Barbeau et V. Boutin Express inc. |
2012 QCCLP 6693 |
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[1] Le 26 mai 2012, monsieur Benjamin Barbeau (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l'encontre d'une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 26 avril 2012 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 19 décembre 2012 et déclare qu’elle est justifiée de refuser de payer au travailleur les frais de déménagement.
[3] Une audience est tenue à Saint-Jérôme le 31 août 2012. Le travailleur est présent et non représenté. L’employeur, V. Boutin Express inc. n’est pas représenté.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande de déclarer qu’il a droit au remboursement des frais de déménagement.
L'AVIS DES MEMBRES
[5] Les membres issus des associations syndicales et d'employeurs sont d'avis qu’il y a lieu d’accueillir la requête du travailleur, d’infirmer la décision rendue par la CSST le 26 avril 2012 à la suite d’une révision administrative et de déclarer que le travailleur a droit au remboursement des frais de déménagement.
[6] Le domicile du travailleur ne pouvait être adapté étant donné les escaliers présents. Le travailleur a donc droit au remboursement des frais de déménagement. De plus, il se rapproche de sa famille et cela lui apportera du soutien dans le cadre de sa réadaptation.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a droit au remboursement des frais de déménagement.
[8] L’article 154 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prévoit les conditions pour qu’un travailleur puisse se faire rembourser les frais d’un déménagement. Cet article est libellé comme suit :
154. Lorsque le domicile d'un travailleur visé dans l'article 153 ne peut être adapté à sa capacité résiduelle, ce travailleur peut être remboursé des frais qu'il engage, jusqu'à concurrence de 3 000 $, pour déménager dans un nouveau domicile adapté à sa capacité résiduelle ou qui peut l'être.
À cette fin, le travailleur doit fournir à la Commission au moins deux estimations détaillées dont la teneur est conforme à ce qu'elle exige.
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1985, c. 6, a. 154.
[9] Le travailleur, un camionneur, subit une lésion professionnelle le 27 janvier 2009 alors qu’il subit un accident au volant de son véhicule.
[10] Le 28 janvier 2009, le travailleur consulte le docteur Martin Bédard, orthopédiste, qui diagnostique une fracture trimalléolaire de la cheville gauche.
[11] Le 11 septembre 2009, le travailleur consulte la docteure Isabelle Côté qui diagnostique un syndrome douloureux régional complexe (SDRC) à la suite des fractures à la cheville gauche.
[12] La CSST rend une décision le 21 septembre 2009 et accepte le nouveau diagnostic de stress post-traumatique.
[13] La CSST rend une décision le 26 octobre 2009 et accepte le nouveau diagnostic de dystrophie sympathique réflexe du membre inférieur.
[14] Le docteur Bédard produit un Rapport final le 13 avril 2010 par lequel il consolide la lésion professionnelle à la date de son rapport. Il conclut qu’il subsiste des séquelles.
[15] Le docteur Bédard produit un Rapport d’évaluation médicale le 15 avril 2010. Il conclut qu’il subsiste une atteinte permanente dont le déficit anatomophysiologique est de 21 % ainsi que les limitations fonctionnelles suivantes :
La condition clinique de monsieur Barbeau impose des limitations fonctionnelles permanentes. Ainsi, il n’est pas capable de soulever, porter, pousser ou tirer des charges car il nécessite des béquilles pour sa mobilité.
Il lui est impossible d’exercer des activités en position penchée, accroupie ou instable.
De plus, la station debout ne devrait pas être prolongée plus de 10 minutes car il nécessite, tel que mentionné, des béquilles pour tous ses déplacements.
Un travail en position assise est à considérer et des périodes de repos fréquentes devraient lui être allouées de façon à obtenir un certain confort au niveau de son membre inférieur gauche.
Il est également incapable de monter et de descendre des escaliers et il devrait travailler dans une facilité où un ascenseur est disponible ou encore s’il n’y a qu’un seul étage.
Il est incapable de marcher sur un terrain accidenté.
Il est incapable de ramper ou de grimper également. [sic]
[16] Le 1er juillet 2010, le docteur Bédard corrige son Rapport d’évaluation médicale et retient un déficit anatomophysiologique de 24 %.
[17] Le 20 décembre 2010, le travailleur est évalué par le docteur Ethan Lichtblau, orthopédiste, à la demande de la CSST. Il consolide la lésion à la date de son examen et conclut qu’il subsiste une atteinte permanente dont le déficit anatomophysiologique est de 34 %. De plus, il retient les limitations fonctionnelles suivantes :
Le travailleur devrait:
• Éviter de rester en position stationnaire debout ou de marcher pour plus de 10 minutes à la fois;
• Toujours être capable de se déplacer avec des béquilles;
• Éviter de travailler en position penchée ou accroupie;
• Éviter de marcher ou de travailler en terrain accidenté, glissant, inégal, irrégulier ou instable;
• Se voir alloué des périodes de repos fréquentes s’il travaille dans une position assise, de façon à obtenir un certain confort au niveau du membre inférieur gauche;
• Éviter de monter ou de descendre des escaliers. [sic]
[18] Le docteur Bédard produit un Rapport complémentaire le 4 février 2011 et il se dit en accord avec la date de consolidation retenue par le docteur Lichtblau, car il y a eu une perte de mouvements depuis son Rapport d’évaluation médicale d’avril 2010.
[19] La CSST rend une décision le 21 juillet 2011 et conclut qu’il est impossible de déterminer un emploi convenable pour le travailleur. Elle lui versera une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à 68 ans.
[20] Le 16 décembre 2011, la conjointe du travailleur écrit une lettre à la CSST afin de se faire rembourser les frais d’un déménagement prochain. Cette lettre est libellée comme suit :
Nous avons vendu notre maison situé au 699 Rg 16 est Villeroy parce qu’il y avait trop d’escaliers. Sept marches pour entrer dans la maison, une douzaine d’escaliers pour aller aux chambres à l’étage et une dizaine d’escalier pour descendre au sous-sol. En plus nous avons un enfant de 2 ans se qui rend les choses très dangereuse en cas de feu à l’étage.
Marie-France Lafontaine et Andrée Desrosiers conseillère en réadaptation m’ont assurée que le déménagement serait payé. Un total de 5700 $.
J’attends de vos nouvelles vite car le déménagement est dû pour le 20 janvier 2012. [sic]
[21] La CSST rend une décision le 19 décembre 2011 et refuse de payer les frais de déménagement du travailleur.
[22] Le travailleur conteste cette décision par une lettre du 11 janvier 2011 par laquelle il indique que des conseillères de la CSST lui ont déjà indiqué que les frais d’un déménagement lui seraient remboursés. Le tribunal retient ceci de cette lettre :
Je conteste votre refus de payer les frais de mon déménagement. À l’automne 2010, Madame Marie-France Lafontaine, conseillère en réadaptation, avait confirmé qu’un montant de 5700 $ serait alloué pour les frais d’un déménagement dû à mes limitations fonctionnelles (éviter de monter et descendre des escaliers). Suite à une visite de votre part à mon domicile durant l’été 2011, vous avez aussi, Madame Andrée Desrosiers, confirmé que les frais de déménagement seraient payés par la CSST suite à la vente de notre maison. [sic]
[23] Le 26 avril 2012, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative et confirme celle rendue le 19 décembre 2011. Le tribunal retient ceci de cette décision :
Le travailleur soumet qu’il a été contraint de déménager en raison de sa limitations fonctionnelle qui demande d’éviter de monter ou de descendre des escaliers. La Révision administrative tient à préciser ici que le terme «éviter» ne signifie pas une interdiction de monter ou de descendre des escaliers mais signifie plutôt que le geste de monter ou descendre des escaliers qui doit être évité peut être posé à l’occasion. La Révision administrative estime que les limitations fonctionnelles du travailleur ne l’empêchent pas de monter ou de descendre des escaliers.
Des éléments au dossier, la Révision administrative constate que lors de la visite à domicile effectuée le 13 juin 2011, la Commission a pu constater que le travailleur peut avoir accès, de façon autonome, aux biens et commodités de son domicile, en respect de ses limitations fonctionnelles. La Commission a également noté la possibilité, si requis, d’adapter le domicile du travailleur pour le rendre plus sécuritaire en installant une main courante à l’escalier. La Commission a accordé au travailleur de l’aide personnelle à domicile pour faciliter son maintien à domicile et l’aider à prendre soin de son fils âgé de 2 ans. La Commission a également accordé au travailleur des aides techniques, soit des couvre marches d’extérieur en caoutchouc et ce, dans le but de maximiser son autonomie, de compenser ses limitations fonctionnelles et de lui permettre de se déplacer de façon sécuritaire.
De l’ensemble de la preuve disponible au dossier, le Révision administrative ne peut conclure que le déménagement du travailleur a été rendu nécessaire en raison de l’impossibilité d’adapter son domicile pour lui permettre d’entrer et de sortir de façon autonome et d’avoir accès aux biens et commodités de son domicile. Ainsi, la Révision administrative conclut que la Commission était justifiée de refuser de payer au travailleur les frais qu’il a engagés pour déménager dans un appartement. [sic]
[24] Lors de l’audience, le travailleur mentionne qu’il habite, lors de l’événement, à Villeroy, près de Plessisville. La CSST n’a pas évalué les besoins d’adaptation de sa maison. Il ajoute qu’il y a sept marches pour accéder à la maison. À l’intérieur, le salon, la salle à manger et la salle de bain sont au rez-de-chaussée. Il y a treize marches pour se rendre au sous-sol où est situé le poêle à bois et treize marches pour monter au premier étage où il y a quatre chambres.
[25] La seule adaptation autorisée par la CSST, au printemps 2011, est la pose de tapis en caoutchouc sur les marches extérieures. Il a dormi durant six mois dans le salon de cette maison sur un lit gonflable, car il est incapable de monter ou descendre des escaliers. Puis, il a réussi à monter les escaliers en se tenant à quatre pattes et à les descendre sur les fesses. Il mentionne que la seule toilette est située au rez-de-chaussée.
[26] Le travailleur ajoute que madame Marie-France Lafontaine, de la CSST, a évalué la maison et lui a dit qu’il a droit de se faire rembourser un déménagement jusqu’au montant maximum autorisé. Madame Andrée Desrosiers, de la CSST, a parlé à sa conjointe, vers la fin 2010, et lui a affirmé que le travailleur a droit de se faire rembourser les frais d’un déménagement pourvu qu’il fournisse deux soumissions.
[27] Il mentionne qu’il a vendu sa maison en août 2011 et décide, avec sa conjointe, de se louer temporairement un appartement à Villeroy. Ce logement a un seul étage et deux marches mènent à l’entrée de cette résidence.
[28] Avec sa conjointe, ils achètent une maison à Saint-Jérôme le 20 décembre 2011. Il veut se rapprocher de sa famille qui habite dans la région. Il y a déjà une rampe d’accès pour fauteuil roulant qui mène à la galerie arrière. La maison n’a qu’un seul étage et la salle de bain est aménagée pour les personnes en mobilité réduite. Il indique qu’il se déplace en béquilles ou en fauteuil roulant.
[29] Madame Gina Vaillancourt témoigne à la demande du travailleur. Elle est la conjointe du travailleur. Elle mentionne que le chauffage de la maison, à Villeroy, est au bois et à l’électricité. Lorsqu’elle travaille, le travailleur ne peut mettre du bois de chauffage dans le poêle à bois situé au sous-sol. Il fait alors plus froid lors de son retour à la maison. De plus, s’il y a un feu en son absence, le travailleur doit quitter la maison avec son bébé et cela peut lui être très difficile.
[30] Elle a eu deux soumissions pour le déménagement. Elle a retenu la soumission de l’entreprise Dmax Express inc. qui était moins chère que l’autre. Le montant de cette soumission est de 2 380 $ plus taxes pour un déménagement de Villeroy à Saint-Jérôme.
[31] Le tribunal doit analyser si le travailleur a droit au remboursement des frais de déménagement pour celui qui a eu lieu en janvier 2012.
[32] Le montant maximum revalorisé qui est remboursé pour un déménagement en 2012 est de 5 957 $.
[33] Le travailleur conserve, entre autres, la limitation fonctionnelle suivante :
• Éviter de monter ou de descendre des escaliers.
[34] Le tribunal est d’avis, à l’instar de l’affaire Chénier et Wal-Mart Canada inc.[2], que ce terme signifie que le travailleur ne doit pas exécuter certaines choses. Le tribunal retient ceci de cette décision :
[18] Aussi, soulignons que la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles4 énonce avec justesse que le terme « éviter » signifie selon le sens usuel « s’abstenir » ou « ne pas faire » ou « se garder de ». Éviter ne signifie pas « peut le faire à l’occasion » ou « faire une chose avec prudence ».
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4. Voir notamment Valle et Christina Amérique inc., C.L.P. 200768-71-0303 et autre, 17 février 2005, L. Landriault; Bélair et Fils Cavalier inc. et CSST, C.L.P. 179288-04B-0203, 24 avril 2003, D. Lajoie; Roy et Le Groupe Canam Manac inc. et CSST, 151700-03B-0012, 24 octobre 2001, R. Savard.
[35] Le tribunal considère que la preuve démontre que la maison que possédait le travailleur à Villeroy n’était pas adaptable pour ce dernier. En effet, il y avait treize marches pour se rendre au sous-sol ou au 1er étage tandis qu’il y avait sept marches pour accéder à la porte principale. Il n’y avait pas de rampe d’accès. De plus, les chambres sont toutes situées au 1er étage qui est dépourvu de salle de bain.
[36] Le travailleur doit, pour accéder à sa chambre ou celle de son enfant, monter et descendre un escalier. S’il est au 1er étage, il doit descendre l’escalier de treize marches pour se rendre à la cuisine ou à la salle de bain. Dans ces circonstances, il va de soi qu’un déménagement était nécessaire étant donné les limitations fonctionnelles du travailleur. Il ne s’agit certainement pas d’une habitation qui correspond aux besoins du travailleur qui se déplace en fauteuil roulant ou en béquilles.
[37] Le travailleur déménage temporairement dans un logement qui comporte un seul étage, puis il achète, avec sa conjointe, une maison à Saint-Jérôme qui est déjà adaptée à sa condition, car elle n’a qu’un seul étage et possède une rampe d’accès. Il veut déménager dans la région de Montréal, car il veut se rapprocher de sa famille qui pourrait l’aider plus facilement s’il habite à proximité.
[38] Le tribunal retient que le travailleur a un jeune enfant et il doit s’occuper de lui durant la journée lorsque sa conjointe est au travail. Une habitation avec un seul étage est évidemment beaucoup plus appropriée pour lui.
[39] Le travailleur a démontré qu’il était impossible d’adapter la maison de Villeroy. Il n’a pas été question d’installer un ascenseur ou un moyen similaire alors qu’il y avait plusieurs escaliers.
[40] Le travailleur a transmis deux soumissions pour un déménagement entre Villeroy et Saint-Jérôme et a pris la moins dispendieuse des deux.
[41] Par ailleurs, il appert des notes évolutives du 4 février 2011, de madame Andrée Desrosiers, de la CSST, qu’il serait possible pour le travailleur de déménager temporairement et de se faire rembourser le déménagement définitif. Le tribunal retient ceci de cette note :
[…] la famille a décidé de mettre sa maison en vente pour acheter une maison ou un appartement plus approprié. Présentement, le T habite principalement dans le salon mais doit monter les marches à quatre pattes pour aller à la salle de bain. La famille aimerait bien aller s’établir à Montréal pour se rapprocher de leurs familles respectives et obtenir de l’aide. Cependant, ils ont reçu une offre d’achat qui pourrait prendre effet dans 1 à 2 mois et ils ne sont pas prêts à déménager tout de suite car il y a encore un suivi médical qui se fait à Québec et au Centre-du-Québec. Ils ont donc décidé de louer un appartement quelques mois d’ici à ce que le dossier se finalise et de déménager ensuite à Montréal. Madame Vaillancourt aimerait savoir si des frais de déménagement peuvent leur être accordés.
[…]
Si T a l’intention de déménager à logement pour une période d’environ 6 mois avant de déménager définitivement dans un endroit approprié à sa condition et que la lésion n’est pas consolidée et que les limitations ne sont pas définitives, il y aurait peut-être lieu de déménager à ses frais dans un premier temps et de demander le remboursement lors de la conclusion du dossier et du déménagement définitif. [sic]
[42] Dans le cadre d’un processus de réadaptation, le tribunal considère qu’il est approprié, pour le travailleur, de déménager dans une habitation plus accessible pour lui, mais aussi de se rapprocher de sa famille afin d’obtenir plus d’aide. Le travailleur s’occupe de son jeune enfant durant la journée alors qu’il se mobilise difficilement.
[43] La loi ne prévoit pas une distance maximale pour qu’un travailleur se fasse rembourser le coût d’un déménagement, mais prévoit plutôt un montant maximum. Il y a donc lieu d’accorder les frais d’un déménagement entre Villeroy et Saint-Jérôme.
[44] Le tribunal conclut que le travailleur a droit au remboursement du déménagement de janvier 2012, entre Villeroy et Saint-Jérôme, jusqu’à concurrence du montant prévu.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Benjamin Barbeau, le travailleur, du 26 mai 2012;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 26 avril 2012 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement des frais de déménagement.
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Michel Lalonde |
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