Décision

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Cascades inc

Cascades inc. c. Larochelle

2006 QCCS 5479

JB 2697

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

ST-FRANÇOIS

 

N° :

450-17-001598-052

 

 

 

DATE :

1er décembre 2006

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

PAUL-MARCEL BELLAVANCE, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

CASCADES INC.

Demanderesse

c.

YVAN LAROCHELLE

Défendeur

Et

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

et

COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

            Mises en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

sur la requête pour permission d'amender

et

sur la demande d'autorisation de recours (révision judiciaire)

______________________________________________________________________

 

[1]                Le défendeur a été un employé de la demanderesse Cascades qui l'a licencié le 28 août 2000.

[2]                Cascades l'avait d'abord congédié le 22 janvier 1996, mais elle a dû le reprendre le 3 septembre 1998 suite à la décision d'un Commissaire du travail.

[3]                Entre les mois de septembre 1998 et juillet 2005, le défendeur a, selon Cascades, déposé « une multitude de demandes, de plaintes et de réclamations tant auprès de la (C.N.T.) Commission des normes du travail qu'auprès de la (C.S.S.T.) Commission santé et sécurité au travail suivies d'appels à la Commission des lésions professionnelles (C.L.P.)» au point où Cascades réclame du défendeur la somme de 540 813,19 $ représentant les dépenses qu'elle a encourues à titre d'honoraires d'avocats et frais médicaux.  Cascades demande de plus que le défendeur soit déclaré « plaideur quérulent ».

[4]                Il faut dès maintenant savoir que la C.L.P. a donné raison à Cascades sur la majorité des litiges qui étaient soumis ou, à tout le moins, sur les litiges substantiels.

[5]                Cascades a même obtenu, dans notre dossier, une injonction interlocutoire obligeant le défendeur à obtenir une permission préalable, avant de déposer une demande en justice introductive d'instance.  Pour donner suite à une ordonnance du juge en chef, datée du 29 juin 2006, le soussigné doit autoriser les procédures introductives d'instance que le défendeur veut apporter dans ce dossier.  Or, il veut présenter une demande reconventionnelle.

[6]                Les premières expériences de présentations de procédures ont plutôt démontré que pour ce dossier, il est préférable, pour le mener à procès, qu'il y ait une gestion particulière au sens de l'art. 151.11 du Code de procédure civile, une gestion qui sera assumée par le soussigné qui l'a déclarée d'office à titre de représentant du juge en chef dans ce district.

_____

[7]                Le défendeur a déjà produit dans le présent dossier une défense datée du 19 décembre 2005, par laquelle il répondait à la procédure introductive, sans avoir de conclusions très élaborées et qui se lisaient comme suit :

« REJETER la requête introductive d'instance;

PERMETTRE au défendeur de pourvoir (sic) faire valoir ses droits;

ET D'IMPOSER la réintégration dans son milieu de travail à Cascades, Kingsey Falls, tant et aussi longtemps qu'il ne sera pas entendu à nouveau, parce qu'il est injuste de l'avoir remercié sans raison valable.»

[8]                Le paragraphe 75 de cette défense peut aussi avoir un intérêt pour notre discussion :

« 75.     Le défendeur doit avoir le droit de faire corriger les erreurs de la Commissaire Luce Boudreault dans les dossiers qui sont bloqués par le demandeur;

Le défendeur a très bon dossier pour que la Justice se penche sur la façon dont la Commissaire a manqué à son devoir d'être neutre et impartiale, ce qu'elle a manqué.  Voici, le résumé pourquoi le défendeur demande d'aller en révision pour cause, voir page…;»

(je souligne)

[9]                Par une défense amendée, datée du 18 octobre 2006, le défendeur précise ses demandes et il se porte demandeur reconventionnel:

« Le défendeur, demandeur reconventionnel, demande à la Cour les conclusions suivantes :

SE PORTANT DEMANDEUR RECONVENTIONNEL, LE DÉFENDEUR RECHERCHE LES CONCLUSIONS SUIVANTES, ET POUR CES MOTIFS, LA DÉFENDERESSE DEMANDE AU TRIBUNAL :

1.          ACCUEILLIR la présente défense amendée;

2.          ORDONNER que les notes sténographiques, puisque utilisées en Cour, soient fournies au défendeur, demandeur reconventionnel, selon l'article 311 du Code de procédure civile;

3.          ANNULER l'injonction interlocutoire qui pèse contre le défendeur, demandeur reconventionnel;

5.          CONDAMNER la demanderesse à payer au défendeur la somme de 30 000 $ par année depuis le 26 août 2000 pour perte de salaire;

6.          ORDONNER à la demanderesse de protéger et de mettre en place un travail tel que le travailleur puisse reprendre son travail avec dignité à Cascades inc., Kingsey Falls, au maximum douze (12) jours après jugement;

7.          ORDONNER à la demanderesse de donner au défendeur un poste qu'il aurait dû avoir depuis 1998 et 1999;

8.          CORRIGER les erreurs de droit dans les dossiers devant la Commission des lésions professionnelles;

                         1)         Q- 129664-05-0001

                         2)         Q-136448-05-0004

                         3)         Q-143930-05-0008

                         4)         Q-159019-05-0104

                         5)         Q-159640-05-0104

9.          CONDAMNER la demanderesse à verser au défendeur, demandeur reconventionnel, un montant de 150 000 $ à titre de dommages moraux;

10.        CONDAMNER la demanderesse à 50 000 $ à titre de dommages exemplaires, qui seraient versés dans une association à but non lucratif qui viendrait en aide aux travailleurs non syndiqués en Estrie et choisis par le défendeur;

11.        CONDAMNER la demanderesse à payer les sommes demandées par le défendeur avec intérêts au taux légal majoré de l'indemnité additionnelle prévue aux articles 1619 et suivants du Code civil du Québec;

12.        REJETER la requête introductive d'instance, l'action et les requêtes de la demanderesse;

13.        PERMETTRE au défendeur de pourvoir (sic) faire valoir ses droits;

14.        ET D'IMPOSER la réintégration dans son milieu de travail à Cascades, Kingsey Falls, tant et aussi longtemps qu'il ne sera pas entendu à nouveau, parce qu'il est injuste de l'avoir remercié sans raison valable.

LE TOUT avec dépens.

Sherbrooke, le 18 octobre 2006.»

[10]            Le défendeur avait aussi rajouté dans le corps de sa défense des paragraphes reliés à ses nouvelles conclusions demandées.

[11]            La demanderesse et la mise en cause Commission des lésions professionnelles contestent et ont fait signifier leur opposition aux amendements recherchés, une opposition qui finalement permettra d'examiner l'état du dossier non seulement sous les limites des articles 199 et 172, mais aussi sous la portée des articles 4.1 et 4.2.

[12]            L'audience sur l'opposition a eu lieu à la Cour, devant le soussigné, le 16 novembre dernier.  Le défendeur a modifié sa 13ième conclusion pour qu'elle se lise comme suit:

«PERMETTRE au défendeur de pouvoir faire valoir ses droits pour qu'il puisse se faire entendre en révision pour cause dans les dossiers de la Commissaire Boudreault datés du 14 février 2005 avec la permission légitime de la Cour et d'INFIRMER la décision du Commissaire Gilles Robichaud du 12 avril 2006.»

[13]            J'expliquerai plus loin la nature de la décision du Commissaire Robichaud.

_____

[14]            Le point de départ de l'analyse sera de toujours avoir à l'esprit, que ce n'est pas le défendeur qui a initié la procédure, qu'il a le droit de se défendre en disant qu'il n'est pas un quérulent et que les différentes plaintes qu'il a portées étaient, en son âme et conscience, justifiées malgré le résultat négatif obtenu sur la plupart des plaintes ou à tout le moins, sur leur portée substantielle.

[15]            L'écueil majeur du dossier est cette volonté du défendeur de toujours demander que les décisions qui lui sont défavorables soient renversées par la Cour supérieure qui ordonnerait alors à Cascades de le reprendre à son emploi.

_____

[16]            Cette demande, qu'il est difficile de qualifier mais qui pourrait être, somme toute, considérée comme étant une demande de révision judiciaire, doit être refusée tant sous l'art. 199 que l'art. 172 C.p.c.

_____

[17]            Les décisions de la Commissaire Boudreault de la C.L.P. ont été rendues le 14 février 2005.  La procédure de Cascades a été signifiée au défendeur à la fin juillet 2005.  Il s'est écoulé plus de 5 mois pendant lesquels il n'y a pas eu de demande de révision judiciaire.

[18]            Le défendeur a plutôt choisi de demander le 30 mars 2005, tel que le prévoit la loi, la révision par un autre banc de la Commission des lésions professionnelles que j'appellerai C.L.P. II , des décisions rendues par la C.L.P. I, le 14 février 2005.

[19]            Comme on peut demander à la Cour supérieure d'entendre une demande de révision judiciaire sans que les recours propres à l'organisme visé soient épuisés[1], dépendamment de la nature et de la portée du recours propre à l'organisme, rien n'empêchait le défendeur, entre février et juillet 2005, de demander la révision de la décision de la C.L.P. I., s'il le désirait.

[20]            Le Tribunal n'est pas d'avis que l'inscription d'une demande de révision devant la C.L.P.  II constitue une interruption de prescription ou de déchéance par rapport à un recours de révision dirigé contre la C.L.P. I en Cour supérieure.  Si ce sont des recours distincts, respectons les règles propres à chaque recours, dont celle de l'extinction d'un recours pour défaut d'agir, pour ne pas alourdir un processus de révision que le législateur voulait simple et efficace.

[21]            Dans cet arrêt Wall-Mart, le juge Rochon explique au paragraphe 43 que :

« L'existence d'un mécanisme de révision administrative ne constitue pas obligatoirement une fin de non-recevoir ou un obstacle dirimant au contrôle judiciaire. »

[22]            Plus loin, au paragraphe 45, il explique:

« (b) ref, avant toute chose, le juge de la Cour supérieure doit examiner la nature du recours subsidiaire pour en déterminer le caractère approprié. »

[23]            L'arrêt Wall-Mart porte sur la nature du recours en révision de l'article 127 (3) du Code du travail.  Concluant au paragraphe 59 « (qu') à moins d'une erreur grossière, il n'y pas ouverture au recours en révision de l'article 127(3) C.t.» et que « règle générale, un processus de révision étroitement balisé ne peut être considéré comme un recours approprié aux termes de la doctrine des recours subsidiaires », le juge Rochon et ses collègues les juges Pelletier et Dufresne ont ordonné à la Cour supérieure d'entendre la révision judiciaire demandée par Wall-Mart qui n'avait pas demandé le recours en révision de l'art. 127(3).

[24]            Je transpose les principes élaborés dans cet arrêt de Wall-Mart à notre propre cause.

[25]            Le pouvoir de révision/révocation accordé par le Code du travail à son art. 127 est similaire à celui de la C.L.P. prévu à l'art. 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (LATMP).  Compte tenu des enseignements de la Cour d'appel dans Wall-Mart qui considère que le recours prévu à l'art. 127(3) n'est pas ouvert sauf erreur grossière[3], le fait que le défendeur a inscrit un recours sous l'art. 429 de la LATMP n'aurait pas été un obstacle à ce qu'il demande une révision judiciaire traditionnelle.  Cela étant, il aurait fallu qu'il la présente dans le délai usuel de 30 jours.  Comme il ne l'a pas fait, ce recours ne lui est plus ouvert directement et à mon avis, il ne peut non plus le faire revivre formellement par une demande reconventionnelle, puisque, entre autres, ce recours n'est pas de la même source ou d'une source connexe à la demande principale.

[26]            J'utilise l'expression « revivre formellement », car si je peux, par le refus de l'amendement et par le refus d'autorisation, interdire au défendeur de présenter une demande de révision judiciaire à l'encontre des décisions de la C.L.P. en date du 14 février 2005, je ne peux, pour lui permettre de démontrer que ses plaintes n'étaient pas inutiles, qu'il n'est pas un plaideur quérulent, bref, qu'il n'a pas à rembourser à Cascades 540 813,19 $, l'empêcher de soutenir, si c'est ce qu'il pense et c'est ce qu'il pense, que ces décisions étaient mal fondées, que la Commissaire a fait des erreurs de droit importantes; que « la Commissaire a manqué à son devoir d'être neutre et impartiale » tel qu'il le dit au paragraphe 75 de la défense.  C'est une façon d'appliquer l'art. 2882 sans faire revivre le recours.

[27]            C'est Cascades qui a le fardeau de preuve, mais je dois laisser au défendeur une assez bonne marge de manœuvre pour se défendre.

_____

[28]            Le deuxième sujet d'intérêt est cette demande du défendeur de recevoir une copie de la transcription de l'audience de 22 jours devant la C.L.P. I.

[29]            C'est une demande sur laquelle ne peut statuer le juge du procès puisqu'il sera alors trop tard.

[30]            Il y a lieu de faire droit à cette demande malgré tous les dangers d'écarts et de diversions qui pourront survenir durant le procès.

[31]            Dans la preuve qu'elle entend faire, si l'on se fie aux allégations 45 à 52 de la procédure introductive, la demanderesse Cascades voudra démontrer, par l'opinion de deux médecins experts que le défendeur est atteint d'un trouble délirant de type persécution.  On peut dire que Cascades veut amener une preuve médicale de quérulence.

[32]            Quel est le lien entre cette preuve médicale et la demande du défendeur d'avoir les 3 500 pages de transcription des 22 journées d'audience ?

[33]            Ce lien tient principalement d'une affirmation faite dans des affidavits souscrits par les deux médecins, affidavits utilisés pour la partie injonction de la demande, et qui, de fait, ont été utilisés dans le cadre de l'injonction interlocutoire.  Dans le paragraphe 18 de sa décision, en injonction interlocutoire, le juge Fournier réfère aux trois affidavits produits par Cascades avec sa procédure introductive.  Dans la décision de la C.L.P., il en est fait mention aux paragraphes 211 et 219.

[34]            Que disent les deux médecins dans leur affidavit ? Qu'ils en sont venus à considérer le défendeur comme quérulent après avoir, entre autres, pris connaissance des témoignages entendus par la C.L.P., «soit au-delà de 3 500 pages;».

[35]            Plus précisément, voici des extraits pertinents des affidavits détaillés (28 juillet 2005):

A)         Du Dr. Pierre Laberge:

«…

6)         Préalablement à mon témoignage devant cette instance, soit en juillet 2003, j'ai pris connaissance de l'ensemble du dossier médical de Monsieur Larochelle, des dossiers de la CSST le concernant et de l'ensemble des témoignages entendus à la Commission des lésions professionnelles et transcrits par sténographe officiel, soit au-delà de 3 500 pages;

7)         Contrairement au mandat que j'avais reçu lorsque j'ai réalisé l'expertise pour l'assureur en 2000, où je devais seulement donner une opinion sur la question de l'invalidité de Monsieur Larochelle ou de sa capacité à exercer son emploi d'homme de service, lors de mon témoignage devant la Commission des lésions professionnelles le 24 septembre 2003, les questions qui m'étaient posées étaient beaucoup plus larges et je témoignais à la lumière de toutes les informations dont j'avais pris connaissances (sic) en juillet 2003;

8)         Cet éclairage m'a permis de conclure que Monsieur Larochelle souffrait d'un trouble délirant paranoïde et plus spécifiquement, d'un trouble délirant de type persécutoire qui peut être qualifié de "quérulence", soit une "tendance pathologique à rechercher les querelles et à revendiquer d'une manière hors de proportion avec la cause, la réparation d'un préjudice subit, réel ouimaginaire, vis-à-vis toutes sortes de tribunaux";

9)         À cause de ce trouble délirant Monsieur Larochelle fait une interprétation exagérée et déformée de situations tout à fait réelles;

…»

(je souligne)

B)         Du Dr. Robert Brisset:

«…

8)         Dans mon expertise du 14 octobre 2003, je concluais que la pathologie principale de monsieur Yvan Larochelle est un trouble délirant paranoïaque, ou, si l'on veut, un trouble délirant persécutoire où des problèmes mineurs peuvent être exagérés et former le noyau d'un système délirant et où le délire est centré sur une injustice perçue à laquelle il doit être porté remède grâce à la loi (paranoïa quérulente).  La personne atteinte entreprend souvent des démarches répétées pour obtenir réparation, ce qui est le cas de Monsieur Larochelle,

4)         À la demande de Cascades inc., j'ai produit, le 14 octobre 2003, un rapport d'expertise qui tient compte des éléments suivants:

i)           la première expertise faite par moi le 22 juillet 1999, après mon examen de Monsieur Larochelle, et les documents fournis à l'époque par Casdades inc.;

ii)          les témoignages entendus et mon témoignage à l'audience du 8 mai 2002 où j'ai été appelé à témoigner à la demande du défendeur, Yvan Larochelle, devant la Commission des lésions professionnelles;

iii)         les témoignages entendus lors de ma présence à l'audience du 9 mai 2002 devant la Commission des lésions professionnelles;

iv)         la lecture d'un dossier de plus de 3 500 pages comprenant la transcription de tous les témoignages entendus devant la Commission des lésions professionnelles entre le 15 mars 2001 et le 23 mai 2003 inclusivement, ainsi que tous les dossiers, notes médicales accessibles, l'expertise du Docteur Pierre Laberge, psychiatre, du 10 novembre 2002, et les notes de la consultation du Docteur Gilbert Matte, psychiatre, du 21 novembre 2000;

…»

[36]            Selon les informations obtenues par le procureur de Cascades, qui possède ces 3 500 pages de transcription, cette dernière coûte 3,75 $ la page (original) et 0,60 $ la page (copie).

[37]            Cascades ne s'objecte pas à ce que le défendeur obtienne des sténographes une copie officielle.  Cependant, elle ne veut pas payer pour cette copie et le défendeur n'a pas les moyens d'assumer les coûts de 2 100 $.

_____

[38]            Ces 3 500 pages ne sont pas, à proprement parler, des documents au sens de l'art. 311 C.p.c. puisque les deux psychiatres n'ont aucun contrôle de propriété exclusive de ces documents.  Néanmoins, la référence qui en est faite par ces deux psychiatres qui concluent médicalement à un diagnostic de quérulence est un élément important de ce dossier.

[39]            À mon avis, le défendeur a le droit de poser des questions aux deux psychiatres sur leur référence à ces 3 500 pages, référence introduite par la demanderesse Cascades dans une procédure où elle attaque le défendeur dans son droit d'ester en justice et dans son patrimoine.

[40]            Le défendeur était certes présent durant les 22 jours d'audience mais les deux psychiatres ne l'étaient pas, ce qui fait qu'ils réfèrent à la transcription (3500 pages) faite des 15 premiers jours d'audience.  Le défendeur a le droit d'avoir ces documents en mains durant les interrogatoires à venir.

[41]            Le juge du procès décidera de l'usage qui peut être fait de ces documents, mais en cours de préparation de procès, ce Tribunal estime que le défendeur y a droit aux frais de la demanderesse.  Si besoin est, je pense que l'on peut aussi référer au pouvoir de gestion de la Cour, pouvoir prévu à l'art. 4.1 C.p.c.  Comme le Tribunal est d'avis que le défendeur peut référer à ce qui s'est passé durant les 22 jours d'audience, devant la C.L.P., il est peut-être préférable qu'il réfère aux 3 500 pages plutôt que d'envoyer une flopée de subpoenas pour faire répéter aux gens ce qu'ils ont dit devant la C.L.P. durant les 15 premiers jours.

_____

[42]            Le prochain sujet d'intérêt est celui soulevé par l'amendement visant à modifier la 13ième conclusion en ce qui a trait à la décision du Commissaire Robichaud, décision datée du 12 avril 2006.

[43]            Il convient de préciser le contexte de cette décision qui refuse à M. Larochelle la permission de s'adresser à la C.L.P. II .

[44]            Rappelons-nous qu'en cours d'instance, Cascades a obtenu le 11 novembre 2005, du juge Fournier, une injonction interlocutoire qui interdisait au défendeur de continuer son recours en révision devant la C.L.P. II à moins d'avoir obtenu la permission écrite du président (présidente) de la C.L.P. ou d'un commissaire désigné par lui ou elle.

[45]            Le défendeur a demandé une telle permission de continuer sa demande de révision, et la réponse négative, datée du 12 avril 2006, est venue du Commissaire Robichaud mandaté par la présidente de la C.L.P.

[46]            Par son amendement à sa conclusion numéro 13, le défendeur demande, somme toute, la révision judiciaire de la décision du Commissaire Robichaud.

[47]            Pour compliquer le tout, cette décision n'est pas nécessairement une décision finale puisque si la Cour supérieure décide, au fond, que le défendeur n'est pas un quérulent, il faut prévoir que sa demande de révision judiciaire à la C.L.P. II , demande qu'il peut en temps normal exercer de plein droit, puisse revivre.  C'est ce qui explique que le Commissaire Boudreault ordonne la suspension des dossiers même s'il rejette la requête du défendeur pour obtenir la permission de continuer les procédures intentées devant la C.L.P. II.

[48]            Faut-il accorder l'amendement qui aurait pour effet de permettre au défendeur de demander la révision judiciaire de la décision du Commissaire Robichaud, datée du 12 avril 2006 ?

[49]            C'est vraisemblablement suite à la réception de cette décision que le défendeur a écrit au juge en Chef Rolland car il y fait allusion au bas de la première page d'une lettre non datée, qu'il lui a fait parvenir.

[50]            Le défendeur dit ceci:

«La Commission refuse de m'entendre en révision pour cause et suspend tous mes dossiers.  Ce qui n'est pas normal et me cause un préjudice.»

[51]            La première fois que le défendeur demande formellement à cette Cour de «réviser pour cause» la décision du Commissaire Robichaud de la C.L.P. II, est par l'amendement formulé à l'audience du 16 novembre dernier.

[52]            Il n'est pas nécessaire de discuter du délai entre la décision et la demande annoncée au juge Rolland, puis la demande formelle d'amendement du 16 novembre, puisqu'à mon avis, dans le contexte de ce dossier, l'amendement est inutile et contraire aux intérêts de la justice.

[53]            Dans son jugement, le Commissaire Robichaud fait un résumé des dossiers entendus par la C.L.P. I, résumé que je reprends pour faciliter la compréhension du présent jugement.

«[8] Dossier 129664-05-0001.  À la suite de la lésion professionnelle du 1er décembre 1998, la C.L.P. avait accueilli la contestation du travailleur et conclu que le revenu brut annuel devant servir de base pour le calcul de son indemnité de remplacement du revenu était de 49 155,63 $.

[9] Le travailleur demande de changer le revenu brut annuel par celui de 50 779,66 $.  À cet effet, il dépose une fiche de paye.

[10] Dossier 136448-05-0008.  La C.L.P. a rejeté la contestation du travailleur et déclaré que l'anxiété et le trouble d'adaptation pour lesquels il avait réclamé, ne constituaient pas une lésion professionnelle.  Le travailleur alléguait faire l'objet de harcèlement de la part de l'employeur.  Dans sa requête en révision, le travailleur soutient que la C.L.P. a commis une erreur de droit fondamentale en ne retenant pas le diagnostic du médecin traitant, alors que ce diagnostic n'avait fait l'objet d'aucune contestation, ni de l'employeur ni de la CSST: "l'article 224.1 doit s'appliquer et être en faveur du travailleur.  C'est en relation avec le travail."

[11] Dossier 143930-05-0008.  La C.L.P. avait accueilli en partie les plaintes du travailleur et déclaré que l'employeur devait rembourser au travailleur son salaire pour quatre heures d'absence en raison d'une visite médicale.  La C.L.P. rejetait, cependant, la plainte du travailleur en vertu de l'article 32 et déclarait que le travailleur n'avait pas été l'objet de sanction lorsqu'il a été placé en arrêt de travail pour quatre jours, à la suite de l'avis de son médecin selon lequel le travailleur ne pouvait faire du travail de nuit.  En révision, le travailleur prétend qu'il a droit à ces quatre jours de salaire parce qu'il était prévu qu'il travaillait de jour.

[12] Dossier 159019-05-0104.  La C.L.P. rejetait la contestation du travailleur qui prétendait être victime de harcèlement depuis deux ans, et déclarait qu'il n'avait pas droit au remboursement de médicaments.  Le travailleur prétend qu'il n'y a pas eu de contestation de l'employeur ou de la CSST selon l'article 212 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[4] (la loi) de sorte que " le diagnostic à retenir est celui de trouble de l'adaptation avec humeur dépressive et [avec] droit au médicament.  L'article 224.1 s'applique. "

[13] Dossier 149640-05-0104.  La C.L.P. a rejeté la contestation du travailleur qui prétendait avoir fait l'objet d'un congédiement déguisé et pouvoir exercer son droit de retour au travail.  La C.L.P. a déclaré que l'employeur n'a pas contrevenu aux dispositions de l'article 32 en mettant le travailleur à pied.  Le travailleur dans sa requête en révision écrit:

2.  La preuve a été assez claire.  Que cette mesure touchait Yvan Larochelle et de plus les témoins sont venus nous dire qu'ils avaient réembauché du personnel nouveau dans le groupe Cascades Kinsey Falls.  Avant, il y a eu de nombreux postes affichés et qu'ils ont fermé la porte à Yvan Larochelle et après ils ont embauché du nouveau personnel extérieur du groupe Kingsey Falls.  Je ne peux croire que la commissaire ferme les yeux.  Ça ne sent pas bon.  Est-ce qu'elle était malade ?

[14] Dossier 159641-05-0104.  La C.L.P. a rejeté la contestation du travailleur et déclaré qu'il n'avait pas subi de lésion professionnelle.  En conséquence, la C.L.P. a déclaré qu'il n'avait pas droit au remboursement des frais encourus pour faire remplir un formulaire d'assurance salaire ni au remboursement des frais de chiropractie.  Le travailleur dans sa requête soutient que la C.L.P. aurait dû lui donner raison d'autant plus que " la Commission [était] liée par le médecin traitant en plus du B.E.M. "

[15] Dossier 171492-05-0110.  La C.L.P. a rejeté la contestation du travailleur et déclaré, concernant la lésion professionnelle du 23 août 2000, que le revenu brut annuel d'emploi devant servir de base au calcul de l'indemnité de remplacement du revenu était de 50 500 $.  La C.L.P. a également déclaré que le travailleur n'avait pas droit, à l'indemnité de remplacement du revenu prévu aux articles 48 et 49 de la loi.

[16] Dans sa requête en révision, le travailleur demande de tenir compte " des réclamations et plainte 32 " et  " qu'on applique la réintégration … comme demandé depuis le début.

[54]            Le Commissaire Robichaud fera ensuite l'analyse des motifs invoqués par le défendeur pour en conclure au paragraphe 28 de sa décision:

«[28] En l'espèce, l'étude des motifs invoqués par le travailleur, au soutien de ses requêtes pour révision, ne démontre pas la présence d'un tel vice de fond; le travailleur cherche plutôt à remettre en question toutes les décisions de la C.L.P.. Les points qu'il soulève ont tous été débattus devant la commissaire saisie du dossier initial et, après analyse, ils ont été tranchés.  Le travailleur manifeste son désaccord et ses soupçons face à ces décisions et demande, en fait, une nouvelle appréciation de la preuve.  Les requêtes du travailleur constituent donc des appels déguisés.  Il s'agit, par conséquence, de recours qui présentent, prima facie, un caractère futile.  Le travailleur n'utilise pas ses droits à bon escient et de façon raisonnable.  La contestation de toutes les décisions de la C.L.P., sans les justifications sérieuses que la situation exige, est " excessive et déraisonnable ".»

[55]            Cette décision de la C.L.P. II reflète pour moi ce que je vois à date dans notre dossier après avoir lu attentivement les 87 pages de la décision de la Commissaire Me Luce Boudreault et des membres Bertrand Delisle (association des employeurs) et Pierre Beaulieu (association syndicale).  Ce que le défendeur veut, c'est un réexamen, une nouvelle appréciation de la preuve.  Il le répète constamment et il n'en démordra jamais.

[56]            Il est difficile de lui faire comprendre la différence entre un appel de plein droit et la limite et les contraintes des mécanismes de révision judiciaire.

[57]            Je répète que je sais fort bien que je dois donner au défendeur toutes les chances de se défendeur à l'action intentée par Cascades.  Toutefois, cette latitude ne m'amène pas, compte tenu des circonstances de ce dossier, à permettre à titre de juge mandaté pour autoriser les nouveaux recours, à titre de juge des requêtes saisi d'une demande d'amendement et à titre de juge qui fera la gestion particulière de ce dossier, qu'il y ait un débat pouvant mener à des révisions judiciaires.

[58]            Il faut tirer la ligne même si on n'est pas au fond du litige.  Il y aura probablement un débat sur les décisions de la C.L.P. I mais ce débat ne peut pas mener à la révision judiciaire de ces décisions.  Le débat servira principalement à déterminer s'il y a chez le défendeur de la quérulence, et si Cascades peut se faire rembourser les dépenses encourues.

[59]            Pour ces raisons, le défendeur devra d'ici 30 jours, préparer et produire une procédure conforme au présent jugement:

59.1.       Le paragraphe 75 devra être amputé de la phrase suivante:  «Voici, le résumé pourquoi le défendeur demande d'aller en révision pour cause, voir page …»

59.2.       La conclusion 8 est radiée;

59.3.       La conclusion 13 et l'amendement demandé en cours d'instance sont refusés.  L'amendement vise une révision judiciaire.  La conclusion originale est trop générale et elle est de nature à amener des débats inutiles.

59.4.       Plusieurs des autres conclusions demandées constituent soit des demandes reconventionnelles qui ne sont pas de même source ou de source connexe à l'action principale ou des amendements inutiles et contraires aux intérêts de la justice.  C'est le cas des conclusions 4, 5, 6, 7 et 14 qui devront aussi être radiées.

[60]            Je termine en indiquant que ce n'est pas parce que le Tribunal se limite à la radiation ou modification de certains paragraphes de la procédure du défendeur, qu'il faut en conclure que les autres paragraphes sont des demandes légitimes ou conformes à l'état du droit.  Le juge du fond le décidera.

[61]            PAR CES MOTIFS, le Tribunal:

[62]            ORDONNE à la demanderesse de fournir à ses frais, d'ici 30 jours, au défendeur, une copie officielle des notes sténographiques (transcription 3500 pages) des 15 premiers jours de l'audience tenue devant la C.L.P. I.

[63]            ORDONNE au défendeur de produire, d'ici 30 jours, une procédure amendée identique à celle datée du 18 octobre 2006, mais avec les modifications suivantes:

63.1.       Le paragraphe 75 devra être amputé de la phrase suivante: «Voici, le résumé pourquoi le défendeur demande d'aller en révision pour cause, voir page …»

63.2.       Les conclusions 4,5,6,7,8,13 et 14 sont radiées et doivent être enlevées de la procédure;

[64]            LE TOUT avec dépens à suivre le sort du litige principal.  Le coût de la reproduction des 3 500 pages de transcription ne pourra faire partie d'aucun mémoire de frais à venir dans ce dossier puisque c'est Cascades qui a introduit ce sujet.

 

 

__________________________________

PAUL-MARCEL BELLAVANCE, j.c.s.

 

Me Marc Savoie

(Delorme LeBel Bureau)

Procureur de la demanderesse

 

M. Yvan Larochelle

Personnellement

 

Me Luc Côté

Procureur pour la C.L.P.

 

Date d’audience :

16 novembre 2006

 



[1]     Wall-Mart c. C.R.T. (C.A.) district de Montréal: 500-09-015965-056, 23 mars 2006;

[2]     L.R.Q. c. A-3.001);

[3]     Supra note 1, paragr. 59;

[4]     [Dans la citation] L.R.Q. c.A-3.001;

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.