DÉCISION
[1] Le 24 février 2003, monsieur Sylvain Patron (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 13 février 2003 à la suite d'une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu'elle a initialement rendue le 12 juin 2002 et déclare que le travailleur a droit à de l’aide personnelle à domicile qui lui est accordée sous la forme d’entretien ménager à raison de deux heures à toutes les deux semaines.
[3] Le travailleur est présent à l'audience et il est représenté. Quant à Provigo Dist Ctre Dist Épicerie (l'employeur), bien que dûment convoqué, il n’y est pas représenté. La CSST n’est pas intervenue au dossier. L’audience a lieu le 28 avril 2003 et l’affaire est prise en délibéré le 10 septembre 2003, à la date de réception de tous les documents.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit à des services d’entretien ménager équivalant à quatre heures à toutes les deux semaines.
L'AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs de même que le membre issu des associations syndicales sont d’avis que la CSST n’était pas justifiée de diminuer le nombre d’heures subventionnées que le travailleur a droit pour l’entretien ménager de son domicile. Ils estiment que le motif invoqué par la CSST, soit l’aide d’une colocataire, n’est pas valide puisque lors de l’évaluation initiale, la CSST avait établi le nombre d’heures d’entretien ménager en se fondant notamment sur le fait que le travailleur partageait ces tâches avec sa conjointe avant l’accident du travail. Au surplus, la preuve ne démontre pas d’amélioration de la condition médicale du travailleur.
LES FAITS
[6] Le travailleur est préposé à la distribution au service de l’employeur alors que, le 17 juillet 1995, il subit une lésion professionnelle qui est reconnue par la CSST. L’événement est décrit au formulaire « Avis de l’employeur et demande de remboursement » de la façon suivante :
Pendant mon quart de travail en déposant ma commande de cage dans le rack 21 j’ai ressentie une vive douleur au dos. [sic]
[7] Une entorse lombaire est d’abord diagnostiquée. Par la suite, s’ajoutent une lombosciatalgie droite et gauche de même qu’une hernie discale aux niveaux L4-L5 gauche et L5-S1 bilatérale.
[8] Le 8 novembre 1995, le travailleur subit une discectomie. La lésion est consolidée le 17 octobre 1996 avec une atteinte permanente à l’intégrité physique dont un déficit anatomo-physiologique de 20 % correspondant à une hernie discale opérée et une diminution des amplitudes articulaires. Les limitations fonctionnelles établies sont les suivantes :
Des limitations fonctionnelles de classe III seront envisagées pour ce patient qui a une récupération plutôt modeste de sa chirurgie. Les restrictions sévères de classe III vont considérer, en plus des restrictions de classe I et II, d’éviter des activités qui impliquent de soulever, porter, pousser, tirer de façon répétitive ou fréquente, des charges dépassant environ 5 kilo, de marcher lentement de garder la même posture, debout ou assis, plus de 30 à 60 minutes, de travailler dans une position instable ou d’effectuer des mouvements répétitifs des membres inférieurs.
[9] Le 5 novembre 1996, les besoins du travailleur quant à l’aide personnelle à domicile sont évalués. Le formulaire Grille d’évaluation des besoins d’aide personnelle à domicile montre que « suite à son retour à domicile après avoir subi une discoïdectomie - période du 11-11-95 au 08-12-95- à partir de la 2ième sem. les besoins décroissaient progressivement ». Le travailleur habite alors avec une conjointe et a une personne à charge depuis avril 1996. Le formulaire d’évaluation fait également état que le travailleur partageait les tâches domestiques avec sa conjointe, avant l’accident du travail.
[10] Dans ce cadre, la CSST accorde un montant de 501,97 $ à titre d’assistance financière pour aide personnelle à domicile, pour la période du 11 novembre au 8 décembre 1995, période qui fait suite à la chirurgie. Selon sa déclaration à l’audience, à compter de ce moment, la CSST accepte également de rembourser au travailleur un montant équivalant à quatre heures par deux semaines pour de l’aide personnelle à domicile sous forme d’entretien ménager.
[11] Le 19 décembre 1996, la CSST informe le travailleur qu’il a droit au remboursement des frais d’entretien pour les travaux de déneigement pour l’hiver 1996-1997. Il en est de même le 13 novembre 1997, pour l’hiver 1997-1998.
[12] Le 22 juin 1998, la CSST accepte de payer les frais d’entretien courant du domicile du travailleur soit les travaux du grand ménage et le lavage des fenêtres.
[13] Le 20 novembre 1998, la CSST accepte de défrayer le coût du déneigement pour l’année 1998-1999.
[14] Le 12 juin 2002, la CSST réévalue les besoins d’aide personnelle à domicile du travailleur et réduit à deux le nombre d’heures subventionnées par quinzaine, pour l’entretien de son domicile, du fait qu’il a emménagé chez une connaissance depuis le 18 mai 2002, se fondant sur le principe que le travailleur doit partager le coût de l’entretien ménager avec sa nouvelle colocataire. Au formulaire Grille d’évaluation des besoins d’aide personnelle à domicile, les mentions suivantes apparaissent :
§ T reçoit de l’aide personnelle depuis janvier 1997.
§ T avait des frais d’entretien ménager de 4 heures aux 2 semaines. Ces frais étaient payés dans les travaux d’entretien.
§ T demeure chez une connaissance.
§ Il n’y a pas d’amélioration de la condition de santé de T.
§ Ns diminuons les frais précités à 2 heures aux 2 semaines.
[15] À la même date, la CSST écrit la lettre suivante :
À la suite de la réévaluation de vos besoins d’aide personnelle, nous constatons que vous avez aménagé chez une connaissance depuis le 18 mai 2002. Cette situation est basée sur le partage des coûts.
Votre aide personnelle pour l’entretien ménager est réduite à deux (2) heures par quinzaine, l’autre moitié devant être assumée par votre co-locataire à compter du 10 juin 2002.
[...]
[16] Le travailleur conteste cette décision qui est maintenue à la suite d’une révision administrative, d’où le présent litige.
[17] Le 31 juillet 2002, le travailleur subit une nouvelle chirurgie pour hernie discale L4-L5. La CSST réévalue les besoins d’assistance du travailleur et lui accorde un montant de 395$ pour la période du 3 août 2002 au 20 septembre 2002.
[18] À l’audience, le travailleur explique qu’il a emménagé, avec sa fillette de 6 ans chez une connaissance, après s’être séparé de sa conjointe. Dans le nouveau logis, il occupe deux chambres, dont la sienne et celle de la fillette. Par ailleurs, le salon, cuisine et la salle de bains sont des espaces communs avec sa colocataire. Le travailleur explique qu’il n’y a pas moins de ménage à faire que dans son logis précédent et que sa colocataire n’a pas à faire les frais de sa lésion professionnelle.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[19] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la CSST était justifiée de réduire le nombre d’heures subventionnées accordées au travailleur pour l’entretien ménager de son domicile à compter du 18 mai 2002.
[20] Rappelons que la loi prévoit la réadaptation sociale d’un travailleur victime d’une lésion professionnelle qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité. L’article 145 de la loi est le suivant :
145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.
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1985, c. 6, a. 145.
[21] Le programme de réadaptation prévu par le législateur comprend un programme de réadaptation sociale qui est énoncé à l’article 152, comme suit :
152. Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment :
1 des services professionnels d'intervention psychosociale;
2 la mise en oeuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;
3 le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;
4 le remboursement de frais de garde d'enfants;
5 le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.
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1985, c. 6, a. 152.
[22] Un travailleur peut bénéficier de l’aide personnelle à domicile. Les articles 158 et 159 de la loi prévoient ce qui suit :
158. L'aide personnelle à domicile peut être accordée à un travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, est incapable de prendre soin de lui - même et d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il effectuerait normalement, si cette aide s'avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.
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1985, c. 6, a. 158.
159. L'aide personnelle à domicile comprend les frais d'engagement d'une personne pour aider le travailleur à prendre soin de lui‑même et pour effectuer les tâches domestiques que le travailleur effectuerait normalement lui‑même si ce n'était de sa lésion.
Cette personne peut être le conjoint du travailleur.
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1985, c. 6, a. 159.
[23] En l’espèce, la CSST a reconnu de l’aide personnelle à domicile depuis 1995. À cette époque, la CSST avait tenu compte du fait que le travailleur partageait les tâches domestiques avec sa conjointe avant l’accident du travail et avait accordé une allocation équivalant à quatre heures d’entretien ménager par quinzaine. Le travailleur se sépare de sa conjointe et emménage avec une colocataire le 18 mai 2002. La CSST considère que le déménagement justifie une coupure de l’allocation de moitié.
[24] Le tribunal conclut que la CSST n’était pas justifiée de décider ainsi. En effet, la preuve ne démontre aucunement que la condition médicale du travailleur s’est améliorée avec les années ou que ses limitations fonctionnelles se sont allégées. D’ailleurs, en juin 2002 au formulaire Grille d’évaluation des besoins d’aide personnelle à domicile, la CSST signale qu’il n’y a pas d’amélioration de la condition de santé du travailleur. Le fait que sa nouvelle colocataire puisse participer au ménage des aires communes ne modifie en rien le besoin d’aide du travailleur qui avait été évalué initialement en tenant compte du partage des tâches avec la conjointe de celui-ci.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Sylvain Patron, le travailleur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 13 février 2003 à la suite d’une révision administrative;
ORDONNE à la Commission de la santé et de la sécurité du travail de rétablir le niveau de besoin d’aide à l’entretien ménager du travailleur à quatre heures par deux semaines.
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Me Marie Langlois |
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Commissaire |
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R.A.T.M.P. Enr. |
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(M. Richard Bélanger) |
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Représentant de la partie requérante |
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AVIS :
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