Provigo Distribution (Division Maxi)

2011 QCCLP 807

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Longueuil

4 février 2011

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

397084-71-0912

 

Dossier CSST :

129300497

 

Commissaire :

Carmen Racine, juge administratif

 

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Provigo Distribution (division Maxi)

 

Partie requérante

 

 

 

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DÉCISION

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[1]           Le 7 décembre 2009, l’employeur, Provigo Distribution (division Maxi), dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 24 novembre 2009 à la suite d’une révision administrative (la révision administrative).

[2]           Par celle-ci, la CSST maintient une décision qu’elle a initialement rendue le 18 juin 2009 et, en conséquence, elle refuse d’octroyer à l’employeur le partage des coûts qu’il réclame conformément à l’article 329 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et elle impute 100 % des coûts reliés à la lésion professionnelle subie par madame Hélène Beshara (la travailleuse) le 3 mars 2006 au dossier d’expérience de ce dernier.

[3]           L’audience dans cette affaire doit avoir lieu à Montréal le 2 juillet 2010. Toutefois, le représentant de l’employeur, monsieur Claude Stringer, avise la Commission des lésions professionnelles de son absence à celle-ci et il requiert un délai afin de produire divers documents et une argumentation écrite au soutien de la contestation.

[4]           Le 14 juillet 2010, le représentant de l’employeur adresse à la Commission des lésions professionnelles les documents attendus et, dès lors, le délibéré est amorcé à cette dernière date.

[5]           Or, le juge administratif chargé de décider de cette affaire en est empêché en raison d’un problème de santé et, en conséquence, le 24 janvier 2011, le président et juge administratif en chef de la Commission des lésions professionnelles, Me Jean-François Clément, émet une ordonnance par laquelle il désigne la soussignée afin de rendre la présente décision sur la base des documents au dossier et de ceux déposés.

[6]           Le dossier est remis à la soussignée le 28 janvier 2011 qui entame son délibéré à ce moment.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[7]           Le représentant de l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit au partage des coûts qu’il réclame dans des proportions de 10 % à son dossier d’expérience et de 90 % aux employeurs de toutes les unités.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[8]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit au partage des coûts revendiqué.

[9]           L’employeur invoque l’article 329 de la loi et il soutient que la travailleuse est déjà handicapée au moment où se manifeste sa lésion professionnelle puisqu’elle présente des phénomènes dégénératifs à la colonne lombo-sacrée ayant favorisé l’apparition de la lésion professionnelle et entraîné une une prolongation de la période de consolidation de cette lésion et une hausse des coûts générés par celle-ci.

[10]         L’article 329 de la loi édicte que, lorsqu’une travailleuse est déjà handicapée au moment où se manifeste sa lésion professionnelle, la CSST peut imputer tout ou partie du coût des prestations découlant de cette lésion aux employeurs de toutes les unités.

[11]        L’interprétation des termes « travailleur déjà handicapé » fait maintenant l’objet d’un consensus à la Commission des lésions professionnelles. Ce consensus, établi depuis l’automne 1999, découle de deux décisions rendues alors.

[12]        Ainsi, dans les affaires Municipalité Petite-Rivière-Saint-François et CSST-Québec[2] et Hôpital général de Montréal[3], la Commission des lésions professionnelles conclut que, pour pouvoir bénéficier du partage des coûts prévu à l’article 329 de la loi, l’employeur doit d’abord établir par une preuve prépondérante que la travailleuse est atteinte d’une déficience, à savoir une « perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique [correspondant] à une déviation par rapport à une norme bio-médicale [sic] » avant que se manifeste sa lésion professionnelle. Cette déficience n’a toutefois pas besoin de s’être révélée ou d’être connue ou d’avoir affecté la capacité de travail ou la capacité personnelle de la travailleuse avant la survenue de cette lésion.

[13]        Par la suite, l’employeur doit établir qu’il existe un lien entre cette déficience et la lésion professionnelle, soit parce que celle-ci influence l’apparition ou la production de cette lésion ou soit parce qu’elle agit sur les conséquences de cette dernière.

[14]        L’analyse de cette nécessaire relation entre la déficience identifiée et l’apparition ou les conséquences de la lésion professionnelle amène le tribunal à considérer un certain nombre de paramètres, à savoir, notamment, la nature et la gravité du fait accidentel, le diagnostic initial de cette lésion, l’évolution des diagnostics et de la condition de la travailleuse, la compatibilité entre les traitements prescrits et le diagnostic reconnu, la durée de la période de consolidation compte tenu de l’intensité du fait accidentel et du diagnostic retenu, la gravité des conséquences de la lésion professionnelle et les opinions médicales à ce sujet, le tout afin de déceler l’impact de cette déficience sur la lésion.

[15]        Bien entendu, comme le mentionne la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Hôpital général de Montréal précitée, « aucun de ces paramètres n’est à lui seul, péremptoire ou décisif mais, pris ensemble, ils peuvent permettre au décideur de se prononcer sur le bien-fondé de la demande de l’employeur ».

[16]        Ce n’est donc que lorsque l’employeur aura fait cette double démonstration, à savoir l’identification d’une déficience préexistante et le lien entre celle-ci et la lésion professionnelle, que la Commission des lésions professionnelles pourra conclure que la travailleuse est déjà handicapée au sens de l’article 329 de la loi et que l’employeur pourra bénéficier de l’imputation partagée prévue à cet article.

[17]        Or, il ressort des documents au dossier et de ceux déposés que la travailleuse travaille à titre de commis pour l’employeur.

[18]        Le 3 mars 2006, alors qu’elle est âgée de 50 ans, elle est victime d’une lésion professionnelle dans les circonstances suivantes. Elle tire, à l’aide d’un transpalette, une grosse palette de matériel pesant environ 500 livres et elle ressent, ce faisant, une douleur au dos.

[19]        Le 5 mars 2006, elle consulte un médecin, le docteur Marc Dancose, qui diagnostique une entorse lombaire. Cependant, dès le 6 mars 2006, ce médecin ajoute le diagnostic de hernie discale à celui d’entorse lombaire retenu précédemment et il prescrit une résonance magnétique en raison d’un déficit neurologique affectant le membre inférieur droit.

[20]        Le 12 avril 2006, la résonance magnétique du rachis lombo-sacré est effectuée et elle est lue ainsi par le docteur Michel Rochon, radiologue :

Niveau L3-L4 :

Normal.

 

Niveau L4-L5 :

Légère perte du signal du disque, sans perte franche de sa hauteur. Étalement discal diffus, sans hernie focale ni sténose spinale.

 

Niveau L5-S1 :

Discopathie dégénérative avec perte du signal et de la hauteur du disque.

Hernie discale à large rayon de courbure postéro-latérale et foraminale droites [sic], avec possibilité d’irritation de la racine L5 droite, ainsi qu’un léger refoulement de la racine S1 droite à sa sortie du sac dural.

 

 

 

[21]        Le 24 avril 2006, le docteur Dancose suggère le diagnostic de hernie discale L5-S1 avec compression radiculaire droite à la suite de ce test d’imagerie et il requiert l’opinion d’un neurochirurgien, le docteur M. Giroux, à ce sujet.

[22]        Le 25 avril 2006, le docteur Giroux rencontre la travailleuse et il confirme les diagnostics de  hernie discale L5-S1 et de radiculopathie L5 droite proposés par le docteur Dancose.

[23]        Le 16 mai 2006, le docteur Jacques E. Des Marchais, chirurgien orthopédiste, examine la travailleuse à la demande de l’employeur. Il diagnostique une entorse lombaire tout en notant la présence d’une radiculite L5 droite sensitivo-motrice qui devrait être objectivée par un électromyogramme. Il considère que cette dernière lésion n’est pas encore consolidée et que les soins doivent se poursuivre pour cette condition.

[24]        Le docteur Des Marchais se prononce également sur les questions de la condition personnelle préexistante et de la relation causale entre les problèmes de la travailleuse et l’événement. Il écrit ce qui suit à ce sujet :

1.         Y a-t-il condition personnelle préexistante ? Si oui, est-ce hors norme biomédicale ?

 

            . Oui, la patiente est porteuse d’une condition personnelle préexistante statuée par l’investigation radiologique et par la résonance magnétique de discopathie L5-S1. Par ailleurs, cette discopathie, chez une patiente de 50 ans, n’est pas tellement hors norme biomédicale.

 

2.         Y a-t-il relation ?

 

            L’histoire de cette patiente est un peu intrigante. En effet, si le fait de tirer sur un transpalette avait créé une pression suffisante pour entraîner un bris et une atteinte de la racine de L5 à droite, tel qu’on le retrouve cliniquement et sur la résonance magnétique, nous aurions dû avoir immédiatement un syndrome d’entorse lombaire. Ce qui n’est pas le cas.

 

L’événement serait arrivé à 7 h 00 du matin et la patiente a travaillé toute la journée. Le lendemain, elle nous a même affirmé spontanément qu’elle n’avait pas eu de douleur. Ce n’est que lors d’un autre questionnaire au cours de l’examen physique que la patiente dit qu’elle a commencé à avoir un peu mal au dos le samedi soir et, le dimanche matin, c’est la crise de lombalgie aiguë.

 

De plus, la patiente n’a rapporté l’accident que le lundi, 5 mars 2006.

 

Si l’accident avait été d’une intensité suffisante pour déclencher la pathologie actuellement en cause, l’accident aurait eu immédiatement un effet inflammatoire et la patiente aurait ressenti, dans les heures suivantes, l’apparition de sa lombalgie et non pas 48 heures plus tard. Pourquoi ce n’est que 48 heures plus tard que s’installe la lombalgie ?

 

-           Compte tenu du tableau physiopathologique habituel ;

 

-           compte tenu d’une force suffisante pour entraîner une radiculite L5-S1 ;

 

-           compte tenu que le fait de tirer sur un transpalette à 7 h 00 du matin n’a pas entraîné une force suffisante car si tel avait été le cas, la patiente aurait déclenché sur le champ ou dans les heures suivantes un problème de raideur et de douleur lombaires, ce qui n’est pas le cas ;

 

Conséquemment, la balance des probabilités penche à être incapable de retenir la relation par rapport à l’événement décrit.

 

Alors, que reste-t-il ? Soit qu’un autre événement se soit interposé ou que c’est l’apparition spontanée chez une patiente ayant comme cofacteur une mère diabétique et un surpoids, d’autant que le samedi, il n’y avait pas de douleur.

 

 

 

[25]        L’employeur réclame l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale à la suite de cette expertise.

[26]        Le 26 octobre 2006, le docteur Karl Fournier, chirurgien orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale, se prononce sur le diagnostic, sur la date de la consolidation, sur la nécessité des traitements et sur l’atteinte permanente à la suite de la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 3 mars 2006. Il diagnostique une hernie discale L5-S1 droite avec radiculopathie L5 droite associée. Il estime que cette lésion n’est pas encore consolidée et que des traitements sont toujours requis.

[27]        Le 14 novembre 2006, une seconde résonance magnétique du rachis lombo-sacré est réalisée par le docteur Michel Rochon. Il note toujours un niveau L3-L4 normal, de légers signes de discopathie dégénérative à L4-L5, une discopathie dégénérative au niveau L5-S1 avec une régression de la hernie discale à ce site.

[28]        Le 1er mars 2007, le docteur Des Marchais revoit la travailleuse à la demande de l’employeur. Dans le rapport rédigé le 2 mars 2007, il signale qu’elle ne présente plus de signes de radiculite au niveau du membre inférieur droit et il consolide donc cette condition à la date de son examen, sans nécessité de traitements après cette date, sans atteinte permanente et sans limitations fonctionnelles.

[29]        L’employeur réclame de nouveau l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale à la suite de cette expertise.

[30]        Le 22 mai 2007, une électromyographie est pratiquée par le docteur Rami Morcos, neurologue, et ce dernier observe des changements compatibles avec une atteinte du segment radiculaire L5 droit.

[31]        Le 23 mai 2007, le docteur Pedro Molina-Negro, neurochirurgien et membre du Bureau d’évaluation médicale, examine la travailleuse afin de statuer sur la date de la consolidation, sur la nécessité des traitements, sur l’atteinte permanente et sur les limitations fonctionnelles relatives à la lésion professionnelle. Il consolide la hernie discale L5-S1 droite à cette date, avec un déficit anatomo-physiologique de 8 % pour la hernie et les atteintes sensitivo-motrices, et il décrit des limitations fonctionnelles en raison de cette hernie.

[32]        Le 17 juillet 2007, le médecin qui a charge de la travailleuse approuve le rapport du membre du Bureau d’évaluation médicale et il consolide la lésion de cette dernière.

[33]        Une atteinte permanente de 9,2 % est donc reconnue par la CSST et le dossier de la travailleuse est confié au service de la réadaptation. Le 3 août 2007, un emploi convenable est déterminé et, comme il est disponible, il est mis fin au versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 1er août 2007.

[34]        L’admissibilité de la réclamation de la travailleuse, les aspects médicaux de la lésion professionnelle ainsi que les décisions portant sur sa réadaptation font l’objet de contestations et, au terme du processus, la Commission des lésions professionnelles se prononce sur ces questions.

[35]        Ainsi, le 11 mars 2008, la Commission des lésions professionnelles[4] détermine que la travailleuse a bel et bien subi un accident du travail le 3 mars 2006, que les diagnostics de hernie discale L5-S1 et de radiculopathie droite associée sont reliés à cette lésion professionnelle, que celle-ci est consolidée le 23 mai 2007 avec une atteinte permanente de 9,2 % et les limitations fonctionnelles décrites par le membre du Bureau d’évaluation médicale, que la travailleuse a droit à la réadaptation, que l’emploi choisi est convenable, que cette dernière peut l’exercer et qu’il y a donc lieu de mettre fin au versement de l’indemnité de remplacement du revenu.

[36]        Dans le cadre de cette décision, la Commission des lésions professionnelles établit clairement que les diagnostics retenus sont reliés à l’événement imprévu et soudain et non à une quelconque condition personnelle qui se serait manifestée au travail ou qui aurait été aggravée par cet événement. En fait, toutes les opinions médicales convergent vers l’émergence d’une hernie discale en raison de l’effort exigé par le déplacement d’une lourde charge le 3 mars 2006.

[37]        Le 8 septembre 2008, dans le délai de trois ans prévu à l’article 329 de la loi, l’employeur réclame un partage des coûts générés par la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 3 mars 2006. Il invoque, à titre de déficience préexistante, la condition notée aux tests d’imagerie. Il estime qu’il s’agit d’une condition personnelle préexistante qui fragilise la colonne lombo-sacrée et favorise l’apparition de lésion au moindre effort. De plus, il considère que la période de consolidation est démesurément longue puisqu’une entorse lombaire est consolidée dans une période de 3 à 5 semaines alors que la période de consolidation observée en l’espèce est de plus de 14 mois. Il réclame donc un partage de l’ordre de 10 % à son dossier d’expérience et de 90 % aux employeurs de toutes les unités.

[38]        La CSST ne se range pas aux arguments présentés par l’employeur puisque, le 18 juin 2009, la CSST rejette la requête déposée par l’employeur. Ce dernier demande la révision de cette décision mais, le 24 novembre 2009, la révision administrative la maintient d’où le litige porté à l’attention de la Commission des lésions professionnelles.

[39]        Le 13 juillet 2010, le représentant de l’employeur dépose une opinion médicale rédigée par le docteur Paul Hébert au soutien de sa demande. Dans ce document, le docteur Hébert résume le dossier de la travailleuse et il estime que celle-ci est porteuse d’une condition dégénérative hors norme à la colonne lombo-sacrée. Il écrit :

Dans le cadre du présent dossier, nous soulignons d’une part que la travailleuse est âgée de 51 ans et qu’elle présente à la résonance magnétique une condition dégénérative que nous pouvons qualifier d’hors norme biomédicale.

 

En effet, les études démontrent que la majorité des personnes qui manifeste une hernie discale était symptomatique avant la survenance de la lésion. Ainsi, les études de résonance magnétique démontrent qu’il y a une norme significative [sic] de patients chez qui il y avait une condition totalement asymptomatique avant la survenance d’une hernie discale.

 

Il est également considéré qu’en deçà de 20 % les personnes âgées de 60 ans et moins présentent une hernie discale avec extrusion ou simple refoulement.

 

La doctrine médicale retient également que la dégénérescence discale lombaire est retrouvée dans une proportion de 35 % des individus âgés entre 20 et 39 ans. Or, bien que les résonances magnétiques témoignent d’une forte incidence de dégénérescence discale au-dessus de 50 ans, les mêmes études témoignent d’une très faible proportion de personnes, soit 20 % des gens âgés de moins de 60 ans qui présentent une hernie discale visible à une résonance magnétique.

 

Il existe trois stades d’entorse lombaire lesquels doivent être considérés aux fins de déterminer la nature de la condition en cause [sic]. Ainsi, le grade I réfère à un étirement du ligament et il y a généralement maintien des caractéristiques d’élasticité. Le grade 2 fait référence à un étirement plus important du ligament qui demeure intact malgré le déchirement de quelques fibres.

 

Par ailleurs, on retiendra un grade 3 chez les individus présentant un ligament complètement déchiré. Dans le présent dossier, on pouvait considérer que l’entorse subie par la travailleuse devait être modérée puisqu’elle a requis une consultation quelques jours suivant l’événement rapporté.

 

Ainsi, nous rappelons que dans un contexte d’entorse simple une telle lésion aux tissus mous devrait guérir entre 3 à 6 semaines. Or, les phases inflammatoires qui surviennent dans les 72 heures suivant un traumatisme sont utiles à retenir aux fins de déterminer l’implication d’une condition personnelle préexistante.

 

En effet, la première phase se caractérise par une douleur importante. La seconde phase qui constitue la fibroplasie débute entre 48 et 72 heures suivant le traumatisme et peut durer jusqu’à 6 semaines selon l’importance de la blessure. Durant cette phase, les fibres affectées se multiplient et se réparent. Quant à la troisième phase, elle consiste au remodelage et elle débute à la troisième semaine et peut durer plusieurs mois selon la nature de la lésion.

 

Lorsque le processus de réparation est entamé, on constate une amélioration des symptômes. Dans un contexte d’une hernie discale comme en l’espèce, on ne peut retenir les critères applicables aux trois phases de réparation d’une entorse lombaire [sic]. Ainsi, selon la dégénérescence discale, l’importance de l’atteinte neurologique ainsi que de l’extrusion, la hernie discale prendra une plus grande période de temps de consolidation en tenant compte de la gravité.

 

Ainsi, plus l’hernie [sic] est sévère, plus la période des conséquences de cette condition sera importante.

 

Dans le présent dossier, on constate que la condition de la travailleuse était néanmoins d’importance moyenne puisqu’il n’apparaît pas dans les résonances magnétiques que la travailleuse ait pu subir une déchirure radiaire ou autre phénomène d’extrusion [sic].

 

On parle davantage d’un refoulement circonférenciel [sic] du disque ce qui témoigne d’une perte hydrique correspondant à une dégénérescence discale préexistante.

 

Bien que la condition d’hernie [sic] discale ait été retenue, on considérera que dans le présent dossier, cette condition découle vraisemblablement de la fragilité du segment L5-S1 lequel était affecté d’une perte hydrique de même que d’une dégénérescence qui peut être considérée hors norme biomédicale chez une travailleuse âgée de 50 ans.

 

N’eut été d’une telle condition, une entorse lombaire qui serait survenue sur un disque sain aurait entraîné un arrêt de travail d’au plus 6 semaines. Or, dans un contexte d’hernie [sic] discale, on peut retenir qu’une période de consolidation de 18 semaines est appropriée. Dans le présent dossier, la condition de la travailleuse ayant nécessité une période de consolidation de 447 jours, il nous apparaît tout à fait hors norme la période de consolidation ce qui témoigne de la présence d’un handicap aux fins de l’article 329 LATMP.

 

Nous soulignons que n’eut été de cette condition d’hernie [sic] discale de même que la dégénérescence discale, cette travailleuse n’aurait pas subi une lésion aussi sévère et les conséquences auraient été moindres. Ainsi, à partir du fait accidentel jusqu’à la date de consolidation et par la suite, on constate que la lésion de la travailleuse a eu des conséquences sévères pour l’employeur puisque la travailleuse n’a pas repris sa fonction prélésionnel [sic] mais un emploi équivalent.

 

Ainsi, nous soumettons que la travailleuse présentait une condition dégénérative et que cette condition démontrée à résonance [sic] magnétique peut être considérée une déviation à la norme biomédicale et une condition personnelle préexistante justifiant un transfert d’imputation.

 

 

 

[40]        Dans son argumentation écrite, le représentant de l’employeur fait, de nouveau, un résumé des faits. Il rappelle les critères élaborés par le tribunal en matière de partage des coûts. Il plaide la banalité de l’événement, l’apparition tardive des symptômes et les résultats des résonances magnétiques et de l’électromyographie. S’inspirant des propos tenus par le docteur Hébert, il soutient que les phénomènes dégénératifs notés alors dévient de la norme biomédicale chez une travailleuse de 50 ans au moment de l’événement. Citant une fois de plus le docteur Hébert, il estime que la dégénérescence préexistante favorise l’apparition de la lésion professionnelle et la prolongation indue de la période de consolidation. Le représentant de l’employeur rappelle que, n’eut été de la hernie discale, l’entorse lombaire aurait été consolidée dans une période de consolidation de 35 jours. Or, la période de consolidation observée est de 447 jours. De plus, les conséquences de cette lésion sont importantes en termes de séquelles et de réadaptation. Le représentant de l’employeur attribue ces conséquences disproportionnées à la déficience préexistante.

[41]        Il conclut son exposé en ces termes :

Nous soumettons qu’il s’agit là d’un principe applicable au fait en l’espèce et il nous apparaît que n’eut été de la condition de dégénérescence discale, la travailleuse n’aurait pas subi une lésion aussi sévère.

 

Considérant qu’un diagnostic de hernie discale nécessite habituellement 18 semaines soit 126 jours et que la lésion de la travailleuse a requis 447 jours, l’employeur, dans le présent dossier, considère qu’il devrait être imputé de 28 % à son dossier financier et 72% aux employeurs de toutes les unités.

 

 

 

[42]        Le représentant de l’employeur cite deux décisions[5] où une hernie discale est considérée un handicap au sens de l’article 329 de la loi et il poursuit :

Par ailleurs, bien que le calcul basé sur la durée de consolidation normale établisse un transfert d’imputation au montant de 28 % imputables à l’employeur et 72 % aux employeurs de toutes les unités, nous soumettons qu’il y a lieu d’aller au-delà d’un tel calcul. Comme le faisait remarquer le juge Robichaud dans l’affaire Provigo, Division Loblaws Québec [2008 QCCLP 7202 ], il y a lieu également de considérer les conséquences de la lésion et après avoir établi que le handicap avait joué un rôle sur la durée mais également sur les conséquences, il établissait que 10 % des coûts attribuables à la lésion devaient être imputés à l’employeur et 90 % à toutes les unités. Nous considérons qu’il s’agit ici de l’approche qui devrait être préconisée. Nous  joignons à la présente copie d’une telle décision.

 

Dans ce contexte, nous soumettons que l’employeur a démontré par preuve prépondérante que la travailleuse était antérieurement handicapée et que ce handicap a joué un rôle dans l’évolution de la lésion de même que les conséquences.

 

Nous demandons au tribunal d’octroyer le transfert [sic] d’imputation.

 

 

 

[43]         La Commission des lésions professionnelles doit se prononcer sur la demande de partage des coûts formulée par l’employeur.

[44]        Ce dernier invoque plus particulièrement les résultats des tests d’imagerie à titre de déficiences préexistantes. Les légers signes de discopathie dégénérative au niveau L4-L5 et la discopathie dégénérative et la hernie discale postéro-latérale et foraminale droite au niveau L5-S1 dévoilées lors des résonances magnétiques constituent certes des altérations à la structure anatomique du rachis lombo-sacré.

[45]        La discopathie dégénérative aux niveaux L4-L5 et L5-S1 est probablement présente avant la survenue de la lésion professionnelle. Toutefois, la hernie discale ne peut être considérée comme une déficience préexistante. Il s’agit plutôt du diagnostic de la lésion professionnelle selon la décision finale rendue par la Commission des lésions professionnelles à cet égard et cette détermination ne peut être remise en cause au stade de l’imputation.

[46]        De plus, cette hernie discale découle du mécanisme accidentel observé en l’espèce selon la décision finale de la Commission des lésions professionnelles et les opinions émises par le médecin conseil de la CSST et les docteurs Karl Fournier et Pedro Molina-Négro.

[47]        D’ailleurs, la Commission des lésions professionnelles note qu’il n’est jamais indiqué que cette hernie constitue une aggravation d’une condition personnelle  préexistante par l’événement ou encore une manifestation de cette condition au travail. Bien au contraire, la très grande majorité des médecins consultés estime que le mécanisme accidentel décrit par la travailleuse, à savoir tirer sur une charge de 500 livres, est parfaitement compatible avec le développement d’une telle pathologie.

[48]        La hernie discale ne peut donc d’aucune façon être assimilée à une déficience préexistante dans le présent dossier.

[49]        Il reste donc à déterminer si la discopathie peut être considérée comme une déficience préexistante au sens donné à ce terme par la jurisprudence.

[50]        Comme mentionné précédemment, la discopathie est une altération à la structure anatomique de la colonne lombo-sacrée et elle est probablement présente avant l’événement. Toutefois, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que cette discopathie dégénérative ne dévie pas de la norme biomédicale chez une travailleuse de 50 ans.

[51]        En effet, la Commission des lésions professionnelles remarque que la dégénérescence est légère au niveau L4-L5. Il est permis d’inférer qu’un tel niveau de dégénérescence se remarque également au niveau L5-S1 avant l’événement. De plus, dans sa première expertise, le docteur Des Marchais indique clairement que, bien que la travailleuse soit porteuse d’une condition personnelle préexistante, à savoir une discopathie L5-S1, il ajoute que « cette discopathie chez une patiente de 50 ans, n’est pas tellement hors norme biomédicale ».

[52]        En outre, le docteur Hébert admet que les résultats des résonances magnétiques « témoignent d’une forte incidence de dégénérescence discale au-dessus de 50 ans ». Il ajoute que les hernies discales sont plus rares mais, ici, faut-il le rappeler, la hernie discale n’est pas une déficience préexistante, mais bien le diagnostic découlant de la l’événement. Il est donc difficile de comprendre le raisonnement tenu par le docteur Hébert qui semble parfois confondre la déficience préexistante et le diagnostic de la lésion professionnelle et, dès lors, son affirmation quant au caractère déviant de la dégénérescence ne peut être privilégiée.

[53]        Enfin, il est vrai que, dans deux décisions déposées par le représentant de l’employeur, la hernie discale est assimilée à une déficience préexistante déviant de la norme biomédicale.

[54]        Toutefois, la Commission des lésions professionnelles remarque que, dans l’une des décisions, le diagnostic de la lésion professionnelle est celui d’entorse lombaire, et non de hernie discale. De plus, le travailleur est jeune (33 ans) et la dégénérescence est qualifiée de sévère. La situation diffère donc des faits mis en preuve dans la présente cause.

[55]        Dans la seconde affaire, le diagnostic de hernie discale est retenu. Cependant, les symptômes se manifestent un mois après l’événement et le travailleur n’est âgé que de 32 ans. Ces données ont pu influencer le sort de cette décision, mais, compte tenu de la différence existant entre les faits mis en preuve alors et ceux disponibles ici, la Commission des lésions professionnelles ne peut en importer les conclusions.

[56]        La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que l’employeur n’a pas établi que la travailleuse est porteuse d’une dégénérescence discale ou d’une discopathie déviant de la norme biomédicale. Il n’y a donc pas lieu de vérifier si ces conditions influencent l’apparition ou les conséquences de la lésion professionnelle.

[57]        En conséquence, la Commission des lésions professionnelles confirme la décision rendue par la révision administrative et elle déclare que l’employeur n’a pas droit au partage des coûts qu’il réclame.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête déposée par l’employeur, Provigo Distribution (Division Maxi);

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 24 novembre 2009 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que l’employeur doit supporter 100 % des coûts reliés à la lésion professionnelle subie par la travailleuse, madame Hélène Beshara, le 3 mars 2006.

 

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Carmen Racine

 

 

Monsieur Claude Stringer

CLAUDE STRINGER INC.

Représentant de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]          [1999] C.L.P. 779 .

[3]          [1999] C.L.P. 891 .

[4]           Provigo Distribution (Division Maxi & Cie) et Hélène Bashara, C.L.P. 293054-71-0606, 297976-71-0609, 307153-71-0701, 324614-71-0708 et 330096-71-0710, le 11 mars 2008, L. Landriault.

[5]           Provigo Distribution inc. 2008 QCCLP 6643 ; Provigo Distribution (division Maxi) 2008 QCCLP 2794 .

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