Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Laval

20 décembre 2005

 

Région :

Outaouais

 

Dossier :

214190-07-0308-R

 

Dossier CSST :

120857313

 

Commissaire :

Me Lucie Nadeau

 

Membres :

Raymond Groulx, associations d’employeurs

 

Robert Potvin, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Ginette Louis-Seize

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

CLSC-CHSLD de la Petite-Nation

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 14 avril 2005, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision d’une décision rendue le 18 février 2005 par la Commission des lésions professionnelles et notifiée le 28 février suivant à la CSST.

[2]                Par cette décision[1], la Commission des lésions professionnelles accueille la requête de madame Ginette Louis-Seize (la travailleuse), infirme la décision rendue par la CSST le 13 août 2003 à la suite d’une révision administrative et déclare que l’emploi de commis-vendeuse n’est pas un emploi convenable pour la travailleuse.

[3]                L’audience sur la présente requête s’est tenue à Gatineau le 13 octobre 2005 en présence de la travailleuse et de son procureur. Le CLSC-CHSLD de la Petite-Nation (l’employeur) et la CSST sont également représentés par procureur. Le dossier a été pris en délibéré le 9 novembre 2005, après la réception de l’argumentation écrite complémentaire de la CSST.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]                La CSST demande de réviser en partie la décision rendue le 18 février 2005 et de déclarer que l’emploi de commis-vendeuse constitue un emploi convenable que la travailleuse est capable d’exercer à compter du 11 novembre 2002.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]                Le membre issu des associations syndicales est d’avis de rejeter la requête en révision de la CSST. Celle-ci n’a pas démontré d’erreur déterminante. Le premier commissaire a tenu compte de la condition globale de la travailleuse notamment d’une condition de dégénérescence discale.

[6]                Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis contraire. Il estime que le premier commissaire a commis une erreur de droit manifeste et déterminante en prenant en considération des limitations fonctionnelles autres que celles qu’il avait lui-même déterminées dans une décision précédente.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]                La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision rendue le 18 février 2005.

[8]                Le pouvoir de révision est prévu à l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [2] (la loi) :

 

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1°   lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2°   lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3°   lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[9]                L’article 429.56 doit être lu en tenant compte également de l’article 429.49 de la loi qui énonce :

429.49. […]

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[10]           Dans le présent dossier, la CSST allègue que la décision est entachée de vices de fond au sens du 3e paragraphe de l’article 429.56 de la loi. Avant d’aborder les erreurs alléguées en l’espèce, la soussignée a demandé aux parties leurs commentaires sur l’interprétation que doit recevoir la notion de «vice de fond [...] de nature à invalider la décision» à la suite du récent arrêt de la Cour d’appel à ce sujet dans l’affaire CSST c. Fontaine[3].

[11]           La CSST fait valoir que le critère de l’erreur grave, évidente et déterminante, bien que formulé différemment, n’ajoute rien à celui appliqué par la Commission des lésions professionnelles, soit celui de l’erreur manifeste et déterminante. Par ailleurs, ajoute-t-elle, l’incitation à la retenue qu’on y retrouve n’est pas non plus un principe nouveau. Le procureur de la travailleuse plaide que la Cour d’appel invite à une très grande déférence face à la première décision, que le critère de la stabilité des décisions est resserré et que la frontière devient mince entre le critère de l’erreur manifeste et déterminante et celle de l’erreur manifestement déraisonnable.

[12]           Qu’en est-il? Depuis l’entrée en vigueur de l’article 429.56 en 1998, la Commission des lésions professionnelles interprète la notion de «vice de fond [...] de nature à invalider la décision», comme signifiant une erreur manifeste, de droit ou de faits, ayant un effet déterminant sur l’issue de la contestation. Dans deux décisions, qui sont devenues des décisions de principe maintes fois reprises par la jurisprudence, les affaires Donohue et Franchellini[4], la Commission des lésions professionnelles retient ce critère de l’erreur manifeste et déterminante en s’appuyant sur la jurisprudence élaborée en vertu d’une disposition semblable prévue à la Loi sur la Commission des affaires sociales[5]et également sur l’interprétation de la Cour d’appel dans l’affaire Épiciers Unis Métro-Richelieu inc. c. La Régie des alcools, des courses et des jeux[6]. Le juge Rothman s’y exprimait ainsi :

[…]

 

The Act does not define the meaning of the term «vice de fond» used in section 37. The English version of Sec.37 uses the expression «substantive…defect». In context, I believe that the defect, to constitute a «vice de fond», must be more than merely «substantive». It must be serious and fundamental. This interpretation is supported by the requirement that the «vice de fond» must be «… de nature à invalider la decision». A mere substantive or procedural defect in a previous decision by the Régie would not, in my view, be sufficient to justify review under Sec. 37. A simple error of fact or of law is not necessarily a «vice de fond». The defect, to justify review, must be sufficiently fundamental and serious to be of a nature to invalidate the decision.

 

[…]

 

 

[13]           Dans l’affaire Franchellini[7], la Commission des lésions professionnelles souligne également qu’en édictant l’article 429.49, le législateur a voulu assurer la stabilité et la sécurité juridique des décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles. Elle indique que l’article 429.56 doit donc être interprété restrictivement.

[14]           Tel que signalé, la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles a réitéré de manière à peu près constante ces critères.

[15]           En 2003, la Cour d’appel prononce trois arrêts importants sur la norme de contrôle judiciaire applicable à des décisions rendues en révision interne et conclut qu’il s’agit de la norme de la décision raisonnable simpliciter. Dans l’affaire Godin[8], il s’agissait de l’appel d’un jugement de la Cour supérieure ayant accueilli une requête en révision judiciaire d’une décision du Tribunal administratif du Québec (TAQ2) qui avait révisé une première décision (TAQ1). Dans le cadre de cette analyse, la Cour examine la nature du pouvoir de révision interne. Le juge Fish fait alors les commentaires suivants :

[38]           In this context, it is important to recall that the present appeal involves a decision of the Social Affairs Division of the TAQ.  Such decisions, unlike those of the Tribunal's Immovable Property Division and its decisions concerning the preservation of agricultural land, are not subject to appeal to any court of law[14]

 

[39]           This reflects a legislative intention to treat as final the Tribunal's "determinations in respect of proceedings brought against an administrative or decentralized authority"[15] - in this case, the SAAQ. 

 

[40]           The general rule regarding the finality of the Tribunal's determinations is subject to the three exceptions set out in section 154 of the ARAJ

 

[41]           This legislative scheme reflects a policy choice that incorporates a series of socially desirable objectives.  Its dominant purpose is "to affirm the specific character of administrative justice, to ensure its quality, promptness and accessibility and to safeguard the fundamental rights of citizens"[16].  It protects the victims of administrative error or caprice by affording them a quasi-judicial recourse against the unjustified denial of their rights by the agency or department concerned.

 

[42]            In the pursuit of these objectives, the Tribunal (except where otherwise provided by law) "exercise[s] its jurisdiction to the exclusion of any other tribunal or adjudicative body"[17]

 

[43]           Reading section 154 of the ARAJ in the light of the legislative scheme as a whole, I think it is intended to provide citizens[18] with an additional measure of security and peace of mind.  It is meant to ensure that the citizen's entitlement to a  social benefit or indemnity, initially denied by a competent state authority but then confirmed by the TAQ -- the quasi-judicial tribunal established by the state for that purpose -- will not be again put in issue except in the interests of fundamental justice and in the limited instances contemplated by section 154.

 

[44]           I would characterize these limited instances as a defined set of exceptional circumstances where, under the established adjudicative scheme, administrative finality must yield to the superior imperative of administrative justice

 

[45]           This view of the matter appears to me to be entirely consistent with the legislator's stated objective: "to affirm the specific character of administrative justice, to ensure its quality, promptness and accessibility and to safeguard the fundamental rights of citizens"[19].  

 

[…]

 

[51]           Accordingly, the Tribunal commits a reviewable error when it revokes or reviews one of its earlier decisions merely because it disagrees with its findings of fact, its interpretation of a statute or regulation, its reasoning or even its conclusions.  Where there is room on any of these matters for more than one reasonable opinion, it is the first not that last that prevails.

____________________________

[14] See Section 159 of the ARAJ.

[15]   Section 14 of the ARAJ.

[16]   Section 1 of the ARAJ.

[17]   Section 14 of the  ARAJ.

[18]   "Citizens" is the term used in the ARAJ.

[19]   Section 14 of the ARAJ.

 

 

[16]           Dans l’affaire Bourassa[9], il s’agissait d’une décision rendue en révision interne par la Commission des lésions professionnelles. La Cour reprend les propos ci-haut cités tenus dans Épiciers Unis Métro-Richelieu inc.[10] puis ajoute :

[21]      La notion [de vice de fond] est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.

 

[22]      Sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments(4).

_______________

(4)     Yves Ouellette. Les tribunaux administratifs au Canada : procédure et preuve. Montréal : Éd. Thémis, 1997. P. 506-508 ; Jean-Pierre Villagi. « La justice administrative », dans École du Barreau du Québec. Droit public et administratif. Volume. 7 (2002-2003). Cowansville : Y.  Blais, 2002. P. 113, 127-129.

 

 

[17]           Dans Amar et CSST[11], la Cour d’appel saisie d’une autre décision rendue en révision interne par la Commission des lésions professionnelles, visant cette fois une question d’interprétation d’une disposition de la loi, conclut que la seconde formation ne pouvait substituer sa propre interprétation à celle retenue par la première formation. La divergence d’interprétation ne pouvait constituer un vice de fond.

[18]           Puis arrive l’arrêt Fontaine[12], où le juge Morrissette procède à une analyse fouillée de la norme de contrôle judiciaire applicable à une décision rendue en révision interne par la Commission des lésions professionnelles pour conclure au même effet que dans l’arrêt Godin[13]. Procédant à une analyse comparative des dispositions régissant la Commission des lésions professionnelles et le Tribunal administratif du Québec, il signale que la pierre angulaire de l’arrêt Godin tient à ceci : «ce degré accru de contrôle est nécessaire afin de ne pas trahir les finalités de la justice administrative». Au soutien de sa conclusion sur la norme de contrôle, il écrit :

[41] Il ne suffit pas d’énumérer, comme la mise en cause le fait ici, les différences institutionnelles qui peuvent exister entre la CLP et telle ou telle section du TAQ pour soustraire la CLP à l’analyse que livre le juge Fish dans ses motifs de l’arrêt Godin.  Les finalités de qualité, de célérité et d’accessibilité qu’il y évoque revêtent en effet une égale importance, qu’un justiciable s’adresse au TAQ ou à la CLP. Le risque que ces finalités soient compromises, voire contrecarrées, par des contestations persistantes et sans justification sérieuse est le même dans les deux cas; l’exercice libéral du pouvoir d’autorévision ne peut qu’encourager de telles contestations en affaiblissant la stabilité de décisions qui (en principe et sous réserve de quelques cas d’exception) sont finales dès lors qu’elles ne sont pas manifestement déraisonnables. Des textes législatifs souvent complexes reçoivent application dans les champs d’intervention du TAQ et de la CLP. Il est banal d’observer que ces textes se prêtent régulièrement à des interprétations diverses mais également défendables («tenable» selon le terme employé par le juge Iacobucci dans l’arrêt Ryan, et que cite le juge Fish[35]), interprétations véhiculées par des décisions qui, selon la volonté du législateur, sont finales et non sujettes à appel. Il faut se garder d’utiliser à la légère l’expression «vice de fond de nature à invalider» une telle décision. La jurisprudence de notre Cour, sur laquelle je reviendrai, est à juste titre exigeante sur ce point. La faille que vise cette expression dénote de la part du décideur une erreur manifeste, donc voisine d’une forme d’incompétence, ce dernier terme étant entendu ici dans son acception courante plutôt que dans son acception juridique. Ces facteurs me convainquent que, tout bien considéré, la thèse de la mise en cause sur la norme de contrôle doit être écartée, et que la norme applicable ici comme dans l’arrêt Godin est celle de la décision raisonnable simpliciter.

 

[…]

 

[44] […] Le contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable simpliciter permet ainsi d’empêcher que ne s’instaure entre la CLP 1 et la CLP 2 (et ce, même en l’absence d’excès de compétence) «the adjudicative realm in which "second opinions" reigned and poured», selon l’expression éloquente du juge Fish. Si pour des raisons de qualité, de célérité et d’accessibilité le législateur a voulu réduire sensiblement la portée du pouvoir de surveillance de la Cour supérieure lorsqu’il s’exerce sur les décisions de la CLP, il importe que le pouvoir conféré à la CLP 2 par le paragraphe 3° de l’article 429.56 LATMP s’exerce sans que réapparaissent en tout ou en partie les inconvénients du contrôle judiciaire tel qu’il se pratiquait en l’absence de clauses privatives intégrales. Le moyen d’atteindre cet objectif est d’appliquer aux décisions de la CLP 2 rendues en vertu de ce paragraphe la norme de la décision ou de l’interprétation raisonnable simpliciter.

_________________

[35] Supra, note 15, paragr. 55.

(notre soulignement)

 

 

[19]           Puis il cite lui aussi les propos de la Cour d’appel dans Épiciers Unis Métro-Richelieu inc.[14] et poursuit en indiquant que cet énoncé de principe n’a jamais été remis en question.

[20]           Quelques semaines plus tard, dans l’affaire Touloumi[15], la Cour d’appel qualifiait de la même manière la notion de vice de fond :

[5]        Il ressort nettement de l’arrêt Fontaine qu’une décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision.

 

 

[21]           La soussignée estime qu’effectivement le critère du vice de fond, défini dans les affaires Donohue et Franchellini comme signifiant une erreur manifeste et déterminante, n’est pas remis en question par les récents arrêts de la Cour d’appel. Lorsque la Cour d’appel écrit que «la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur sont des traits distinctifs susceptibles d’en faire «un vice de fond de nature à invalider une décision», elle décrit la notion en des termes à peu près identiques. L’ajout du qualificatif «grave» n’apporte rien de nouveau dans la mesure où la Commission des lésions professionnelles a toujours recherché cet élément aux fins d’établir le caractère déterminant ou non de l’erreur.

[22]           Toutefois, l’invitation à ne pas utiliser la notion de vice de fond à la légère et surtout l’analyse et l’insistance des juges Fish et Morrissette sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative, invitent et incitent la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n'est qu'exceptionnellement que cette décision pourra être révisée. Pour paraphraser le juge Fish dans l’affaire Godin[16], que ce soit pour l’interprétation des faits ou du droit, c’est celle du premier décideur qui prévaut.

[23]           Dans une décision toute récente, Victoria et 3131751 Canada inc.[17], la Commission des lésions professionnelles commente également ces différents jugements de la Cour d’appel et en fait une analyse semblable :

[22]      Pour les fins de la présente décision, on retiendra donc avec le plus grand respect, que la notion de vide de fond ne doit pas être utilisée « à la légère » et la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur en sont des traits distinctifs. Aussi, il ne saurait être question de substituer une seconde opinion à une première si elle n’est ni plus ni moins défendable que la première. Pour reprendre l’expression de la Cour d’appel, la « faille » que vise la notion de vide de fond est une erreur manifeste voisine d’une forme d’incompétence, tel qu’on l’entend couramment.

 

[…]

 

[25]      Par cet arrêt, la Cour d’appel invite donc le tribunal à la retenue dans l’exercice de son pouvoir de révision. Mais cette invitation est-elle assortie d’une nouvelle interprétation de la notion de vice de fond? L’expression « erreur manifeste, (…) voisine d’une forme d’incompétence (…) » ouvre-t-elle la porte à une approche plus restrictive? Est-ce que le fait d’exiger qu’une erreur soit « grave, évidente et déterminante » restreint davantage cette notion?

 

[26]      Pour le soussigné, la Cour d’appel n’a pas voulu remettre en cause les principes mis de l’avant dans l’affaire Métro-Richelieu . En fait, le juge Morissette a rappelé lui-même que l’énoncé de principe dans cette affaire « n’a jamais été remis en question » et il n’affirme pas non plus qu’il entend procéder à une telle remise en question.

 

[27]      La situation qui existait avant l’arrêt Fontaine  ne paraît pas avoir été modifiée en ce qui concerne la notion de vice de fond. Toutefois, et c’est le plus important, la Cour s’attend à ce que le présent tribunal respecte intégralement les critères établis depuis la décision Donohue.

(références omises par la soussignée)

 

 

[24]           Pour les fins du présent dossier, rappelons maintenant les principaux éléments ayant donné lieu au litige. La soussignée a pris connaissance du dossier et de la transcription de l’audience tenue devant le premier commissaire. La CSST a déposé copie d’un extrait du système «Repères» sur la classification des emplois portant sur le poste de commis-vendeur et copie de la note du Dr Charbonneau du 20 août 2003. Le procureur de la travailleuse a fait valoir que la CSST ne peut pas bonifier la preuve dans le cadre d’une requête en révision, ce qui est exact. Toutefois la soussignée constate que, malgré que ces deux documents ne soient pas versés intégralement au dossier, tant les intervenants (agente de réadaptation et rapport d’ergothérapie) que les deux procureurs y font référence. Il ne s’agit donc pas d’une preuve nouvelle.

[25]           Le 4 juin 2001, la travailleuse qui occupe un emploi de préposée aux bénéficiaires subit une lésion professionnelle. Les aspects médicaux de cette lésion ont fait l’objet de deux avis du Bureau d’évaluation médicale. Le diagnostic retenu est celui d’entorse lombaire et la lésion est consolidée en date du 16 janvier 2002. Une atteinte permanente à l’intégrité physique de 2,2 % est reconnue à la travailleuse et les limitations fonctionnelles suivantes sont émises : 

Éviter de soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 15 à 25 kg;

Éviter de travailler en position accroupie;

Éviter de ramper ou grimper;

Éviter d’effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire;

Éviter de subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale.

 

 

[26]           Signalons que les limitations fonctionnelles émises par le membre du Bureau d’évaluation médicale ont été maintenues par la Commission des lésions professionnelles dans une décision rendue le 8 septembre 2003[18], décision rendue par le même commissaire que celui qui rend la décision du 18 février 2005 (ci-après appelé le premier commissaire).

[27]           Après avoir admis la travailleuse en réadaptation, la CSST rend une décision le 13 novembre 2002 déclarant que l’emploi de commis-vendeuse est un emploi convenable pour la travailleuse et qu’elle est capable de l’exercer à compter du 11 novembre 2002. C’est cette décision qui donne lieu au litige dont était saisi le premier commissaire.

[28]           La CSST allègue que le premier commissaire a commis deux erreurs de droit au paragraphe 19 de sa décision qui se lit ainsi :

[19]      La travailleuse a témoigné à l’audience et a fait la démonstration que la lésion professionnelle entraîne pour elle une symptomatologie importante et qu’elle doit prendre des médicaments de façon régulière.  De plus, la travailleuse a indiqué que, dans le cadre de la recherche d’emploi, comme elle habite dans un petit village, St﷓André-Avellin, elle doit donc effectuer sa recherche d’emploi à l’extérieur de sa région, ce qui implique le déplacement en automobile durant de longues périodes.  Ceci contrevient à ses limitations fonctionnelles et, par le fait même, permet de déclarer que l’emploi convenable retenu par la CSST ne peut constituer un emploi convenable, puisque la travailleuse n’est pas en mesure de l’occuper, ne serait-ce qu’en raison des déplacements qui nécessitent, non seulement pour la recherche d’emploi, mais pour l’emploi lui-même advenant le cas où elle arriverait à en trouver un.  De plus, le rapport d’ergothérapie qui s’est effectué sur plusieurs jours constitue un élément de preuve important qui permet de déclarer que la travailleuse est incapable d’occuper l’emploi convenable retenu par la CSST de commis-vendeuse et de retourner le dossier à la CSST afin qu’elle reprenne le processus de contestation.

 

 

[29]           Les deux erreurs alléguées sont les suivantes :

1)     avoir pris en considération le fait que la travailleuse doit effectuer des déplacements en automobile, alors que l’emploi retenu n’exige aucun déplacement en automobile, outre que pour se rendre au travail, et sans aucun élément objectif de preuve au soutien de cette conclusion;

2)     avoir retenu les limitations fonctionnelles émises par l’ergothérapeute ce qui ajoute aux limitations déjà retenues par la Commission des lésions professionnelles.

[30]           La Commission des lésions professionnelles analysera d’abord la seconde erreur invoquée. La CSST reproche au premier commissaire d’avoir conclu que la travailleuse est incapable d’occuper l’emploi convenable de commis-vendeuse en raison du rapport d’ergothérapie. L’ergothérapeute conclut que l’évaluation a permis de déterminer que la travailleuse n’est pas en mesure d’adopter et d’accomplir la majeure partie des tâches et des positions de travail requises par le travail de commis-vendeuse, en raison de ses limitations physiques à savoir :

- Mme Louisseize est incapable de soulever, transporter, tirer et pousser des charges au-delà de 10 lb de façon sécuritaire, alors que le travail de commis-vendeur exige d’être en mesure de soulever, transporter, tirer et pousser des charges jusqu’à 20 lb maximum.

 

-Mme Louisseize est incapable d’adopter les positions de travail debout (statique/dynamique) et en marche ce qui représente les positions de travail principales du travail de commis-vendeur.  Mme Louisseize est en mesure d’adopter la position debout de façon occasionnelle seulement et en marche pour une accessibilité seulement au lieu de travail.

 

 

[31]           La CSST prétend qu’en référant à ces limitations fonctionnelles, le premier commissaire a ajouté aux limitations fonctionnelles qu’il avait retenues dans sa décision du 8 septembre 2003, ce qui constitue, à son avis, une erreur de droit. En 2003, le premier commissaire a refusé de reconnaître les limitations supplémentaires recommandées par la Dre Sylvie Charbonneau, médecin qui a charge de la travailleuse. Dans cette décision de 2003, le premier commissaire émettait les commentaires suivants :

[26]      Le tribunal trouve dommage que la travailleuse n’ait pas été évaluée par un ergothérapeute qui est la personne la plus qualifiée afin de déterminer la capacité d’une personne à effectuer certaines tâches et certains gestes.  Ni la CSST, ni l’employeur, ni la travailleuse n’ont demandé ou effectué une telle évaluation qui aurait été des plus concluantes.  Les médecins évaluateurs ont donc procédé à une évaluation en fonction du diagnostic retenu, soit entorse lombaire avec limitations fonctionnelles, et ont, sans procéder à une évaluation en profondeur, établi des limitations fonctionnelles pouvant correspondre à ce type de lésion.  Il est bien évident que les médecins évaluateurs ont tiré leur opinion de l’examen qu’ils ont fait.  Toutefois, c’est un examen relativement sommaire pour évaluer la capacité de travail d’une personne, ce champs d’expertise relevant plus d’une ergothérapeute qui procédera à une étude exhaustive de la capacité d’une personne sur une période de temps permettant d’assurer la fiabilité des résultats.

 

[27]      Ceci étant dit, la preuve médicale prépondérante est celle qui a force probante, puisqu’elle est confirmée par les autres évaluateurs, notamment les docteur Varin et Des Marchais qui, pour l’essentiel, ont défini les mêmes limitations fonctionnelles.  Le tribunal ne retient pas la note complémentaire émise par la docteure Charbonneau qui semble avoir été préparée afin de déterminer l’incapacité de la travailleuse à occuper l’emploi de commis vendeur.  La travailleuse pourra faire ses représentations et, à ce moment-là, le tribunal devra tenir compte de l’ensemble de la condition physique de la travailleuse et non uniquement sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles qui ont été retenues par le Bureau d’évaluation médicale.  Mais le présent tribunal n’est pas saisi de cette question.

 

 

[32]           La CSST fait valoir que la décision du 18 février 2005 est irréconciliable avec la décision de 2003 et qu’un tel raisonnement permet de faire indirectement ce qui ne peut être fait directement. Elle ajoute qu’un tel raisonnement dénature le sens à donner à l’expression «capacité résiduelle» prévue à la définition d’emploi convenable.

[33]           La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision estime qu’il n’y a pas là une erreur manifeste et déterminante donnant ouverture à révision. Il faut distinguer la question des limitations fonctionnelles résultant de la lésion professionnelle et la notion de capacité résiduelle. En effet, la détermination par la Commission des lésions professionnelles du caractère convenable d’un emploi fait appel à l’appréciation des différentes caractéristiques d’un tel emploi suivant la définition que l’on retrouve à l’article 2 de la loi :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« emploi convenable » : un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.

 

 

[34]           Or la notion de capacité résiduelle est une notion plus large que celle des limitations fonctionnelles résultant de la lésion professionnelle. Dans une décision en révision, l’affaire Fortin et Entreprise Peinturlure inc.[19], la Commission des lésions professionnelles rappelait la jurisprudence établie à ce sujet :

[31] […] Le principe est bien établi en jurisprudence (5) . La notion de capacité résiduelle ne réfère pas aux seules limitations fonctionnelles résultant de la lésion professionnelle mais englobe aussi les autres conditions médicales affectant la santé du travailleur dans la mesure où celles-ci sont médicalement démontrées et existent au moment de la détermination de l'emploi convenable.

_______________

(5) Tremblay et Coffrages C.C.C. ltée, [1995] C.A.L.P. 771 ; Silva et Vêtements sports John Tomaras, C.L.P. 103811-71-9807, 24 août 1999, R. Brassard; Cayer L'Écuyer et Marché Chèvrefils St - Sauveur inc , C.L.P. 148641-64-0010, 14 août 2001, J.F. Martel; Bautista et Pillsbury ltée, C.L.P. 137209-71-0004, 24 janvier 2002, A. Vaillancourt; Durand et Régie des installations olympiques, C.L.P. 142684-71-0007, 18 février 2002, L. Couture; Desrochers et Polyclinique Pie IX, C.L.P. 160489-63-0105, 21 juin 2002, J.M. Charrette; Ricard et Liquidation choc, [2004] C.L.P. 433 , révision pendante.

 

 

[35]           En l’espèce, le premier commissaire rappelle précisément, au paragraphe 14 de la décision attaquée, les limitations fonctionnelles retenues à la suite de la lésion professionnelle de juin 2001. Puis il fait état de l’étude ergonomique, obtenue à la suggestion du Tribunal. De toute évidence, le premier commissaire a accordé une grande valeur à cette étude détaillée portant spécifiquement sur la capacité de la travailleuse à exercer l’emploi de commis-vendeuse. Cela relève de son appréciation de la preuve.

[36]           Cette étude analyse les exigences physiques de l’emploi en tenant compte des limitations fonctionnelles retenues mais également en tenant compte d’autres difficultés de la travailleuse, notamment celle relative à la position debout sur laquelle la travailleuse a beaucoup insisté dans son témoignage. Le dossier fait état d’une condition personnelle de dégénérescence multiétagée avec discarthrose facettaire; de deux autres lésions professionnelles en août 2000 (genou droit et dos) et en mai 2002 (entorse à l’épaule gauche) qui, il est vrai, n’ont pas entraîné de limitations fonctionnelles; d’une condition de déconditionnement modéré. Ce sont des éléments qui peuvent expliquer la condition globale de la travailleuse.

[37]           La CSST plaide également que la travailleuse aurait modifié ses prétentions concernant le fait que ses douleurs résultent de l’accident de juin 2001 ou d’une condition personnelle. Il appartenait au premier commissaire d’apprécier si cet élément pouvait affecter la crédibilité de la travailleuse. Ce n’est pas un exercice auquel peut se prêter la soussignée dans le cadre d’une requête en révision.

[38]           Reste maintenant à examiner l’autre erreur invoquée par la CSST. La CSST soumet que l’emploi de commis-vendeur n’exige aucun déplacement en véhicule, qu’aucune preuve objective n’a été soumise à ce sujet, que la conclusion repose sur une absence de preuve. En quoi le simple fait de se rendre au travail contrevient-il à une limitation fonctionnelle et à laquelle? Doit-on déduire que cela contrevient à la limitation relative au fait d’éviter de subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale? La CSST dépose copie d’une décision[20] où une prétention semblable a été rejetée par la Commission des lésions professionnelles.

[39]           Il est vrai qu’il n’y a aucune preuve sur le fait que l’emploi retenu requiert des déplacements en automobile pour l’exécution des tâches comme tel. Quant au déplacement pour se rendre au travail, la travailleuse a mentionné à l’audience et lors de l’évaluation faite le 30 septembre 2002 par le C.R.D. d’une augmentation de ses douleurs après un trajet sur une longue distance. Il y a eu une question à l’audience sur la distance entre le village où elle habite (p. 142 des notes sténographiques) et les villes environnantes. La travailleuse indique que la ville de Gatineau est située à une heure de route sans précisions concernant la distance pour se rendre à Thurso et Hawkwsbury ni sur les possibilités d’emploi dans ces deux villes. 

[40]           Quoi qu’il en soit, même s’il y avait erreur à ce sujet, elle n’est pas déterminante car de toute façon, pour les motifs énoncés ci-haut, le premier commissaire a conclu que la travailleuse était incapable d’exercer l’emploi convenable de commis-vendeuse compte tenu de sa capacité résiduelle.  

[41]           En l’absence de vice de fond de nature à invalider la décision, la requête de la CSST est donc rejetée.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête en révision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

 

 

__________________________________

 

Lucie Nadeau

 

Commissaire

 

 

 

 

Me Charles Magnan

CHARLES MAGNAN, AVOCAT

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Maryse Lepage

BASTIEN, MOREAU, AVOCATS

Représentante de la partie intéressée

 

 

Me Julie Perrier

PANNETON LESSARD

Représentante de la partie intervenante

 



[1]          La décision dispose également d’une autre contestation de la travailleuse (dossier 230515-07-0403) qui ne fait cependant pas l’objet de la requête en révision.

[2]          L.R.Q., c. A-3.001

[3]          [2005] C.L.P. 626 (C.A.)

[4]          Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ;  Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783

[5]          L.R.Q., c. C-34. L’article 24 a été aboli par l’article 184 de la Loi sur l’application de la Loi sur la justice administrative (L.Q. 1997, c. 43)

[6]          [1996] R.J.Q. 608 (C.A.)

[7]          Précitée, note 4

[8]          Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490

[9]          Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 (C.A.)

[10]        Précitée, note 6

[11]        [2003] C.L.P. 606 (C.A.)

[12]        Précitée, note 3

[13]        Précitée, note 8

[14]        Précitée, note 6

[15]        CSST c. Touloumi, C.A. 500-09-015132-046, 6 octobre 2005, jj. Robert, Morissette, Bich, 05LP-159

[16]        Précitée, note 8

[17]        C.L.P. 166678-72-0108, 1er décembre 2005, B. Roy

[18]        Dossier 197634-07-0212

[19]        C.L.P. 200948-01A-0302, 31 octobre 2004, C.-A. Ducharme

[20]        Latulippe et Produits Bel Inc. , C.L.P. 105502-63-9810, 10 janvier 2000, M.-H. Côté

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