin; S.I.Q. et Messias-Mendes, C.L.P. 138308-07-0005, 26 avril 2001, A. Suicco; C.L.S.C. La Petite Patrie, C.L.P. 140988-72-0006, 8 mai 2001, N. Lacroix; La brasserie Labatt ltée, C.L.P. 136939-31-0004, 6 juin 2001, J. L. Rivard; Centre hospitalier régional du Suroît, C.L.P. 155817-62C-0102, 11 juillet 2001, J. Landry.

[4]           Voir notamment : Lapointe c. Hôpital Le Gardeur, [1992] 1 R.C.S. 351 , p. 358; R. c. Ratti, [1991] 1 R.C.S. 68 ; Shawinigan Engineering Co. c. Naud, [1929] R.C.S. 341 , p. 343; Camp Watchichou inc. c. Québec (Procureur général), REJB 1999-12764 (C.A.), p. 6; SKW Canada inc. c. Compagnie d'assurance Continental du Canada inc., REJB 97-00786 (C.S.); Lamontagne et D.R.H.C. Direction Travail, [2003] C.L.P. 202 , par. 29-30.

[5]           Voir notamment : Roberge c. Bolduc, [1991] 1 R.C.S. 374 , p. 430; Rondeau c. Commission des affaires sociales, C.S. Montréal 500-05-006863-933, 29 septembre 1993, j. Croteau; appel rejeté, J.E. 96-483 (C.A.); Donolo Inc. c. St-Michel Realties Inc., [1971] C.A. 536 , p. 538; Paré c. Tribunal administratif du Québec, J.E. 2004-374 , par. 41 (C.S.); Pelletier c. Commission des lésions professionnelles, [2002] C.L.P. 207 , par. 41 (C.S.); Chambly Toyota inc. c. Ville de Carignan, J.E. 97-1876 (C.S.); Berrafato c. Commission des affaires sociales, C.S. Montréal 500-05-017305-911, 4 mars 1992, J. Reeves; Lamontagne et D.R.H.C. Direction Travail, précitée, note 4; A.F.G. Industries Ltée (Glaverbec) et Bhérer, [2002] C.L.P. 777 , par. 37).

[6]           Manufacture Lingerie Château inc. c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 959 (C.S.), par. 39; Brasserie Labatt ltée (Les) et Trépanier, [2003] C.L.P. 1485 ; Bétonnière D'Arvida inc. et Savard, 215072-02-0308, 9 février 2004, J.-F. Clément, par. 77; Lévesque et Nortel Networks, 168037-71-0108, 8 mars 2004, J.-P. Arsenault; Le Syndicat canadien de l'énergie et du papier (S.C.E.P.), section locale 22 et Abitibi-Consolidated inc., T.A. 2002-2836, 7 novembre 2003, C.H. Foisy; Dentistes (Ordre professionnel des) c. Lyons, D.D.E. 2004D-47 (T.P.), par. 23; Carole ROBIDOUX et Isabelle ST-JEAN, La Preuve d'expert dans un contexte quasi judiciaire : la recevabilité et l'évaluation de la force probante, Document thématique réalisé par la DRFM, 24 avril 2003, section 2.2.

[7]           Voir notamment : Paterson and Sons c. Mannix Ltd., [1966] R.C.S. 180 ; Poulin c. R., [1975] C.A. 180; Donolo Inc. c. St-Michel Realties Inc., précitée, note 5; Salomon c. T.A.Q., C.S. Montréal 500-17-015756-037, 8 avril 2004, J. W. Fraiberg; Saia c. Les Entreprises de construction du Versant inc., B.E. 2003BE-766 (C.S.); M. (D.) c. B. (D.), REJB 1999-11836 (C.S.), pp. 9-10; Érablière R.V.D. inc. c. Québec (Ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation), J.E. 98-2272 (C.S.); Bureau c. Nidal Hamil Sakkal, [1994] R.R.A. 893 , pp. 900-901; Anglo Group PLC and Winther Brown & Co Limited, 1997 TCC 413 (H.C.J. - Q.B.D.); Lévesque et Nortel Networks, précitée, note 6; CTBR Bio-Recherches inc. et Richer, 221526-62-0311, 10 mai 2004, N. Tremblay; C.L.P.E. 2004LP-20 (par. 18-19-20).

[8]           Voir notamment : Carl M. Halvorson inc. c. Robert McLellan & Co., [1973] R.C.S. 65 ; Perron c. C.L.P., [1999] C.L.P. 311 (C.S.), appel rejeté [2002] C.L.P. 345 (C.A.); Tourbières Premier ltée c. Société coopérative agricole de Rivière-du-Loup, C.A. Québec, 200-09-002161-989, 01-04-05, J. J. Nuss, Forget, Rochon ( REJB 2001-23507 ); Gauthier c. Gauthier, J.E. 2003-1519 (C.S.); Latouche c. Promutuel Bellechasse, C.S. Québec 200-05-013194-001, 2003-07-18, J. N. Gosselin; Caisse populaire Desjardins de Drummondville c. Lévesque, B.E. 2001BE-344 (C.S.); Couture c. General Accident, C.S. Longueuil, 505-17-000482-986, J. Richer ( REJB 2000-19815 ); Hydro-Québec c. Moteurs électriques Dupras inc., [1999] R.J.Q. 228 (C.S.); 2842-1733 Québec inc. c. Allstate du Canada, compagnie d'assurances, J.E. 98-678 (C.S.); Allendale Mutual Insurance Co. c. British Steel Canada inc., J.E. 98-295 (C.S.); Kansa General Insurance Co. c. Quincaillerie Roger Lambert, [1994] R.R.A. 881 (C.S.); Langevin et Société Mondo America inc., 179151-63-0262, 2004-05-11, D. Besse, par. 84; Fajardo et Cuisine Crotone inc., 187227-71-0207, 2004-05-13, L. Landriault, par. 75-76; Lévesque et Nortel Networks, précitée note 6; Verreault et Villa Médica inc., 161150-72-0105, 13 décembre 2002, D. Lévesque (décision sur requête en révision); Millette et Groupe Luxorama ltée, 166909-64-0108, 7 juin 2002, J.-F. Martel; Garage Michel Potvin inc. et Carossier Yves Defoy inc., 136540-31-0004, 21 décembre 2001, M.-A. Jobidon; Le Syndicat canadien de l'énergie et du papier (S.C.E.P.), précitée, note 6.

[9]           Lévesque et Nortel Networks, précitée, note 6; Millette et Groupe Luxorama ltée, précitée, note 8; Lachaîne et Mécanique CNC inc., 123478-64-9909, 12 mars 2002, D. Martin; Lemieux et Asbestos Easman inc., 149262-71-0010, 25 juillet 2003, D. Gruffy; Le Syndicat canadien de l'énergie et du papier (S.C.E.P.), précitée, note 6.

[10]         R. c. J.L.L., [2000] 2 R.C.S. 600 , référant à R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9 . 

[11]         Les Industries Rouillard inc., C.L.P. 199668-31-0302, 4 décembre 2003, R. Ouellet; Finition Chez Soi inc., C.L.P. 337755-04-0801, 10 juin 2008, A. Gauthier; Entreprises D.F., C.L.P. 365839-04-0812, 27 avril 2010, D. Lajoie.

[12]         Précitée, note 11.

[13]         Précitée, note 11.

[14]         Précitée, note 11.

[15]         Agences Kyoto ltée (Les), C.L.P. 365903-64-0812, 16 novembre 2009, J. David

[16]         Commission scolaire des Samares, C.L.P. 134151-63-9912, 22 novembre 2001, J.-M. Charrette; Meubles Laurier ltée et CSST, C.L.P. 246378-03B-0410, 14 février 2005, M. Cusson; Bermex International inc., C.L.P. 366231-04-0812, 12 août 2009, D. Lajoie; Ferrailleurs du Québec inc. (Les), C.L.P. 396617-04-0912, 2 août 2010, R. Napert; Meubles Victorama inc. (Les), C.L.P. 377598-04B-0905, 25 novembre 2010, L. Collin; Min. Emploi et Solidarité Sociale, C.L.P. 421363-01C-1009, 21 janvier 2011, M. Racine; Cie MFRE Générale ltée, C.L.P. 380390-04B-0906, 16 mars 2011, Y. Vigneault.

[17]         Précitée, note 15.

[18]         Précitée, note 15.

[19]         Précitée, note 15.

[20]         Précitée, note 15.

[21]         Précitée, note 15.

[22]         Précitée, note 15.

[23]         C.L.P. 151105-01A-0011, 21 janvier 2002, L. Desbois

[24]         C.L.P. 212443-01A-0307, 17 mars 2004, L. Desbois

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