LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES QUÉBEC MONTRÉAL, le 27 mars 1997 DISTRICT D'APPEL DEVANT LA COMMISSAIRE :Me Louise Turcotte DE MONTRÉAL RÉGION: ASSISTÉE DE L'ASSESSEUR :Pierre Nadeau, médecin ÎLE DE MONTRÉAL DOSSIER: 65151-60-9412 DOSSIER CSST: 088706387 AUDIENCES TENUES LES :21 janvier 1997 DOSSIER BR: 24 janvier 1997 61550796 À: Montréal __________________________________________________ GIOVANNI MARCOVECCHIO 4682, rue Jean-Rivard Saint-Léonard (Québec) H1R 1T6 PARTIE APPELANTE et EMC EUROP. MARBLE CERAMIC (FAILLITE) et PHIL BELL, SYNDIC 400, boul. Maisonneuve ouest Bureau 1202 Montréal (Québec) H3A 1L4 PARTIES INTÉRESSÉES et COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL - MONTRÉAL 4 Directeur régional 1, Complexe Desjardins 35ième étage Montréal (Québec) H5B 1H1 PARTIE INTERVENANTE D É C I S I O N Le 8 décembre 1994, monsieur Giovanni Marcovecchio (le travailleur) dépose à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) une déclaration d'appel à l'encontre d'une décision rendue par le Bureau de révision de la région de Montréal (le bureau de révision) le 14 novembre 1994.Par cette décision, le bureau de révision rejette les demandes de révision du travailleur et maintient les décisions rendues par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) les 27 octobre 1993 et 25 novembre 1993. La première refusait la réclamation du travailleur pour l'événement du 1er avril 1993 qui n'était pas en relation avec l'événement initial du 14 novembre 1984. La deuxième informait le travailleur du maintient de sa position à l'effet qu'il était considéré inadmissible à l'assistance financière en matière de stabilisation sociale.
OBJET DE L'APPEL Le travailleur demande à la Commission d'appel d'infirmer la partie de la décision rendue par le bureau de révision, relativement à la décision rendue par la Commission le 27 octobre 1993, et de déclarer qu'il a subi une lésion professionnelle le 1er avril 1993, en relation avec l'événement initial du 14 novembre 1984.
LES FAITS Le 1er novembre 1984, le travailleur exerçait le métier de tailleur et de polisseur de marbre chez EMC Europ. Marble Ceramic (compagnie en faillite) (l'employeur) lorsqu'il a été victime d'un accident du travail en soulevant une pièce de marbre d'environ 300 livres. Il a ressenti une douleur dans le dos et progressivement une douleur au membre inférieur droit. Il a continué à travailler et la douleur a augmenté. Le 14 novembre 1984, en soulevant encore du marbre, les douleurs lombo- sciatalgique et inguinale se sont intensifiées. Les diagnostics de hernie inguinale bilatérale et d'entorse dorso-lombaire furent posés.
Le 11 mars 1985, le travailleur a été opéré pour une hernie inguinale bilatérale.
Le 9 mai 1985, le docteur Danièle produit un rapport médical dans lequel il pose un diagnostic d'entorse dorso-lombaire.
Le 3 juillet 1985, la Commission accepte la relation entre l'événement du 14 novembre 1984 et les soins reçus pour entorse lombaire.
Le 16 septembre 1985, une tomographie axiale de la colonne lombaire est effectuée par le docteur Millette. Celui-ci démontre des signes suggestifs d'une hernie discale L4-L5 droite possiblement avec un élément foraminal.
Le 17 décembre 1985, le docteur Robert Lefrançois, neurochirurgien, expertise le travailleur et il conclut ainsi: «En résumé, ce malade présente un tableau de hernie discale séquestrée en L4-L5 du côté droit. Cette hernie discale ne semble pas avoir répondu au traitement conservateur et le Dr Décarie aurait proposé au patient une discoidectomie lombaire mais le patient hésite beaucoup et il craint la discoidectomie à cause des problèmes qu'il a eus avec ses réparations de hernie inguinale.
Du point de vue pratique, actuellement, il est impossible pour lui de faire un travail lourd ou un travail léger.
Il prend des analgésiques et reste au repos presque complet continuellement.
D'autre part, s'il était opéré pour sa hernie discale lombaire, il serait très probablement amélioré à mon avis et il serait alors porteur d'une incapacité partielle permanente de l'ordre de 15%.
D'autre part, les périodes d'invalidité accordées par ses médecins me semblent acceptables». [sic] Le 25 mars 1986, le docteur Fowles expertise le travailleur à la demande de la Commission. Il conclut à la nécessité d'une exploration et d'une discoïdectomie L4-L5 à droite avec foraminectomie pour explorer la racine L5 à droite.
Le 8 septembre 1986, le docteur Raymond Langevin, chirurgien- orthopédiste, expertise le travailleur. Il a conclut ainsi: «Même si ce réclamant est relativement jeune, âgé de 32 ans, cependant, considérant la persistance de ses allégations subjectives concernant surtout la colonne lombaire et des membres inférieurs, la positivité de mon examen clinique et la positivité de mon examen neurologique, à mon avis, ce réclamant est inapte et totalement pour retourner sur le marché du travail, même pour un travail léger. De toute évidence, comme il a reçu une scolarité insuffisante (5e année), même pour un travail léger ou clérical, il aura beaucoup de difficulté à être embauché.
Concernant le déficit anatomo-physiologique, considérant les signes cliniques positifs au niveau de la colonne lombo-sacrée et des membres inférieurs, (hernie discale lombaire L4 L5 du côté droit), je suis bien d'accord avec le Dr Robert Lefrançois pour allouer 15%». [sic] Le 22 novembre 1986, un avis complémentaire émis par le docteur Robert Lefrançois mentionne que le travailleur est toujours en arrêt du travail et que, malgré son jeune âge, le pronostic est mauvais à cause de sa triple pathologie de hernie discale séquestrée L4-L5 droite, d'asthme occupationnel et de hernie inguinale droite.
Le 13 mars 1987, le docteur Murray expertise le travailleur à la demande de la Commission. Il termine par l'opinion suivante: «Ce patient doit rencontrer son médecin traitant, le Docteur Jean-Louis Lalonde, Neurochirurgien prochainement pour décider de l'opportunité d'une myélographie et d'une chirurgie lombaire. Nous suggérons donc de continuer l'ITT médicale environ 6 semaines, jusqu'à ce qu'une décision thérapeutique soit prise. Si le patient accepte la myélographie et le traitement chirurgical proposé, l'ITT médicale devra alors se continuer selon les recommandations du médecin traitant. Si le patient refuse la myélographie et le traitement, l'ITT médicale devra alors être terminée.
Un DAP de 10% est actuellement attribué en considération de la lombo-sciatalgie droite avec léger déficit radiculaire. Ce DAP devra être réévalué éventuellement si le patient opte pour un traitement chirurgical.
Ce patient est maintenant limité à un travail sédentaire selon la classification canadienne et cette restriction nous semble permanente. Le pronostic de retour au travail de ce jeune homme touché par plusieurs pathologies est très réservé.
Une réévaluation de ce DAP est suggérée dans environ 1 an». [sic] Le 9 octobre 1987, le docteur Gilles-R. Tremblay expertise le travailleur. Il retient un diagnostic de hernie discale séquestrée L4-L5 à droite, avec une radiculopathie sensitovo- motrice mixte de sévérité importante à droite, et il fixe à 16% le pourcentage de déficit anatomo-physiologique. Concernant la réinsertion sur le marché du travail, il souligne: «Comme évolution future, nous recommandons que le Service de Réadaptation Sociale de la CSST soit un peu plus diligent et offre à ce jeune patient de 32 ans la possibilité de suivre un cours pour apprendre le français écrit car ce patient pourrait effectuer un travail strictement léger et sédentaire sans flexion du tronc et à 32 ans ceci serait très valorisant pour lui de pouvoir se trouver un emploi rémunérateur et étant donné les séquelles importantes de son traumatisme au travail, nous croyons qu'il est du ressort du Service de Réadaptation Sociale de donner à ce patient la possibilité de suivre un cours pour lui permettre de se trouver un tel emploi sur le marché du travail canadien, à l'heure actuelle». [sic] Le 25 janvier 1988, le docteur Langevin produit un rapport d'évaluation médicale dans lequel il note qu'il n'y a pas eu de modification de l'état clinique du travailleur depuis le 8 septembre 1986. Il fixe un déficit anatomo-physiologique à 15% en précisant que le travailleur est toujours inemployable.
Le 12 septembre 1988, le docteur Gilles-R. Tremblay réexamine le travailleur et il émet l'opinion suivante: «Étant donné que ce patient craint, et je dois ajouter ici qu'il a probablement raison, les effets d'une chirurgie correctrice, il devrait être maintenant considéré comme consolidé, et orienté probablement vers une retraite anticipée selon la Régie des Rentes du Québec.
En effet après plus de trois ans et demi d'hernie discale séquestrée postéro-latérale droite impliquant une radiculopathie sensitive et motrice de L5 droit, il y a très peu d'espoir que ce patient puisse récupérer avec une chirurgie et à cause de la longueur de duration des symptômes depuis l'accident jusqu'à maintenant ce patient est à mon avis un très pauvre candidat chirurgical et développerait probablement un pachyméningite lombaire s'il était soumis à une correction chirurgicale». [sic] Le 18 janvier 1989, le bureau de révision, formé en vertu de la Loi sur les accidents du travail, dans une décision, accorde au travailleur un déficit anatomo-physiologique de 19% auquel s'ajoute un taux d'inaptitude de retour au travail de 3%.
Le 31 août 1989, la Commission maintient le pourcentage d'incapacité partielle permanente à 22%, d'où l'absence d'aggravation subséquente.
Par la suite, en février 1991, le travailleur se dit prêt à participer à un programme de réadaptation. Le travailleur est ainsi inséré dans un programme de formation en français, de juin à septembre 1992. Du 1er octobre 1992 au 30 septembre 1993, le travailleur bénéficie d'un programme de recherche d'emploi et il reçoit des indemnités de remplacement du revenu.
Le 13 novembre 1991, le travailleur consulte le docteur Lionel Béliveau, psychiatre. Celui-ci souligne que le travailleur a consulté à quatre reprises au cours de l'année 1986 le docteur Noël Garneau, psychiatre, parce qu'il présentait, depuis environ un an, une symptomatologie dépressive en relation avec la persistance de ses limitations et du manque d'espoir d'amélioration de son état. Il écrit: «[...] ... Il présentait en effet, selon ses dires, une tendance à pleurer facilement, même lorsqu'il avait de la visite à la maison, des tremblements intérieurs, de l'insomnie, une tendance à jongler continuellement, une perte d'intérêt pour sortir au point de ne plus vouloir rencontrer personne, une perte d'appétit sans perte de poids, un état d'irritabilité important, des sentiments de dévalorisation et même de honte qui lui faisaient éviter d'aller se promener sur la rue et des sentiments de découragement, mais sans idéation suicidaire.
Cette symptomatologie dépressive se serait un peu améliorée alors qu'il faut traité en physiothérapie durant un an et demi, en 1986-87. Cette symptomatologie dépressive se serait à nouveau aggravée par la suite après la fin des traitements de physiothérapie et surtout après que ses prestations d'invalidité furent discontinuées par la CSST. Il n'aurait pas été pris en charge par le Service de réadaptation sociale de la CSST et n'aurait été l'objet d'aucun traitement psychologique ou psychiatrique par la suite.
Toujours selon les dires de M. Marcovecchio, ce dernier continuerait à souffrir d'une lombalgie s'irradiant dans le membre inférieur droit jusqu'aux orteils ainsi que dans le membre inférieur gauche lorsqu'il fait des mouvements de flexion de la colonne. Il continue à présenter également une douleur à la région inguinale droite ainsi qu'une cervicalgie. Il continue également à présenter des céphalées occasionnelles. Il doit continuer à prendre Empracet et Proindo comme médications analgésiques aux quatre heures, pour soulager ses douleurs. Ses douleurs continuent à l'éveiller fréquemment la nuit de telle sorte qu'il dort rarement plus de quatre à cinq heures par nuit et qu'il se lève fatigué le matin.
Selon les dires de M. Marcovecchio, ce dernier continue à être très irritable au point de devenir assez souvent agressif verbalement et même au point de lancer des objets lorsqu'il perd contrôle sur lui-même. Il se culpabilise souvent de se chicaner sans raison avec son épouse. Il continue à se dévaloriser et à se sentir inutile d'être incapable de faire quoi que ce soit. Il a beaucoup moins de goût et d'intérêt pour la plupart des activités, y compris les relations sexuelles qui sont devenues très rares. Il lui arrive encore d'être porté à se décourager, mais n'a pas de ruminations suicidaires.
Toujours selon les dires de M. Marcovecchio, ce dernier continue à être anxieux, à expérimenter des tremblements la nuit et à expérimenter occasionnellement une symptomatologie d'angoisse avec sensation de serrement dans la poitrine et transpiration». [sic] À l'examen mental, le docteur Béliveau note que le travailleur coopère volontiers à l'examen, sans réticence ni méfiance, sans tendance à dramatiser ou à exagérer l'importance de ses symptômes ou de ses problèmes. Il indique que son jugement est bien conservé de même que sa capacité de compréhension et qu'il ne présente pas de trouble de la pensée ni d'activité psychotique.
Il conclut en ces termes: «M. Giovanni Marcovecchio continue à présenter un léger trouble dysthymique en relation avec la persistance de ses douleurs mais surtout de ses limitations importantes. Étant donné que ces limitations importantes sont permanentes et étant donné l'évolution chronique de cette pathologie, je prévois que cette pathologie continuera à évoluer de façon chronique, indépendamment de toute mesure thérapeutique, et j'évalue en conséquence les séquelles psychologiques permanentes en relation avec l'accident de travail de novembre 1984 avec un DAP de 5%». [sic] Le 7 février 1992, le docteur Guy Bouvier, neurochirurgien, expertise le travailleur à la demande de la Commission, dans le but de déterminer les séquelles permanentes dont reste affecté le travailleur. Il conclut que le travailleur n'a jamais présenté de signes cliniques compatibles avec une hernie discale séquestrée et que, tout au plus, il a présenté des signes d'irritation radiculaire. Il accorde ainsi un déficit anatomo- physiologique de 9% et il émet les restrictions suivantes: « a) ne doit pas lever de poids du plus de 30 livres, b) doit éviter un travail répétitif en flexion extension, c) éviter la station prolongée dans la même position.» [sic] Le 16 juin 1992, le docteur Béliveau, psychiatre, examine à nouveau le travailleur. Il décrit en ces termes l'examen mental: « M. Marcovecchio s'est présenté à l'examen accompagné d'un interprète parce que s'exprimant difficilement en français ou en anglais. Il n'était pas négligé dans son apparence extérieure et son état général paraissait satisfaisant. Il ne paraissait pas abattu, mais triste, anxieux et souffrant. Il coopérait volontiers à l'examen, sans réticence ni méfiance, sans tendance à dramatiser ou à exagérer l'importance de ses symptômes ou de ses problèmes. Il ne présentait pas de ralentissement psychomoteur ni de trouble de débit verbal. Il était en bon contact avec la réalité et bien orienté dans le temps et l'espace. Il ne présentait pas de trouble de l'attention et je n'ai pu objectiver les troubles de la concentration rapportés par le patient. Il ne présentait pas de trouble de la mémoire. Son jugement était bien conservé de même que sa capacité de compréhension. Il ne présentait pas de trouble de cours de la pensée ni d'activité psychotique. Il présentait comme idéation dépressive de l'auto-dépréciation avec verbalisation de sentiments de culpabilité, d'inutilité, d'impuissance et de découragement mais sans idéation suicidaire. L'affect était adéquat et bien modulé, dominé par une humeur dépressive. Il ne verbalisait pas de phobie, ni d'obsession, ni de préoccupation pathologique». [sic] Il conclut que le travailleur continue à présenter, en relation avec la persistance de ses douleurs et de ses limitations importantes sur le plan physique, un trouble dysthymique qui continuera tout probablement à évoluer de façon chronique. Selon lui, le travailleur doit être considéré comme étant totalement incapable d'occuper un emploi rémunérateur de façon régulière et permanente, compte tenu de sa pathologie sur le plan psychique et ses limitations fonctionnelles sur le plan physique.
Le 8 septembre 1992, le docteur Pierre Laberge, psychiatre, produit une expertise. Après l'étude des rapports médicaux au dossier, le docteur Laberge mentionne: «[...] Tous ces rapports d'évaluations ont été mentionnés brièvement pour bien souligner les points de vues divergents, les uns penchant vers l'invalidité totale et permanente, les autres vers la réadaptation sociale.
Aucune de ces évaluations ne fait mention d'un quelconque état psychique prédominant, d'une pathologie psychiatrique qui viendrait compliquer le problème. La psychiatrie, pour ainsi dire, fait irruption dans le décor sur le tard, un peu comme si la situation étant devenue plus ou moins ambiguë et inextricable sur le plan orthopédique et psysiatrique, la psychiatrie venant à la rescousse, le problème sera réglé! L'expertise du Docteur Lionel Béliveau date du 7 juillet 1992, soit pas moins de huit (8) années après l'événement où, soulevant une pièce de marbre pesant environ 300 livres, le requérant aurait ressenti une vive douleur au deux (2) aines, de même qu'à la région lombaire, et serait resté pour ainsi dire "sur le carreau", n'ayant jamais depuis lors repris un quelconque travail rémunérateur.
Il fallait évidemment s'attendre à ce que toute cette situation qui perdure depuis huit (8) ans, acceptation par la Régie des rentes, ensuite refus, problèmes socio-économiques, démêlés avec la C.S.S.T., ait des répercussions sur le plan psycho-émotionnel.
Effectivement, le Docteur Béliveau décrit un tableau de trouble dysthymique réactionnel "en relation avec la persistance des douleurs, mais surtout des limitations importantes sur le plan physique" (sic). Ce tableau clinique est complet et bien encastré, c'est-à-dire ne déborde pas du cadre de troubles de l'humeur découlant de la douleur et de la perte de jouissance de la vie.
Le soussigné considère le rapport du Docteur Béliveau comme reflétant exactement la réalité actuelle, c'est plutôt la conclusion et non le tableau clinique et le diagnostic posé qui est surprenante: le Docteur Béliveau non pas, si la lecture est exacte, à cause d'une sévère pathologie mentale, mais à cause des problèmes définis par le Docteur Gilles-Roger Tremblay, donc se mettant un peu à la place du Docteur Tremblay, conclut que le requérant est totalement incapable d'occuper un emploi rémunérateur de façon régulière et cela, de façon permanente (sic).
Le présent examinateur, sans aucun souci de polémiquer, rappelle qu'il a procédé à l'évaluation avec l'idée de repérer ou non une pathologie psychiatrique majeure endogène en référence avec sa spécialité, en laissant bien entendu orthopédistes et psysiatres discuter de leur problème sans interférer avec eux.
Bien entendu la chose sera autre s'il advenait qu'une pathologie psychiatrique essentielle entre en ligne de compte et vienne changer la nature de la pathologie neuro-orthopédique de base». [sic] Il décrit l'examen mental objectif comme étant strictement dans les limites de la normale. Il précise qu'il n'existe aucun antécédent psychiatrique et aucune pathologie psychiatrique endogène. Il conclut par l'opinion suivante: «Dysthymie compensatoire à une condition physique douloureuse et limitative, et compensatoire également à la perte d'un emploi spécialisé qui était adoré: celui de coupeur, de mouleur et de polisseur de marbre, ce qui, pour un italien ouvrier manuel, constitue pour ainsi dire des Lettres de Noblesse.
Aujourd'hui, cet individu est désemparé et s'accroche à la perspective d'être pensionné comme un grand invalide le restant de ses jours. Cette situation est difficilement acceptable et ne doit pas être encouragée d'aucune manière. Selon toute vraisemblance, cet individu est désaxé socialement pour divers motifs, et le problème essentiellement en est un de "réadaptation sociale". A la C.S.S.T. donc de faire son boulot!» [sic] Le 5 février 1993, la Régie des rentes du Québec révise sa décision rendue le 28 mai 1992 et déclare que le travailleur n'a jamais cessé d'être invalide depuis septembre 1987 et que la rente d'invalidité redevient payable à compter de novembre 1990.
Le 1er avril 1993, le travailleur produit une réclamation à la Commission pour dépression reliée à l'événement de novembre 1984.
Le 29 juin 1993, le docteur Béliveau examine à nouveau le travailleur. Il rapporte ainsi les plaintes du travailleur: «Selon les dires de M. Marcovecchio, ce dernier continue à présenter les mêmes douleurs qu'il présentait lors de mon dernier examen dans le dos et dans la jambe droite ainsi que les céphalées qui sont toujours aussi importantes et constantes. Il continue à se dévaloriser et à se sentir inutile, à être très irritable, à se culpabiliser et à souffrir d'anhédonie, d'asthénie, d'insomnie et de troubles marqués de la concentration. De plus, M. Marcovecchio rapporte continuer à présenter la même symptomatologie d'anxiété et d'angoisse qu'il présentait lors de mon dernier examen. Il n'est l'objet d'aucun traitement psychologique ou psychiatrique et ne prend aucune médication psychotrope». [sic] Il conclut que le travailleur continue à présenter, en relation avec la persistance de douleurs et de ses limitations importantes sur le plan physique, un trouble dysthymique qui continue à évoluer de façon chronique.
Le 7 janvier 1994, le docteur St-Maurice produit un rapport médical dans lequel il diagnostique une «dépression majeure chronique, rechute secondaire à séquelles d'accident de travail».
Il prescrit une psychothérapie et des antidépresseurs.
Le 12 décembre 1995, le docteur Béliveau revoit le travailleur.
Il décrit ainsi l'état actuel du travailleur: «Selon les dires de monsieur Marcovecchio, ce dernier a continué à présenter, en relation avec la persistance de ses douleurs chroniques et de ses importantes limitations fonctionnelles sur le plan physique, la symptomatologie d'anxiété et de dépression qu'il présentait lors de mon dernier examen, et cela en dépit de ce qu'il a été depuis mon dernier examen l'objet d'une prise en charge psychiatrique par le docteur Christophe Nowakowski, psychiatre, qui l'a suivi aux trois mois et qui lui a prescrit comme médication antidépressive du Doxepin et du Luvox dont les dosages sont actuellement réduits à Doxepin 75 mg h.s. et Luvox 50 mg die.
Monsieur Marcovecchio rapporte continuer à se dévaloriser et à se trouver inutile, à être irritable au point de provoquer des problèmes conjugaux et familiaux, à se culpabiliser de ses pertes de contrôle sur lui-même et à souffrir d'insomnie, de troubles marqués de la concentration, d'anhédonie et d'asthénie.
Il rapporte continuer à être anxieux et même de devenir inquiet avec peur de tout par périodes pouvant durer quelques jours. Ses troubles du sommeil et de la concentration deviendraient alors plus marqués.
EXAMEN MENTAL Monsieur Marcovecchio s'est présenté à l'examen non négligé dans son apparence extérieure, avec un état général paraissant satisfaisant. Il ne paraissait pas abattu, mais triste, anxieux et souffrant. Il s'exprimait difficilement en français. Il coopérait volontiers à l'examen, sans réticence ni méfiance, sans tendance à dramatiser ou à exagérer l'importance de ses symptômes ou de ses problèmes. Il ne présentait pas de ralentissement psychomoteur ni de trouble de débit verbal. Il était en bon contact avec la réalité et bien orienté dans le temps et l'espace. Il ne présentait pas de trouble de l'attention, de la concentration ou de la mémoire. Son jugement était bien conservé de même que sa capacité de compréhension.
Il ne présentait pas de trouble du cours de la pensée ni d'activité psychotique. Il présentait comme idéation dépressive de l'auto-dépréciation avec verbalisations de sentiments de culpabilité et d'inutilité, mais sans idéation morbide ou suicidaire.
L'affect était adéquat et bien modulé, dominé par une humeur dépressive. Il ne verbalisait pas de phobie ou d'obsession, ni de crainte ou de préoccupation pathologique». [sic] Il conclut à un diagnostic de trouble dysthymique qui continue à évoluer de façon chronique. Il évalue les séquelles psychologiques permanentes reliées à l'accident du travail de novembre 1984 à 5% et il déclare le travailleur inapte à tout travail régulier et permanent, parce que le fait d'être confronté à un échec entraînerait tout probablement une aggravation de sa symptomatologie dépressive.
Le 28 février 1996, le docteur Christophe Nowakowski, psychiatre, expertise le travailleur. Après avoir passé en revue le dossier médical du travailleur, il retient le diagnostic de trouble d'adaptation avec affect anxio-dépressif, en relation avec l'accident du travail de 1984. Il explique en ces termes le tableau clinique du travailleur: «Depuis 1986, monsieur Marcovecchio présente un tableau clinique caractérisé par un contenu mental centré sur ses problèmes de santé physique, une approche cognitive de ses problèmes qui est de nature à en amplifier la perception et à diminuer les chances d'une adaptation psychologique satisfaisante, de l'irritabilité et des périodes relativement brèves de découragement intense.
Ce tableau clinique correspond parfaitement au diagnostic de trouble d'adaptation, qui consiste en l'apparition de symptômes émotionnels ou comportementaux en réponse à un stresseur identifiable.
En l'occurrence, le stresseur est constitué par la douleur physique ainsi que les limitations fonctionnelles physiques. De plus, ces symptômes doivent être exagérés par rapport à ce à quoi on s'attendrait chez d'autres personnes exposées au même stresseur, ou entraîner une dysfonction significative au niveau de la vie sociale ou au travail. Dans le cas de monsieur Marcovecchio, c'est la première de ces deux condition qui s'applique.
Il est assez évident que le trouble d'adaptation de monsieur Marcovecchio est en relation avec l'accident de travail de 1984. Cette affirmation repose sur quatre observations.
Premièrement, monsieur Marcovecchio n'a jamais présenté de tels symptômes avant 1984.
Deuxièmement, dans l'ensemble des conditions anxieuses et dépressives, les individus présentent généralement un contenu mental qui est en relation avec l'agent stresseur ou déclencheur de la condition dont ils souffrent. De plus, ce contenu mental a généralement une qualité envahissante et obsédante, c'est-à-dire que la personne est incapable d'arrêter d'y penser, même si elle le désire, que ses pensées la détournent d'autres activités, et de plus, ces pensées ont souvent une qualité "stérile" et répétitive qui empêche une recherche efficace de solution. C'est exactement ce que l'on constate chez monsieur Marcovecchio, dont le contenu mental est manifestement centré sur ses limitations fonctionnelles physiques ainsi que sur sa douleur.
Troisièmement, l'évolution de monsieur Marcovecchio sur le plan clinique psychiatrique est parfaitement cohérente avec les données de la psychiatrie contemporaine. En effet, un grand nombre d'individus qui présentent une douleur chronique et des limitations fonctionnelles physiques chroniques finissent par développer des difficultés psychologiques de nature anxieuse ou dépressive. Le fait que ces difficultés psychologiques soient survenues seulement deux à trois ans après l'événement accidentel n'infirme d'aucune manière la relation de causalité, et il est effectivement documenté que souvent ces séquelles psychologiques surviennent de façon tardive par rapport à la lésion physique.
Quatrièmement, et dernièrement, aucune explication alternative pour les symptômes de monsieur Marcovecchio n'a pu être trouvée.
Ainsi, monsieur Marcovecchio présente un trouble d'adaptation avec affect anxio-dépressif qui est en relation avec l'accident de 1984.
Sur le plan thérapeutique, monsieur Marcovecchio reçoit déjà une médication antidépressive, et l'expérience des dernières années nous démontre que celle-ci est fort utile pour diminuer de façon très appréciable l'intensité des symptômes. Cependant, cette médication est administrée justement dans un but de soulagement des symptômes, et non pas dans un but curatif, et ainsi elle ne pourra faire disparaître ce diagnostic de trouble d'adaptation. Par conséquent elle sera nécessaire de façon prolongée.
Le traitement définitif des troubles d'adaptation requiert souvent une démarche psychothérapeutique mais, dans la mesure où monsieur Marcovecchio ne démontre ni intérêt ni capacité d'introspection suffisante, un tel traitement n'est pas applicable dans son cas.
Etant donné que la médication entraîne une certaine stabilité, qu'aucune amélioration supplémentaire avec la médication ne peut être espérée, et qu'il n'y a aucune possibilité de psychothérapie, l'état de monsieur Marcovecchio doit certainement être considérée comme consolidée. Je crois que l'état de monsieur Marcovecchio était déjà consolidé lorsque je l'ai vu pour la première fois en mars 1994.
Sur le plan strictement psychiatrique, l'intensité des symptômes est insuffisante pour entraîner quelque limitation fonctionnelle que ce soit. Bien au contraire, si monsieur Marcovecchio pouvait se sentir utile et valorisé dans une activité quelconque, sa situation psychologique ne pourrait que s'améliorer.
Cependant, les possibilités de réadaptation dans un autre emploi, qui tiendrait compte des limitations fonctionnelles physiques, me semblent plutôt minces compte tenu de la scolarité insuffisante, de la maîtrise moins que parfaite des langues officielles du pays, et de la crainte pathologique face à l'échec, qui feraient que toute tentative de réadaptation entraînerait probablement chez monsieur Marcovecchio une poussée d'anxiété qui risquerait de compromettre toute réinsertion au travail.
En ce qui concerne l'atteinte permanente, il faut reconnaître que le niveau symptomatique de monsieur Marcovecchio, déjà léger au départ, a fluctué pendant la période où je l'ai suivi, à tel point qu'à certains moments, par exemple vers la fin de 1994 et au début de 1995, je considérais qu'aucune atteinte permanente n'était applicable. Cependant, il existait de très légers symptômes résiduels qui se sont aggravés suite à une tentative de diminution de la médication antidépressive, et qui ne se sont pas entièrement résorbés avec une réaugmentation de cette dernière.
Compte tenu de la présence de ces symptômes minimes et compte tenu de la nécessité pour monsieur Marcovecchio de continuer à prendre une médication pour empêcher ses symptômes d'augmenter, je crois qu'il serait justifié de lui attribuer un DAP de 5% à titre de névrose du groupe 1, Code 222 547». [sic] À l'audience, le travailleur témoigne. Il a immigré au Canada en 1964. Il explique, qu'avant l'événement de 1984, il exerçait le métier de polisseur de granit et coupeur de marbre. Depuis cet événement il n'a jamais repris le travail. Il soutient que les douleurs l'empêchaient de dormir la nuit. À partir de ce moment, il a commencé à avoir peur pour la famille et pour l'avenir. Il lui arrivait de se cacher dans la chambre à fournaise pour pleurer. Il fait souvent des crises d'anxiété, aux trois ou quatre jours. Durant ces périodes, il trouve que la vie n'est pas réjouissante, l'appétit disparaît; le matin il se lève plus fatigué que le soir. Ça commence habituellement avec des douleurs au niveau du cou, entre les deux épaules et au niveau de la mâchoire. Ces malaises sont associés à une accentuation des douleurs au bas du dos. Ces douleurs sont apparues environ un an après l'accident de novembre 1984. Il y a eu une diminution de ces malaises à un moment donné lors des traitements de physiothérapie. Il est devenu moins anxieux car les douleurs avaient diminué. Lorsqu'il a réclamé, en avril 1993, ça faisait cinq à six mois que ses problèmes physiques avaient augmenté et il faisait de plus en plus d'anxiété. Avant l'événement de novembre 1984, il n'avait jamais eu de problème de ce genre.
Le docteur Béliveau, psychiatre, témoigne à la demande du travailleur. Dans un premier temps, il commente successivement les trois expertises qu'il a fait en 1992, en 1993 et en 1995.
Le docteur Béliveau souligne que le travailleur n'a aucun antécédent psychiatrique personnel ou familial. Il rappelle également que le travailleur a consulté un psychiatre, le docteur Garneau, à quatre ou cinq reprises dès 1986 parce qu'alors, il se plaignait de symptômes dépressifs ayant commencé environ un an auparavant. Ces symptômes dépressifs étaient reliés à son incapacité de travailler et à son manque d'espoir de s'améliorer, selon ce que son orthopédiste lui aurait dit à cette époque.
À l'examen, lors de cette première expertise, le docteur Béliveau a retrouvé surtout des éléments de nature dépressive avec quelques symptômes d'anxiété. Le travailleur a des pleurs faciles, de l'insomnie, une perte d'intérêt ne voulant plus voir personne de son entourage, une perte d'appétit, de l'irritabilité, des sentiments de honte, de découragement, il se culpabilise, se sent inutile et enfin, développe une anhédonie.
Ses symptômes psychologiques s'étaient un peu amendés en 1986/1987 au moment où il avait eu un certain degré d'amélioration physique par les traitements de physiothérapie.
Il y a eu détérioration psychologique avec la fin des traitements en physiothérapie et l'arrêt des prestations de la Commission.
Le docteur Béliveau en arrive à un diagnostic de trouble dysthymique parce qu'il y a présence de symptômes dépressifs depuis plus de deux ans en relation avec la persistance des douleurs et des limitations fonctionnelles. Selon lui, des limitations fonctionnelles, qui empêchent le travailleur d'occuper son emploi, sont la principale cause de son état.
En 1993, au moment de sa deuxième expertise, il a retrouvé les mêmes symptômes et le même examen mental ce qui l'a conduit à maintenir son diagnostic initial. À cette époque, il était d'avis cependant, que le travailleur était incapable d'occuper un emploi rémunérateur à cause de ses problèmes physiques et psychologiques.
Lors de la dernière expertise de 1995, le docteur Béliveau a constaté que l'évolution était chronique et que celui-ci était toujours triste, anxieux et souffrant avec une humeur dépressive associée à quelques éléments d'anxiété. Le travailleur était suivi depuis un an environ par le psychiatre qui le traitait, le docteur Nowakowski, mais il avait quand même les mêmes symptômes avec cependant un peu plus de difficultés à se concentrer.
Le docteur Béliveau explique ensuite en quoi il n'y a pas de discordance entre son diagnostic de trouble dysthymique et le diagnostic de trouble d'adaptation posé par le docteur Nowakowski. Il s'agit d'une question de nomenclature et la dernière édition du DSM IV de l'American Psychiatric Association permet d'utiliser l'un ou l'autre de ces deux diagnostics compte tenu des nouveaux critères retenus pas l'association américaine.
Le docteur Béliveau est fermement convaincu de la relation entre l'état psychologique du travailleur et l'événement initial.
Selon lui, cette détérioration de son état psychologique est due à ses douleurs, à ses limitations fonctionnelles importantes et à la perte de tout espoir d'être capable de s'améliorer pour retourner à son emploi antérieur ou à tout autre emploi rémunérateur.
Il est d'avis que les symptômes du travailleur ne sont pas simplement une réaction normale à un stress puisqu'il a besoin de médication anti-dépressive pour s'améliorer et que, de toute façon, la pathologie dont il est affecté est bien classifiée comme une affection psychiatrique dans la classification américaine. Une réaction normale tend à s'estomper assez rapidement, alors qu'ici, on est en présence d'une situation chronique, donc anormale. L'absence de symptômes graves, comme des phobies ou une psychose ne veut pas dire qu'il y a absence de pathologie psychiatrique. En effet, la dysthymie est une pathologie qui est difficilement objectivable à l'examen mental, ce qui explique que celui-ci peut être normal. Il n'est pas nécessaire d'avoir une dépression majeure avec des signes objectivables comme une difficulté de concentration pour parler de pathologie psychiatrique.
Le docteur Béliveau accepte que d'autres facteurs personnels, comme la perte d'emploi de sa conjointe, peuvent avoir contribué à son état dépressif: cependant, un seul facteur est toujours présent, ce sont les limitations fonctionnelles importantes et les douleurs chroniques. Ces éléments ont changé la vie du travailleur en terme d'estime de soi et de capacité d'accomplir un métier qu'il aimait et qui le valorisait en plus d'assumer le gagne pain de sa famille. Pour le docteur Béliveau, ce sont les facteurs déterminants dans la genèse et la continuation des troubles psychologiques du travailleur.
Le docteur Laberge, psychiatre, témoigne, à la demande de la Commission. Il se dit d'accord avec son confrère, le docteur Béliveau, pour ce qui est du diagnostic. Le désaccord vient du niveau de l'intensité et de la nature des symptômes ainsi que de la relation entre ce diagnostic et l'événement initial, d'une part, et d'autre part, la condition personnelle du travailleur.
Selon lui, le problème psychiatrique du travailleur est uniquement subjectif. En effet, il ne montre aucun signe objectif repérable d'un désordre psychologique. Il se plaint d'insomnie, d'asthénie, de dysthymie, d'anhédonie. Tous ces symptômes n'ont pas d'expression extérieure et ne se retrouvent qu'au questionnaire par le psychiatre.
S'il est normal d'avoir une réaction de deuil après un événement quelconque, il n'en est pas de même lorsque le deuil n'en finit plus et qu'il engendre des symptômes subjectifs comme ceux du travailleur, reflétant une mauvaise façon personnelle de réagir à un événement. Toute personne doit être capable de se prendre en mains, de se défendre, de ne pas se laisser aller, en somme de faire son deuil face à un événement pénible. Le travailleur a une carence à ce sujet et cette carence a sans doute plusieurs causes dont sa personnalité narcissique qui le rend incapable d'accepter une diminution de ses capacités et peut-être aussi certains facteurs socio-culturels. L'incapacité de s'adapter à une réalité nouvelle est une condition personnelle. Pour développer un traumatisme psychologique, il faut avoir vécu un événement majeur qui ait brisé les défenses de la personne comme la peur de mourir, une agression violente, une chute importante; il faut un événement imprévu et soudain qui soit menaçant pour l'intégrité du sujet. Par contre, se faire mal au dos en manipulant des charges, ne peut pas induire une blessure psychique.
Toute personne a la responsabilité de s'assumer, de faire son deuil. Psychiatriser une telle situation, c'est bloquer toute réadaptation.
Le docteur Laberge reconnaît l'existence d'une dysthymie mais, selon lui, elle est d'origine strictement personnelle. Elle peut être par choix dans un contexte de recherche de bénéfices secondaires inconscients. La personne suscite la compassion, se fait plaindre, est entourée par ses médecins et peut en venir à aimer cette situation au point de ne pas en faire son deuil. À ce moment, l'individu reste bloqué sur place. C'est ce qui est arrivé à ce travailleur dont l'accident est survenu à l'âge de 29 ou 30 ans. Le travailleur est maintenant désaxé socialement: il tourne en rond, alors que son entourage va au travail. Nul doute qu'il doit ressentir une douleur intérieure, un peu comme s'il était en fauteuil roulant sans être vraiment paralysé.
Questionné par la soussignée, le docteur Laberge se dit toujours d'accord avec son diagnostic de dysthymie compensatoire à une condition physique douloureuse et limitative. Selon lui, c'est principalement la perte de l'emploi qui a entraîné cette blessure narcissique dont il n'a jamais fait son deuil. Même si les douleurs semblent l'élément déclencheur, celles-ci ne sont pas principalement responsables de son état de dysthymie, c'est-à- dire de dépression névrotique.
Questionné par l'assesseur, le docteur Laberge affirme qu'il n'est pas d'accord avec l'existence d'un diagnostic psychiatrique surtout parce que rien d'objectif n'a été trouvé et qu'il ne s'agit que de symptômes subjectifs. Il avoue cependant qu'il est concevable que le travailleur présente un trouble de l'adaptation avec humeur mixte, c'est-à-dire anxio-dépressive, compte tenu de sa situation. Finalement, le docteur admet que oui il existe un diagnostic psychiatrique mais que chaque personne est responsable des événements qui lui arrivent et qu'elle doit les intégrer dans son schéma des valeurs. C'est la défaillance de la personnalité narcissique du travailleur, qui n'a pas intégré les événements qui lui sont arrivés, qui est responsable de son état. Il répète enfin, que l'élément déclencheur des problèmes psychiatriques, c'est l'incapacité personnelle du travailleur à faire son deuil d'une réalité externe, à savoir la douleur et les limitations fonctionnelles. À la différence d'avec un de ses confrères, qui a pu continuer à être productif bien qu'il soit en fauteuil roulant et atteint de sclérose en plaque, le travailleur n'a pas su assumer la réalité nouvelle.
Questionné pour savoir si on pouvait considérer ici le principe du crâne fragile, le docteur Laberge reconnaît que ce principe pourrait trouver application lorsqu'il y a un passé psychiatrique majeur. À titre d'exemple, si un travailleur a déjà fait une psychose, alors bien sûr un événement qui entraîne des douleurs physiques importantes et limitatives, peut induire une aggravation de la maladie psychiatrique antérieure. À ce moment, on parlera d'une personnalité très vulnérable avant l'événement.
Par contre, dans le cas du travailleur, il s'agit d'une personne jeune, de 29 à 30 ans au moment de l'événement, qui était fière, en pleine possession de ses moyens et qui, tout à coup, a été confronté avec la perte de son statut social et «il ne le prend pas». Sa dysthymie n'est donc pas due à une fragilité psychique antérieure, puisqu'il a démontré tout le contraire dans sa vie personnelle avant l'accident du travail.
Madame Maryse Martin, conseillère en réadaptation, témoigne.
Elle a rencontré le travailleur à quelques reprises, dont en avril 1992. Elle relate que le travailleur était souffrant, mais qu'il collaborait bien. Elle déclare ne pas avoir constaté que le travailleur était dépressif, mais elle ne s'en souvient pas.
Elle donne son témoignage en relisant ses notes prises lors des entrevues.
ARGUMENTATION La représentante du travailleur soutient que la dépression, dont souffre le travailleur, est en relation avec son accident du travail. La représentante fait ressortir des témoignages des docteurs Béliveau et Laberge que le travailleur présente une pathologie psychiatrique et que cette pathologie découle des douleurs et perte d'estime de soi qui sont apparues, à la suite de l'accident du travail de novembre 1984, d'où un léger trouble dysthymique ou trouble de l'adaptation diagnostiqué par les différents psychiatres au dossier, soit les docteurs Béliveau, Laberge et Nowakowski. Enfin, la représentante soumet que le diagnostic de dysthymie n'est pas contesté et que l'expert de la Commission, le docteur Laberge, admet que cette pathologie découle des douleurs et de la perte d'estime de soi reliées à l'accident du travail de novembre 1984 et que le travailleur a démontré qu'il existait une relation entre le diagnostic et la lésion professionnelle. Pour ces raisons, l'appel doit être accueillie, car la loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
Le représentant de la Commission argumente que nous sommes ici en face d'un drame humain important. Il soutient que la personnalité du travailleur a joué un rôle important et qu'il est dangereux, à son avis, de faire dire à l'article 1 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [L.R.Q., chapitre A-3.001] (la loi) que les individus ne sont plus responsables de ce qui leur arrive et c'est ce à quoi conduit la logique à laquelle en arrive la partie appelante. En effet, le sens de la preuve médicale prépondérante dit, qu'en somme, l'individu est devenu un irresponsable dès le moment où il a un accident du travail et que ça n'est plus à lui de conduire sa vie. Selon lui, la révision du dossier médical par le docteur Bouvier permet de constater de nombreuses contradictions au niveau des déficits moteurs et sensitifs. Même si cette expertise est contredite par celle du docteur Lefrançois, il n'en demeure pas moins que c'est un élément, parmi d'autres, qui permet de juger de la crédibilité du travailleur et de celle des médecins qui l'ont principalement traité.
Le représentant de la Commission soumet, dans un premier temps, qu'il n'y a pas de pathologie psychiatrique, puisque l'examen mental objectif fait par le docteur Laberge est strictement dans les limites de la normale.
Par la suite, le représentant de la Commission dit être très conscient qu'il y a une ambiguïté dans le rapport du docteur Laberge, puisque celui-ci pose un diagnostic de dysthymie compensatoire à une condition physique douloureuse et limitative.
Quoiqu'il en soit, il réitère que le travailleur a quelque chose à voir dans les suites de l'accident du travail, c'est lui qui mène son dossier et c'est lui qui choisit ses médecins.
En résumé, le représentant de la Commission mentionne que ce qui le frappe c'est que la jurisprudence de la Commission d'appel va faire en sorte que ce sera la société et l'ensemble des employeurs qui devront assumer les conséquences de l'état psychologique dans lequel le travailleur s'est retrouvé. Il poursuit en précisant qu'il a comme mandat de faire savoir à la Commission d'appel que la Commission n'a pas à supporter la façon dont un individu réagit à un événement ni la façon dont ces médecins-là encouragent un tel individu à se considérer comme invalide.
Il soutient que le travailleur est responsable du fait qu'il n'a pas fait son deuil, parce qu'autrement, ça veut dire qu'on encourage les gens à être irresponsables et c'est ça qu'il reproche au docteur Tremblay et au docteur Béliveau. Ces médecins encouragent les gens à être des irresponsables, à ne pas du tout avoir à rendre compte de leurs actes et de la façon dont ils réagissent par rapport aux événements.
Le représentant de la Commission termine sa plaidoirie en mettant en garde la Commission d'appel de prendre en considération le discours tenu par le «tandem Tremblay/Béliveau» qui encourage les gens à se considérer comme des invalides, à ne pas être responsables et à ne pas se prendre en main. Ce qui fait en sorte que ces gens comptent strictement sur la société et la Commission pour s'en sortir. Selon lui les coûts engendrés par ces situations mettent en péril la viabilité de l'organisme, c'est-à-dire, la Commission.
MOTIFS DE LA DÉCISION La Commission d'appel doit décider si le travailleur a subi une lésion professionnelle le 1er avril 1993 en relation avec l'événement initial du 14 septembre 1984.
L'article 2 de la loi définit en ces termes les notions de lésion professionnelle: «lésion professionnelle»: une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation.
Le paragraphe 1 de l'article 1 de la loi détermine son objet: 1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
[...] En l'espèce, le diagnostic posé par les docteurs Béliveau, Laberge et Nowakowski sont un léger trouble dysthymique et un trouble de l'adaptation. Il est important de préciser, comme le souligne le docteur Béliveau, qu'il n'y a pas de discordance entre ces deux diagnostics et qu'il s'agit simplement d'une question de nomenclature. Celle-ci provient de la dernière édition du DSM IV de l'American Psychiatric Association qui permet d'utiliser l'un ou l'autre de ces termes, compte tenu des nouveaux critères retenus par cette association. La preuve permet de constater que les trois psychiatres qui ont expertisé le travailleur concluent au même diagnostic clinique. Le désaccord vient de la relation entre ce diagnostic et l'événement initial. Les docteurs Béliveau et Nowakowski établissent la relation avec l'accident du travail subi par le travailleur, alors que le docteur Laberge associe les problèmes de dysthymie à la personnalité narcissique du travailleur qui n'a pas intégré les événements qui lui sont arrivés. C'est cette défaillance au niveau de sa personnalité qui est responsable de son état.
La Commission d'appel tient a rappeler que la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [L.R.Q., chapitre A-3.001] a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent. Il est admis que les problèmes de dysthymie, dont souffre le travailleur, sont reliés à une condition physique douloureuse et limitative, à l'existence de limitations fonctionnelles importantes, selon tous les médecins, ainsi qu'à la dévalorisation de sa personne, due à la perte de son emploi et surtout à la perte de sa capacité d'exercer son métier de polisseur de marbre à la suite de l'accident du travail du 14 novembre 1984. Le travailleur n'avait aucun antécédent psychiatrique avant cet événement et aucune explication alternative n'a été suggérée pour expliquer les symptômes du travailleur. Le fait que celui-ci ait une personnalité narcissique n'est pas un critère déterminant pour établir la relation entre le diagnostic et la relation. La Commission d'appel a, à maintes reprises, reconnu qu'une lésion professionnelle implique la considération de l'état où se trouve le travailleur au moment de sa lésion. C'est la règle du «Thin skull rule» qui reçoit application lors d'une lésion professionnelle d'ordre physique et la loi ne prévoit aucune restriction spécifique lorsqu'il s'agit de traiter des problèmes d'ordre psychologique.
Compte tenu de ce qui précède, la Commission d'appel est d'avis que la preuve prépondérante est à l'effet que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 1er avril 1993 en relation avec l'événement initial du 14 novembre 1984.
En ce qui concerne le choix des médecins traitants, point soulevé par le représentant de la Commission, la Commission d'appel tient à lui rappeler que la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [L.R.Q., chapitre A-3.001] est une loi d'ordre public ce qui signifie que nul ne peut y déroger.
L'assistance médicale est prévue au Chapitre V qui prévoit, entre autres, qu'un travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert sont état en raison de cette lésion.
L'article 192 de la loi énonce le droit du travailleur au choix du professionnel de la santé et se lit ainsi: 192. Le travailleur a droit aux soins du professionnel de la santé et son choix.
Dans le même sens, l'article 193 de la loi détermine que le travailleur a droit aux soins du professionnels de la santé de son choix.
Jusqu'à preuve du contraire, les docteurs Béliveau et Tremblay sont membres de leur corporation professionnelle respective, ils ont un droit de pratique et d'exercice et ils sont reconnus à titre de professionnel de la santé au sens de la loi. Le travailleur a donc exercé son droit en choisissant les docteurs Béliveau et Tremblay, que ce soit à titre de médecins traitants, conseils ou experts. Que le représentant de la Commission ne soit pas d'accord avec le choix de ces médecins et qu'il n'apprécie pas les plans de soins ou de traitements choisis par ceux-ci n'est pas pertinent au litige. Cette opinion, hors contexte, ne saurait mettre en doute la compétence ou le professionnalisme de ces médecins devant ce tribunal. Si la Commission voulait contester les rapports médicaux, elle n'avait qu'à se plier aux dispositions de la loi à ce sujet. En effet, les sujets d'ordre médical pouvant faire partie d'une contestations sont prévus et énumérés à l'article 212 de la loi.
Dans le présent dossier, aucune contestation sur ces sujets n'a été produite.
Maintenant, en ce qui concerne la mise en garde du représentant de la Commission à la Commission d'appel au sujet de la décision qu'elle a à rendre et de ses responsabilités, la Commission d'appel tient à souligner, qu'en vertu de l'article 349 de la loi, elle a compétence exclusive pour décider d'une affaire ou d'une question visée dans la présente loi, à moins qu'une disposition particulière ne donne compétence à une autre personne ou à un autre organisme. Les décisions sont rendues suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas. Le tribunal, par l'entremise de ses commissaires, a tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de sa compétence et elle peut décider de toute question de droit ou de faits. Elle se doit, en tant que tribunal, d'être juste et impartiale, ce qui exclut de tenir compte de toute mise en garde ou pression de quel ordre que ce soit en provenance des parties ou d'organisme impliqués. La Commission d'appel n'a pas le mandat ni le pouvoir de modifier la loi, c'est-à-dire d'ajouter ou d'enlever au texte de loi. La Commission d'appel se doit d'appliquer et d'interpréter la loi telle que rédigée par le législateur. C'est dans cette optique et compte tenu des motifs invoqués plus haut que la Commission donne droit à l'appel du travailleur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES : ACCUEILLE l'appel interjeté par monsieur Giovanni Marcovecchio, le travailleur; INFIRME la décision rendue par le bureau de révision le 14 novembre 1994; DÉCLARE que monsieur Giovanni Marcovecchio, le travailleur, a subi une lésion professionnelle le 1er avril 1993.
_____________________________ Louise Turcotte Commissaire LAMY, TURBIDE, LEFEBVRE (Me Danièle Lamy) 1030, rue Beaubien est Bureau 301 Montréal (Québec) H2S 1T4 Représentante de la partie appelante PANNETON, LESSARD (Me Robert Senet) 1, Complexe Desjardins 35ième étage Montréal (Québec) H5B 1H1 Représentant de la partie intervenante
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.