DÉCISION
[1] Le 5 février 2000, le Centre de jeunesse Shawbridge (l’employeur) dépose, auprès de la Commission des lésions professionnelles, une requête par laquelle il conteste une décision rendue, le 21 janvier 1999, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 17 juillet 1998 et conclut que monsieur Michel Lavallée (le travailleur) est capable d’exercer son emploi de gardien de sécurité à compter du 20 juillet 1998. La CSST s’estime justifiée de mettre fin aux indemnités de remplacement du revenu à compter de cette date, en accord avec la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [L.R.Q., c. A-3.001] (la loi).
[3] À l’audience, l’employeur et le travailleur sont présents et représentés. Le 22 mars 2001, la CSST informe la Commission des lésions professionnelles de son absence à l’audience.
QUESTION PRÉLIMINAIRE
[4] La procureure de l’employeur soumet, en début d’audience, que la décision rendue, le 17 juillet 1998, par la CSST est nulle, illégale et irrégulière. Elle demande à la Commission des lésions professionnelles de rendre une décision écrite sur cette question préliminaire.
[5] Prise initialement sous réserve, la Commission des lésions professionnelles, après l’audience sur cette question, a jugé opportun de suspendre celle-ci et de statuer sur la question préliminaire.
LES FAITS
[6] Le 19 août 1994, le travailleur, agent de sécurité et de surveillance dans un centre pour jeunes, est victime d’un accident du travail en intervenant physiquement afin de contrôler un client dans un véhicule de sécurité. Le 18 octobre 1994, la CSST accepte cette réclamation.
[7] Les premiers diagnostics font état d’une entorse lombaire, mais l’analyse du dossier démontre que cette lésion évolue vers une hernie discale à L4 - L5. Cette lésion est consolidée par le docteur Gladu, le 30 janvier 1996, qui dirige le travailleur auprès du docteur Fortin.
[8] Le 19 février 1996, le docteur Fortin, physiatre, complète le Rapport d’évaluation médicale. Outre l’attribution d’un déficit anatomo-physiologique, il conclut, tout en émettant en les limitations fonctionnelles suivantes pour un diagnostic de hernie discale à L4-L5, que :
« LIMITATIONS
FONCTIONNELLES
- éviter de soulever ou transporter des charges supérieures à 15 kilos sur une base régulière.
- éviter de travailler en flexion antérieure prolongée.
- éviter de travailler avec des mouvements extrêmes de la flexion antérieure, extension ou de rotation du rachis lombosacré.
- éviter de demeurer dans la même position pour plus de 2 heures consécutives. »
[…]
CONCLUSION :
M. Lavallée demeure avec des séquelles d’une hernie discale L-4 L-5 gauche sans déficit neurologique. Il n’est plus en mesure d’occuper l’emploi qu’il exerçait antérieurement soit celui d’agent de sécurité auprès des jeunes délinquants. M. Lavallée a manifesté un intérêt pour un travail d’éducateur et des limitations fonctionnelles semblent être incompatibles avec une telle fonction selon la description donnée par le patient.
[…] »
[9] Le 6 mars 1996, la CSST rend une décision reconnaissant que la lésion entraîne une atteinte permanente totale de 14,4 %. Cette décision n’est contestée par aucune des parties.
[10] Le 13 mars 1996, le dossier est pris en charge par le service de réadaptation de la CSST. Selon les notes évolutives, le processus de réadaptation est expliqué au travailleur et une courte description des tâches accomplies dans le cadre de son emploi est formulée ainsi :
- Assurer la sécurité sur le campus;
- Effectuer des fouilles;
- Maîtriser les clients en état de crise;
- Aviser la police lors des fugues et répondre aux situations d’urgence.
[11] Certaines disponibilités d’emplois convenables chez l’employeur sont évaluées, notamment un poste d’éducateur, de téléphoniste de jour ou de soir, de chauffeur d’escorte et de gardien de nuit.
[12] Une deuxième rencontre a lieu, le 21 mars 1996, chez l’employeur entre le travailleur, son représentant syndical, la directrice des ressources humaines et le conseiller en réadaptation, dans le but de trouver une solution de retour au travail chez l’employeur, alors que les postes retenus le 13 mars dernier sont évalués.
[13] Le 21 mars 1996, la CSST mentionne, dans une lettre, que le travailleur reçoit actuellement des indemnités de remplacement du revenu ; qu’elle rencontrera sous peu son employeur afin qu’il retourne au travail ; que le travailleur devra occuper bientôt chez son employeur un emploi convenable ; que le salaire qu’il touchera de son employeur devra être équivalent au salaire qu’il touchait au moment de la lésion ; que si ce salaire était moindre, le travailleur recevrait une indemnité réduite de remplacement du revenu afin de protéger le salaire qu’il recevait au moment de sa lésion. Il est également indiqué dans cette lettre que celle-ci a pour but d’informer seulement et ne constitue pas une décision, de telle sorte que les droits de contestation indiqués au verso ne s’appliquent pas. (sic)
[14] Une seconde rencontre est prévue, le 3 avril 1996, chez l’employeur. Tel que consigné aux notes évolutives :
« Convenons qu’il n’y aura pas de retour au travail à titre d’agent d’intervention/gardien de sécurité »
[15] Sont alors évaluées différentes possibilités d’emploi convenable, soit de chauffeur, de magasinier, de téléphoniste, de gardien de nuit et d’éducateur.
[16] Le 10 juillet 1996, une autre visite a lieu chez l’employeur, au cours de laquelle sont passées en revue les cinq possibilités d’emplois retenues lors de la rencontre du 3 avril. Les notes évolutives de la CSST précisent :
« Convenons d’assigner le (T) au poste de chauffeur et chauffeur escorte à partir du 14 juillet 96.
Convenons de nous revoir en septembre pour en venir à une entente. Le (R) veut reprendre son poste de gardien de sécurité. Il affirme avoir récupéré ses capacités physique suite à des traitements d’un chiropraticien. J’informe les gens présents que malgré d’amélioration de l’état du (R) que nous demeurons liés par les limitations du médecin traitant. Cependant si l’(E) est d’accord avec le retour au travail à titre d’agent d’intervention et que le (R) et son représentant est aussi d’accord, la CSST ne s’y opposera pas.
Mad. Lalumière affirme ne pas avoir d’objection, mais désir avoir un opinion mais désir avoir un opinion d’un médecin qu’elle désignera. » (sic)
[17] Le 21 août 1996, le docteur Perlman, à la demande de l’employeur, complète une évaluation établissant que les limitations fonctionnelles sont : éviter de lever ou de transporter des poids de plus de 50 livres sur une base régulière ; éviter de s’asseoir pour plus de 3 heures consécutives. Le docteur Perlman considère que le travailleur est capable de réaliser sa tâche de conducteur de véhicule ou de gardien de résidence (sic).
[18] Le 25 septembre 1996, une nouvelle rencontre a lieu chez l’employeur. Le travailleur demeure toujours en assignation temporaire. La CSST constate que, selon les limitations énoncées par le docteur Perlman, le travailleur devrait être en mesure de reprendre son poste, ce à quoi s’objecte l’employeur, ce dernier voulant des précisions additionnelles de la part du docteur Perlman.
[19] Ce dernier rédige, le 6 novembre 1996, un complément d’expertise soulignant que le travailleur est capable de réussir les différents tests physiques dans le cadre de son emploi d’agent d’intervention, mais qu’il demeure avec un risque élevé de blessures, en regard du diagnostic retenu et d’un éventuel retour au travail dans son poste d’agent d’intervention et de sécurité.
[20] Au dossier, s’ensuit une série de rencontres au cours desquelles est discuté le retour au travail du travailleur dans l’emploi qu’il occupait au moment de sa lésion.
[21] Finalement, le 7 juillet 1998, la CSST inscrit dans ses notes évolutives qu’elle va rendre une décision sur la capacité du travailleur à reprendre son emploi d’agent d’intervention et de sécurité selon les considérants suivants :
« Considérant les conséquences d’une perte d’emploi, nous nous entendons pour rendre une décision de capacité à reprendre son emploi d’agent d’intervention.
Décision de capacité à reprendre son emploi d’agent d’intervention/gardien de sécurité :
- Considérant que le (R) a démontré que sa condition physique s’est grandement améliorée
- Considérant que le médecin de l’(E) le docteur Perlman nous le confirme en nous donnant les limitations fonctionnelles suivantes :
- ne pas soulever ou transporter de poids > 50 Kgs
- ne pas rester assis plus de 3 heures consécutives
- Considérant les conséquences physiques et psychologiques d’une perte d’emploi
- Considérant que le (R) a travaillé à temps plein depuis le 14 juillet 96
Rendons décision de capacité à reprendre son emploi de gardien de sécurité chez son (E) à partir du 20 juillet 98. » (sic)
[22] Le 17 juillet 1998, la CSST émet cette décision, laquelle est contestée, le 28 juillet 1998, par l’employeur. Cette contestation donne lieu à la décision rendue par la CSST, à la suite d’une révision administrative, le 21 janvier 1999.
[23] Suite à cette contestation, la Commission des lésions professionnelles note que l’employeur expédie à la CSST des descriptions de tâches de l’emploi du travailleur occupé au moment de la lésion. La Commission des lésions professionnelles constate que la CSST procède, en révision administrative, à une nouvelle évaluation afin de déterminer si l’emploi de gardien de sécurité respecte les limitations fonctionnelles décrites dans le Rapport d’évaluation médicale du docteur Fortin et parvient à la conclusion dont il est fait appel.
[24] Subséquemment, figurent au dossier de la Commission des lésions professionnelles des expertises du docteur Séguin, expert de l’employeur, et du docteur Taillefer, expert du travailleur, statuant respectivement sur l’incapacité et la capacité du travailleur à exercer l’emploi d’agent de sécurité et d’intervention chez l’employeur.
L'ARGUMENTATION DES PARTIES
[25] La procureure de l’employeur plaide que les motifs retenus par la CSST en juillet 1998 pour rendre sa décision sur la capacité sont illégaux et font en sorte que, sur cette base, la décision est irrégulière. La possibilité de perdre son emploi et d’avoir une condition physique grandement améliorée ne sont pas des arguments justifiant la réintégration du travailleur dans son emploi. La CSST demeure liée par le rapport du docteur Fortin portant sur les limitations fonctionnelles et ne peut retenir celui du docteur Perlman. La décision rendue en juillet 1998 est donc une reconsidération des décisions prises en mars 1996 sur la capacité du travailleur. Or, il s’agit simplement d’une nouvelle opinion et il n’y a donc pas de faits nouveaux justifiant la CSST de faire indirectement ce qu’elle avait établi auparavant.
[26] Au dossier, le Rapport final du docteur Gladu et le Rapport d’évaluation médicale du docteur Fortin énoncent que le travailleur ne peut refaire son emploi. La CSST ne peut se baser sur le rapport du docteur Perlman pour émettre sa décision. Il s’agit d’une erreur de droit qui invalide la décision établissant la capacité du travailleur à exercer son emploi. Il y a également un acquiescement « de facto » entre les parties, en avril 1996, sur la base de ces rapports sur l’incapacité du travailleur à refaire son emploi.
[27] La décision rendue en juillet 1998 est donc nulle et le dossier doit être retourné à la CSST pour que celle-ci entreprenne une démarche pour déterminer un emploi convenable, en excluant la possibilité pour le travailleur d’un retour dans l’emploi qu’il occupait au moment de sa lésion. La procureure soumet de la jurisprudence à l’effet que le travailleur ne peut remettre en question les limitations fonctionnelles émises par le médecin qui a charge.
[28] Pour sa part, le représentant du travailleur plaide qu’il s’agit d’une objection tardive et que le travailleur ne conteste aucunement la levée de ses limitations fonctionnelles. Il soumet que le travailleur doit avoir la prérogative de démontrer qu’il peut occuper son emploi, malgré ses limitations fonctionnelles ; que cette question préliminaire est irrecevable, la CSST, en révision administrative, ayant analysé la capacité du travailleur à faire son emploi selon d’autres descriptions de tâches du poste occupé par le travailleur et d’autres opinions médicales déposées ultérieurement au dossier. Il demande de rejeter cette question préliminaire.
L'AVIS DES MEMBRES
[29] Le membre issu des associations syndicales est d’avis qu’il faut rejeter la question préliminaire, considérant que la décision rendue le 17 juillet 1998 est la seule traitant de la capacité du travailleur à occuper son emploi. Le travailleur ne conteste aucunement la levée de ses limitations fonctionnelles. Il n’existe aucune décision au dossier, outre celle-ci, statuant sur la capacité du travailleur à exercer son emploi ou un emploi convenable et, conséquemment, il ne peut y avoir de reconsidération illégale. La Commission des lésions professionnelles doit rejeter cette question préliminaire et se saisir du mérite de la requête.
[30] Pour sa part, la membre issue des associations d’employeurs est d’avis que la question préliminaire doit être accueillie considérant les rapports médicaux des docteurs Gladu et Fortin reconnaissant l’incapacité du travailleur à occuper son emploi, rapports à la suite desquels les parties ont convenu d’une entente entre elles sur cet aspect. La CSST a rendu une décision, le 21 mars 1996, qui n’est pas contestée, et qui statue sur la détermination éventuelle d’un emploi convenable. La décision rendue le 17 juillet 1998, outre le fait d’être basée sur des considérants irréguliers, nuls et illégaux, invalidant cette décision, constitue également une reconsidération injustifiée et irrégulière de celle rendue le 21 mars 1996.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[31] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si elle doit donner droit à la question préliminaire soulevée par l’employeur en début d’audience et de déclarer que la décision rendue le 17 juillet 1998 par la CSST doit être invalidée.
[32] La Commission des lésions professionnelles note que les arguments soulevés par la procureure de l’employeur se fondent sur le fait que la CSST, dans sa prise de décision, invoque des motifs qui, à sa face même, seraient à l’encontre de la loi.
[33] Initialement, la Commission des lésions professionnelles note que la décision rendue, le 17 juillet 1998, par la CSST en est une de capacité pour le travailleur à exercer l’emploi détenu au moment de la lésion, mettant ainsi fin aux versements de l’indemnité de remplacement du revenu.
[34] Certes, cette décision utilise comme prémisses de base les rapports médicaux émis par le docteur Perlman, lesquels modifient les limitations fonctionnelles émises par le docteur Fortin, médecin qui a charge au dossier.
[35] La Commission des lésions professionnelles est d’accord avec la jurisprudence soumise par la procureure de l’employeur à l’effet que le travailleur ne peut, en aucun moment, contester les limitations fonctionnelles émises par le médecin qui a charge, soit celles du docteur Fortin. Il en découle que c'est à tort que la CSST, retenant les limitations fonctionnelles émises par le docteur Perlman, conclut que le travailleur, sur cette seule base, est redevenu capable d’exercer son emploi.
[36] Toutefois, au dossier la Commission des lésions professionnelles note que, suite aux représentations faites par la procureure de l’employeur, à ce moment, auprès de la révision administrative, une description de tâches plus complète est soumise à la CSST. La révision administrative, dans sa décision rendue le 21 janvier 1999, procède à l’analyse de la description de tâches de l’emploi occupé par le travailleur et soumise par l’employeur en fonction des limitations fonctionnelles, non pas celles émises par le docteur Perlman, mais bien en fonction de celles retenues par le docteur Fortin le 26 février 1996, alors le médecin qui a charge et qui lient la CSST. À ce moment, aucune objection n’a été formulée par la procureure de l’employeur au dossier à ce moment. La CSST en révision administrative, procédant à cette nouvelle analyse, comme il est son rôle, conclut que le travailleur est en mesure d’occuper son emploi d’avant sa lésion professionnelle, soit celui de gardien de sécurité, et confirme ainsi la décision rendue le 17 juillet 1998.
[37] Dans le cours du processus décisionnel d’un dossier, la CSST émet des décisions, et ce, en vertu de l’article 354 de la loi qui énonce ce qui suit :
354. Une décision de la Commission doit être écrite, motivée et notifiée aux intéressés dans les plus brefs délais.
________
1985, c. 6, a. 354.
[38] Une partie qui est insatisfaite de cette décision peut en demander la révision en vertu de l’article 358 de la loi qui énonce ce qui suit :
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision par un bureau de révision constitué en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1).
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de l'article 256 ou du premier alinéa de l'article 365.2, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365. »
________
1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40.
[39] Subséquemment, la Commission des lésions professionnelles obtient compétence en vertu de l’article 359 de la loi qui stipule :
359. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358 peut la contester devant la Commission des lésions professionnelles dans les 45 jours de sa notification. »
________
1985, c. 6, a. 359; 1992, c. 11, a. 32; 1997, c. 27, a. 16.
[40] L’article 377 de la loi prévoit :
377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.
Il peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.
________
1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.
[41] En vertu de cet article, toute partie peut, la Commission des lésions professionnelles procédant « de novo », soulever tout moyen jugé approprié pour faire reconnaître ses droits. De plus, selon cet article, la Commission des lésions professionnelles devra alors rendre la décision qui aurait du être rendue par la CSST, en premier lieu. Dans le présent dossier, c’est la décision rendue le 17 juillet 198 qui est en cause traitant de la capacité du travailleur d’exercer son emploi en prenant comme prémisse les limitations fonctionnelles fixées par le docteur Fortin dans son Rapport d'évaluation médicale.
[42] La Commission des lésions professionnelles note que la décision rendue le 17 juillet 1998 constitue la seule émise par la CSST traitant de la capacité du travailleur à exercer un emploi, et ce, à la suite du rapport médical produit par le docteur Fortin en février 1996.
[43] La procureure de l’employeur soutient que cette décision est une reconsidération illégale, d’une décision préalablement rendue et implicite au dossier traitant de l’incapacité du travailleur à exercer son emploi, décision découlant d’une rencontre à la suite de laquelle est émise une lettre datée du 21 mars 1996. La procureure plaide qu’il avait été convenu entre les parties que le travailleur ne pouvait refaire son emploi et que cette entente, consignée aux notes évolutives de la CSST en date du 3 avril 1996, constitue une décision implicite car un processus de réadaptation avait alors été entrepris. La décision rendue le 17 juillet 1998 serait donc une reconsidération illégale de cette décision implicite figurant au dossier.
[44] La Commission des lésions professionnelles ne partage pas cette opinion sur cet aspect du dossier.
[45] Il est de jurisprudence constante que toute décision doit correspondre aux critères énoncés à l’article 354 de la loi. Par ailleurs, certaines circonstances font que l’on peut déduire, s’il y a des faits précis et concomitants, qu’une décision implicite a pu être rendue sans que celle‑ci ne soit écrite.
[46] Une brève revue de la jurisprudence établit les critères qui doivent être retenus dans ces cas. Ainsi, dans l’affaire Bélanger et Distribution Bradan Inc.[1], la Commission des lésions professionnelles précise :
« Il est clair à la lecture de ces dispositions que la CSST doit rendre une décision écrite lorsqu’elle adopte un plan individualisé de réadaptation et lorsqu’elle y apporte subséquemment des notifications. La politique de réadaptation-indemnisation de la CSST est d’ailleurs à cet effet puisqu’elle énonce que dans chaque cas, une décision écrite, motivée et notifiée aux intéressés doit être rendue sur le contenu du plan individualisé de réadaptation. On doit comprendre que cette obligation a pour but d’informer le travailleur de la décision rendue et de lui permettre de la contester en cas de désaccord.
[…]
L’absence d’une décision écrite n’entraîne pas toujours une telle conséquence. Des décisions de la Commission d'appel considèrent en effet qu'on peut déduire des circonstances particulières d'un cas que la CSST a rendu une décision implicite et que la partie concernée en a été notifiée3.
[…]
La Commission des lésions professionnelles retient de cette brève analyse de la jurisprudence que l’absence de décision écrite, notamment dans le cadre d’un processus de réadaptation, n’entraîne pas nécessairement l’annulation du processus et de la détermination de l’emploi convenable auquel il a conduit.
Chaque cas doit être examiné selon les circonstances particulières qu’il présente pour déterminer si une décision implicite a été rendue par la CSST, si le travailleur a été notifié de cette décision et si, en définitive, l’absence de décision écrite lui cause un préjudice sérieux.
[…]
___________________
3 Gagné & Roy inc. c. Commission d’appel en
matière de lésions professionnelles,
[47] Par ailleurs, une revue de la jurisprudence rendue par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles, en matière de réadaptation, établit également que la condition d’exercice des pouvoirs dévolus à la CSST repose sur l’existence d’une décision écrite au sujet d’un plan de réadaptation individuelle[2].
[48] Comme souligné dans l’affaire Fontaine et Mécanique Kingston Inc.[3] :
« En l’espèce, il s’agit donc de déterminer, dans un premier temps, l’existence d’une décision déterminant l’emploi convenable de quincaillier-vendeur. Autrement dit, y a-t-il suffisamment d’indices qui soient, graves, précis et concordants qui permettent de conclure que la Commission avait déterminé le 14 juillet 1988 l’emploi convenable de quincaillier-vendeur. »
[49] Dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles constate que la CSST n’a rendu aucune décision explicite statuant sur le plan individualisé de réadaptation ou sur la capacité ou non du travailleur d’exercer l’emploi qu’il occupait au moment de sa lésion ou tout autre emploi convenable, et ce, avant le 17 juillet 1998.
[50] La Commission des lésions professionnelles note que la CSST n’a entrepris aucune action précise, tel le paiement de coûts engagés dans un processus de réadaptation ou toute autre action, permettant de déduire qu'elle avait d’emblée signifié une décision au travailleur et l’avait notifié des conséquences de celle-ci.
[51] Seules les notes évolutives font état de différentes possibilités de détermination d’emploi convenable dans le cadre d’une démarche de réadaptation laquelle, telle que reconnue par la jurisprudence, consiste à déterminer initialement si le travailleur est capable d’exercer son emploi au moment de sa lésion ou, à défaut, un emploi équivalent ou, sinon, un emploi convenable. Par ailleurs, la Commission des lésionnelles considère, à cet égard, que la lettre émise le 21 mars 1996 constitue une confirmation de la démarche à venir en réadaptation et sur le droit, pour le travailleur de bénéficier des mesures de réadaptation et de leurs conséquences touchant les indemnités de replacement du revenu. La Commission des lésions professionnelles ne croit pas que cette lettre soit une décision qui exclut d’emblée la possibilité pour le travailleur de faire valoir qu’il peut occuper l’emploi qu’il détenait au moment de sa lésion.
[52] Les notes évolutives de la CSST du 3 avril 1996 font état d’une entente entre les parties à l’effet que le travailleur serait incapable d’exercer l’emploi occupé au moment de sa lésion. Toutefois, la Commission des lésions professionnelles estime que cette entente verbale entre les parties ne constitue aucunement une décision conforme à l’article 354 de la loi. Cette entente verbale ne peut lier la CSST au motif que celle-ci pourrait, dans une évaluation ultérieure et après analyse, conclure que le travailleur peut bénéficier des mesures de réadaptation lui permettant d’occuper son emploi, dans le cadre d’une réadaptation professionnelle.
[53] Le fait que les parties conviennent entre elles de la capacité du travailleur à occuper ou non son emploi ne constitue pas une décision pouvant être contestée car le travailleur n’aurait aucun moyen de contester celle-ci s’il veut exprimer son désaccord ultérieurement dans les 30 jours comme le prévoit la loi, en son article 358. De plus, il appert de ces notes évolutives de la CSST que cette décision découle d’une entente verbale entre les parties sans que soit analysée davantage et plus en profondeur la capacité réelle du travailleur à exercer cet emploi.
[54] À la lumière de ces faits, la Commission des lésions professionnelles conclut qu’aucune décision écrite conforme à l’article 354 de la loi n’étant rendue, que la CSST étant alors dans un processus de réadaptation et évaluait à juste titre l’incapacité du travailleur à exercer tout emploi. C’est d’ailleurs dans le cours de cette discussion que le travailleur réitère à la CSST sa capacité à exercer l’emploi détenu avant sa lésion, malgré la présence de limitations fonctionnelles, le tout étant à l’origine du présent litige.
[55] La Commission des lésions professionnelles considère ainsi qu’il y a absence de décision implicite dans le présent dossier, que la CSST a alors entrepris une démarche de réadaptation et que, suite à de nouveaux développements, ceux-ci l’ont amenée à rendre la décision émise le 17 juillet 1998.
[56] En venant à la conclusion qu’il n’y a eu aucune décision implicite statuant sur la détermination d’un emploi convenable ou sur la capacité du travailleur à exercer l’emploi occupé au moment de sa lésion avant la décision rendue le 17 juillet 1998, cette dernière décision ne peut donc constituer une reconsidération illégale d’une décision préalablement rendue. Que cette décision soit basée sur de fausses prémisses fait partie du litige en lui-même.
[57] Tel que souligné dans la cause Bélanger et Distribution Bradan Inc.[4], il y a lieu de prêter attention à chacun des cas, qui doit être examiné selon les circonstances particulières qu’il présente, et de tenir compte si, en définitive, l’absence de décision écrite cause un préjudice sérieux au travailleur.
[58] En l’instance, la Commission des lésions professionnelles considère qu’accueillir la question préliminaire causerait un préjudice sérieux au travailleur, lequel n’aurait aucun moyen de faire valoir ses droits quant à sa prétention d’être capable d’exercer l’emploi qu’il occupait au moment de sa lésion. Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles juge également davantage équitable que le débat se poursuive devant elle afin de déterminer, eu égard à l’ensemble de la preuve administrée par chacune des parties, si le travailleur est en mesure d’occuper l’emploi qu’il détenait au moment de sa lésion ou à défaut, s’il y a lieu de déterminer un emploi convenable.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la question préliminaire soulevée par le Centre de jeunesse Shawbridge à l’audience ;
CONVOQUE les parties à une audience pour entendre la requête au mérite.
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Robert Daniel |
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Commissaire |
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La Rivière
& Lacasse (Me
France Lacasse) |
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Représentante
de la partie requérante |
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S.C.F.P. (Me
Julien Lapointe) |
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Représentant de la partie intéressée |
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Panneton
Lessard (Me
Robert Morin) |
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Représentant de la partie intervenante |
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[1]
C.L.P.
[2]
Rouleau et Résidence
des Bois-Francs et Commission de la
Santé et de la Sécurité du Travail-Montréal, C.L.P.
[3] Précitée,
note 2
[4] Précitée,
note 1
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.