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Boivin et Nickel's

2009 QCCLP 5039

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Joliette

22 juillet 2009

 

Région :

Lanaudière

 

Dossier :

362576-63-0811

 

Dossier CSST :

133214619

 

Commissaire :

Isabelle Piché, juge administrative

 

Membres :

Monsieur Carl Devost, associations d’employeurs

 

Monsieur Régis Gagnon, associations syndicales

 

 

Assesseur :

Docteur Guy Béland

______________________________________________________________________

 

 

 

Denise Boivin

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Nickel’s

 

Restaurant aux Petits Lutins

 

Restaurant Mikes Vimont-Laval

 

Restaurant Régal Deli-Grill

 

Parties intéressées

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 7 novembre 2008, madame Denise Boivin (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 22 octobre 2008, à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 10 juin 2008 et déclare que la travailleuse n’a pas subi une lésion professionnelle le 22 avril 2008.

[3]                L’audience s’est tenue le 16 juillet 2009 à Joliette en la seule présence de la travailleuse.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’elle a subi une maladie professionnelle en date du 22 avril 2008.

 

LES FAITS

[5]                Madame Denise Boivin travaille dans la restauration à titre de serveuse depuis approximativement 35 ans, mais plus spécifiquement pour l’entreprise Nickel’s depuis les huit dernières années.

[6]                À ce restaurant, son quart de travail débute à 5 heures 30 pour se terminer à 14 heures. Elle ne bénéficie que d’une demi-heure de pause au cours de celui-ci.

[7]                L’essentiel de ses tâches dans cette fonction concerne le service aux tables. Elle manipule alors des cabarets, de la vaisselle, des récipients contenant du café ou d’autres boissons.

[8]                Madame Boivin mesure le poids d’une assiette entre deux et trois livres et celui d’un silex de café plein à cinq livres.

[9]                Lorsqu’elle tient un plateau, la travailleuse le fait avec une ou deux mains selon ce qu’il contient. Si elle le tient avec une seule main, elle le place du côté gauche et sert avec la main droite. Elle est d’ailleurs droitière.

[10]           En ce qui concerne le service du café, madame Boivin explique avoir le bras en extension quasi complète au cours de cette activité et exécuter par la suite un mouvement de rotation du bras et de pronation supination du poignet pour le service.

[11]           Au moment de desservir, la travailleuse empile les assiettes et les transporte par la suite à l’aide de ses deux mains en formant une pince très large avec ses doigts. Il lui arrive également de disposer les assiettes principalement sur son bras gauche pour les rapporter.

[12]           Madame Boivin est également appelée à transporter des contenants remplis de verres propres afin de les replacer dans sa section de travail. Pour ce faire, elle utilise les poignées localisées de chaque côté du cabaret.

[13]           Enfin, la travailleuse mentionne devoir laver à l’aide d’un chiffon les tablettes où sont rangés les verres, de même que les tables en l’absence d’aide-serveur.

[14]           À l’audience, madame Boivin explique éprouver certaines douleurs et des engourdissements à son bras droit depuis novembre 2006. Les symptômes sont alors intermittents et de peu d’intensité. Le conjoint de la travailleuse spécifie pour sa part avoir une connaissance personnelle de l’existence de symptômes depuis au moins dix ans. Depuis cette date, madame porte une orthèse la nuit pour dormir qu’elle s’est procurée à la pharmacie.

[15]           Par ailleurs, au mois de novembre 2007, en raison de travaux de rénovation au restaurant, madame Boivin rapporte qu’elle doit tout nettoyer le matin puisqu’il y a de la poussière partout. Un mois plus tard, elle constate avoir le bras droit très enflé et éprouve davantage d’engourdissements. Elle tente par conséquent de prendre rendez-vous auprès de son médecin.

[16]           Elle obtient un rendez-vous le 22 avril 2008 auprès de la docteure Céline Gaudet qui diagnostique alors un tunnel carpien sévère droit et ordonne un arrêt de travail immédiat avec port d’orthèse. Elle produit à cette occasion une Attestation médicale, demande un EMG et réfère sa patiente auprès d’un plasticien.

[17]           En avril 2009, madame Boivin subit une intervention chirurgicale de décompression du canal carpien droit et est présentement en attente pour le même type d’opération du côté gauche puisqu’elle est atteinte d’un syndrome de canal carpien bilatéral.

[18]           Aux notes évolutives consignées au dossier de la CSST, il est inscrit que la travailleuse n’a aucun problème de glande thyroïde, ni de diabète. Par ailleurs, elle présente une condition d’obésité notable.

[19]           Le dernier Rapport médical déposé à l’audience par la travailleuse fait état d’une chirurgie pour tunnel carpien droit et du maintien de l’arrêt de travail.

 

 

 

L’AVIS DES MEMBRES

[20]           Le membre issu des associations d’employeurs et celui issu des associations syndicales sont d’avis de rejeter la requête de la travailleuse. Ils estiment que cette dernière n’a pas démontré par une preuve prépondérante que sa maladie résulte de ses activités professionnelles puisqu’il y a absence de mouvements répétitifs à risques sollicitant la structure lésée.

 

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[21]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 22 avril 2008.

[22]           La lésion professionnelle, qui peut se présenter sous trois formes distinctes, est définie à l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) comme suit :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.

 

 

[23]           D’emblée, le tribunal écarte la notion d’accident du travail et de récidive, rechute ou aggravation, puisque la preuve soumise ne les soutient pas et que ce n’est pas non plus la prétention de la travailleuse. L’analyse portera donc strictement sur la notion de maladie professionnelle.

[24]           Les principales dispositions applicables en cette matière se retrouvent aux articles 29 et 30 de la loi.

29.  Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.

 

Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

__________

1985, c. 6, a. 29.

 

ANNEXE I

 

MALADIES PROFESSIONNELLES

(Article 29)

 

SECTION IV

 

MALADIES CAUSÉES PAR DES AGENTS PHYSIQUES

 

MALADIES

GENRES DE TRAVAIL

 

 

1.       (…)

 

2.       Lésion musculo-squelettique se manifestant par des signes objectifs (bursite, tendinite, ténosynovite):

un travail impliquant des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées;

3.       (…)

 

__________

1985, c. 6, annexe I.

 

 

30.  Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

__________

1985, c. 6, a. 30.

 

 

[25]           La travailleuse ne peut bénéficier de la présomption de maladie professionnelle prévue par l’article 29 de la loi en regard du diagnostic de syndrome du canal carpien, cette maladie n’étant pas décrite à la section lV de l’annexe l de la loi.

[26]           En regard de l’article 30 de la loi, la travailleuse prétend notamment que sa maladie est caractéristique de son travail puisqu’elle avance connaître au moins une autre serveuse ayant été indemnisée pour une problématique similaire. La Commission des lésions professionnelles ne peut toutefois retenir cette prétention puisqu’il s’agit là d’un cas d’espèce et que la preuve alors administrée n’est pas déposée aux fins d’analyse comparative auprès du présent tribunal. De plus, madame Boivin ne présente aucune étude épidémiologique, ni ergonomique pour étayer davantage sa position.

[27]           En second lieu, la travailleuse invoque également que l’apparition de sa symptomatologie est directement reliée aux risques particuliers des tâches professionnelles effectuées dans le cadre de son travail de serveuse.

[28]           Or, afin de réussir dans son recours, la travailleuse doit identifier la mécanique gestuelle impliquant une sollicitation significative de la structure lésée.

[29]           Le présent tribunal possède en la matière une connaissance d’office voulant que les mouvements et les postures les plus souvent associés au syndrome du canal carpien soient les mouvements répétitifs du poignet ou de la main. On retrouve dans cette catégorie les activités avec le poignet en extension ou en flexion, la déviation radiale ou cubitale répétée ou continue, les mouvements répétés avec un ou plusieurs doigts. Il y a aussi les mouvements de préhension répétée d’objets avec pinces digitales, de préhension d’objets avec tractions répétées ou rotation du poignet, de préhension pleine main, de gestes de cisaillement ou d’application d’une pression avec la main.

[30]           Par ailleurs, la jurisprudence[2] du présent tribunal reconnaît que le syndrome du canal carpien est d’étiologie multifactorielle alors que plusieurs causes et facteurs peuvent contribuer à son développement. Il apparaît toutefois que les prédispositions génétiques constituent des agents causals majeurs en la matière tout comme l’embonpoint, le fait d’être une femme et l’âge du patient.

[31]           En l’instance, après analyse du témoignage de la travailleuse, il appert que cette dernière effectue peu de tâches au cours de son travail nécessitant des mouvements de flexion, extension ou encore de déviation radiale ou cubitale de son poignet droit. En effet, lorsqu’elle nettoie, porte des cabarets ou de la vaisselle, il appert que le poignet droit est en position neutre, alors qu’il se trouve en position de pronation supination lors du service des boissons. Des explications apportées par madame Boivin, le tribunal retient plutôt une sollicitation de l’épaule et du membre supérieur droit tout entier.

[32]           En ce qui a trait aux mouvements de préhension, bien que la preuve révèle un certain nombre d’activités les requérant, la Commission des lésions professionnelles estime toutefois que ceux-ci sont entrecoupés de périodes de récupération et ne rencontrent pas par conséquent la notion de temps prolongé ou encore de répétitivité.

[33]           Le tribunal note au surplus que le syndrome développé est bilatéral et que madame Boivin est porteuse d’une condition prédisposante importante, à savoir une surcharge pondérale, ce qui laisse suggérer davantage une étiologie personnelle au syndrome en cause. Le médecin ayant charge de la travailleuse n’apporte pour sa part aucune explication non plus quant au caractère professionnel de la lésion.

[34]           La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que la travailleuse n’a pas démontré par une preuve prépondérante que le syndrome du canal carpien droit, diagnostiqué le 22 avril 2008, relève d’une maladie professionnelle.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de madame Denise Boivin, la travailleuse;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 22 octobre 2008 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la travailleuse n’a pas subi une lésion professionnelle le 22 avril 2008.

 

 

 

 

Isabelle Piché

 

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Ministère du Revenu du Québec et Poitras-Beauvais, C.L.P. 59457-71-9406, 11 mai 1999, R. Brassard; Entreprises d’émondage LDL inc. et Rousseau, C.L.P. 214662-04-0308, 5 avril 2004, J.-F. Clément.

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