DÉCISION
[1] Le 13 janvier 2003, madame Louise Lahaie dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en contestation d’une décision rendue le 6 décembre 2002 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.
[2] Cette décision maintient deux décisions initiales rendues par la CSST; une du 22 mai 2002 informe la travailleuse que les frais d’adaptation de son véhicule pour permettre le transport de son quadriporteur ne sont pas remboursables; une du 23 mai 2002, l’informe du refus de payer une chaise d’ascenseur d’escalier.
[3] Les parties requérante et intervenante sont présentes à l’audience tenue à Longueuil le 7 juillet 2003, au cours de laquelle madame Lahaie a été entendue comme témoin.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision de la révision administrative et de permettre l’adaptation du véhicule ainsi que celle de l’escalier menant au sous-sol de sa résidence.
L'AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la travailleuse n’a pas droit aux adaptations de véhicule et de domicile demandées, parce que ses limitations fonctionnelles établies en 1997 par son médecin, le docteur Pagé, ne le justifient pas et que les rapports du docteur Denis Duranleau de 2002 ne précisent nullement s’il y a eu aggravation de ces limitations fonctionnelles.
[6] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la travailleuse a droit aux adaptations demandées puisqu’il n’y a pas de preuve contraire à celle produite par le docteur Duranleau et parce que le rapport de l’ergothérapeute fait à la demande de la CSST confirme le bien-fondé des demandes de madame Lahaie.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a droit à l’adaptation du véhicule familial pour lui permettre de transporter son quadriporteur et à l’adaptation de l’escalier menant au sous-sol de sa résidence.
[8] Le remboursement de tels frais est prévu aux articles 151 et suivants de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [1](la loi), plus spécifiquement les articles suivants :
151. La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.
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1985, c. 6, a. 151.
152. Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment :
1 des services professionnels d'intervention psychosociale;
2 la mise en oeuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;
3 le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;
4 le remboursement de frais de garde d'enfants;
5 le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.
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1985, c. 6, a. 152.
153. L'adaptation du domicile d'un travailleur peut être faite si :
1 le travailleur a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique;
2 cette adaptation est nécessaire et constitue la solution appropriée pour permettre au travailleur d'entrer et de sortir de façon autonome de son domicile et d'avoir accès, de façon autonome, aux biens et commodités de son domicile; et
3 le travailleur s'engage à y demeurer au moins trois ans.
Lorsque le travailleur est locataire, il doit fournir à la Commission copie d'un bail d'une durée minimale de trois ans.
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1985, c. 6, a. 153.
155. L'adaptation du véhicule principal du travailleur peut être faite si ce travailleur a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique et si cette adaptation est nécessaire, du fait de sa lésion professionnelle, pour le rendre capable de conduire lui - même ce véhicule ou pour lui permettre d'y avoir accès.
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1985, c. 6, a. 155.
[9] Il est reconnu dans ce dossier par la CSST que madame Lahaie a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique à la suite de plusieurs accidents du travail lui ayant laissé un taux d’atteinte permanente global de plus de 50%. Madame Lahaie est déclarée inemployable par la CSST depuis une décision du 3 décembre 1994, l’informant de son droit à une indemnité de remplacement du revenu réduite progressivement jusqu’à sa soixante-huitième année. Madame Lahaie a eu 68 ans le 3 juin 2003.
[10] Postérieurement à cette décision de décembre 1994, madame Lahaie a subi une troisième opération à la colonne lombaire le 7 mai 1996, pratiquée par le docteur Jean-Maurice Pagé, chirurgien-orthopédiste, qui a réalisé une laminectomie L3-L4, L4-L5 et L5-S1, une reprise de greffe et fusion de L2 à S1 avec greffe autogène et instrumentation Euros. C’est ce médecin qui rédige le rapport d’évaluation médicale le 10 mars 1997; plus tard, soit le 15 avril 1998, il ajoute, à la demande de la CSST, des précisions sur les limitations fonctionnelles résultant de la lésion professionnelle à la colonne lombaire. Le docteur Pagé écrit alors la lettre suivante au bureau médical de la CSST:
J’avais déjà procédé à un rapport d’APIPP le 23 janvier 1997 qui se voulait le plus complet possible à l’exception de l’item 9, soit les limitations fonctionnelles. On me demande d’être plus précis au sujet de cet item.
Donc même si madame connaît une évolution très satisfaisante, il n’en demeure pas moins qu’une greffe avec instrumentation de L2 à S1 entraîne des limitations fonctionnelles. De façon globale, je suggère des restrictions de classe 3 de l’IRSST du groupe de travail interdisciplinaire en réadaptation.
De façon plus détaillée pour Madame Louise Lahaie-Lebrun, elle doit :
- éviter de soulever, porter, pousser, tirer de façon répétitive ou fréquente des charges dépassant 5kg;
- éviter de travailler en position accroupie;
- éviter d’effectuer des mouvements répétitifs ou fréquents de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire même de faible amplitude;
- éviter de monter des escaliers;
- éviter de marcher en terrain accidenté ou glissant;
- éviter de marcher longtemps;
- éviter de garder la même posture debout ou assise plus de 30 ou 60 minutes à la fois;
- éviter de travailler dans des positions instables;
- éviter des mouvements répétitifs des membres inférieurs (actionner des pédales).
En terme plus pratique, madame a de la difficulté à faire certaines activités d’entretien de la maison telles qu’épousseter les meubles plus bas que la position assise, impossible pour elle de balayer ou encore de faire le lit, de nettoyer le four et le réfrigérateur, de laver les planchers ou encore de passer l’aspirateur. La laveuse et la sécheuse à linge sont situées au sous-sol ce qui représente une grosse corvée pour elle car elle peut descendre les escaliers mais elle a beaucoup de difficultés à les remonter. Elle est incapable de charger et de décharger la sécheuse à linge car ceci exige trop de flexion.
Elle ne peut pas faire l’épicerie seule, elle doit toujours être accompagnée car elle a besoin d’aide pour ranger les achats d’épicerie dans les armoires. Elle peut préparer les repas mais ne peut utiliser le four et elle ne peut pas non plus charger le lave-vaissellle dans la partie du bas.
En conclusion, des adaptations à domicile s’imposent de façon à la rendre plus autonome ainsi qu’une aide ménagère une fois la semaine pour effectuer les travaux ménagers plus lourds (laver les planchers, passer l’aspirateur, etc..)
[11] Entre 1999 et 2001, madame Lahaie témoigne avoir subi plusieurs interventions chirurgicales personnelles qui l’ont invalidée durant de nombreux mois; puis en mai 2000 et en novembre 2001, son physiatre traitant, le docteur Denis Duranleau, qui la suit depuis 1993, produit deux prescriptions successives, l’une concernant l’achat d’un quadriporteur et l’autre celui d’une chaise d’ascenseur d’escalier.
[12] Le 17 janvier 2002, le docteur Denis Duranleau, remplit un questionnaire aux fins de l’Agence des douanes et du revenu du Canada sur lequel il inscrit que la travailleuse ne peut jamais marcher une distance de 50 mètres, et ce depuis les années 2001 et antérieurement.
[13] La CSST accepte de rembourser l’achat du quadriporteur, mais refuse d’adapter le véhicule familial pour en permettre le transport, et refuse également de défrayer les coûts d’installation d’une chaise d’escalier.
[14] Le 28 février 2003, la firme d’ergothérapie Logikergo produit, à la demande de la CSST, un rapport d’analyse des besoins de madame Lahaie en soins personnels à domicile. La copie de ce rapport, déposée par la CSST à l’audience du 7 juillet 2003, reproduit, sur les deux sujets ici concernés, les mêmes constatations que celles faites en avril 1998 par le docteur Pagé, soit:
(CONCLUSION)
(...) Les commodités du sous-sol (machine à coudre, salle de lavage et de douche) sont difficilement accessibles pour Madame Lahaie dû aux escaliers. La CSST a déjà refusé la demande pour une chaise escaladrice à trajectoire oblique pour escaliers.
(...) Madame Lahaie est limitée dans son approvisionnement. Elle utilise son quadriporteur que pour avoir accès aux commodités présentes dans son quartier, lorsque la température le permet. Toutefois, elle ne peut marcher avec sa canne simple que pour de courtes périodes de temps et elle ne peut transporter de paquets lourds.
[15] À l’audience, la travailleuse témoigne essentiellement des mêmes informations déjà colligées par le docteur Pagé et par l’équipe d’ergothérapeutes de la firme Logikergo; elle précise demeurer dans sa résidence actuelle depuis 1979, ne jamais avoir détenu de permis de conduire et avoir toujours voyagé dans le véhicule de son mari.
[16] Elle mentionne que sa qualité de vie se trouve affectée par le fait qu’elle peut de plus en plus difficilement accéder à son sous-sol, où se trouvent les salles où elle pourrait s’adonner à des activités comme la couture; elle souligne également qu’elle aimerait bien pouvoir accéder aux centres d’achat et à divers endroits comme le Jardin botanique avec son quadriporteur, plutôt que d’être confinée à son quartier immédiat.
L’ADAPATATION DU VÉHICULE (art. 155)
[17] Les motifs invoqués par la CSST pour refuser l’adaptation du véhicule d’abord en première instance, puis en révision administrative, puis lors de l’audience devant la Commission des lésions professionnelles se résument ainsi. D’abord la conseillère en réadaptation écrit à ce sujet, le 15 mai 2002, les commentaires suivants :
Lorsque la CSST consent à acheter un quadriporteur, c’est pour permettre au travailleur de se déplacer dans son environnement immédiat, par exemple pour aller au dépanneur ou sortir prendre l’air dans le quartier après le repas.
Si le travailleur veut utiliser son quadriporteur à d’autres fins, elle devra assumer les coûts encourus par la modification de son véhicule.
[18] En révision administrative, la CSST réfère à l’article 155 de la loi et justifie ainsi sa position dans la décision du 6 décembre 2002:
La révision administrative constate que la demande de la travailleuse pour le paiement d’adaptation du véhicule familial ne correspond pas à une adaptation de véhicule payable par la CSST. En effet, l’adaptation du véhicule vise à permettre à un travailleur de conduire lui-même son véhicule de façon sécuritaire ou lui permettre d’y avoir accès et d’en sortir de façon complètement autonome, c’est-à-dire d’y avoir accès et d’en sortir sans assistance. Les éléments au dossier démontrent qu’en raison de sa lésion professionnelle, la travailleuse demeure capable de monter et de descendre de son véhicule sans qu’une assistance ne soit nécessaire et le quadriporteur est un accessoire utile pour ses déplacements sur de longues distances, mais non essentiel pour qu’elle ait accès à son véhicule.
[19] À l’audience, le procureur de la CSST demande de retenir cette interprétation de l’article 155, soumet de surcroît que cet article doit être interprété restrictivement, qu’il ne vise que celui qui conduit une auto et ne s’applique pas à une travailleuse qui, comme madame Lahaie, ne détient pas de permis de conduire et n’a jamais conduit de véhicule.
[20] De son côté, le procureur de la travailleuse invoque essentiellement le gros bon sens, soumettant que dès lors que la CSST autorise l’achat d’un quadriporteur, elle doit permettre l’adaptation du véhicule pour le transporter, sur la base du principe général qui veut que l’accessoire suive le principal.
[21] La Commission des lésions professionnelles conclut que l’interprétation faite par la CSST ne correspond pas aux termes de l’article 155 de la loi.
[22] Il paraît en effet abusif de prétendre que le travailleur visé à cet article, doive nécessairement être celui qui conduit un véhicule qu’on peut ici qualifier de véhicule familial. Cette interprétation aurait pour effet d’écarter une travailleuse qui, comme madame Lahaie, a toujours été aux dépens de son conjoint pour ses déplacements en véhicule motorisé. Or le but visé par toutes les formes d’adaptation, que ce soit celle de véhicule ou de domicile, se retrouve à l’article 151 de la loi et est de permettre de redevenir autonome dans l’accomplissement de ses activités habituelles. Cet article ne fait aucune distinction entre le travailleur propriétaire et conducteur ou non d’un véhicule, pas plus qu’il ne fait de distinction entre celui des deux conjoints qui serait ou non propriétaire du domicile conjugal. Et dans le présent cas, les activités habituelles de madame Lahaie comportaient celle de se faire véhiculer par son mari lors de ses déplacements.
[23] Quant à l’article 155 lui-même, la Commission des lésions professionnelles note, dans un premier temps, que le législateur réfère en début de texte, à l’adaptation du véhicule principal du travailleur, ce qui laisse place à viser le véhicule habituellement et de manière principale utilisé par le travailleur victime d’une lésion professionnelle, peu importe qu’il en soit ou non le conducteur. Ce qui est ici visé, c’est en quelque sorte l’utilisateur régulier, notion qui peut ou non englober celle de conducteur.
[24] Cette interprétation s’impose encore plus lorsqu’on lit la dernière partie de cet article, alors que le législateur vise deux situations différentes: celle d’abord où l’adaptation du véhicule est nécessaire pour rendre capable le conducteur de le conduire lui-même; cette première situation vise uniquement la personne qui conduit le véhicule. La deuxième situation est celle ensuite où l’adaptation du véhicule est nécessaire pour permettre au travailleur d’y avoir accès; cette deuxième situation peut facilement inclure des cas comme celui de madame Lahaie, qui s’est toujours fait véhiculer par son mari, dans le véhicule conduit par ce dernier.
[25] La Commission des lésions professionnelles estime donc que l’article 155 permet d’inclure une travailleuse qui ne conduit pas le véhicule principal; il faut toutefois se demander si l’adaptation demandée par la travailleuse est nécessaire, cette notion de nécessité s’entendant dans le sens visé à l’article 151, soit de redevenir autonome.
[26] La position adoptée sur ce sujet par la CSST paraît difficilement défendable; dès lors que la CSST reconnaît le besoin pour une travailleuse de se déplacer en quadriporteur, il devient logique de conclure que ce type d’aide à l’autonomie doit pouvoir lui bénéficier là où elle veut raisonnablement se déplacer. L’accessoire doit suivre le principal et il s’agit là de la poursuite normale de l’objectif général de la réadaptation sociale, qui est l’autonomie individuelle.
[27] La Commission des lésions professionnelles conclut donc de son analyse que la travailleuse a droit à l’adaptation du véhicule familial pour permettre le transport du quadriporteur déjà octroyé par la CSST.
L’ADAPTATION DU DOMICILE (art. 153)
[28] La position de la CSST pour justifier le refus d’adapter l’escalier menant au sous-sol du domicile réside dans le fait que les limitations fonctionnelles de 1997 ne prévoient pas une telle restriction et qu’il faudrait que la travailleuse soumette une réclamation en aggravation des limitations fonctionnelles pour qu’une telle autorisation d’adaptation soit accordée.
[29] Avec respect pour ce point de vue, la Commission des lésions professionnelles ne le partage pas et estime que la preuve médicale et scientifique au dossier permet d’autoriser le type d’adaptation demandée.
[30] Depuis au moins avril 1998, date des précisions apportées par le docteur Pagé sur les limitations fonctionnelles, précisions demandées par la CSST elle-même, la preuve médicale est claire que madame Lahaie doit éviter de monter des escaliers. Il s’agit là d’une des limitations fonctionnelles précisées par le docteur Pagé. Non seulement cet expert y fait nommément référence, mais il précise même dans sa lettre la difficulté que représente pour sa patiente, dès ce moment-là, l’accès au sous-sol de son domicile.
[31] Le rapport des ergothérapeutes 5 ans plus tard, ne vient que corroborer ce constat médical. On voit mal ce que la CSST peut exiger de plus comme preuve, alors qu’elle n’a jamais contesté les conclusions du docteur Pagé sur les limitations fonctionnelles. Invoquer à cet effet les rapports laconiques du docteur Duranleau ne changent rien au fait que le docteur Pagé est celui qui a rédigé, en 1997, le rapport d’évaluation médicale, dont le contenu sur les limitations fonctionnelles a été précisé à la demande même de la CSST un an plus tard. L’opinion du docteur Duranleau n’ajouterait rien de plus que ne comprend déjà ce dossier.
[32] La Commission des lésions professionnelles conclut donc que la preuve permet à la travailleuse d’avoir droit à l’adaptation de son escalier, par l’ajout d’une chaise d’ascenseur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête en contestation déposée par madame Louise Lahaie le 13 janvier 2003;
INFIRME la décision rendue en révision administrative le 6 décembre 2002 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
DÉCLARE que les demandes d’adaptation de véhicule et de domicile visées à la présente décision doivent être autorisées par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, selon les termes prévus à la loi.
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Suzanne Mathieu |
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Commissaire |
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Maître Michel Charette |
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Représentant de la partie requérante |
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Maître André Breton PANNETON LESSARD |
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Représentant de la partie intervenante |
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