COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LESIONS PROFESSIONNELLES QUÉBEC MONTRÉAL, le 13 août 1987 DISTRICT D'APPEL DEVANT LE COMMISSAIRE: Guy Beaudoin DE MONTRÉAL ASSISTÉ DE L'ASSESSEUR: Me Micheline Paquin RÉGION:Ile de Montréal DOSSIER: 01403-60-8611 DOSSIER CSST: 9105 144 AUDITION TENUE LE: 29 avril 1987 A: Montréal MONSIEUR JACQUES ROBITAILLE 2621, Bilodeau, # 1 Montréal (Québec) H1L 4A9 PARTIE APPELANTE Représentée par: Me Louise Picard PRODUITS BEL INC.6868, boul. Maurice-Duplessis Montréal Nord (Québec) H1G 1Z6 PARTIE INTÉRESSÉE COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL 2, Complexe Desjardins Tour de l'Est, 27e étage C.P. 3, Montréal (Québec) H5B 1H1 PARTIE INTÉRESSÉ Représentée par: Me Pierre Vigneault 01403-60-8611 2/ D É C I S I O N Le 17 novembre 1986, Monsieur Jacques Robitaille (ci-après le travailleur), dépose à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (ci-après la Commission d'appel), une déclaration d'appel à l'encontre d'une décision majoritaire du bureau de révision de l'Ile de Montréal rendue le 5 novembre 1986 qui confirme la décision de la Com- mission de la santé et de la sécurité du travail (ci-après la Commission), datée du 28 mai 1986.
Le Bureau de révision décide que le travailleur n'a pas droit aux mesures de réadaptation sociale requises par son état parce qu'il n'a pas subi une atteinte permanente à son intégrité physique en raison de sa lésion professionnelle le 19 novembre 1985.
OBJET DE L'APPEL Le travailleur demande à la Commission d'appel d'infirmer la décision du bureau de révision et de déclarer qu'il a droit aux mesures de réadaptation sociale prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c.
A-3.001).
01403-60-8611 3/ LES FAITS Le travailleur a subi un accident du travail le 19 novembre 1985 alors qu'il était à l'emploi de Produits Bel Inc. (ci-après l'employeur). L'acci- dent du travail n'a pas été contesté. La Commission a versé une indemnité de remplacement du revenu au travailleur.
A la suite de cet accident, le travailleur reçoit les soins suivants que l'on trouve à son dossier médical au centre hospitalier Santa Cabrini: Médecin, date de la visite et diagnostic: S. Lovasco: 85-11-19, lombomyalgie, chaleur repos.
P. Cloutier: 85-11-26, entorse lombaire, repos chaleur.
W. Bichai: 85-12-12, pas d'amélioration.
A. Devette: 85-12-12, consultation en physiothé- rapie.
N.B. : Le docteur Devette signe une formule par laquelle il réfère le travailleur au service de physiothérapie du centre hospitalier Santa Cabrini.
01403-60-8611 4/ J. Parizeau: 85-12-19, en attente de physiothé- rapie.
S. Lovasco: 85-12-27, douleur lombaire, en attente de physiothérapie, médicaments, retour au travail dans 10 jours.
Dr. Ciricillo: 86-01-06, chaleur, repos, en attente de physiothérapie.
C. Vernacchia: 86-01-13, peu d'amélioration, attendre physiothérapie Centre hospitalier: 86-01-20, ne s'est pas présenté à son rendez-vous.
Dr. Tevasco: 86-07-15, entorse lombaire chronique.
G. Hyde: 86-07-15, radiographie.
S. Lovasco: 86-10-29, clinique externe, persistance de douleur lombaire, réadaptation.
Par ailleurs, le 6 janvier 1986, la Commission envoie au travailleur une convocation pour traite- ment de physiothérapie au Centre industriel de thérapie. Le travailleur obtient un rendez-vous le 01403-60-8611 5/ 14 janvier 1986 avec le docteur M. Charest qui pose le diagnostic de radiculites lombaires postérieures de L1 à L5 avec irradiation en ceinture, indique la nécessité d'obtenir des radiographies et fixe un nouveau rendez-vous au 30 janvier 1986. Le docteur Charest dit alors au travailleur qu'il faut attendre qu'il ait sa place pour commencer les traitements en physiothérapie.
Le 4 février, le Centre convoque le travailleur pour débuter les traitements le 6 février. Les traite- ments commencent effectivement à cette date.
Le 27 février, le docteur M. Charest, après avoir pris connaissance des radiographies, examine le travailleur, diagnostique la persistance d'un syndrome facettaire L4, L5, L5-S1 et réfère le travailleur à l'hôpital du Sacré-Coeur pour qu'il reçoive un bloc facettaire. Il reçoit une première injection le 13 mars et une deuxième le 27 mars.
Le 17 avril, le docteur M. Charest indique qu'il y a amélioration à 30 %, propose le port d'un corset et prévoit une réévaluation le 7 mai avant la troisième injection.
01403-60-8611 6/ Le 1er mai 1986, le docteur M. Charest signe un rapport qui indique: syndrome facettaire lombaire rebelle sur condition pré-existante. Travail adapté ou réadaptation, consolidation le 1er mai 1986.
Le 5 mai, la Commission envoie au docteur M. Charest une formule d'évaluation médicale sommaire que le docteur Charest complète le 8 mai, indiquant que le travailleur n'a pas d'atteinte permanente consécu- tive à son accident, mais qu'il a des limitations fonctionnelles en relation avec sa condition per- sonnelle pré-existante.
Le 28 mai, la Commission décide que le travailleur n'a pas droit aux mesures de réadaptation sociale prévues à la loi parce qu'il n'a aucune atteinte permanente consécutive à son accident du travail du 19 novembre 1985.
Le travailleur conteste cette décision. Le bureau de révision tient une audition le 24 septembre 1986.
Le travailleur formule deux motifs d'appel: 1. La décision de la Commission est mal fondée puisqu'elle s'appuie sur un rapport du docteur 01403-60-8611 7/ M. Charest qui n'est pas le médecin qui a charge du travailleur.
2. Il y a absence de décision portant sur la date de consolidation de la lésion professionnelle du travailleur.
Le bureau de révision rejette l'appel du travailleur reconnaissant que le docteur M. Charest est le médecin qui a charge du travailleur et que la date de consolidation de la lésion du travailleur est le 19 mai, date que ce médecin a fixée.
Le bureau de révision confirme la décision de la Commission.
C'est de cette décision dont le travailleur en appelle.
REQUÊTE PRÉLIMINAIRE Le travailleur soumet que le docteur M. Charest ne peut être considéré comme étant le médecin qui en a charge et demande à la Commission d'appel de décider si le docteur M. Charest est le médecin qui a charge du travailleur, avant de rendre une décision au fond.
01403-60-8611 8/ ARGUMENTATION DES PARTIES Le travailleur fait valoir que selon les disposi- tions de l'article 199 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001), le travailleur a le choix du médecin qui en a charge et ce, à toute période au cours d'une maladie ou à la suite d'un accident de travail, sauf dans deux cas précis: le premier cas est celui où son état de santé ne permet pas au travailleur de choisir le premier médecin qui en prend charge; et le deuxième cas est celui prévu aux articles 204 et 205 où la Commission peut, dans certaines circons- tances, référer le travailleur à un médecin qu'elle désigne.
Ni l'une ni l'autre des situations exceptionnelles décrites ci-haut ne s'appliqueraient dans le cas sous étude. Il faut reconnaître le droit fondamental du travailleur au choix du médecin qui en prend charge.
Le droit aux soins de l'établissement de santé choisi par le travailleur prévu à l'article 192, est également un droit qui ne souffre pas d'exception sauf, dans l'intérêt du travailleur, quand les soins requis ne sont pas disponibles mais à la condition 01403-60-8611 9/ que le médecin qui a charge du travailleur donne son accord. Le travailleur soutient qu'il avait choisi de recevoir des soins au centre hospitalier Santa- Cabrini tel que le démontrent tous les rapports médicaux à compter du 19 novembre 1985 jusqu'au 20 janvier 1986.
Le travailleur soutient que même si les traitements de physiothérapie que le médecin qui en avait charge le 12 décembre avait prescrits n'ont pas été entre- pris le 6 janvier 1986, date à laquelle la Commis- sion l'a référé au Centre industriel de thérapie, il ne s'agissait pas de soins qui n'étaient pas dispo- nibles dans un délai raisonnable. En effet, il faut tenir compte du fait que les travailleurs du centre hospitalier n'étaient pas tous au travail à cause des congés fériés auxquels ils ont droit à l'occa- sion de Noël et du Jour de l'An. De plus, le travailleur soumet que les traitements que la Commission lui a imposés de recevoir au Centre industriel de thérapie ont effectivement débuté le 6 février, un mois après la date de la convocation de la Commission. Il prétend que ce n'était pas plus dans son intérêt de l'adresser à ce centre que de le laisser attendre pour recevoir des traitements au centre hospitalier Santa Cabrini.
01403-60-8611 10/ Enfin, le travailleur soutient que la Commission n'a jamais obtenu l'accord du docteur S. Livasco qui avait prescrit des traitements en physiothérapie au centre hospitalier Santa Cabrini, médecin qui en avait charge le 12 décembre pour que ces traitements lui soient donnés au Centre industriel de thérapie.
Le travailleur soumet que la Commission lui a imposé de se présenter au Centre industriel de thérapie.
Une fois référé à ce centre, il a été examiné par le docteur M. Charest qui travaille à ce centre, sans aucune explication. C'est en toute bonne foi qu'il a suivi les directives de la Commission et qu'il a suivi les prescriptions du docteur M. Charest.
C'est à la fin de mai, après avoir pris connaissance du rapport du docteur M. Charest daté du 8 mai et de la décision de la Commission, qu'il a réalisé que la Commission avait utilisé le rapport du docteur Charest comme le rapport du médecin qui en avait charge.
Le travailleur soutient que la Commission lui a imposé de recevoir les soins du docteur M. Charest en même temps qu'elle lui a imposé de recevoir des soins au Centre industriel de thérapie sans obtenir 01403-60-8611 11/ au préalable l'accord du médecin qui en avait charge.
En conséquence, le travailleur demande à la Com- mission d'appel de déclarer que le docteur M.
Charest n'a jamais agi en qualité de médecin qui en a charge et que la Commission ne pouvait rendre une décision en se basant sur le rapport du docteur M.
Charest daté du 8 mai 1986.
D'autre part, la Commission soutient que durant la période s'étendant du 19 novembre 1985 au 14 janvier 1986, date de sa première visite chez le docteur M.
Charest, le travailleur avait été sous les soins de sept médecins différents et qu'il ne peut prétendre que le docteur S. Levasco était le médecin qui en avait charge.
La Commission fait valoir que le travailleur a en fait accepté de recevoir des soins du docteur M.
Charest et qu'il s'est soumis à toutes les recom- mandations du docteur M. Charest tant en ce qui concerne les traitements en physiothérapie qu'en ce qui concerne les blocs facettaires.
La Commission soutient que toutes les démarches du travailleur laissent croire qu'il a effectivement 01403-60-8611 12/ accepté que le docteur M. Charest agisse en qualité de médecin qui a charge et que ce n'est qu'après avoir pris connaissance des conséquences du rapport du docteur M. Charest qu'il a contesté le choix qu'il avait fait de considérer le docteur M. Charest comme le médecin qui en a charge. Si la loi prévoit qu'un travailleur peut changer de médecin qui a charge, elle ne prévoit pas que le travailleur peut contester le choix du médecin qui en a charge parce qu'il n'est pas d'accord avec son rapport.
En conséquence, la Commission demande à la Commis- sion d'appel de déclarer que le docteur M. Charest était le médecin qui avait charge du travailleur le 8 mai 1986.
MOTIFS DE LA DÉCISION SUR LA REQUÊTE PRÉLIMINAIRE La Commission d'appel doit décider si le docteur M.
Charest, à qui la Commission a référé le travailleur, est 1e médecin qui a charge de celui-ci.
Le cas à l'étude relève de l'application de l'arti- cle 193 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles: 193. Le travailleur a droit aux soins de l'établissement de santé de son choix.
01403-60-8611 13/ Cependant, dans l'intérêt du travailleur, si la Commission estime que les soins requis par l'état de ce dernier ne sont pas disponibles dans un délai raisonnable dans l'établissement qu'il a choisi, ce travailleur peut, si le médecin qui en a charge est d'accord, se rendre dans l'établissement que lui indique la Com- mission pour y recevoir plus rapidement les soins requis.
Pour que la Commission puisse référer le travailleur à un autre établissement de santé pour recevoir des soins, et dans le cas qui nous occupe, être sous la charge d'un nouveau médecin attaché à cet établis- sement, l'article 193 de la loi pose une condition «... si le médecin qui a charge du travailleur est d'accord...».
La preuve indique qu'à compter de son accident du travail et par la suite, le travailleur avait choisi le Centre hospitalier Santa Cabrini pour recevoir les soins médicaux que son état nécessitait. Il choisissait également d'être sous les soins des médecins rattachés à ce centre hospitalier.
La preuve indique que le 12 décembre 1985 le docteur A. Devette a signé une formule par laquelle il a référé le travailleur au service de physiothérapie du Centre hospitalier Santa Cabrini.
01403-60-8611 14/ La preuve indique également que le 19 décembre 1985, le travailleur a été vu par le docteur J. Parizeau, et le 27 décembre 1985, par le docteur S. Lovasco ces deux médecins attachés au centre hospitalier Santa Cabrini.
La preuve indique également que 1e 6 janvier 1986, sans avoir obtenu l'accord du docteur A. Devette qui avait référé le travailleur en physiothérapie ni du dernier médecin qui avait examiné le travailleur au centre hospitalier Santa Cabrini, la Commission a référé le travailleur au docteur M. Charest au centre industriel de thérapie.
La Commission d'appel considère que ce faisant, la Commission a agi irrégulièrement et de façon abusive et qu'en conséquence le docteur M. Charest, même s'il a prodigué des soins au travailleur n'est pas devenu pour autant le médecin qui a charge du travailleur.
La Commission fait grand état du fait que le tra- vailleur a collaboré avec le docteur M. Charest et qu'ainsi il y avait admission de la part du tra- vailleur que le docteur M. Charest était devenu le médecin qui en avait charge. La Commission d'appel considère que l'article 193 de la loi ne mentionne 01403-60-8611 15/ pas que l'accord du médecin qui a charge n'est pas obligatoire si le travailleur accepte de recevoir des soins de santé dans un autre établissement que celui qu'il a choisi.
La Commission d'appel considère que le travailleur a agi de bonne foi en suivant les directives de la Commission et que son attitude de collaboration ne relève pas la Commission de l'obligation d'obtenir l'accord du médecin qui avait charge du travailleur avant d'imposer au travailleur de changer d'éta- blissement, et ainsi d'être sous les soins d'un nouveau médecin.
La Commission d'appel considère que le travailleur a le choix du médecin qui en prend charge. En effet, l'article 199 de la loi précise: "... si le travailleur n'est pas en mesure de choisir le médecin qui, le premier, en prend charge, il peut, aussitôt qu'il est en mesure de le faire, choisir un autre médecin qui en aura charge...».
Le seul cas où la Commission peut imposer au tra- vailleur un médecin est prévu à l'article 204 de la loi: 204. Lorsque le médecin qui a charge d'un travailleur refuse ou néglige de fournir à 01403-60-8611 16/ la Commission, dans le délai prescrit, un rapport qu'il doit fournir, celle-ci en informe sans délai le travailleur et l'avise qu'elle le réfèrera à un médecin désigné par elle si, dans les 10 jours de cet avis, elle n'a pas reçu le rapport du médecin en défaut ou les nom et adresse d'un autre médecin choisi par le tra- vailleur et qui en prend charge.
Encore là, le travailleur peut contester, à cer- taines conditions, le rapport d'un médecin désigné par la Commission.
La Commission d'appel conclut que le docteur M.
Charest n'a pas agi en qualité de médecin qui a charge du travailleur et que les rapports médicaux qu'il a signés ne sont pas des rapports du médecin qui a charge du travailleur.
La Commission d'appel dispose de la requête prélimi- naire et convoquera les parties sur le fond du litige soit le droit du travailleur à la réadaptation sociale.
POUR CES MOTIFS LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES DÉCLARE que le docteur M. Charest n'est pas le médecin qui a eu charge du travailleur; 01403-60-8611 17/ DÉCLARE que le rapport du 8 mai 1986 signé par le docteur M. Charest n'est pas le rapport du médecin qui a charge du travailleur.
Guy Beaudoin, Commissaire
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.