Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
_

Gauthier et Sécurité Tenox ltée (Fermée)

2008 QCCLP 7188

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Joliette

15 décembre 2008

 

Région :

Lanaudière

 

Dossier :

335070-63-0712

 

Dossier CSST :

105051247

 

Commissaire :

Luce Morissette, juge administrative

 

Membres :

Francine Melanson, associations d’employeurs

 

Régis Gagnon, associations syndicales

 

______________________________________________________________________

 

 

 

 

Richard Gauthier

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Sécurité Tenox ltée (fermée)

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 7 décembre 2007, Richard Gauthier (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 8 novembre 2007, à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme l’exactitude d’un avis de paiement émis le 26 juin 2007 pour la période du 14 octobre 2006 au 7 juin 2007.

[3]                Également, elle confirme une décision rendue le 26 juin 207, soit l’exactitude d’un avis de paiement concernant des prestations versées pour de l’aide personnelle à domicile pour la période du 1er décembre 1999 au 8 juin 2007 au montant de 19 282,76 $. Entre autres, la CSST confirme que le travailleur n’a pas droit au paiement d’intérêts sur le remboursement de ces frais pour cette période.

[4]                L’audience s’est tenue dans un premier temps le 8 septembre 2008 à Joliette et a été ajournée au 20 octobre 2008 pour permettre au représentant du travailleur de produire des documents manquants.

[5]                Le 20 octobre 2008, l’audience a lieu en présence du représentant du travailleur, celui-ci informant le tribunal qu’il ne jugeait pas nécessaire que le travailleur soit présent à l’audience. La compagnie Sécurité Tenox ltée (l’employeur) est une entreprise fermée.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[6]                Lors de l’audience du 8 septembre 2008, le représentant du travailleur a mentionné au tribunal qu’il contestait la conformité de l’avis de paiement du 26 juin 2007 et le refus par la CSST de verser des intérêts sur la somme allouée pour l’aide personnelle à domicile. Comme il a été précisé, un ajournement a eu lieu.

[7]                Entre-temps, le 7 octobre 2008, le représentant du travailleur a fait parvenir au tribunal un tableau indiquant différentes périodes de temps pour lesquelles le travailleur a reçu des montants d’argent, soit de son employeur actuel ou de la CSST.

[8]                Toutefois, au début de l’audience du 20 octobre 2008, le tribunal a rappelé au représentant du travailleur que la décision de la révision administrative contestée porte uniquement sur une période d’indemnités du 14 octobre 2006 au 7 juin 2007. En conséquence, le tribunal peut se prononcer sur cette seule période.

[9]                Le représentant, après avoir consulté le travailleur, précise que la seule contestation qui demeure est celle ayant trait au paiement d’intérêts sur la somme allouée pour le remboursement des frais de l’aide personnelle. Il n’y a plus de contestation sur l’exactitude de l’avis de paiement émis le 26 juin 2007 pour la période du 14 octobre 2006 au 7 juin 2007.

 

L’AVIS DES MEMBRES

[10]           La membre issue des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales diffèrent d’avis.

 

[11]           Ainsi, la membre issue des associations d’employeurs est d’avis que l’article 364 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) doit recevoir une interprétation restrictive excluant le paiement d’intérêts sur des prestations, tels les frais d’aide personnelle à domicile.

[12]           Pour sa part, le membre issu des associations syndicales est d’avis que les intérêts sont payables sous toute forme d’indemnité, incluant les frais d’aide personnelle à domicile

 

LES FAITS ET LES MOTIFS

[13]           Le représentant du travailleur a seulement présenté des arguments. Toutefois, il y a lieu de constater qu’il n’y a pas de litige sur le fait que le travailleur a droit, à la suite d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles[2] le 17 mai 2007, au versement d’une somme de 19 282,76 $ qui lui avait été préalablement refusé par la CSST. Ce montant a trait à des périodes s’échelonnant du 1er décembre 1999 au 8 juin 2007. Il couvre des frais d’assistance personnelle et domestique, comme l’aide au lever, l’hygiène corporelle, l’habillement, etc., le tout en regard de l’article 158 de la loi.

[14]           Le représentant du travailleur n’a fait aucune représentation selon laquelle le montant qui apparaît à l’avis de paiement concernant les points alloués et la période concernée serait inexact. Il réclame seulement le droit pour le travailleur de recevoir des intérêts sur cette somme. Il dépose de la jurisprudence appuyant ses prétentions.

[15]           De son côté, la CSST, dans la décision rendue en révision administrative le 8 novembre 2007, se déclare liée par une « interprétation » en matière de versement d’intérêts pour des prestations d’aide personnelle. Elle réfère à une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles sans toutefois mentionner laquelle.

[16]           La CSST ajoute que l’article 364 de la loi doit être interprété et appliqué de manière restrictive. Or, cet article réfère uniquement au versement d’intérêts sur une indemnité et cela exclut les montants versés au travailleur à titre d’aide personnelle à domicile.

[17]           Le tribunal est d’avis que la requête du travailleur, sur la question du paiement des intérêts, doit être accueillie pour les raisons suivantes.

[18]           En premier lieu, il convient de rappeler que l’article 364 de la loi prévoit le droit au versement d’intérêts de la manière suivante :

364.  Si une décision rendue par la Commission, à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358, ou par la Commission des lésions professionnelles reconnaît à un bénéficiaire le droit à une indemnité qui lui avait d'abord été refusée ou augmente le montant d'une indemnité, la Commission lui paie des intérêts à compter de la date de la réclamation.

 

Le taux de ces intérêts est déterminé suivant les règles établies par règlement. Ces intérêts se capitalisent quotidiennement et font partie de l'indemnité.

__________

1985, c. 6, a. 364; 1993, c. 5, a. 20; 1997, c. 27, a. 20; 1996, c. 70, a. 42.

 

(Notre soulignement)

 

 

[19]           Dans le présent cas, il y a lieu de constater que le travailleur s’est vu reconnaître de manière rétroactive un droit qui lui avait d’abord été refusé, soit le paiement de montants pour de l’aide personnelle à domicile. L’une des conditions prévues à l’article 364 est donc satisfaite.

[20]           Le litige porte plutôt sur le sens que doit recevoir le mot « indemnité » qui est mentionné à l’article 364. Or, la loi ne donne aucune définition de ce terme. Par ailleurs, l’article 2 de la loi définit ainsi le terme « prestation » :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« prestation » : une indemnité versée en argent, une assistance financière ou un service fourni en vertu de la présente loi;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.

 

 

[21]           Depuis quelques années, des décisions ont été rendues concernant le droit au versement des intérêts pour un travailleur ayant reçu des montants d’aide personnelle à domicile après qu’ils aient été dans un premier temps refusés. Cette jurisprudence semble partagée.

[22]           Ainsi, dans l’affaire Tardif[3] la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles rappelle que la loi prévoit le versement d’une indemnité dans trois situations, soit : à titre de remplacement du revenu, lors d’un décès ou pour compenser un préjudice corporel.

[23]           Or, l’article 364 de la loi référant expressément à la notion d’indemnité et non à tout autre type de prestation, il y a lieu de s’en tenir à l’intention du législateur et limiter le versement des intérêts à l’indemnité versée pour l’une des trois situations exposées. Les frais pour l’entretien du domicile sont considérés comme des prestations versées sous forme d’assistance financière ou de services professionnels pour lesquelles aucun versement d’intérêts n’est prévu. Dans l’affaire Proulx[4], la Commission des lésions professionnelles se rallie à la position prise dans l’affaire Tardif.

[24]           Toutefois, dans une autre décision[5], sans s’en expliquer, la Commission des lésions professionnelles reconnaît le droit au versement des intérêts sur des montants versés pour de l’aide personnelle à domicile.

[25]           Dans une autre affaire[6], la Commission des lésions professionnelles reprend les motifs de la décision Tardif pour réitérer que la loi prévoit uniquement trois types d’indemnités et qu’en conséquence, le versement d’intérêts prévu à l’article 364 se limite à ces situations. Le législateur a exclu la notion de prestation prévue à l’article 2 de la loi. Il n’y a donc pas lieu de verser des intérêts sur ces prestations.

[26]           Toutefois, en 2005, dans l’affaire Phillips[7], la Commission des lésions professionnelles rend une décision dans laquelle elle reconnaît le droit aux intérêts sur les montants versés à titre d’aide personnelle.

[27]           Quelque temps plus tard, le 21 décembre 2006, la Commission des lésions professionnelles rend une deuxième décision reconnaissant également le droit au paiement des intérêts sur des montants d’aide personnelle à domicile. Il s’agit de l’affaire Turner[8] qui a l’avantage d’analyser en profondeur les articles de loi pertinents et la jurisprudence du tribunal. Il convient donc de s’y attarder.

[28]           Dans cette affaire, la commissaire commence par rappeler que la loi doit recevoir une interprétation large et libérale qui assure l’accomplissement de son objet, soit la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent. La soussignée est tout à fait d’accord avec cette manière d’interpréter la loi. À ce titre, l’interprétation restrictive retenue par la CSST n’est aucunement justifiée.

[29]           Deuxièmement, la commissaire analyse le sens des expressions « indemnités versées en argent », « assistance financière », « service fourni » et « prestation » et, en particulier, le contexte dans lequel le législateur a utilisé ces termes. Le tribunal ne juge pas utile de reprendre en détail cette analyse, sauf pour retenir la conclusion selon laquelle les sommes versées pour l’aide personnelle à domicile prévue à l’article 158 de la loi sont des prestations de réadaptation, mais également des indemnités versées en argent au sens des articles 2 et 364 de la loi.

[30]           À ce titre, le tribunal juge pertinent de citer le passage suivant de la décision avec lequel il est tout à fait d'accord :

[117]    Le tribunal est d’avis qu’une analyse minutieuse et rigoureuse de l’ensemble des dispositions législatives et réglementaires amène à conclure que le législateur inclut dans le terme « prestation » tous les coûts d’indemnisation versés par la CSST ou par l’employeur à un travailleur ou à un bénéficiaire en vertu de la loi et que « l’indemnité versée en argent » prévue par la définition de « prestation » inclut tout montant d’argent attribué à un bénéficiaire en réparation de sa lésion professionnelle ou en compensation de certains frais reliés à cette lésion.

 

[118]    Ainsi, le terme « indemnité » utilisé à la loi ne comprend pas les seules indemnités retrouvées au chapitre III de la loi, mais aussi celles versées en argent prévues par les autres chapitres de la loi, notamment celles versées à titre d’aide personnelle à domicile en vertu de l’article 158 de la loi. (Notre soulignement)

 

 

[31]           Le tribunal rappelle que le chapitre III de la loi a trait aux indemnités de remplacement du revenu, celles versées pour un préjudice corporel et les indemnités de décès.

[32]           Concernant l’interprétation à donner au mot « indemnité » tel qu’il apparaît dans l’article 364 de la loi, il y a également lieu de rapporter ce qui suit de la décision Turner puisque le tribunal fait siens ces propos :

[120]    « L’indemnité » édictée par l’article 364 de la loi ne vise donc qu’une indemnité versée en argent qui est reconnue à un bénéficiaire après décision de la révision administrative ou de la Commission des lésions professionnelles. Le tribunal est d’avis qu’il s’agit de la même « indemnité versée en argent » que celle prévue à la définition de prestation. (Notre soulignement)

 

 

[33]           Finalement, le tribunal retient que le terme « indemnité » n’étant pas défini à la loi, il convient de lui donner son sens usuel. À ce titre, il est pertinent de rappeler la définition suivante du dictionnaire[9] :

INDEMNITÉ n. f. - […] 1. Ce qui est attribué à qqn en réparation d’un dommage, d’un préjudice, ou de la perte d’un droit. Þ compensation, dédommagement, dommage (dommages-intérêts), indemnisation, vx récompense, réparation. […] 2. Ce qui est attribué en compensation de certains frais. Þ allocation, défraiement.

 

 

[34]           Donc, une indemnité est un montant d’argent donné à quelqu’un pour réparer un dommage ou compenser certains frais.

[35]           En regard de cette définition, le tribunal est incapable de conclure que le montant, qui a été versé au travailleur de manière rétroactive pour des frais d’entretien, ne présente pas toutes les caractéristiques de la définition mentionnée plus haut. Il s’agit bien d’une indemnité versée en argent. Or, le travailleur a le droit de recevoir le paiement d’intérêts sur cette indemnité qui lui avait été au départ refusé.

[36]           Pour l’ensemble de ces motifs, la requête du travailleur concernant son droit au versement d’intérêts sur la somme versée à titre d’aide personnelle à domicile doit être accueillie.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de Richard Gauthier, le travailleur, concernant le paiement d’intérêts sur la somme allouée pour le remboursement des frais de l’aide personnelle à domicile;

MODIFIE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 8 novembre 2007, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur a droit au paiement d’intérêts sur la somme de 19 282,76 $ représentant le remboursement des frais pour de l’aide personnelle à domicile pour la période du 1er décembre 1999 au 8 juin 2007.

 

 

 

__________________________________

 

Luce Morissette

 

 

Me Sylvain B. Gingras

Gingras, avocats

Représentant de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Gauthier et Sécurité Ténox ltée (fermée) et Commission de la santé et de la sécurité du travail, C.L.P. 291020-63-0605 et 299501-63-0609, 17 mai 2007, D. Besse.

[3]           Tardif et CSST et Entreprises Réjean Turgeon inc., C.A.L.P. 70437-03B-9506, 30 octobre 1995, J.-M. Dubois.

[4]           Proulx et Arthur Anderson inc. syndic et Corporation Raymor ltée, C.L.P. 78766-60A-9604 et 85235-60A-9701, 10 août 1998, J.-D. Kushner.

[5]           Jacques et Rancourt Fina Service (fermée), C.L.P. 103839-03B-9808, 6 octobre 1998, R. Jolicoeur.

[6]           Thibault et Lucien Paré et Fils ltée, C.L.P. 136681-32-0004 et 148148-32-0010, 29 mars 2001, L. Langlois.

[7]           Phillips et Centre hospitalier régional de Lanaudière, C.L.P. 231142-63-0403, 30 mai 2005 (décision rectifiée le 13 juin 2005 et 20 juin 2005), R. Brassard, requête en révision rejetée, 27 janvier 2006, B. Lemay.

[8]           Turner et Centre communautaire bénévole Matawinie et Commission de la santé et de la sécurité du travail, 245133-63-0410, 21 décembre 2006, F. Mercure : att. : décision pub.

[9]           Le Nouveau Petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, nouv. éd. remaniée et amplifiée, Paris, Dictionnaires Le Robert, juin 1996, p. 1156.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.