Ciment Québec inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail |
2009 QCCLP 3667 |
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[1] Le 20 décembre 2007, (l’employeur) Ciment Québec inc. dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 29 novembre 2007, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 11 septembre 2007 et déclare que l’employeur doit être imputé de la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Alcide Doiron (le travailleur) le 3 août 2006.
[3] Une audience est prévue le 16 février 2009 à Rimouski. Le 12 février 2009, l’avocate de l’employeur soumet un complément de preuve médicale, incluant une opinion du chirurgien orthopédiste Lacasse, ainsi qu’une argumentation écrite. Avec l’accord de la représentante de l’employeur, un délai est accordé à l’avocate de la CSST afin qu’elle soumette une opinion médicale de son médecin-conseil ainsi qu’une argumentation écrite. Sur réception de ces documents, dans une lettre datée du 26 février 2006, la représentante de l’employeur informe la Commission des lésions professionnelles qu’elle n’a pas d’autre commentaire à formuler. Le dossier est pris en délibéré à cette date.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4]
L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de
déclarer qu’il a droit à un partage d’imputation du coût des prestations en
vertu de l’article
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5]
La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si
l’employeur a droit à un partage d’imputation du coût des prestations en vertu
de l’article
[6] L’article 329 prévoit ce qui suit :
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[7] Pour obtenir un partage de coût, l’employeur doit démontrer que le travailleur était déjà handicapé lorsque s’est manifestée la lésion.
[8]
Le législateur ne définit pas dans la loi ce qu’est un handicap.
Aujourd’hui, la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles est
constante quant à la signification de cette expression. Le travailleur déjà
handicapé au sens de l’article
[9]
Il ressort de cette définition que, pour bénéficier du partage de coût
prévu à l’article
[10] Selon la jurisprudence, une telle déficience est une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique et correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Elle peut être congénitale ou acquise et peut exister à l’état latent sans s’être manifestée avant la survenance de la lésion. Cette déficience n’a pas besoin de s’être manifestée ou d’être connue, ni même d’avoir affecté la capacité de travail ou personnelle du travailleur avant la manifestation de la lésion[3].
[11] Puis, l’employeur doit démontrer que la déficience a joué un rôle déterminant dans la production de la lésion ou sur ses conséquences. À cet égard, la jurisprudence[4] a établi certains critères permettant d’apprécier la relation entre la déficience et la production de la lésion ou ses conséquences. Les critères généralement retenus sont les suivants : la nature et la gravité du fait accidentel, le diagnostic initial de la lésion professionnelle, l’évolution du diagnostic et de la condition du travailleur, la compatibilité entre le plan de traitement prescrit et le diagnostic de la lésion professionnelle, la durée de la période de consolidation compte tenu de la nature de la lésion professionnelle et la gravité des conséquences de la lésion professionnelle.
[12] Aucun de ces critères n’est à lui seul déterminant, mais pris ensemble, ils permettent de se prononcer sur le bien-fondé de la demande de l’employeur[5].
[13] La preuve démontre que le travailleur est âgé de 61 ans et travaille pour l’employeur depuis 1986, lorsqu’il subit un accident du travail. Le 3 août 2006, alors qu’il travaille comme conducteur de bétonnière, en descendant de l’échelle arrière de son camion, son pied glisse sur la dernière marche et le travailleur reste suspendu à son bras gauche avant de tomber au sol. Le 9 août 2006, il consulte le docteur Loubert qui retient le diagnostic de tendinite à l’épaule gauche. Il prescrit des traitements de physiothérapie et d’ergothérapie et autorise des travaux légers.
[14] Le 21 août 2006, afin d’éliminer une possibilité de déchirure de la coiffe de l’épaule gauche, le docteur Loubert prescrit un examen par résonance magnétique que le travailleur passe le 6 septembre 2006. La radiologiste observe une déchirure transfixiante du tendon supra-épineux mesurant 7 mm de diamètre. Elle précise que le tendon résiduel apparaît normal, qu’il n’y a pas d’atrophie musculaire et que tous les autres tendons de la coiffe des rotateurs sont normaux et intacts. Elle note également un épanchement articulaire et une bursite sous-acromiale et sous-deltoïdienne ainsi qu’une légère ostéoarthrose de l’articulation acromio-claviculaire. La morphologie acromiale est de type de II.
[15] Le 29 août 2006, la CSST accepte la réclamation du travailleur pour une tendinite à l’épaule gauche.
[16] Le 20 septembre 2006, le travailleur consulte l’orthopédiste Major qui retient le diagnostic de déchirure de la coiffe de l’épaule gauche. Il procède à une première infiltration et les travaux légers sont poursuivis. Puis, le 18 octobre 2006, le docteur Major procède à une deuxième infiltration et prescrit un arrêt de travail. Il recommande également la cessation des traitements de physiothérapie.
[17] Le 8 novembre 2006, la CSST accepte le nouveau diagnostic de déchirure de la coiffe des rotateurs à l’épaule gauche comme étant en relation avec l’accident du travail.
[18] Le 16 novembre 2006, le docteur Major procède à une troisième infiltration. Puis, il produit un rapport médical final par lequel il consolide la lésion en date du 13 décembre 2006 avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles.
[19] Le 15 janvier 2007, le docteur Major produit un rapport d’évaluation médicale. Il retient que le travailleur est âgé de 62 ans et que, à la suite d’une chute, il s’est infligé une blessure à l’épaule gauche. Il mentionne que l’examen par résonance magnétique a démontré la présence d’une rupture de la coiffe des rotateurs. Il indique qu’il a maintenu un traitement conservateur, associé à des traitements de cortisone, qui a été satisfaisant puisqu’il a mené à une stabilisation de la condition du travailleur avec une disparition significative de la symptomatologie douloureuse. Il ajoute que le travailleur présente une condition stabilisée et, considérant son âge, il ne recommande pas la chirurgie pour le moment.
[20] Considérant que le travailleur présente des douleurs à l’effort, un manque de tolérance à la mobilisation de l’épaule gauche ainsi que des douleurs au soulèvement de charges, il recommande des limitations fonctionnelles. Il est d’avis que le travailleur doit éviter tout mouvement répétitif sollicitant l’épaule gauche; soulever des charges excédant 10 kilos; soulever des charges avec le bras placé loin du corps soit en abduction ou en antépulsion et travailler avec le membre supérieur gauche au-delà de la hauteur des épaules. Il accorde un déficit anatomo-physiologique de 5 % pour une atteinte des tissus mous et des ankyloses lors des mouvements d’abduction, d’élévation antérieure et de rotation interne auquel s’additionne un déficit anatomo-physiologique de 1 % pour la bilatéralité.
[21]
Le 15 février 2007, l’employeur dépose une demande de partage de coût en
vertu de l’article
[22] Le 5 mars 2007, la CSST rend une décision par laquelle elle détermine que le travailleur n’est plus capable d’exercer son emploi de conducteur de bétonnière et qu’elle continuera à lui verser une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à l’âge de 68 ans, celle-ci diminuant progressivement à compte de son 65e anniversaire de naissance.
[23] Les 11 septembre et 29 novembre 2007, la CSST refuse la demande de partage de coût de l’employeur. Dans sa décision faisant suite à une révision administrative, la CSST retient que l’acromion de type II constitue une altération d’une structure anatomique qui est une déviation par rapport à une norme biomédicale. Cependant, la CSST est d’avis que le fait accidentel est suffisant pour avoir causé la lésion et que le handicap n’a donc pas joué un rôle déterminant dans la survenance de celle-ci. De plus, elle retient que, étant donné l’âge du travailleur et la période de consolidation de 132 jours, le handicap n’a pas contribué à prolonger de façon appréciable la période de consolidation de la lésion professionnelle. C’est cette décision qui est à l’origine du présent litige.
[24] Devant la Commission des lésions professionnelles, afin de soutenir sa demande de partage de coût, l’employeur dépose différents rapports médicaux concernant les antécédents aux deux épaules ainsi qu’une opinion écrite du docteur Lacasse. De son côté, pour compléter sa preuve, la CSST dépose une opinion écrite de son médecin-conseil, la docteure Gosselin.
[25] À la lumière de la définition de la notion de handicap retenue par la jurisprudence, il y a d’abord lieu de se demander si le travailleur était atteint d’une déficience avant la survenance de la lésion le 3 août 2006. À cet égard, le docteur Lacasse soutient que la calcification tendineuse et l’acromion de type II constituent des déficiences antérieures.
[26] D’abord, au regard de la calcification tendineuse, l’employeur soutient que le travailleur a déjà présenté une tendinite du sus-épineux de l’épaule gauche en 1994 et 1995 pour laquelle il a eu un arrêt de travail de cinq mois et reçu des traitements de physiothérapie ainsi qu’une infiltration. De plus, en 2001, le travailleur a présenté une tendinite bilatérale des épaules qui n’a pas été reconnue comme une lésion professionnelle. En 2002, le travailleur a passé une échographie des deux épaules. Une déchirure du sus-épineux est visualisée à l’épaule droite alors que, pour l’épaule gauche, des signes de tendinopathie calcifiante du sus-épineux sont observés ainsi qu’une bursite de la bourse sous-acromio-deltoïdienne.
[27] Au regard de la tendinopathie, le docteur Lacasse soutient qu’il est bien connu dans l’histoire naturelle d’une déchirure de la coiffe des rotateurs, qu’une dégénérescence tendineuse s’amorce bien avant la déchirure et peut se manifester sous forme de tendinite récidivante. Selon lui, le fait que le travailleur consulte un médecin six jours après l’événement témoigne de la survenance d’une déchirure sur un tendon dégénéré. Il est d’avis que si la coiffe avait été intacte avant l’événement, le travailleur aurait ressenti une douleur incapacitante immédiate. De plus, il est d’avis que le fait que le docteur Major n’ait pas procédé à une chirurgie indique également que le travailleur était atteint d’une tendinopathie dégénérative puisque, normalement, chez un jeune travailleur sans dégénérescence, l’échec du traitement conservateur mène à une chirurgie ou à une reconstruction de la coiffe.
[28] Le docteur Lacasse soutient qu’une tendinopathie calcifiante est d’emblée déviante par rapport à la norme biomédicale. S’appuyant sur un texte intitulé « Calcific tendinitis of the shoulder »[6], le docteur Lacasse affirme que, sur plus de 6 000 individus n’ayant pas de problème particulier au niveau des deux épaules, une incidence de 2,7 % de calcification dans la coiffe des rotateurs a été identifiée. Se basant sur un texte tiré du New England Journal of Medicine[7], la représentante de l’employeur ajoute que seulement 7,5 % à 20 % des adultes sont affectés par une tendinite calcifiée. Ainsi, elle affirme que cette condition dévie de la norme biomédicale, même si le travailleur était âgé de 57 ans au moment de passer l’échographie en 2002 et qu’il faisait partie du groupe d’âge de 30 à 60 ans qui est le plus touché par une telle pathologie.
[29] Avec respect, la Commission des lésions professionnelles accorde davantage de force probante à l’opinion de la docteure Gosselin qui est plus nuancée et plus complète et tient davantage compte de l’ensemble de l’évolution clinique de l’épaule gauche du travailleur depuis 1994.
[30] En outre, selon la preuve soumise par l’employeur, en 1994-1995, le travailleur a présenté une tendinite de l’épaule gauche, pour laquelle il a reçu différents traitements et a eu un arrêt de travail de quelques mois. Cependant, la preuve soumise démontre que la radiographie alors passée à l’épaule gauche était normale, ce qui implique notamment l’absence de calcification. De plus, la preuve prépondérante démontre que, par la suite, le travailleur a repris son travail normal sans évidence de douleurs résiduelles.
[31] La preuve démontre également que le travailleur a présenté une tendinite bilatérale des épaules en 2001 qui n’a pas été reconnue comme lésion professionnelle. Or, il appert de la décision de la Commission des lésions professionnelles, rendue le 19 décembre 2003 et portant sur l’admissibilité de cette tendinite bilatérale, que les symptômes étaient alors nettement dominants à l’épaule droite. Notamment, les amplitudes articulaires de l’épaule gauche étaient normales.
[32] Tel que le souligne également la docteure Gosselin, l’échographie passée par le travailleur, en 2002, ne démontre pas de signes de dégénérescence. La tendinopathie calcifiée était minime et il n’y avait qu’une légère bursite. L’échographie ne fait pas état d’un accrochage alors que l’acromion est de type II. De plus, nulle part dans la preuve, il n’est question que le travailleur soit demeuré avec des symptômes résiduels de cette tendinite à l’épaule gauche de 2001. La preuve démontre plutôt de façon prépondérante que le travailleur avait repris ses tâches habituelles, qu’il a occupées jusqu’à la survenance de l’accident du travail le 3 août 2006.
[33] D’autre part, contrairement à l’affirmation du docteur Lacasse, la docteure Gosselin ne croit pas que le délai de consultation médicale après la survenance de l’événement implique nécessairement que le tendon supra-épineux était dégénéré. Elle est plutôt d’avis qu’une déchirure partielle du tendon comme c’est le cas, en l’espèce, n’amène pas systématiquement d’impotence fonctionnelle subite et totale de l’épaule. C’est plutôt la douleur qui limite les mouvements. Or, le seuil de douleur est différent d’un patient à l’autre. Ainsi, ce n’est pas parce que le travailleur a attendu six jours avant de consulter un médecin que cela implique une dégénérescence du tendon.
[34] Par ailleurs, la docteure Gosselin souligne également à juste titre que, à l’imagerie par résonance magnétique passée en 2006, la radiologiste note que, hormis, la déchirure transfixiante du tendon supra-épineux, tous les tendons de la coiffe chez cet homme de 61 ans sont normaux et intacts et donc non atteints de tendinopathie dégénérative significative. À cet égard, la docteure Gosselin souligne l’absence de rétraction tendineuse. De fait, elle précise qu’il y a une déchirure transfixiante du supra-épineux, mais qui n’implique pas tout le tendon. Elle note également l’absence d’atrophie musculaire. L’ensemble de ces constatations l’amène à conclure que si, avant l’événement du 6 août 2006, il y avait dégénérescence de la coiffe, elle était localisée et peu importante et donc non déviante par rapport à la norme biomédicale pour un homme de 61 ans.
[35] De façon plus spécifique, au regard de la calcification tendineuse observée à l’échographie de 2001, à l’instar de la docteure Gosselin, la Commission des lésions professionnelles constate qu’aucun signe de calcification n’est noté par la radiologiste dans le cadre de l’examen par résonance magnétique passé en 2006. De plus, la docteure Gosselin cite des passages du texte de littérature médicale[8] déposée par le docteur Lacasse. Tel qu’elle le mentionne, il en ressort qu’une tendinopathie calcifiante évolue en général vers une résolution complète et une réparation du tendon et qu’elle n’est pas dégénérative et requiert plutôt des cellules bien vivantes et fonctionnelles pour survenir.
[36] Par conséquent, tel que l’affirme la docteure Gosselin, si l’on considère que la calcification notée en 2001 était discrète, le silence médical et le bon état fonctionnel du travailleur entre 2001 et 2006, l’absence de calcification notée à l’imagerie médicale en 2006, et l’histoire naturelle d’une tendinite calcifiée, il faut conclure que la tendinite calcifiée observée à l’échographie de 2002 était vraisemblablement résolue avant la survenance de la lésion et n’a pu prédisposer le travailleur à la lésion professionnelle de 2006.
[37] Dans ces circonstances, la calcification tendineuse étant de façon probante résolue avant la survenance de la lésion en 2006, elle ne peut être considérée comme une altération d’une structure physiologique qui correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. D’autre part, la preuve prépondérante démontre que si la coiffe de l’épaule gauche était atteinte de dégénérescence avant la survenance de la déchirure, elle était localisée et peu importante. Selon le tribunal, cette condition dégénérative n’était donc pas déviante par rapport à la norme biomédicale pour un homme de 61 ans. Ainsi, la tendinopathie calcifiée ne constitue pas une déficience préexistante à la lésion professionnelle.
[38] Et même si on considérait que cette tendinopathie constitue une déficience, la preuve ne démontre pas qu’elle a joué un rôle déterminant dans la production de la lésion ou sur ses conséquences.
[39] D’abord, la représentante de l’employeur affirme que l’événement qui est survenu le 3 août 2006 est relativement banal, puisque le travailleur a attendu six jours avant de consulter un médecin. À l’instar de la docteure Gosselin, la Commission des lésions professionnelles est plutôt d’avis que le fait accidentel est significatif. Après avoir glissé, le travailleur reste suspendu par le bras avant de tomber au sol. Il s’agit donc d’un mécanisme lésionnel de traction subite et en force de l’épaule gauche qui est suffisant à lui seul pour expliquer la déchirure de la coiffe des rotateurs. Le délai de consultation de six jours ne change rien à ce mécanisme. En outre, la déchirure n’est que partielle et n’entraîne pas systématiquement une impotence fonctionnelle, mais dépend plutôt du seuil de tolérance de la douleur du travailleur, qui, en l’espèce, a attendu six jours avant de consulter un médecin.
[40] Ainsi, tel que mentionné précédemment, si le travailleur présentait une tendinopathie préexistante, celle-ci était probablement peu significative. Dans ce contexte, et étant donné le fait accidentel significatif, la Commission des lésions professionnelles retient que, de façon probante, cette condition préexistante n’a pas joué un rôle déterminant dans la survenance de la lésion professionnelle.
[41] Le docteur Lacasse affirme que la tendinopathie dégénérative de la coiffe a joué un rôle déterminant sur les conséquences de la lésion. Il affirme notamment que, le choix du docteur Major, de ne pas réparer la déchirure de la coiffe est dicté par le fait que la tendinopathie dégénérative de la coiffe l’empêcherait d’obtenir un résultat chirurgical convenable, ce qui explique également la prolongation de la consolidation, la persistance des limitations fonctionnelles et du pourcentage d’atteinte permanente.
[42] Tel que l’affirme la docteure Gosselin, rien ne permet de conclure que c’est la présence d’une tendinopathie excessive qui a amené le docteur Major à ne pas opérer le travailleur. Elle déclare que la chirurgie est habituellement réservée aux échecs du traitement conservateur. Or, la preuve démontre justement que le docteur Major est satisfait de la récupération obtenue par le traitement conservateur tant sur le plan fonctionnel que de la douleur. Le docteur Major indique que seul un manque de tolérance à l’effort persiste. Or, il ressort de la littérature médicale[9] soumise par la docteure Gosselin à l’appui de son opinion qu’il est loin d’être évident qu’une chirurgie aurait amélioré ce manque de tolérance à l’effort. La Commission des lésions professionnelles retient donc de la preuve prépondérante que, dans le présent cas, il n’y a pas eu échec du traitement conservateur et que ce n’est pas la condition de dégénérescence de la coiffe qui amène le docteur Major à ne pas procéder à une chirurgie de la coiffe.
[43] Ainsi, à l’instar de la docteure Gosselin, la Commission des lésions professionnelles constate que la période de consolidation a été relativement rapide pour une déchirure de la coiffe et la présence de limitations fonctionnelles et d’une atteinte permanente n’est pas inhabituelle pour une telle lésion, surtout en tenant compte de l’âge du travailleur.
[44] Qu’en est-il maintenant pour l’acromion de type II?
[45] La Commission des lésions professionnelles constate que d’emblée, sans faire aucune analyse de la preuve médicale, la CSST reconnaît qu’il s’agit d’une altération d’une structure anatomique qui correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Le docteur Lacasse s’en remet à cette conclusion de la CSST sans fournir d’explication. La représentante de l’employeur soumet de la littérature médicale[10] indiquant que 70 % des déchirures de la coiffe sont associées à des acromions de type III (« hooked ») alors que la balance des ruptures de la coiffe sont associées à des acromions de type II, ce qui n’est pas le cas pour l’acromion de type I. Cependant, la preuve soumise par l’employeur ne démontre aucunement en quoi l’acromion de type II correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. En outre, elle ne démontre pas dans quel pourcentage de la population se retrouve l’acromion de type II par rapport à celui des types I et III.
[46] De son côté, la docteure Gosselin élabore peu sur cette question puisque la CSST a d’emblée reconnu que l’acromion de type II constituait un handicap préexistant. Néanmoins, elle ajoute que la morphologie acromiale de type II est la plus fréquente chez l’adulte, ce qui laisserait entendre qu’elle ne correspond pas à une déviation par rapport à une norme biomédicale.
[47] Ceci étant dit, même si on prend pour acquis que l’acromion de type II constitue une altération d’une structure physiologique ou anatomique correspondant à une déviation par rapport à une norme biomédicale, la Commission des lésions professionnelles retient de la preuve prépondérante que cette condition préexistante n’a pas joué un rôle déterminant dans la production de la lésion ou sur ses conséquences.
[48] D’une part, le docteur Lacasse n’explique pas comment l’acromion de type II a joué un rôle déterminant dans la survenance de la lésion. Quant à la représentante de l’employeur, elle soumet que, en tenant compte du texte « Observations on Impigement »[11], il apparaît évident que l’acromion de type II a joué un rôle déterminant dans la production de la lésion. À la lecture de ce texte, il ressort que les déchirures de la coiffe sont surtout associées à des acromions de type III, mais également dans une moindre proportion, à des acromions de type II. Cependant, il appert également de ce texte que les lésions de la coiffe sont déterminées par plusieurs facteurs d’ordre vasculaire, dégénératif, traumatique et anatomique qui sont propres à chaque individu. Or, tel que déjà motivé précédemment, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que, en l’espèce, le mécanisme lésionnel de traction subite et en force de l’épaule gauche est suffisant à lui seul pour expliquer la déchirure de la coiffe des rotateurs, peu importe la morphologie acromiale.
[49] La Commission des lésions professionnelles retient également que l’employeur n’a soumis aucune preuve permettant de conclure que l’acromion de type II a joué un rôle sur les conséquences de la lésion. En outre, le docteur Lacasse ne fournit aucune explication à cet égard et considère plutôt que c’est la tendinopathie dégénérative de la coiffe qui a joué un rôle déterminant sur les conséquences de la lésion. Or, la Commission des lésions professionnelles a déjà disposé de cet argument.
[50]
Ainsi, pour toutes ces raisons, la Commission des lésions
professionnelles est d’avis que la preuve soumise par l’employeur ne permet pas
de conclure à la présence d’un handicap préexistant au sens de l’article
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de Ciment Québec inc., l’employeur;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 29 novembre 2007 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’employeur doit être imputé de la totalité du coût des prestations en relation avec la lésion professionnelle subie par le travailleur le 3 août 2006.
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Monique Lamarre |
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Madame Katy Boucher |
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MEDIAL CONSEIL SANTÉ SÉCURITÉ |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Isabel Sioui |
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PANNETON LESSARD |
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Procureure de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Municipalité Petite-Rivière St-François et CSST,
[3] Voir notamment Municipalité Petite-Rivière
St-François et CSST, précitée note 2; Pneu National Chomedey inc.,
C.L.P.
[4] Précitée note 3.
[5] Hôpital général de Montréal,
[6] G. HURT et C.L. Jr BAKER, « Calcific Tendinitis of the Shoulder », (2003) 34 Orthopedic Clinics of North America, p. 567-575
[7] C. A. SPEED et B. L. HAZLEMAN, « Calcific Tendinitis of the Shoulder », (1999) 340 New England Journal of Medicine, p. 1582-1584
[8] Précité note 6.
[9] J. A. COGHLAN, R. BUCHBINDER, S. GREEN et autres, « Surgery for Rotator Cuff Disease (Review) », The Cochrane Library, Issue 1, 2009, 91 p.
[10] R. J. NEVIASER et T. J. NEVIASER, « Observations on Impingement », (1990) Clinical Orthopaedics and Related Research 60, p.
[11] Précité note 10
AVIS :
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appel; la consultation
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