Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

RÉGION :

Estrie

SHERBROOKE

 

Le

30 septembre 2003

 

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER :

210191-05-0306

DEVANT la COMMISSAIRE :

Me Luce Boudreault

 

 

 

 

 

 

 

ASSISTÉe DES MEMBRES :

Bertrand Delisle

 

 

 

Associations d’employeurs

 

 

 

 

 

 

 

Maurice Brisebois

 

 

 

Associations syndicales

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER CSST :

117444042

AUDIENCE TENUE LE :

16 septembre 2003

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À :

Sherbrooke

 

 

 

 

 

 

_______________________________________________________

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DENIS LAPORTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE REQUÉRANTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

et

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

FIBRES ARMTEX INC. (DIV. LAMINÉS)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE INTÉRESSÉE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

et

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COMMISSION DE LA SANTÉ ET

DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE INTERVENANTE

 

 

 

 

 


 

DÉCISION

 

 

[1]               Le 17 juin 2003, monsieur Denis Laporte (le travailleur) dépose une requête par laquelle il conteste une décision rendue le 16 juin 2003 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.

[2]               Cette décision est à l’effet de refuser de payer au travailleur les montants relatifs à la tonte du gazon.

[3]               À l’audience, le travailleur est présent et représenté. L’employeur, Fibres Armtex inc., est absent et son représentant a avisé qu’il ne se présenterait pas à l’audience. La CSST est également absente et son représentant a fait parvenir à la Commission des lésions professionnelles certains documents relatifs au dossier.

OBJET DU LITIGE

[4]               Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit au paiement par la CSST des frais afférents à la tonte du gazon sur sa propriété.

LES FAITS

[5]               Le travailleur a subi un accident du travail le 16 septembre 1999 alors qu’il exerçait ses tâches de préposé à la finition chez l’employeur. Un diagnostic d’entorse lombaire sera alors émis. Le dossier sera ultérieurement acheminé au Bureau d’évaluation médicale concernant une rechute, récidive ou aggravation du 20 novembre 2000.

[6]               La question du diagnostic sera contestée à la Commission des lésions professionnelles et dans une décision du 15 juillet 2002[1], les diagnostics de hernie discale L5-S1 et d’instabilité lombaire seront retenus en relation avec la rechute, récidive ou aggravation. Également, un déficit anatomo-physiologique de 15,6 % sera reconnu en relation avec cette lésion.

[7]               Des limitations fonctionnelles de classe III seront retenues en relation avec la condition lombaire du travailleur, soit les limitations fonctionnelles suivantes :

-   Ne pas soulever, porter, pousser ou tirer de façon répétitive ou fréquente des charges dépassant 5 kilos;

-   Ne pas marcher de longues périodes de temps;

-   Ne pas garder la même posture plus de 30 à 50 minutes;

-   Ne pas travailler dans une position instable soit, échafaudage, échelle ou escalier;

-   Ne pas effectuer des mouvements répétitifs des membres inférieurs et de la colonne;

-   Ne pas marcher sur un terrain accidenté ou glissant;

-   Ne pas ramper ou grimper.

[8]               En 2002, le travailleur demande à la CSST de défrayer les coûts pour les travaux de déneigement et pour la tonte de son gazon. La CSST autorise le remboursement des frais pour les travaux de déneigement en novembre 2002, mais refuse le remboursement des frais pour la tonte de son gazon.

[9]               Ce refus est basé sur une analyse de la « grille des exigences physiques associées à la tonte du gazon », grille préparée par la CSST, ainsi que sur une visite de la propriété du travailleur. Selon les données de la CSST, le terrain du travailleur est plat et la tonte du gazon sur un tel terrain implique une faible exigence physique au niveau du tronc, des hanches et des genoux. La CSST conclut également que le travailleur peut effectuer cette tâche à son rythme, en utilisant une bonne hygiène posturale et en effectuant une alternance entre les périodes de travail et les périodes de repos. Par ailleurs, le fait que le travailleur effectuait lui-même la tonte de son gazon au moment de la rechute, récidive ou aggravation du 20 novembre 2000 n’est pas remis en question.

[10]           Témoignant à l’audience, le travailleur explique que lorsqu’il a fait sa demande à la CSST, il habitait chez sa mère et qu’il a acheté sa propriété en septembre 2002.

[11]           Commentant les photographies qui ont été déposées par le représentant de la CSST, le travailleur explique qu’il y a une pente sur le côté où il a fait ajouter une piscine. Il a fait rajouter de la terre pour diminuer la pente, mais il reste encore une pente comme en font foi les photographies qu’il a montrées au tribunal. Il fait remarquer que la CSST n’a pas photographié le côté de la maison où il y avait la butte en question. Également, on peut voir sur les photographies de la CSST qu’il y a un fossé tout le long du terrain près de la rue, environ deux pieds de profond, fossé qui est gazonné et qui doit être tondu. Il explique qu’il a un terrain de 75 pieds par 100 pieds, plus un demi-lot de 25 pieds par 100 pieds, qui s’en va de biais. Tout son terrain est en gazon.

[12]           Le travailleur explique qu’il est incapable de faire la tonte du gazon, notamment quand il arrive dans les buttes et dans le fossé. Il ressent des douleurs au dos, et même sur le plat, il a de la difficulté à pousser la tondeuse qui est assez lourde et il ne peut vider le sac situé à l’arrière de la tondeuse, sac qui doit être transvidé dans un sac de poubelle.

[13]           Il précise qu’avant la rechute du mois de novembre 2000, c’est lui qui faisait le gazon et qu’après, il demandait à son garçon de le faire, mais ce dernier ne pouvait pas toujours le faire, ce qui est encore le cas. Concernant le déneigement, celui-ci lui a été accordé et auparavant, c’était lui qui le faisait, il avait une souffleuse.

[14]           Il mentionne que depuis le 30 avril 2003, il a reçu une vignette de stationnement pour les personnes handicapées et cela est inscrit sur son permis de conduire.

[15]           À la demande du représentant de l’employeur, le docteur André Mathieu a produit un rapport le 11 août 2003 où il donne son opinion sur la capacité du travailleur d’effectuer sa tonte de gazon avec les limitations fonctionnelles permanentes établies. Le docteur Mathieu mentionne qu’il a pris connaissance du dossier médical ainsi que de la grille d’exigences physiques pour la tonte de gazon sur laquelle se base la CSST. Il a également vu les photographies prises par l’agent de la CSST. Le docteur Mathieu note que le terrain est définitivement plat et que le terrain est d’une grandeur très raisonnable sans qu’il ne puisse préciser la grandeur de celui-ci.

[16]           Énumérant ensuite les limitations fonctionnelles une à une et les commentant, le docteur Mathieu émet l’opinion suivante :

[...]

 

Restriction 1: ne pas soulever, porter, pousser ou tirer de façon répétitive ou fréquente des charges dépassant 5 kilos.

 

Le poids de la tondeuse, si elle n’est pas motorisée, peut dépasser les 5 kilos, mais une tonte de pelouse se fait en moyenne à raison d’une fois/semaine et peut se faire par étape, ce qui ne vient pas en contradiction avec le fait de faire une telle tâche de façon répétitive ou fréquente. La notion de répétitivité et de fréquence implique un nombre beaucoup plus élevé de mouvements qu’une situation qui ne se produit qu’une fois par semaine et que l’on peut faire par étape en raison de la grandeur et du type de terrain.

 

S’il s’agit d’une tondeuse motorisée, alors là cela respecte de façon beaucoup plus automatique la restriction ci-haut.

 

En l’occurrence donc, cette restriction est respectée dont la tonte de ce terrain.

 

Restriction 2 : ne pas marcher de longues périodes de temps.

 

Encore là, le travailleur peut effectuer cette tâche à son rythme, par étape et prendre les temps de repos qu’il peut, ce qui respecte la notion de ne pas effectuer de longues périodes de temps de marche. Cette notion impliquant une continuité sur une période significative de temps, ce qui n’est pas le cas.

 

Donc, restriction respectée.

 

Restriction 3 : ne pas garder la même posture plus de 30 à 50 minutes.

 

Cette restriction est respectée d’emblée.

 

Restriction 4 : ne pas travailler dans une position instable, soit échafaudage, échelle ou escalier

 

Restriction respectée sans aucun doute.

 

Restriction 5 : ne pas effectuer des mouvements répétitifs des membres inférieurs de la colonne

 

Le fait de marcher par période à son rythme avec temps de repos au besoin et cela en moyenne une fois par semaine pour faire la tonte du terrain, tel que décrit, n’implique aucune répétitivité au niveau des membres inférieurs, cela supposant, encore là, la notion d’une continuité de mouvements et d’une certaine quantité pendant une certaine période de temps et cela de façon continue sans temps de repos.

 

Donc, restriction respectée.

 

Restriction 6 : ne pas marcher sur un terrain accidenté ou glissant

 

Si l’on se base sur les photos, le terrain n’est absolument pas accidenté. Il peut devenir glissant seulement s’il est mouillé. À ce moment-là, ce n’est pas vraiment le temps d’effectuer la tonte du gazon. Donc restriction respectée.

 

Restriction 7: ne pas ramper ou grimper

 

Restriction respectée d’emblée.

 

Si l’on se base donc sur la grille d’exigence physique pour la tonte de gazon tel que vous trouverez en annexe et aussi sur le respect de chacune des limitations fonctionnelles établies, il est clair que ce travailleur est en mesure d’effectuer la tonte de gazon sur son terrain et que la CSST n’a pas à défrayer ces frais.

 

[...]

[17]           En argumentation, le représentant du travailleur soumet que la grille utilisée par la CSST concerne un terrain plat, ce qui n’est pas le cas en l’espèce puisque le terrain du travailleur a une certaine pente et il y a un fossé tout le long de la portion du terrain bordant la rue. Les photographies de la CSST ne sont pas représentatives de tout le terrain. Par ailleurs, les limitations fonctionnelles du travailleur sont incompatibles avec la tonte du gazon et l’analyse du docteur Mathieu n’est pas réaliste, notamment lorsqu’il mentionne qu’il devrait tondre le gazon par étape et parce qu’il ne tient pas compte de la pente qu’il y a sur le terrain. Il ne tient également pas compte du poids de la tondeuse, ni du sac situé à l’arrière de celle-ci qu’il faut vider régulièrement.

[18]           Le travailleur répond aux exigences énoncées à l’article 165 de la Loi sur les accidents du travail et des maladies professionnelles[2] (la loi) puisqu’il a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique et qu’il est maintenant incapable d’effectuer les travaux d’entretien courant de son domicile, travaux qu’il effectuait lui-même avant la rechute de novembre 2000. Il doit donc être remboursé des frais encourus pour faire effectuer les travaux relatifs à la tonte du gazon tout comme il a été autorisé à faire faire les travaux de déneigement.

AVIS DES MEMBRES

[19]           Le membre issu des associations d’employeurs considère que, contrairement aux arguments du procureur du travailleur, la CSST a analysé de façon sérieuse la propriété du travailleur et a conclu que les limitations fonctionnelles ne l’empêchaient pas de faire la tonte de son gazon tout comme le docteur Mathieu l’a conclu. Il estime donc que la décision de la CSST devrait être confirmée.

[20]           Le membre issu des associations syndicales estime que la preuve a démontré que les limitations fonctionnelles importantes émises pour le travailleur sont incompatibles avec la tonte de gazon, notamment en raison de la grandeur du terrain, de la configuration de celui-ci et du poids de la tondeuse. Il y aurait donc lieu de lui accorder le remboursement des frais pour la tonte de son gazon.

MOTIFS DE LA DÉCISION

[21]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a droit au remboursement des frais de tonte de gazon à son domicile.

[22]           La loi, au chapitre de la réadaptation, édicte qu’en matière de réadaptation sociale, les travaux d’entretien courant du domicile peuvent être remboursés aux conditions énoncées à l’article 165 :

165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.

________

1985, c. 6, a. 165.

[23]           Le travailleur doit tout d’abord établir qu’il est atteint d’une atteinte permanente grave à son intégrité physique. À cette fin, le seul pourcentage n’est pas suffisant, on doit aussi tenir compte de la capacité résiduelle du travailleur à la suite de sa lésion professionnelle. À ce chapitre, les limitations fonctionnelles octroyées sont particulièrement pertinentes.

[24]           Dans la présente affaire, la Commission des lésions professionnelles estime que la preuve du fait que le travailleur a une atteinte permanente grave à son intégrité physique est faite, puisque, outre le pourcentage de 15,6 % octroyé, des limitations fonctionnelles de classe III pour des problèmes au niveau lombaire ont été retenues.

[25]           La preuve révèle également que le travailleur exécutait lui-même les travaux de tonte du gazon avant la deuxième rechute survenue à l’automne 2000. La CSST refuse d’octroyer le remboursement des frais pour la tonte du gazon en se basant sur « la grille d’analyse des exigences physiques » pour cette tâche, grille qui ne lie évidement pas la Commission des lésions professionnelles puisqu’elle relève plutôt des politiques internes de la CSST. Le tribunal peut certes y référer, mais à titre indicatif seulement. Il faut d’ailleurs remarquer que certains commentaires émis à cette grille précisent que celle-ci a été établie en fonction d’un résultat objectif obtenu lors d’une étude menée auprès d’une population en bonne santé et que ces exigences physiques ont été établies de façon prudente afin de tenir compte des limitations fonctionnelles qui peuvent être reconnues aux travailleurs. Il est évident en l’espèce que l’on n’a pas affaire à une personne en bonne santé physique et qu’il faut faire certaines adaptations pour évaluer la lourdeur des tâches.

[26]           Le tribunal constate tout d’abord que le terrain est vaste, qu’il y a une certaine pente sur celui-ci comme il a été démontré à l’audience et qu’il y a un long fossé gazonné qui exige une position toujours fléchie lors de la tonte.

[27]           La Commission des lésions professionnelles estime, contrairement à l’opinion émise par le docteur Mathieu, que les limitations fonctionnelles ne seraient pas respectées, et ce, même s’il y avait un terrain tout à fait plat. En effet, le travailleur ne doit pas pousser de façon fréquente des charges dépassant cinq kilos, ce qui, avec l’usage d’une tondeuse à essence, est impossible. De plus, le travailleur ne doit pas marcher sur une longue période de temps ni garder la même posture plus de trente à cinquante minutes, ce qui n’est pas possible avec la tonte de gazon d’une propriété aussi grande que celle du travailleur. De même, le travailleur ne doit pas travailler dans une position instable ce qui ne peut se faire lorsqu’il a à tondre la portion du fossé. Également, le travailleur ne doit pas effectuer des mouvements répétitifs des membres inférieurs et de la colonne ni marcher sur un terrain accidenté, ce qui ne peut être respecté lors de la tonte de gazon.

[28]           Il n’apparaît pas réaliste à la Commission des lésions professionnelles de prétendre que la tonte du gazon sur une telle superficie puisse être répartie sur plusieurs jours et que cela demeure efficace.

[29]           La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que la situation de monsieur Laporte ne permet pas de conclure que la tonte de son gazon est pour lui une « exigence physique faible » comme le conclut la CSST. La preuve démontre plutôt qu’en raison des limitations fonctionnelles émises et des conséquences de sa lésion professionnelle, il est incapable d’effectuer la tonte de son gazon.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête déposée par monsieur Denis Laporte, le travailleur;

INFIRME la décision rendue le 16 juin 2003 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;


DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement des frais encourus pour la tonte du gazon sur sa propriété.

 

 

 

 

Me Luce Boudreault

 

Commissaire

 

 

 

 

 

GÉRIN, LEBLANC ASS.
(Me François Fisette)

 

Représentant de la partie requérante

 

 

 

HEENAN BLAIKIE
(Me Jean-François Pagé)

 

Représentant de la partie intéressée

 

 

 

PANNETON LESSARD
(Me Hugues Magnan)

 

Représentant de la partie intervenante

 



[1]          C.L.P. 171486-05-0110, 175800-05-0201, 15 juillet 2002, L. Boudreault.

[2]          L.R.Q., c. A-3.001.

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