D É C I S I O N
Le 17 février 1998, madame Linda Fortier (la travailleuse) dépose une déclaration d'appel à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) à l'encontre d'une décision rendue le 2 février 1998 par le Bureau de révision de la région de Valleyfield (le bureau de révision).
Par cette décision majoritaire, le bureau de révision maintient deux décisions de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), la première rendue le 23 juin 1997 à l'effet que madame Fortier n'a pas subi de lésion professionnelle le 27 mars 1997, la deuxième rendue le 18 août 1997 à l'effet que madame Fortier n'a droit à aucune allocation pour aide personnelle à domicile et que l'aide réclamée ne peut être couverte par les travaux d'entretien courant du domicile.
Bien que l'appel de madame Fortier ait été déposé à la Commission d'appel, la présente décision est rendue par la Commission des lésions professionnelles conformément à l'article 52 de la Loi instituant la Commission des lésions professionnelles et modifiant diverses dispositions législatives, L.Q. 1997, c.27, entrée en vigueur le 1er avril 1998. En vertu de l'article 52 de cette loi, les affaires pendantes devant la Commission d'appel sont continuées et décidées par la Commission des lésions professionnelles.
La CSST est intervenue au présent litige le 16 avril 1998 et elle est représentée à l'audience par Me Sonia Sylvestre. La Clinique Dr Martine Pomerleau (l'employeur) n'est ni présente ni représentée.
La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu'elle a subi une lésion professionnelle le 27 mars 1997 et qu'elle a droit de recevoir une allocation pour aide personnelle à domicile ou au remboursement des frais engagés pour des travaux d'entretien courant du domicile.
La travailleuse subit une lésion professionnelle le 15 octobre 1993, sa réclamation étant acceptée le 2 novembre 1993 par la CSST.
Le 18 février 1997 la Commission d'appel rend une décision à la suite d'une entente (dossier M-74776-62C-9511). Au lieu de procéder à l'énumération de la volumineuse documentation médicale contenue au dossier et puisque cette décision a l'avantage de très bien résumer l'histoire du dossier de la travailleuse, il est opportun de citer intégralement une partie du dispositif de ladite décision:
DÉCLARE que le diagnostic de la lésion professionnelle du 15 octobre 1993 est une tendinite chronique de la coiffe des rotateurs et une hernie cervicale en C3-C4, C4-C5 et C5-C6;
FIXE la date de consolidation de la lésion professionnelle au 2 août 1996;
DÉCLARE que les soins étaient nécessaires jusqu'au 2 août 1996;
DÉCLARE que la travailleuse conserve une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique de 14,4%; et
DÉCLARE que la travailleuse conserve les limitations fonctionnelles suivantes:
- Éviter de forcer, tirer, pousser ou lever des charges pesant de plus de 10 livres;
- Éviter les postures fixées de flexion, d'extension au cou;
- Éviter les mouvements répétitifs de flexion, d'extension ou de rotation du cou;
- Éviter les vibrations constantes à fréquence basse au cou;
- Éviter d'accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent: élever le membre supérieur gauche plus haut que la hauteur des épaules. Maintenir le membre supérieur gauche en position statique d'élévation antérieure ou d'abduction même inférieure à 90o. Effectuer des mouvements de rotation ou circonduction de l'épaule gauche.
Il faut souligner que cette décision de la Commission d'appel s'appuyait principalement sur la preuve présentée par la travailleuse à savoir un rapport d'expertise médicale daté du 29 septembre 1995 du docteur Roch Banville et un rapport d'évaluation médicale signé le 2 août 1996 par le docteur Tinco Tran.
Le 27 mars 1997 la travailleuse présente une réclamation à la CSST pour une récidive, rechute ou aggravation survenue le même jour. Avec sa réclamation, elle dépose un rapport médical du 27 mars 1997 du docteur Tran qui pose les diagnostics de hernie discale lombaire et cervicale et de tendinite chronique de l'épaule gauche.
Le docteur Tran pose le diagnostic de hernie discale à la suite d'examens par résonance magnétique effectués le 7 mars 1997 pour la région lombaire et pour l'épaule gauche. Pour l'épaule, il est mentionné qu'il n'y a pas d'évidence de déchirure partielle ou complète de la coiffe des rotateurs mais des signes légers de tendinopathie chronique. Pour la colonne lombaire, il est noté des signes de discopathie dégénérative légère et une petite hernie discale en L5 - S1.
La CSST refuse la réclamation de la travailleuse parce qu'il n'y a pas de détérioration objective de sa condition pour l'épaule gauche et les hernies cervicales et qu'il n'y a pas de relation entre la hernie discale lombaire et l'événement initial du 15 octobre 1993, décision confirmée par le bureau de révision.
La travailleuse présente ensuite des reçus à la CSST pour des travaux à domicile qu'elle est incapable d'effectuer et pour lesquels elle a dû engager des frais. Les reçus produits couvrent la période du 28 avril 1997 au 28 juillet 1997 et totalisent la somme de 350$ (25$ par semaine). Les travaux ménagers que la travailleuse se dit incapable de faire sont les suivants:
- passer la balayeuse;
- laver les planchers;
- laver les miroirs et les portes-miroirs;
- laver le bain et la douche;
- nettoyer le fourneau.
La CSST refuse de verser des prestations à la travailleuse pour ces travaux en l'informant qu'elle ne peut recevoir une allocation pour aide personnelle à domicile parce qu'elle est capable de prendre soin d'elle-même ou d'effectuer sans aide ses tâches domestiques et que ces frais ne sont pas couverts par le remboursement des coûts de main-d'oeuvre pour les travaux d'entretien courant du domicile.
La travailleuse a par la suite été traitée par le docteur Duranleau, physiatre, et par le docteur Giroux, neurochirurgien. Ce dernier a demandé un nouvel examen par résonance magnétique pour la colonne cervicale. Cet examen a lieu le 13 novembre 1998 et l'opinion émise est la suivante: «Hernie discale chronique postéro-médiane multi-étagé de C3 à C7».
Témoignant devant la Commission des lésions professionnelles, la travailleuse affirme que, le 15 octobre 1993, elle s'est blessée au cou, au milieu du dos, au bas du dos et aux deux épaules. Elle a parlé de ses problèmes de dos à ses médecins mais ces derniers lui disaient qu'il fallait traiter en priorité ses problèmes au cou et à l'épaule gauche. Elle affirme aussi avoir parlé de ses problèmes de dos aux docteurs Banville et Tran.
Elle a fait une réclamation à la CSST en mars 1997 parce que sa condition s'est aggravée. Une hernie discale lombaire a été découverte suite à une résonance magnétique effectuée le 7 mars 1997. Avant 1993 elle a déjà eu des problèmes au niveau lombaire suite à un accident d'automobile survenu en 1989. Elle n'a cependant gardé aucune séquelle de cet accident.
Elle est actuellement suivie par le docteur Giroux qui prévoit une chirurgie au niveau cervical.
Pour les travaux qu'elle ne peut plus faire depuis son accident du travail elle mentionne qu'une personne de la CSST s'est présentée à son domicile pour remplir une grille d'évaluation de ses besoins mais cette personne n'a pas voulu réellement voir en quoi consistait les travaux à effectuer.
Monsieur Rénald Guilbault, représentant la travailleuse, est d'avis que la preuve prépondérante démontre qu'il y a relation entre le problème lombaire et la lésion initiale du 15 octobre 1993. Le premier médecin qui a vu la travailleuse a mentionné une lombalgie. Puis, le 6 décembre 1993, un rapport de physiothérapie fait état d'une douleur de D3 à D6. Le 11 avril 1994 un autre rapport de physiothérapie fait état de signes et symptômes variables au niveau du rachis lombaire. Le rapport final de physiothérapie, daté du 14 juin 1994, mentionne une condition relativement stable.
Monsieur Guilbault est aussi d'avis que la travailleuse a droit d'être remboursée pour les frais engagés pour les travaux effectués à son domicile, que ce soit en vertu de l'article 158 , 159 ou 165 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q. c. A-3.001 (la loi).
Me Sonia Sylvestre, représentant la CSST, mentionne tout d'abord que les diagnostics de la lésion initiale à retenir sont ceux mentionnés dans la décision de la Commission d'appel rendue le 18 février 1997 suite à une entente. Il n'est alors aucunement question d'une pathologie au niveau lombaire.
Me Sylvestre soulève aussi qu'il n'y a pas de preuve que la travailleuse présente une hernie discale lombaire puisque ce diagnostic est basé sur une image radiologique et non sur des signes cliniques qui démontrent la présence d'une telle hernie. Même en admettant ce diagnostic, elle souligne que le rapport de la résonance magnétique du 7 mars 1997 fait état d'une lombosciatalgie gauche présente depuis deux ans et d'une discopathie dégénérative.
La preuve médicale ne démontre donc pas, d'une façon prépondérante, qu'il y a relation entre une hernie discale L5-S1 et la lésion du 15 octobre 1993.
Pour ce qui est des frais réclamés par la travailleuse pour des travaux effectués à son domicile, Me Sylvestre défend la position à l'effet que, pour bénéficier d'une allocation pour aide personnelle à domicile, la travailleuse doit rencontrer toutes les conditions énumérées dans l'article 158 de la loi, ce qui n'est pas le cas ici puisque la preuve démontre clairement que la travailleuse est capable de prendre soin d'elle-même.
Quant à l'article 165 de la loi, il ne peut être appliqué dans le présent cas puisque les travaux d'entretien courant du domicile ne peuvent couvrir les travaux domestiques normalement couverts par l'allocation d'aide personnelle à domicile.
Les membres issus des associations syndicales et d'employeurs sont d'avis que la travailleuse n'a pas subi de lésion professionnelle le 27 mars 1997 puisqu'il n'y a pas de relation entre la hernie discale lombaire et la lésion initialement subie le 15 octobre 1993.
Le membre issu des associations d'employeurs est d'avis que la travailleuse n'a droit à aucune allocation pour aide personnelle à domicile ou au remboursement des frais engagés pour des travaux d'entretien courant du domicile puisque les critères prévus à la loi, pour permettre de tels paiements, ne sont pas rencontrés dans le présent cas.
Le membre issu des associations syndicales est d'avis que la travailleuse a droit à un montant pour des travaux à domicile qu'elle ne peut effectuer, que ce soit en vertu des articles 158 ou 165 de la loi, puisqu'elle demeure avec des limitations fonctionnelles importantes qui ne lui permettent de faire que des travaux légers.
La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 27 mars 1997 et si elle a droit à une allocation pour aide personnelle à domicile ou au remboursement des frais engagés pour des travaux d'entretien courant du domicile.
Il est important tout d'abord de déterminer quels sont les diagnostics de la lésion initiale. La Commission des lésions professionnelles est d'avis que ce sont ceux mentionnés dans la décision de la Commission d'appel rendue le 18 février 1997, soit tendinite chronique de la coiffe des rotateurs et hernies cervicales en C3-C4, C4-C5 et C5-C6.
Le rapport médical présenté par la travailleuse pour appuyer sa réclamation pour la récidive, rechute ou aggravation du 27 mars 1997 provient du docteur Tran et mentionne les diagnostics de hernie discale lombaire et cervicale et de tendinite chronique de l'épaule gauche.
Pour ce qui est de l'épaule gauche, il n'est aucunement prouvé qu'il y avait, le 27 mars 1997, une détérioration objective de cette condition de la travailleuse. D'ailleurs, la travailleuse n'a reçu aucun traitement pour cette condition.
Il en est de même pour une possible aggravation des hernies discales cervicales. Ce n'est que beaucoup plus tard qu'un nouvel examen par résonance magnétique a été effectué à ce niveau, plus précisément le 13 novembre 1998, et que c'est à la suite de cet examen que le docteur Giroux a recommandé une intervention chirurgicale.
La Commission des lésions professionnelles est d'avis que l'examen par résonance magnétique effectué le 13 novembre 1998 ne peut servir à démontrer qu'il y avait aggravation objective de la condition cervicale de la travailleuse le 27 mars 1997. La Commission des lésions professionnelles mentionne cependant qu'il y a lieu de réserver les recours de la travailleuse si elle devait effectivement subir l'intervention chirurgicale proposée par le docteur Giroux.
Pour déclarer que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 27 mars 1997, il faut s'en remettre au diagnostic de hernie discale lombaire. La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le diagnostic de hernie discale L5-S1 est relié à la lésion initialement subie par la travailleuse le 15 octobre 1993.
Même si la travailleuse affirme avoir déclaré à ses médecins qu'elle présentait des problèmes au niveau lombaire, force est de constater que seul le rapport initial et quelques rapports de physiothérapie font état d'une lombalgie. Les médecins de la travailleuse n'ont jamais fait mention d'une pathologie au niveau lombaire dans les nombreux rapports médicaux déposés à la CSST. Au surplus, tant dans le rapport d'expertise du docteur Banville du 29 septembre 1995 que dans le rapport d'évaluation médicale du 2 août 1996 du docteur Tran, il n'est pas question, subjectivement ou objectivement, d'un quelconque problème au niveau lombaire. Il est finalement opportun de mentionner que dans le rapport final de physiothérapie, du 14 juin 1994, il est noté qu'il persiste une douleur cervicale lorsque la travailleuse a la tête penchée et une douleur à l'épaule gauche lorsque la travailleuse utilise son membre supérieur gauche. Rien n'est signalé pour le niveau lombaire.
La Commission des lésions professionnelles, en se référant au diagnostic de hernie discale lombaire (L5-S1), doit déclarer que cette condition n'est pas reliée à la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 15 octobre 1993. La preuve prépondérante ne démontre donc pas que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 27 mars 1997.
La travailleuse est d'avis qu'elle a droit de recevoir des prestations de la CSST pour des travaux ménagers qu'elle doit faire effectuer à son domicile.
Pour qu'une allocation d'aide personnelle à domicile puisse être versée, il faut nécessairement que les conditions de l'article 158 de la loi soient rencontrées. L'article 158 est ainsi rédigé :
«158. L'aide personnelle à domicile peut être accordée à un travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, est incapable de prendre soin de lui-même et d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il effectuerait normalement, si cette aide s'avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.»
Dans le cas présent, il apparaît évident que la travailleuse est capable de prendre soin d'elle-même, ce qui est une condition essentielle prévue à l'article 158 de la loi.
La Commission des lésions professionnelles doit déclarer que la travailleuse n'a pas droit à une allocation pour aide personnelle à domicile.
Les travaux que la travailleuse fait effectuer à son domicile ont été énumérés précédemment dans la présente décision. Ce sont des éléments qui sont normalement considérés dans des activités de ménage léger ou de ménage lourd, activités elles-mêmes évaluées pour déterminer si une personne a droit à une allocation pour aide personnelle à domicile.
L'article 165 prévoit ce qui suit :
«165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.»
La Commission des lésions professionnelles est d'avis que les mêmes activités ne peuvent être évaluées pour l'allocation d'aide personnelle à domicile et pour les travaux d'entretien courant du domicile, dont les frais peuvent être remboursés en vertu de l'article 165 de la loi.
La Commission des lésions professionnelles doit conclure que les frais engagés par la travailleuse ne peuvent lui être remboursés en vertu de l'article 165 de la loi.
PAR CES MOTIFS LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES:
REJETTE la déclaration d'appel déposée le 17 février 1998 par madame Linda Fortier;
CONFIRME la décision rendue le 2 février 1998 par le bureau de révision de Valleyfield;
DÉCLARE que:
- madame Fortier n'a pas subi de lésion professionnelle le 27 mars 1997;
- madame Fortier n'a pas droit à une allocation pour aide personnelle à domicile ou au remboursement des frais engagés pour des travaux d'entretien courant du domicile.
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Commissaire |
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805, Léon Martel Terrebonne (Québec) J6W 2K1
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Représentant de la partie requérante |
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(Panneton & Lessard, avocats) 9, rue Nicholson, C.P. 478 Valleyfield (Québec) J6S 4V7 |
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Représentante de la partie intervenante |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.