Pagé et Fromagerie de Corneville |
2010 QCCLP 2697 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Saint-Hyacinthe |
6 avril 2010 |
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Région : |
Yamaska |
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Dossier CSST : |
130881238 |
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Commissaire : |
Michel Watkins, juge administratif |
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Membres : |
Nicole Généreux, associations d’employeurs |
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Stéphane Brodeur, associations syndicales |
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Partie requérante |
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Fromagerie de Corneville |
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Partie intéressée |
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[1] Le 2 octobre 2009, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 28 septembre 2009 lors d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 12 août 2009 et déclare que le travailleur n’a pas droit au remboursement d’un matelas orthopédique[1].
[3] L’audience s’est tenue à Saint-Hyacinthe le 12 mars 2010 en présence du travailleur et de son représentant. L’employeur est absent, bien que dûment convoqué. Le dossier est mis en délibéré le même jour.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit au remboursement du coût d’achat d’un lit orthopédique.
LES FAITS
[5] Le travailleur est au service de l’employeur depuis 1975 et y occupe le poste de fromager-chef d’équipe lorsque le 13 décembre 2006, il subit une lésion professionnelle aux deux épaules. Le travailleur décrit l’apparition de ses malaises ainsi au formulaire Réclamation du travailleur :
« En dépilant et repilant les plateaux empileurs et dépileurs plusieurs fois qui étaient bloqués, douleur et brulure de l’épaule gauche et surtout la droite et ce, presque journalièrement. » [sic]
[6] Le 13 décembre 2006, le docteur Nadeau pose le diagnostic de bursite sous-acromiale et de tendinite du sus-épineux bilatérale.
[7] Le 19 décembre 2006, il est examiné par le docteur Messier à la demande de l’employeur. Le docteur Messier pose le diagnostic de tendinopathie de la coiffe. Il recommande la prise de médication anti-inflammatoire et de traitements de physiothérapie.
[8] Le diagnostic de tendinopathie de la coiffe des rotateurs bilatérale sera par la suite maintenu par les médecins consultés par le travailleur, soit les docteurs Vincent, Drouin et Arpin.
[9] Le 23 janvier 2007, une résonance magnétique révèle une déchirure au tendon sus-épineux de l’épaule ainsi que diverses anomalies dégénératives au niveau de l’articulation acromio-claviculaire de cette épaule.
[10] Le 22 mars 2007, le docteur Messier revoit le travailleur et pose alors le diagnostic de tendinopathie du tendon sous-scapulaire et biceps droit, de déchirure au tendon du sus-épineux et de déchirure du labrum postéro-supérieur. Il considère que la lésion n’est pas consolidée, recommande la poursuite des traitements entrepris et considère que le travailleur peut continuer son assignation temporaire de travail.
[11] Par la suite, le docteur Arpin posera le diagnostic de tendinopathie de la coiffe des rotateurs et autorise le travail en assignation temporaire. Il demande une consultation en orthopédie.
[12] Le 4 juillet 2007, le docteur Lincoln pose le diagnostic de déchirure partielle de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite et recommande un traitement chirurgical. Le médecin demande de cesser les traitements de physiothérapie et autorise la poursuite de travail léger.
[13] Le 17 octobre 2007, monsieur Pagé subit une acromioplastie à l’épaule droite et un arrêt du travail est prescrit puis le 30 octobre 2007, le docteur Lincoln prescrit la reprise de traitements de physiothérapie.
[14] Le 12 février 2008, le docteur Arpin rapporte que le travailleur a développé une complication des suites de l’acromioplastie. Il pose un diagnostic de capsulite, procède à une infiltration à l’épaule droite et prescrit la poursuite des traitements de physiothérapie.
[15] En février 2008, le docteur Lemieux, psychologue, évalue le travailleur à la demande de la CSST et rapporte une « détresse psychologique » chez le travailleur associée à la présence de douleurs chroniques.
[16] Le 28 avril 2008, l’agent Boisvert de la CSST note ceci :
« T nous dit que ça ne va pas bien du tout. Il nous dit que dlr est plus intense. Il rapporte également que ses problèmes de sommeil sont de plus en plus incapacitants. »
[17] Le 28 avril 2008, le docteur Arpin note une capsulite post acromioplastie et rapporte une dépression secondaire chez le travailleur. Le docteur Arpin indique « Pas prêt pour programme de réhabilitation ». Le médecin fait les mêmes constats lors de la visite du 5 mai 2008.
[18] Le 30 juin 2008, la CSST informe le travailleur que la Clinique CERY évaluera sa capacité de travail et mettra au point un programme de développement en vue de préparer son retour au travail dans le respect de sa capacité résiduelle. Dans le cadre de ce programme, une évaluation du poste de travail du travailleur est effectuée le 15 juillet 2008.
[19] Le 29 juillet 2008, le docteur Arpin pose le diagnostic de bursite de l’épaule droite et gauche et procède à une infiltration de chaque côté.
[20] Une note de l’agent Beauchemin indique qu’un retour au travail progressif est autorisé à compter du 26 août 2008.
[21] Le 28 août 2008, le docteur Arpin indique que le travailleur doit « continuer la réadaptation selon le plan » ainsi que les traitements de physiothérapie. Le 7 octobre 2008, le médecin note une amélioration à l’épaule gauche.
[22] Le 7 novembre 2008, le docteur Arpin pose le diagnostic de capsulite résiduelle à l’épaule droite et de bursite sous-acromiale à opérer, à gauche. Le médecin autorise un « travail à plein temps, avec prudence ».
[23] Une note de l’agent Lafontaine du 27 février 2009 indique que le travailleur a reçu plusieurs infiltrations depuis le 9 février 2009 et qu’il est maintenu en arrêt de travail complet depuis, et ce, jusqu’à la prochaine visite médicale prévue le 3 mars 2009. La CSST autorise le versement des indemnités de remplacement du revenu au travailleur. Le 4 mars, la CSST prolonge ce versement jusqu’au 30 mars 2009.
[24] Le 3 avril 2009, le docteur Arpin pose le diagnostic de bursite de l’épaule gauche. Il indique que le travailleur a reçu une infiltration sous scopie et qu’il sera opéré en avril. Il maintient l’arrêt du travail.
[25] Le 28 avril 2009, le docteur Péloquin pose le même diagnostic et procède à une infiltration. Le médecin prescrit un arrêt du travail prolongé et indique une chirurgie prévue en juillet 2009.
[26] Le 10 juillet 2009, monsieur Pagé est opéré à l’épaule gauche par le docteur Lincoln.
[27] Le 14 juillet 2009, le docteur Lincoln pose le diagnostic de déchirure partielle de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche. Il prescrit des traitements de physiothérapie ainsi qu’un « lit orthopédique ».
[28] Le 15 juillet 2009, l’agent Lafontaine discute avec le travailleur au sujet de sa demande pour un lit orthopédique. L’agent lui indique « qu’un lit orthopédique n’est pas un équipement habituellement payable dans les lésions concernant les épaules » et qu’elle « conseille au travailleur de s’en procurer un à ses frais ».
[29] Le 11 août 2009, le travailleur discute avec l’agent Paquette au sujet de sa demande pour un lit orthopédique. L’agent rapporte que le travailleur lui signale « un manque important de sommeil en lien avec les douleurs à l’épaule gauche des suites de l’intervention chirurgicale ».
[30] Le 12 août 2009, la CSST rend une décision refusant au travailleur le remboursement d’un lit orthopédique. Cette décision sera maintenue en révision, d’où le présent litige.
[31] Au moment de l’audience, la lésion du travailleur n’est toujours pas consolidée. Aucun rapport final n’a été émis par le médecin du travailleur et aucune évaluation de sa capacité résiduelle n’a été faite dans le cadre d’un rapport d’évaluation médicale (REM). Notamment, aucune évaluation de l’existence chez le travailleur de limitations fonctionnelles ou d’une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique (APIPP) n’a été réalisée.
[32] Monsieur Pagé témoigne des circonstances entourant sa réclamation à la CSST et l’ayant amené, ultimement, à obtenir une prescription pour un lit orthopédique.
[33] Il explique ne pas avoir cessé de travailler en décembre 2006, mais plutôt à la fin janvier 2007, et ce, pour environ un mois. Bien qu’il se soit blessé aux deux épaules, on a d’abord investigué au niveau de son épaule droite.
[34] Le travailleur a repris le travail en assignation temporaire en mars 2007 et il a bénéficié de traitements de physiothérapie jusqu’à ce qu’il soit opéré à l’épaule droite le 17 octobre 2007.
[35] Il précise avoir mal récupéré de cette première chirurgie et qu’une capsulite s’est installée à l’épaule droite. Il témoigne qu’il ne pouvait alors se coucher sur cette épaule en raison des fortes douleurs que cela occasionnait, de sorte qu’il devait dormir sur le dos. Le travailleur explique qu’il devait alors « aller coucher au sous-sol de la résidence, 2 ou 3 fois par semaine » dans un fauteuil inclinable « El-Ran ».
[36] Le travailleur indique que sa condition douloureuse à l’épaule, jointe à ses difficultés de sommeil, a occasionné chez lui la survenue d’une dépression au printemps 2008 et que la CSST lui a alors proposé un programme de réadaptation « pour gérer sa douleur » et déterminer sa capacité à reprendre le travail tout en tenant compte de ses limitations physiques.
[37] Le travailleur précise que pendant ce programme, il continuait de recevoir ses traitements de physiothérapie pour son épaule droite et qu’il a reçu plusieurs infiltrations par le docteur Arpin. Il témoigne de la persistance chronique de sa douleur à l’épaule.
[38] Aussi, il ajoute qu’en raison de cette douleur, le docteur Arpin lui a prescrit de la médication pour l’aider à dormir, soit de l’Oxycontin, et que cela a créé chez lui une dépendance dont il a dû être sevré ultérieurement.
[39] Monsieur Pagé indique qu’au printemps 2009, c’est à l’épaule gauche qu’il a commencé à ressentir davantage de malaises. Il a reçu de nombreuses infiltrations à gauche et après investigation par résonance magnétique, le docteur Lincoln a procédé le 10 juillet 2009 à une chirurgie à cette épaule.
[40] Le travailleur précise qu’à compter de ce moment, il ne dormait pratiquement plus en raison des douleurs persistantes et qu’il couchait « au sous-sol 4 ou 5 soirs par semaine ». C’est dans ce contexte que le docteur Lincoln lui a prescrit un lit orthopédique.
[41] Le travailleur indique qu’il ne souffrait d’aucun trouble du sommeil avant de subir une lésion professionnelle. Il attribue ses difficultés de sommeil en totalité à la douleur chronique aux épaules qui s’est installée chez lui à la suite de ses deux chirurgies et résume la situation en soulignant que jusqu’à ce qu’il obtienne son lit thérapeutique, il y a eu une accumulation de « manque de sommeil » et que dès décembre 2009, « il a pu enfin dormir ».
[42] Le travailleur explique avoir tenté de louer un lit orthopédique, mais que sa démarche n’a donné aucun résultat. Puis, il a acheté son lit en novembre 2009, mais ne l’a reçu que le 23 décembre 2009. Le travailleur dépose la facture d’achat du lit, soit un total de 4 300,01 $. Interrogé à ce propos, le travailleur indique qu’il s’agit d’un lit à base double, sur lequel reposent deux matelas simples « collés ensemble » et non munis de côtés, comme ceux que l’on retrouve dans un lit d’hôpital. De plus, un mécanisme permet le levage de la tête et des pieds, le travailleur ayant cependant décliné l’option de « vibro-massage » offerte.
[43] Monsieur Pagé termine son témoignage en expliquant qu’après le refus de la CSST d’autoriser l’achat du lit orthopédique prescrit par le docteur Lincoln, il a continué à recevoir des traitements de physiothérapie et à prendre de la médication pour ses douleurs. Il ajoute que l’agent Paquette de la CSST lui a offert à nouveau à l’automne 2009 de reprendre le programme déjà suivi par le travailleur pour retourner au travail, mais qu’il a refusé, ajoutant avoir expliqué à l’agent que la fourniture d’un lit orthopédique réglerait son problème de sommeil, ce qui éviterait de reprendre le programme en question.
[44] Le travailleur ajoute qu’après avoir reçu son lit orthopédique, sa condition s’est nettement améliorée et il attribue cela strictement au fait qu’il pouvait enfin dormir. Il témoigne notamment avoir diminué la prise de sa médication, cessant le Lyrica ainsi que la prise de ses antidépresseurs.
[45] Le représentant du travailleur dépose à cet égard les notes cliniques d’Isabelle Bergeron, physiothérapeute du travailleur, faisant état de la progression de l’état du travailleur entre le 1er juin 2009 et le 23 novembre 2009.
[46] À la note du 23 novembre 2009, la physiothérapeute indique que « Présentement, la douleur limite la progression du niveau fonctionnel ». Par contre, à la note du 25 janvier 2010, madame Bergeron rapporte ceci :
« Qualité sommeil nettement améliorée avec diminution importante douleur la nuit. Amélioration significative des amplitudes articulaires. Persiste manque de force et endurance. »
[47] Enfin, le représentant du travailleur dépose une lettre de la physiothérapeute Bergeron datée du 23 février 2010 mentionnant ceci :
« À qui de droit,
[…]
Depuis sa chirurgie, patient avait beaucoup de douleur la nuit, douleur d’instabilité non soulagée par médication.
Patient a fait l’achat d’un lit orthopédique en décembre dernier ce qui a grandement amélioré son épaule gauche en favorisant un meilleur positionnement et une diminution des tensions musculaires périscapulaires. »
L’AVIS DES MEMBRES
[48] Les membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs partagent le même avis et croient que la requête du travailleur doit être accueillie.
[49] Les membres sont d’avis que le lit orthopédique prescrit au travailleur par son médecin ne constitue pas une aide technique visée par le Règlement sur l’assistance médicale[2] et ne lui est pas remboursable à ce titre.
[50] Cependant, les membres sont d’avis que le travailleur a droit à ce remboursement au titre d’une mesure de réadaptation sociale, les membres étant d’avis que le travailleur a droit à une telle mesure bien que sa lésion professionnelle ne soit pas encore consolidée.
[51] Pour les membres, la preuve est nettement à l’effet que l’usage de ce lit orthopédique s’inscrit dans le cadre du droit à la réadaptation du travailleur à la suite des chirurgies subies et lui permettra de surmonter les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, tel que le permet l’article 151 de la loi.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[52] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a droit au remboursement du coût relié à l’achat d’un lit orthopédique ajustable prescrit par son médecin et qu’il s’est procuré en décembre 2009.
[53] Le représentant du travailleur soutient que son client a droit au remboursement du lit orthopédique qu’il s’est procuré puisqu’il s’agit d’une aide technique au sens du règlement et donc, que cela fait partie de l’assistance médicale prévue à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[3] (la loi).
[54] Subsidiairement, le représentant du travailleur plaide que son client a droit au remboursement de son lit orthopédique dans la mesure où les douleurs découlant des deux chirurgies aux épaules sont des conséquences directes de sa lésion professionnelle et que c’est afin de pallier aux douleurs en question que son médecin a prescrit le lit orthopédique. Il s’appuie à la fois sur l’article 1 de la loi et sur le droit à la réadaptation auquel a droit son client.
[55] L’article 188 de la loi prévoit qu’un travailleur victime d’une lésion professionnelle a droit à l’assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.
[56] L’article 189 de la loi précise ce qu’est l’assistance médicale :
189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit :
1° les services de professionnels de la santé;
2° les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5);
3° les médicaments et autres produits pharmaceutiques;
4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes, des tissus, des gamètes et des embryons et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;
5° les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
(Notre soulignement)
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1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166.
[57] Le règlement dont il est question au 5e alinéa de l’article 189 est le Règlement sur l’assistance médicale et ses articles 2 et 3 prévoient :
2. Les soins, les traitements, les aides techniques et les frais prévus au présent règlement font partie de l'assistance médicale à laquelle peut avoir droit un travailleur, lorsque le requiert son état en raison d'une lésion professionnelle.
3. La Commission de la santé et de la sécurité du travail assume le coût des soins, des traitements et des aides techniques reçus au Québec, selon les montants prévus au présent règlement, si ces soins, ces traitements ou ces aides techniques ont été prescrits par le médecin qui a charge du travailleur avant que les soins ou traitements ne soient reçus ou que les dépenses pour ces aides techniques ne soient faites; à moins de disposition contraire, ces montants comprennent les fournitures et les frais accessoires reliés à ces soins, traitements ou aides techniques.
De plus, toute réclamation à la Commission concernant ces soins, traitements ou aides techniques doit être accompagnée d'une copie de la prescription du médecin qui a charge du travailleur, de la recommandation de l'intervenant de la santé le cas échéant, et des pièces justificatives détaillant leur coût.
[58] Par ailleurs, les articles 18 et 23 du règlement précisent les conditions et limites applicables au paiement des aides techniques :
18. La Commission assume le coût de location, d'achat et de renouvellement d'une aide technique prévue à l'annexe II, aux conditions et selon les montants prévus à la présente section et à cette annexe, lorsque cette aide technique sert au traitement de la lésion professionnelle ou qu'elle est nécessaire pour compenser des limitations fonctionnelles temporaires découlant de cette lésion.
La Commission assume également les frais prévus à l'annexe II, aux conditions et selon les montants indiqués à cette annexe sur présentation de pièces justificatives détaillant leur coût.
23. La Commission assume uniquement le coût de location d’une aide technique lorsque l’annexe II n’en prévoit que la location.
[59] Enfin, l’annexe II du règlement prévoit le remboursement de certaines aides techniques, dont spécifiquement les « lits d’hôpitaux et leurs accessoires » en précisant ceci :
ANNEXE II
(a. 18,19,23 et 24)
AIDES TECHNIQUES ET FRAIS
AIDES TECHNIQUes
4° Lits d'hôpitaux et accessoires:
Le coût de location d'un lit d'hôpital et de ses accessoires soit les côtés de lit, la table de lit, le cerceau, le trapèze et le tabouret d'utilité.
Le coût de location d'un lit d'hôpital électrique est assumé uniquement lorsque le travailleur n'a personne pouvant manœuvrer son lit au besoin et qu'il est capable de manœuvrer seul un lit électrique.
[60] Pour le tribunal, un lit orthopédique électrique comme celui visé au présent dossier ne constitue pas un « lit d’hôpital » tel que le définit le règlement[4]. Le soussigné partage l’avis émis dans l’affaire Jourdain et Hydro-Québec[5] voulant qu’un lit d’hôpital est généralement un lit simple muni de côtés, d’un cerceau, d’un trapèze et d’un tabouret d’utilité et que cela est différent d’un lit orthopédique mobile à deux places.
[61] Le tribunal partage les avis exprimés dans la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles qui, de façon quasi unanime, retient qu’un lit orthopédique tel que celui prescrit par le docteur Lincoln ne peut être considéré comme une mesure d’assistance médicale parce qu’il n’est prévu spécifiquement ni à la loi, ni au règlement[6].
[62] Le tribunal partage également l’avis émis à de nombreuses reprises par la Commission des lésions professionnelles voulant que la fourniture d’un lit orthopédique électrique peut certainement s’inscrire dans le cadre du droit à la réadaptation que la loi reconnaît à un travailleur victime d’une lésion professionnelle.
[63] L’article 1 de la loi édicte ceci :
1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.
La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.
[64] À cet égard, le chapitre IV de la loi édicte aux articles 145 à 178 les règles entourant le droit à la réadaptation d’un travailleur, qu’il s’agisse de mesures de réadaptation physique, sociale ou professionnelle :
145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.
[…]
151. La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.
152. Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment :
1° des services professionnels d'intervention psychosociale;
2° la mise en oeuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;
3° le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;
4° le remboursement de frais de garde d'enfants;
5° le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.
[…]
166. La réadaptation professionnelle a pour but de faciliter la réintégration du travailleur dans son emploi ou dans un emploi équivalent ou, si ce but ne peut être atteint, l'accès à un emploi convenable.
[65] L’article 145 de la loi indique qu’une atteinte permanente à l’intégrité physique du travailleur est requise pour que celui-ci ait droit à la réadaptation.
[66] Il est vrai qu’en l’espèce, la CSST n’a pas rendu de décision reconnaissant au travailleur le droit à la réadaptation. Cela se comprend aisément dans la mesure où, même au jour de l’audience, la lésion professionnelle n’a pas été déclarée consolidée par son médecin à la suite de sa seconde chirurgie et donc, qu’aucun rapport final ou rapport d’évaluation médicale n’a établi pour le travailleur l’existence d’une atteinte permanente ou de limitations fonctionnelles.
[67] Quoi qu'il en soit, le tribunal est d’avis que le travailleur a droit de bénéficier des mesures de réadaptation prévues à la loi.
[68] Pour le tribunal, ce qu’il faut comprendre du libellé de l’article 145 de la loi est que le droit à la réadaptation du travailleur est lié strictement au fait qu’il ait subi, en raison de sa lésion professionnelle, une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique et pas seulement à l’obtention d’un rapport médical par lequel on procède à quantifier cette atteinte permanente.
[69] Le droit à la réadaptation s’ouvre, de l’avis du tribunal, dès qu’il devient manifeste que le travailleur conservera de sa lésion une atteinte permanente. Or, en l’espèce, le tribunal est convaincu que le travailleur conservera une telle atteinte permanente lorsque l’on procédera à cette évaluation puisqu’il a subi deux chirurgies importantes aux épaules.
[70] Par ailleurs, bien qu’il soit utile à des fins administratives de connaître précisément la nature d’une atteinte permanente résultant d’une lésion chez un travailleur et qu’en pratique une telle évaluation soit faite après la consolidation de la lésion, rien n’empêche la CSST, avant même qu’une lésion ne soit consolidée, de mettre en place des mesures de réadaptation qui serviront ultimement, en cours d’évolution de la lésion, à accomplir l’objet même de la loi, soit de pallier aux conséquences de la lésion professionnelle.
[71] De l’avis du tribunal, c’est d’ailleurs ce qu’a fait la CSST à l’été 2008, à la suite de la première chirurgie subie par le travailleur, lorsqu’elle a mis en place un programme multidisciplinaire permettant à la fois au travailleur de recevoir des traitements requis par sa lésion et à évaluer sa capacité de reprendre le travail en tenant compte de sa capacité résiduelle du moment.
[72] Le tribunal partage entièrement l’avis de la juge Lajoie émis dans l’affaire Landry et Clinique dentaire des Chenaux[7] voulant que le droit à la réadaptation prévu à l'article 145 ne s'ouvre pas qu'après la consolidation de la lésion et à compter du moment où les séquelles permanentes ont été évaluées.
[73] Dans cette affaire, la juge Lajoie a déterminé qu’il était possible de reconnaître à une travailleuse le droit à de l'aide personnelle à domicile avant même la consolidation de sa lésion professionnelle puisque la preuve au dossier démontrait qu’il était connu avant même la consolidation de la lésion que celle-ci entraînerait une atteinte permanente, que la travailleuse aurait besoin d'aide pour prendre soin d'elle-même ou effectuer des tâches domestiques qu'elle effectuait normalement et qu'elle n'était désormais plus en mesure de le faire en raison des conséquences de sa lésion professionnelle.
[74] Ce principe du droit à la réadaptation malgré le fait qu’une lésion ne soit pas consolidée et que l’on ne connaisse pas encore la teneur d’une atteinte permanente chez un travailleur permet justement de mettre en place des mesures « préventives », ce qui à nouveau est tout à fait conforme à l’esprit même et à l’objectif prescrit aux articles 1, 145 et 151 de la loi, notamment afin de « surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle » et de s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion ».
[75] Dans l’affaire Brouty et Voyages Symone Brouty[8], la Commission des lésions professionnelles énonce que le droit à la réadaptation physique, sociale ou professionnelle d'un travailleur s'ouvre à la date où il est médicalement possible de préciser, en tout ou en partie, l'atteinte permanente résultant de la lésion professionnelle, et ce, indépendamment de la consolidation de la lésion. Le tribunal reconnaît par ailleurs qu’une intervention précoce et immédiate en réadaptation peut amoindrir les conséquences de la lésion et permettre par exemple, le maintien à domicile du travailleur pendant la période de rééducation et de réadaptation ainsi que sa réinsertion physique, sociale et professionnelle.
[76] Pour tous ces motifs, le tribunal est d’avis que dans le présent dossier, le travailleur pouvait bénéficier de la réadaptation sociale requise par son état en juillet 2009, malgré le fait que sa lésion professionnelle n’était toujours pas consolidée et que l’on n’avait pas encore déterminé chez lui le pourcentage d’atteinte permanente dont il est probablement porteur, au moment où il a présenté sa demande pour obtenir son lit orthopédique.
[77] Ceci étant, le tribunal retient l’argument du représentant du travailleur voulant que son client a droit au remboursement du lit orthopédique qui lui a été prescrit et qu’il s’est procuré dans le cadre des mesures de réadaptation sociale prévues à la loi.
[78] Le tribunal partage entièrement sur ce point l’opinion émise récemment par la juge Gagnon-Grégoire dans l’affaire St-Pierre[9] voulant que le remboursement du coût d’achat d’un lit orthopédique électrique s’inscrit très bien dans le cadre des mesures de réadaptation prévues à l’article 152 de la loi d’autant plus qu’il s’agit d’une mesure du même genre que celles énumérées, de manière non exhaustive, à cet article.
[79] Par ailleurs, le soussigné est également d’avis que l’usage du lit orthopédique prescrit au travailleur s’inscrit dans l’esprit même de l’article premier de la loi et de l’article 151, lequel vise à permettre au travailleur de pallier aux conséquences résultant de sa lésion professionnelle.
[80] C’est d’ailleurs en ce sens que la Commission des lésions professionnelles a reconnu le droit au remboursement d’un lit orthopédique, considérant à juste titre par exemple que l’utilisation d’un tel lit permet au travailleur, comme en l’espèce, d’avoir un sommeil réparateur, contribue à améliorer sa condition et lui permet de s’adapter à la situation qui découle de sa lésion professionnelle[10].
[81] Le tribunal retient le témoignage éloquent du travailleur voulant que sa condition s’est nettement améliorée dès les premiers jours de l’utilisation du lit orthopédique. Son témoignage est par ailleurs corroboré par les notes et la lettre de sa physiothérapeute produites à l’audience.
[82] La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que le travailleur a démontré par une preuve prépondérante qu’il a droit au remboursement des coûts reliés à l’achat de son lit orthopédique.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Serge Pagé, le travailleur, déposée le 2 octobre 2009;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 28 septembre 2009 lors d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement du coût d’achat du lit orthopédique ajustable qu’il s’est procuré au montant de 4 300,01 $.
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Michel Watkins |
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M. Guy Rivard |
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T.U.A.C. (local 1991-P) |
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Représentant de la partie requérante |
[1] Note du tribunal : la décision initiale de la CSST refuse au travailleur le remboursement d’un lit orthopédique au motif qu’il ne s’agit pas d’une aide technique payable selon le Règlement sur l’assistance médicale. Dans ses motifs, la révision administrative traite indifféremment de la demande comme référant tantôt à un lit orthopédique, à un lit d’hôpital ou à un matelas orthopédique bien que la prescription émise par le médecin du travailleur précise qu’il s’agit d’un lit orthopédique. Le dispositif de la révision administrative mentionne cependant que le travailleur n’a pas droit au remboursement d’un matelas orthopédique. Le tribunal considère qu’il est bien saisi d’un litige concernant un lit orthopédique.
[2] (1993) 125 G.O. 2, 1331.
[3] L.R.Q., c. A-3.001.
[4] Potvin et Emballage Bonar ltée, C.L.P. 103940-05-9807, 17 mai 1999, M. Allard; McCutcheon et Construction René Leclerc (fermé), C.L.P. 220504-03B-0311, 14 juillet 2004, C. Lavigne.
[5] [2003] C.L.P. 1006 .
[6] Voir notamment : St-Pierre et St-Pierre, C.L.P. 369628-07-0902, 13 octobre 2009, M. Gagnon Grégoire; McCutcheon, précitée, note 4; Tardif et Pro-Animo International inc., C.L.P. 384771-64-0907, 18 mars 2010, I. Piché; Rheault et Al-Net inc., C.L.P. 368207-07-0901, 30 mars 2010, M. Langlois.
[7] C.L.P. 345834-04-0804, 7 janvier 2009, D. Lajoie; voir aussi : Laflamme et Motorisé Leblanc inc., C.L.P. 374896-31-0904, 18 septembre 2009, C. Lessard.
[8] C.L.P. 120748-31-9907, 15 juin 2000, P. Simard; voir dans le même sens : Fortin et Les amusements Fortin inc., C.L.P. 123470-02-9909, 18 septembre 2000, S. Lemire; Gagné et Provigo Distribution inc., [2000] C.L.P. 456 ; Gadoua et Acier CMC inc., C.L.P. 138419-62-0005, 15 novembre 2000, L. Couture; Langelier et Les Entreprises André et Ronald Guérin ltée, C.L.P. 126249-01B-9910, 15 mars 2001, L. Desbois.
[9] Précitée, note 6.
[10] Voir par exemple : Bouchard et Produit Forestier Domtar, C.L.P. 211955-02-0307, 2 octobre 2003, M. Juteau; Decelles et Carrefour Industriel LDG inc., C.L.P. 181896-64-0204, 28 janvier 2004, F. Poupart; Hélie et Mine Jeffrey inc., C.L.P. 200004-05-0302, 28 juillet 2004, L. Boudreault; Fleury et Boulangerie Gadoua ltée, [2008] C.L.P. 696 ; Voir également Lépine et Brasserie O’Keefe, C.L.P. 318443-71-0705, 3 avril 2009, C. Racine, citée par le travailleur.
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