Rémillard et ACDI |
2009 QCCLP 5569 |
______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
[1] Le 26 juin 2008, madame Francine Rémillard (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 12 mai 2008 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 6 septembre 2007 et déclare que la travailleuse n’a pas droit au remboursement des frais reliés aux travaux d’ouverture et de nettoyage de sa piscine.
[3] L’audience s’est tenue le 10 août 2009 à Gatineau en présence de la travailleuse. L’A.C.D.I. (l’employeur) a informé la Commission des lésions professionnelles qu’il n’y serait pas représenté. Quant à R.H.D.C.C. Direction travail, autre partie intéressée, elle n’est pas représentée à l’audience. La cause est mise en délibéré à la date de l’audience, soit le 10 août 2009.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’elle a droit au remboursement des frais reliés aux travaux d’ouverture de la piscine et précise qu’elle ne demande pas le remboursement des frais d’entretien.
LES FAITS
[5] La travailleuse est victime d’un accident du travail le 24 mars 1988 alors qu’elle chute dans un escalier. Elle s’inflige une entorse à la cheville gauche et des hernies discales L4-L5 et L5-S1 pour lesquelles elle subit une discoïdectomie pour décompression radiculaire à ces niveaux.
[6] Elle subit plusieurs récidives, rechutes ou aggravations dont la dernière a lieu le 1er mai 1999 et est consolidée le 1er avril 2003. Ces lésions professionnelles entraînent une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique dont le déficit anatomophysiologique est de 26 % et les limitations fonctionnelles suivantes :
- Éviter de soulever, porter, pousser ou tirer de façon répétitive ou fréquente, des charges dont le poids excède 5 kg;
- Éviter des mouvements répétitifs et d’amplitude extrême de flexion, extension et torsion de la colonne dorsolombaire;
- Éviter de travailler dans des positions stationnaires prolongées pendant plus de 10 à 15 minutes;
- Éviter de marcher longtemps;
- Éviter de travailler en positions accroupie ou instable;
- Éviter de subir des vibrations de basse fréquence.
[7] Le docteur Roch Banville qui produit le rapport d'évaluation médicale retient les diagnostics de lombalgie post-trauma et chirurgicale, sciatalgie et insuffisance sphinctérienne (syndrome de la queue de cheval). Il conclut que :
Il s’agit d’une dame, porteuse d’une colonne lombaire hypothéquée par des séquelles post-traumatiques et post-chirurgicales de nature chronique, d’un syndrome douloureux persistant et difficile à remédier, des incapacités physiques réelles qui la rendent incapable de vaquer à tout travail vraiment rémunérateur.
[8] En juin 2003, la CSST établit que la travailleuse continuera à recevoir une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à l’âge de 68 ans, puisqu’il est impossible de lui déterminer un emploi qu’elle serait capable d’exercer à temps plein.
[9] Le 6 septembre 2007, la CSST rend la décision refusant le remboursement des frais d’ouverture et de nettoyage de la piscine. Cette décision sera maintenue à la suite d’une révision administrative le 12 mai 2008, d’où la présente contestation.
[10] Le 11 septembre 2007, l’agent d’indemnisation écrit dans sa note d’intervention que la travailleuse dit que son médecin lui a déjà prescrit des traitements en piscine, mais qu’étant donné qu’elle souffre d’incontinence, elle ne veut pas aller dans une piscine publique. Par le passé, elle avait de l’aide pour l’entretien et l’ouverture de sa piscine, mais maintenant elle assume seule les frais d’entretien et elle doit faire appel à des professionnels pour l’ouverture de la piscine.
[11] Le 30 juillet 2008, le docteur Mark Aubry, omnipraticien ayant pris charge de la travailleuse, écrit que cette dernière souffre de lombalgie chronique avec sciatalgie et que la baignade en piscine est très importante pour elle.
[12] La travailleuse témoigne qu’elle a une piscine creusée qu’elle est incapable d’entretenir elle-même, qu’elle ne peut en faire l’ouverture ni la fermeture et qu’elle doit payer une entreprise pour ce faire. Elle tient à préciser qu’elle ne demande que le remboursement des frais d’ouverture de la piscine.
[13] L’ouverture et la fermeture de la piscine demandent, entre autres, de manipuler une pompe, enlever une toile. Quant à l’entretien courant, il faut passer la balayeuse.
[14] La travailleuse explique au tribunal que la baignade est importante pour elle et qu’elle en profite pour faire des exercices en piscine, ce qui lui est recommandé.
L’AVIS DES MEMBRES
[15] Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales accueilleraient la requête de la travailleuse puisque, selon eux, les frais d’ouverture, d’entretien et de fermeture d’une piscine constituent des travaux d’entretien courant du domicile que la travailleuse est incapable d’effectuer à la suite de sa lésion professionnelle et des récidives, des rechutes ou des aggravations qui l’ont suivi.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[16] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a droit au remboursement des frais engagés pour l’ouverture annuelle de sa piscine.
[17] L’article 165 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prévoit que :
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.
__________
1985, c. 6, a. 165.
[18] Il est reconnu par la jurisprudence que le caractère grave d’une atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique s’analyse en fonction de la capacité résiduelle du travailleur à exercer les activités visées à l’article 165[2].
[19] Comme le mentionne la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Lalonde et Mavic Construction[3] :
[46] […] Il faut s’interroger sur la capacité du travailleur à effectuer lui-même les travaux en question compte tenu de ses limitations fonctionnelles. Soulignons que les limitations fonctionnelles mesurent l’étendue de l’incapacité résultant de la lésion professionnelle. En plus de déterminer si l’atteinte permanente est grave, l’application de l’article 165 de la loi oblige à vérifier si les travaux, pour lesquels un remboursement est réclamé, constituent des travaux d’entretien courant du domicile et s’ils auraient été effectués par le travailleur, n’eut été de sa lésion professionnelle.
[20] Dans la présente affaire, les limitations fonctionnelles de la travailleuse sont les suivantes :
- Éviter de soulever, porter, pousser ou tirer de façon répétitive ou fréquente, des charges dont le poids excède 5 kg;
- Éviter des mouvements répétitifs et d’amplitude extrême de flexion, extension et torsion de la colonne dorsolombaire;
- Éviter de travailler dans des positions stationnaires prolongées pendant plus de 10 à 15 minutes;
- Éviter de marcher longtemps;
- Éviter de travailler en positions accroupie ou instable;
- Éviter de subir des vibrations de basse fréquence.
[21] Le tribunal estime que l’ouverture, la fermeture et l’entretien d’une piscine impliquent des mouvements qui sont incompatibles avec les limitations fonctionnelles qui découlent de l’accident du travail subi par la travailleuse et des récidives, des rechutes et des aggravations qui ont suivi.
[22] L’ouverture, la fermeture et l’entretien d’une piscine constituent-ils des travaux d’entretien courant du domicile au sens de l’article 165 de la loi?
[23] Avec respect pour l’opinion contraire[4], la soussignée estime que tel est le cas[5] et partage l’opinion émise par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Lauzon et Produits et services sanitaires Andro inc.[6] et reprise dans l’affaire Bond et 106456 Canada ltée[7] voulant que :
[22] Ouvrir et fermer la piscine, démonter le « gazébo » ainsi que monter et démonter l’abri « Tempo » correspondent beaucoup plus à la notion d’entretien courant ou de maintenance. Il s’agit d’opérations normales courantes qui reviennent chaque année et elles se font sur le lieu du domicile, comme la tonte du gazon ou le ramassage de la neige. Il ne s’agit pas d’une activité de rénovation et de construction. Le tribunal est d’avis que l'article 165 de la loi s’applique en l’instance.
[24] De plus, n’eût été de sa condition consécutive à l’accident du travail du 24 mars 1988 et des récidives, des rechutes ou des aggravations subséquentes, la travailleuse aurait pu procéder à l’ouverture, la fermeture et l’entretien de sa piscine.
[25] Par ailleurs, la travailleuse fait des exercices en piscine et ne peut fréquenter les piscines publiques étant donné les conséquences de sa lésion professionnelle.
[26] La travailleuse ne demande que le remboursement des frais d’ouverture de la piscine, mais n’eut été de cette demande, le tribunal aurait estimé que tant les frais d’ouverture, de fermeture et d’entretien de la piscine sont remboursables en vertu de l’article 165 de la loi.
[27] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles considère que la travailleuse a droit au remboursement des frais d’ouverture de sa piscine.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de madame Francine Rémillard, la travailleuse;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 12 mai 2008 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a droit au remboursement des frais qu’elle doit engager pour l’ouverture de sa piscine.
|
|
|
Suzanne Séguin |
|
|
|
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Notamment : Chevrier et Westburne ltée, C.A.L.P. 16175-08-8912, 25 septembre 1990, M. Cuddihy; Bouthillier et Pratt & Whitney Canada inc., [1992] C.A.L.P. 605 ; Boileau et Les centres jeunesse de Montréal, C.L.P. 103621-71-9807, 1er février 1999, Anne Vaillancourt; Filion et P.E. Boisvert auto ltée, C.L.P. 110531-63-9902, 15 novembre 2000, M. Gauthier; Cyr et Thibault et Brunelle, C.L.P. 165507-71-0107, 25 février 2002, L. Couture.
[3] C.L.P. 1467-10-07-0009, M. Langlois
[4] Dion et Hydrotope ltée, C.L.P. 144415-05-0008, 13 février 2001, F. Ranger; Frigault et Commission scolaire de Montréal, C.L.P. 142721-61-0007, 25 mai 2001, L. Nadeau.
[5] Michaud et Couvercles Plastiques Lukian ltée (fermée), C.L.P. 351496-62C-0806, 9 décembre 2008, C. Burdett; Lacoste et Cast North America ltd (fermée), C.L.P. 345372-63-0804, 19 février 2009, L. Morissette.
[6] C.L.P. 225572-64-0401, 30 novembre 2004, G. Perreault
[7] C.L.P. 290357-61-0605, 28 mai 2007, G. Morin
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.