Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
COUR SUPÉRIEURE

 

 

JT1367

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

N° :

200-17-004408-043

 

DATE :

 12 NOVEMBRE 2004

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

CLAUDETTE TESSIER-COUTURE, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST)

Requérante;

c.

Commission des lésions professionnelles (CLP)

Me Claude Bérubé et Me Marielle Cusson

Intimés;

et

Serge Corbeil,

et

Wilfrid Nadeau inc. (FERMÉ),

            Mis en cause.

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR REQUÊTE EN RÉVISION JUDICIAIRE

______________________________________________________________________

 

[1]                La Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) demande de casser les décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles (CLP) le 3 février 2003 (décision Cusson) et le 20 février 2004 (décision Bérubé).

[2]                La décision Bérubé a confirmé la décision Cusson laquelle accueillait la requête du mis en cause Serge Corbeil, le travailleur, et infirmait une décision rendue le 26 avril 2002 par la CSST. Le dispositif de la décision Cusson est le suivant :

ACCUEILLE la requête déposée par monsieur Serge Corbeil (le travailleur) le 2 mai 2002;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) en révision administrative rendue le 26 avril 2002;

DÉCLARE que le travailleur est en droit de bénéficier du remboursement des coûts pour l’achat de marihuana ou pour sa culture;

DÉCLARE que le travailleur doit fournir à la CSST les factures relatives à l’achat de marihuana ou à sa culture afin qu’elle procède au remboursement du coût en fonction de la consommation restrictive et du nombre de plants que permet le Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales.

[3]                La CSST, par sa décision du 26 avril 2002, rendue suite à une révision administrative avait refusé de rembourser au travailleur les frais encourus pour l’achat et/ou la production de cannabis au motif qu’il ne s’agit pas d’un médicament au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP). C’est donc à l’encontre de cette décision que Monsieur Corbeil a déposé une requête devant la CLP d’où la décision Cusson.

[4]                La CSST, par requête, a demandé la révision ou la révocation de la décision Cusson conformément à ce qui est énoncé à l’article 429.56 de la Loi, d’où la décision Bérubé dont le dispositif est le suivant :

85.  La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision ne peut conclure que cette démarche décisionnelle est entachée d’un vice de fond, de la nature d’une erreur manifeste et déterminante, qui serait de nature à invalider la décision rendue.

(…)

REJETTE la requête en révision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

[5]                Le commissaire Bérubé n’ayant pas considéré que la décision Cusson devait être révisée, le Tribunal examinera d’abord cette dernière décision pour ensuite traiter de la décision Bérubé.

LES PROCÉDURES

[6]                Devant le Tribunal, Monsieur Corbeil n’est pas représenté par procureur. Il a comparu personnellement suite à la requête pour cesser d’occuper de ses procureurs.

[7]                Le procureur de la CSST a soulevé la question du locus standi relativement à la présence de la CLP devant le Tribunal puisque la demande vise la révision judiciaire d’une décision rendue par cette instance. Le Tribunal tient à souligner que le procureur de la CLP s’est limité à faire des représentations sur la norme de contrôle applicable et la compétence de la CLP. Il a fait preuve de réserve. Il n’a pas discuté le bien-fondé de la décision rendue. Dans ce cadre, il est tout à fait justifié et reconnu par la jurisprudence que la CLP intervienne devant le Tribunal[1].

LE CONTEXTE

[8]                Serge Corbeil a été victime, le 25 février 1981, d’un accident de travail «impliquant sa colonne lombaire». Il a subi le 16 novembre 1982 une intervention chirurgicale soit une discoïdectomie.

[9]                Par la suite, à au moins trois reprises, il a produit des réclamations alléguant une récidive, rechute ou aggravation en relation avec son accident de travail de février 1981. Il est suivi régulièrement et sa condition n’est pas l’objet de discussion ou de contestation dans la présente affaire.

[10]            Le 22 novembre 2000, tel qu’il est relaté au paragraphe 14 de la décision Cusson, le docteur François Gagnon, médecin ayant charge, écrit à Santé Canada en ces termes :

1)                   Il y a quelques années M. Corbeil a été référé à la clinique des douleurs de l’Hôtel-Dieu de Lévis. Plusieurs tentatives d’analgésie ont été tentées, entre autres épidurales thérapeutiques, corticostéroides. Depuis les cinq dernières années aucune consultation nouvelle n’a été faite étant donné le fait que les interventions analgésiques avaient une durée très limitée et une efficacité réduite. Même l’adjonction d’élavil ou de Neurontin n’ont été que très faiblement efficace. Nous n’avons jamais utilisé les analgésiques majeurs de type morphine. Au cours de ces années M. Corbeil était relativement soulagé par l’usage de la marihuana malgré les risques judiciaires que présente l’usage de cette drogue.

2)                   Vous trouverez ci-jointe une copie des consultations auprès du Dr. D’Anjou du 3 octobre 1999 et du 29 novembre 1999, ainsi que la scintigraphie du 10 novembre 1999 et de la résonance magnétique du 1 février 2000. Il a également été vu par le Dr. Francoeur neuro-chirurgie dont vous trouverez copie en date du 14 mars 2000.

3)                   Parmi les techniques utilisées pour soulager les douleurs de M. Corbeil, à peu près tous les anti-inflammatoires non-stéroidiens ont été tentés, avec beaucoup de problèmes digestifs. À l’occasion un traitement à la cortisone systémique en doses décroissantes a été essayé, des injections de cortisone ont été faites dans la colonne lombaire, on a tenté des épidurales thérapeutiques, des médicaments comme le talwin, l’élavil, le percocet, le neurontin. Ont été tenté récemment le marinol qui a apporté un soulagement certain au cours de son utilisation, mais des limites officielles imposées à l’utilisation du marisol (nausée et sida) nous ont ralenti dans l’utilisation de ce médicament.

4)                   En ce qui concerne la marihuana, dans le cas de M. Corbeil, les risques en cours nous semble moindres que les effets bénéfiques. Nous sommes d’accord que la fumée de mari comme celle du tabac est nocive au niveau pulmonaire. En ce qui concerne le syndrome de dépendance, M. Corbeil est un vieil usager du cannabis et depuis le temps, il ne semble pas avoir développé cette dépendance. Sur le plan cannabis, quand nous estimons que son utilisation présente des risques minimum, nous ne voulons pas nécessairement parler de la présentation en inhalation, mais aussi des autres formes d’ingestion exemple le marinol dont l’apparition est encore très récente. [sic]

[11]            Le 1er mars 2001, la docteure Andrée Filion-Delisle, confirme que les médicaments «Ponstan, Marinol, Hemcort, Loseq, Novo-Alprazol, Celebrex, Zostrix et Novo-Gésic fort» sont pertinents en regard de la lésion professionnelle. Le 11 avril 2001, le docteur Jean-Maurice D’Anjou procède à une analyse de cette même médication et conclut que le «marinol» est une médication d’exception qui doit être utilisée avec prudence, mais la condition de douleur présentée par le travailleur la justifie.

[12]            Le 9 octobre 2001, Santé Canada accepte la demande du travailleur. Il est soustrait de l’application de certaines dispositions législatives en ce qui concerne le cannabis et ce, pour les fins médicales précisées dans sa demande. Dans sa décision, la commissaire Cusson écrit :

16.        Le 9 octobre 2001, Santé Canada informe le travailleur que conformément à l’article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRCDAS), et sous réserve des conditions énoncées, qu’il est soustrait à l’application du paragraphe 41 (possession) et de l’article 7 (production/culture) en ce qui concerne le cannabis (marihuana), et ce, pour les fins médicales précisées dans sa demande. Santé Canada déclare que cette exception permet au travailleur de cultiver la plante de cannabis et d’avoir en sa possession du cannabis (marihuana) sous forme de parties de la plante, et ce, toujours sous réserve des conditions précisées. Ces conditions réfèrent à l’utilisation personnelle, à la quantité de plants pouvant être cultivée, à la quantité de marihuana utilisable pouvant être entreposée et à la quantité de marihuana utilisable pouvant être détenue sur soi à l’extérieur de la résidence. Santé Canada précise également que la marihuana n’a pas été approuvée par Santé Canada comme étant une drogue aux termes de la Loi sur les aliments et les drogues et de son règlement et que l’exemption ne constitue pas une opinion, de Santé Canada, quant à l’innocuité, l’efficacité ou encore la qualité de cette substance. Santé Canada précise enfin que l’exemption a été accordée uniquement à cause des informations fournies par le médecin traitant, alors que des raisons médicales justifient cette exemption. Enfin, l’exemption est accordée à condition que le travailleur accepte d’assumer personnellement les risques associés à son utilisation. Santé Canada ne garantit pas que l’utilisation de la marihuana n’aura pas d’effets néfastes sur sa santé. L’exemption accordée au travailleur prend fin le 8 octobre 2002. Si celui-ci maintient son accès à la marihuana à l’expiration de l’exemption, il sera soumis au nouveau Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales.

[13]            Notons que Monsieur le juge Boisvert, le 2 avril 2004, dans son jugement sur la demande de sursis écrit :

4.          On a admis à l’audience que Serge Corbeil détient une autorisation émise par le Gouvernement fédéral pour produire de la marihuana, au surplus le contenu du paragraphe 16 de la requête est admis :

16.       Dans sa décision, la commissaire Cusson souligne que Serge Corbeil bénéficie d’une exemption relative à la consommation de cannabis, tel qu’il appert du paragraphe 16 de la décision produite sous R-3 (R-3 étant la décision Cusson)

(…)

LE DROIT APPLICABLE

[14]            Pour procéder au contrôle des conclusions d’une instance administrative, en l’occurrence la CLP, le Tribunal doit d’abord entreprendre une démarche, dont les balises ont été établies par la Cour suprême du Canada, afin de rechercher l’intention du législateur et de là, déterminer la norme de contrôle applicable à la décision contestée.

[15]            Ainsi, une analyse, appelée analyse pragmatique et fonctionnelle, doit être appliquée pour déterminer cette norme de contrôle en regard du pouvoir décisionnel que le législateur a voulu accorder dans la Loi à l’organisme que l’on veut soumettre au pouvoir de révision de la Cour supérieure.

[16]            Monsieur le juge Gonthier résume ainsi le processus de l'analyse pragmatique et fonctionnelle:

[10] Il est bien connu que les cours de justice canadiennes adoptent une démarche pragmatique et fonctionnelle pour le contrôle des décisions administratives.  L'énoncé de principe sur la détermination de la norme de contrôle à appliquer dans le cadre de la démarche pragmatique et fonctionnelle est exposé par le juge Bastarache dans Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1998] 1 R.C.S. 982 ; […]    Selon  le juge Bastarache, il faut prendre quatre facteurs en considération:  (1) la présence ou l'absence dans la loi d'une clause privative ou d'un droit d'appel;  (2) l'expertise du tribunal par rapport à celle du juge de révision sur la question en litige;  (3) les objets de la loi dans son ensemble et de la disposition en cause et (4) la nature du problème.[2]

[17]            De ces quatre (4) facteurs, aucun n'est déterminant et tous doivent être examinés pour établir la norme de contrôle qui s'applique. Madame la juge en chef McLachlin écrit :

25.        C’est pour cette raison que, dorénavant, il ne suffit plus de classer une question donnée dans une catégorie précise de contrôle judiciaire et d’exiger sur ce fondement que le décideur ait rendu une décision correcte. De même, l’interprétation donnée par une cour de révision à une clause privative ou à un mécanisme de contrôle ne suffit plus à elle seule pour déterminer la norme de contrôle applicable : Canada (Sous-ministre du Revenu national) c. Mattel Canada inc., [2001] 2 R.C.S. 100 , 2001 CSC 36 , par. 2. La méthode pragmatique et fonctionnelle appelle une analyse plus nuancée fondée sur l’examen de plusieurs facteurs. Cette méthode s’applique chaque fois qu’une cour entreprend le contrôle d’une décision d’un organisme administratif.Comme le professeur D.J. Mullan le signale dans Administrative Law (2001), p. 108, avec la méthode pragmatique et fonctionnelle, [traduction] « la Cour a établi une théorie générale ou unificatrice du contrôle des décisions de fond prises par tout décideur qui exerce une prérogative ou un pouvoir conféré par la loi. » Le contrôle des conclusions d’une instance administrative doit commencer par l’application de la méthode pragmatique et fonctionnelle.[3]

[18]            Pour sa part, Monsieur le juge Iacobucci écrit:

[20] […]  Je conclus qu'il n'existe que trois normes: la décision correcte, la décision raisonnable et la décision manifestement déraisonnable.  […]

[19]            Et, il ajoute:

[26]  Une analyse pragmatique et fonctionnelle ne devrait pas être impraticable ou hautement technique.  Par conséquent, je souligne qu'il n'existe actuellement que trois normes établies.  Une cour siégeant en contrôle judiciaire ne doit donc pas intervenir à moins de pouvoir expliquer en quoi la mesure administrative est, selon la norme appropriée, incorrecte, déraisonnable ou manifestement déraisonnable.[4]

 

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

 

[20]            Pour établir la norme de contrôle applicable à la décision Cusson, examinons les quatre (4) facteurs déterminants, selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle.

 

 

1. La présence ou non d'une clause privative

[21]            La Cour suprême traitant des décisions de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (CALP) écrit:  «Les décisions de la CALP sont finales et sans appel et elles sont protégées par une clause privative complète:»[5]

[22]            La Cour réfère ainsi aux articles 405 et 409 de la Loi alors en vigueur. Les dispositions de la Loi ont été modifiées depuis, et la CALP a été remplacée et continuée par la CLP. Les articles correspondant aux articles mentionnés ci-dessus sont les articles 429.49 et 429.59, qui se lisent ainsi:

429.49 Le commissaire rend seul la décision de la commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.

Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

429.59 Sauf sur une question de compétence, aucun des recours prévus par les articles 33 et 834 à 846 du Code de procédure civile (chapitre C-25) ne peut être exercé, ni aucune injonction accordée contre la Commission des lésions professionnelles ou l'un de ses membres agissant en sa qualité officielle.

Tout juge de la Cour d'appel peut, sur requête, annuler par procédure sommaire les jugements, ordonnances ou injonctions prononcés à l'encontre du présent article.

[23]            La décision rendue par la CLP porte donc sur les dispositions d'une Loi comportant une clause privative étanche ou complète.

[24]            Monsieur le juge Sopinka définit ainsi la clause privative intégrale [6]:

Une clause privative « intégrale » ou « véritable » est celle qui déclare que les décisions du tribunal administratif sont définitives et péremptoires, qu’elles ne peuvent pas faire l’objet d’un appel et que toute forme de contrôle judiciaire est exclue dans leur cas.

[25]            Traitant des clauses privatives, Monsieur le juge en chef Laskin écrit [7]:

Il est maintenant incontestable que des clauses privatives bien formulées peuvent efficacement écarter le contrôle judiciaire sur des questions de droit et, bien sûr, sur d’autres questions étrangères à la compétence.

[26]            La décision rendue par la première formation de la CLP porte donc sur les dispositions d’une Loi comportant une clause privative étanche ou complète. En présence d’une telle clause, la Cour supérieure doit faire montre de retenue à l’égard des décisions rendues par l’instance administrative sauf si les autres facteurs incitent au contraire.

 

2. L'expertise du Tribunal

 

[27]            La CLP a été constituée aux termes de la Loi qui lui confère une compétence exclusive. Elle a donc le pouvoir explicite de se prononcer sur des sujets qui sont de son domaine d'expertise propre.

[28]            Madame la juge Claire L’Heureux-Dubé écrit :[8]

Enfin, la nature du problème ici posé soulève des questions sur lesquelles la CALP est éminemment qualifiée.

Elle ajoute, traitant alors de l’indemnité de remplacement que cette notion « fait appel à des notions qui sont au cœur de son domaine d’expertise, soit l’incapacité, la lésion professionnelle et le régime d’indemnisation complexe instauré par le législateur québécois.

 

Pour la juge L’Heureux-Dubé, l’objectif poursuivi par le législateur est de « permettre à un tribunal administratif de disposer, en dernier ressort, des décisions des instances inférieures en interprétant sa loi constitutive de façon finale ».

 

[29]            Le droit à la réadaptation et le droit à l’assistance médicale énoncée aux chapitres IV et V de la Loi sont aussi au cœur du domaine d’expertise de la CLP. Il s’agit d’une question intra-juridictionnelle relevant de la compétence spécialisée de l’instance administrative. L’expertise de la CLP sur la question à décider impose la retenue à Cour supérieure.

[30]            Plus récemment, Monsieur le juge Dalphond pour la Cour d’appel écrit :

28.        Ensuite, je retiens de mon analyse de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles que l’expertise de la CLP et de ses membres a trait à l’indemnisation des accidentés du travail, au financement du programme et à la gestion du système d’indemnisation; dans ces domaines, cette expertise dépasse largement celle de la Cour supérieure, ce qui milite aussi pour la retenue lorsque la nature du problème soulevé en révision judiciaire s’y rattache.[9]

3. Les objets de la Loi dans son ensemble

[31]            L’article 1 de la Loi précise :

La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires.

Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d’une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d’une lésion, le paiement d’indemnités de remplacement du revenu, d’indemnités pour dommages corporels et, le cas échéant, d’indemnités de décès. (soulignements ajoutés)

(…)

[32]            Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend donc la fourniture des soins nécessaires et la réadaptation du travailleur.

[33]            Le pouvoir de décision de la CLP est décrit à l’article 377 de la Loi :

377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence.

Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l’ordre ou l’ordonnance contestée et, s’il y a lieu, rendre la décision, l’ordre ou l’ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.

[34]            Le législateur a donc confié au décideur administratif l’appréciation de novo de la situation litigieuse. Une plus grande déférence s’impose dans une telle situation.[10]

4. La nature du problème

[35]            Par sa décision, la commissaire Cusson devait déterminer si la marihuana que le travailleur est autorisé à consommer et qui est recommandée par son médecin peut lui être remboursée. En outre, considérant que le travailleur ne réside pas dans un milieu urbain où la substance est accessible et conformément à l’autorisation obtenue, les coûts de la production de la marihuana, pour laquelle il détient aussi une autorisation, peuvent-ils lui être remboursés?

 

[36]            Pour répondre à ces questions, exercer sa compétence, elle devait apprécier la preuve soumise mais aussi interpréter sa Loi constitutive ce qui relève de sa mission.

[37]            L’analyse des quatre (4) facteurs « n’a rien de machinal »[11] comme l’a souligné Monsieur le Juge Binnie. En outre, comme nous l’avons exposé ci-dessus, il n’y a pas qu’une seule norme qui peut s’appliquer à une même instance administrative.

[38]            Sur ce sujet, Monsieur le juge Dalphond écrit :

40.        Il s’en suit qu’un même organisme ou décideur ne voit pas automatiquement toutes ses réponses aux questions qui lui étaient soumises assujetties à la même norme de contrôle lors d’une révision judiciaire en Cour supérieure. Au contraire, la norme pourra varier en fonction de la nature des motifs allégués lors de la révision. Ainsi, si on allègue que la décision d’un arbitre de griefs est manifestement déraisonnable au motif qu’elle repose sur une interprétation erronée d’une disposition des chartes des droits, la norme de la décision correcte s’appliquera à cette interprétation malgré la présence d’une clause privative.[12]

[39]            De l’ensemble des quatre (4) facteurs analysés, l’on doit conclure qu’une clause privative complète protège les décisions de la CLP qui est un tribunal administratif dont l’expertise est reconnue. La décision rendue par la commissaire Cusson agissant alors dans le cadre de la compétence qui lui est conférée par la Loi constitutive de la CLP, doit donc comporter une erreur manifestement déraisonnable pour que la Cour supérieure intervienne dans le cadre d’une révision judiciaire sinon la Cour supérieure doit exercer la plus grande retenue.

[40]            La présente révision judiciaire porte sur deux décisions de la CLP. Nous examinerons d’abord la décision Cusson pour laquelle la norme de contrôle applicable est la décision manifestement déraisonnable telle qu’examinée ci-dessus. Par la suite, nous examinerons la décision Bérubé rendue en révision de la décision Cusson pour laquelle la norme de contrôle peut être différente.

LA DÉCISION CUSSON

[41]            La CSST soutient que la commissaire ayant interprété des lois ne relevant pas de son champ de compétences spécialisées, la norme applicable dans le cadre de la révision judiciaire est la décision correcte. Le Tribunal a conclu que la norme applicable est la décision manifestement déraisonnable.

[42]            Certes, la commission a fait état de lois et règlements autres que la LATMP et les règlements en découlant mais seulement pour souligner les diverses définitions qui y sont données notamment pour le terme « médicament ». La CLP n’a pas analysé ces lois ou règlements. Elle a suivi un raisonnement qui a conduit à une interprétation large et libérale de l’article 189.3 de sa Loi constitutive mais que le Tribunal ne peut considérer manifestement déraisonnable.

[43]            L’article 189 énonce :

189. L’assistance médicale consiste en ce qui suit 

1º les services de professionnels de la santé;

2º les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S - 5);

3º les médicaments et autres produits pharmaceutiques;

4º les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur la protection de la santé publique (chapitre P-35), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l’assurance-maladie du Québec ou, s’il s’agit d’un fournisseur qui n’est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;

5º les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1º à 4º que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.

[44]            Le paragraphe 3º de l’article 189 ne limite pas le terme médicaments à ceux disponibles auprès d’un pharmacien ou autrement; aucune condition spécifique ne s’applique.

[45]            Devant le fait que la LATMP ne fournit aucune définition du terme médicaments, la commissaire Cusson s’en est remise aux définitions données par les dictionnaires généraux et les autres sources telles que les définitions disponibles dans d’autres lois.

[46]            Comme il a été mentionné ci-dessus, la commissaire Cusson n’analyse pas ces autres lois, elle ne fait qu’y puiser la définition du terme médicaments.

[47]            La commissaire a bien analysé ce qui lui était soumis. Elle a apprécié la preuve, appliqué la loi et motivé sa décision.

[48]            Après avoir constaté que l’article 189 de la LATMP ne doit pas recevoir une interprétation restrictive, elle écrit :

[34] La Commission des lésions professionnelles est aussi d’avis que ce débat doit tenir compte, outre l’article 189 de la LATMP et les énoncés préalablement invoqués, des articles 1 , 188 , 194 et 351 de la LATMP, lesquels sont libellés comme suit :

(…)

[49]            Elle procède alors à une analyse détaillée et conclut :

[44] La Commission des lésions professionnelles partage donc le point de vue élaboré par le représentant du travailleur quant au fait de reconnaître la marihuana comme médicament aux fins de l’application de l’article 189 (3) de la loi, malgré qu’elle ne le soit pas en regard de la Loi sur les aliments et drogues. Le contexte de la loi disposant des lésions professionnelles est particulier en ce qu’il prévoit que le travailleur a droit à l’assistance médicale que requiert son état, et ce, dans un contexte où tout doit être fait pour atténuer les conséquences de sa lésion professionnelle. Or, les médecins s’entendent pour dire que c’est par le biais de la consommation de la marihuana que l’on pourra, dans le cas présent, atténuer la douleur chronique. D’ailleurs, la Commission des lésions professionnelles remarque que ni la CSST ni l’employeur n’ont contesté ce traitement préconisé par le médecin ayant charge, alors qu’ils auraient pu le faire en recourant à la procédure au Bureau d’évaluation médicale (BEM) sous l’item de la nature des soins, conformément à l’article 212 de la LATMP libellé comme suit :

(…)

[50]            Monsieur le commissaire Bérubé, dans sa décision sur la requête en révision écrit :

63.               Force est pour la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision de constater, à la lecture des paragraphes qui précèdent, que la première commissaire a analysé tous les arguments qui lui ont été soumis et ce à la lumière des dispositions de la loi. L’interprétation qu’elle fait de ces dispositions n’est cependant manifestement pas à la satisfaction de la CSST requérante.

(…)

66.               Qu’en est-il de la question du remboursement des coûts?

67.               Encore là, la première commissaire explique rationnellement les motifs qui sous-tendent la question.

[51]            Monsieur Corbeil, suite à un accident de travail subi en 1981, ressent toujours une douleur que les médicaments usuels ne soulagent plus. Cependant, la marihuana l’atténue. Il bénéficie d’une exemption accordée par Santé Canada en regard de cette substance. La Loi prévoit l’assistance médicale notamment par « les médicaments et autres produits pharmaceutiques » sans définir ces termes. Le sens usuel des mots a été retenu par la commissaire Cusson.

[52]            Suivant son analyse, il n’est pas manifestement déraisonnable de conclure que la marihuana doit être considérée comme un médicament et que les frais encourus pour l’utilisation de ce produit doivent être remboursés.

[53]            Qu’en est-il des frais encourus pour la production?

[54]            Il est utile de rappeler que le Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales rend légale l’utilisation de ce produit après examen du dossier, chacun étant un cas d’espèce. De plus, ce règlement permet à un individu ayant l’autorisation de consommer pour des fins médicales d’obtenir une licence de production (articles 24 et ss du Règlement). La commissaire Cusson devait donc se demander si le matériel nécessaire à la production de cette substance peut être remboursé par la CSST.

[55]            La commissaire Cusson écrit :

[48] Sur ce point, la Commission des lésions professionnelles réfère d’abord à l’article 194 de la LATMP indiquant que le coût de l’assistance médicale est à la charge de la CSST. Il est donc clair qu’à partir du moment où le travailleur bénéficie d’une assistance médicale, celle-ci doit être à la charge de la CSST. Ce qui est particulier dans le cas présent c’est que les coûts visés ne se rattachent pas à l’achat de la médication mais bien à la production de cette médication.

[49] Pour disposer de cette question, la Commission des lésions professionnelles doit nécessairement tenir compte du fait qu’il est impossible dans le contexte légal actuel, autrement que par la culture de plants de marihuana, de se procurer cette substance. Du moins, il n’existe pas de centre de distribution accessible pour un individu demeurant en région. Il faut donc, de l’avis de la Commission des lésions professionnelles, ne pas s’en tenir à une interprétation restrictive de l’article 189 de la LATMP et permettre d’inclure, aux fins de la reconnaissance de l’assistance médicale et de son accès, le remboursement des coûts relatifs à la culture de marihuana comme s’il s’agissait du coût d’achat du produit fini directement à un centre reconnu. Agir autrement rendrait inapplicable la conclusion à laquelle en arrive la Commission des lésions professionnelles quant à reconnaître, dans le cas présent, la marihuana à titre de médicament compris dans l’assistance médicale. Cela rendrait aussi légalement inapplicable le droit consenti par Santé Canada à la consommation de la marihuana à des fins médicales pour un travailleur accidenté du travail, alors que l’assistance médicale est à la charge de la CSST.

[56]            Cette interprétation est motivée et elle n’est pas manifestement déraisonnable.

[57]            Le Tribunal ajoute que nous avons vu ci-dessus que l’article 1 de LATMP précise l’objet de la Loi. « Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture de soins nécessaires à la consolidation d’une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle… ». Il y a donc les soins et la réadaptation.

[58]            La CSST ne peut donc rechercher que les fins thérapeutiques pour acquiescer à la demande. Elle reconnaît le but humanitaire poursuivi par Santé Canada mais déclare que ce n’est pas thérapeutique. Elle plaide : « Oui l’équité mais selon les paramètres de la législation ». La législation prévoit aussi la réadaptation physique, sociale et professionnelle.

[59]            Le Tribunal rappelle les articles 151 et 152 de la Loi fournissant une énumération non exhaustive des mesures de réadaptation sociale possible.

151.           La réadaptation sociale a pour but d’aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s’adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l’accomplissement de ses activités habituelles.

152.           Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment :

1º         des services professionnels d’intervention psychosociale;

2º         la mise en œuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;

3º         le paiement de frais d’aide personnelle à domicile;

4º         le remboursement de frais de garde d’enfants;

5º         le remboursement du coût des travaux d’entretien courant du domicile.

[60]            Il est important toutefois de préciser que l’article 145 de la LATMP impose au travailleur comme condition au droit à la réadaptation, d’avoir subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique. Dans la présente affaire, Serge Corbeil a subi une atteinte permanente.

[61]            En conséquence, même si le travailleur, Serge Corbeil, n’avait pu obtenir en vertu de l’article 189 LATMP le paiement par la CSST du matériel nécessaire à la production de la marihuana, il n’est pas manifestement déraisonnable de conclure que pour atteindre le but de la réadaptation sociale prévue à la Loi, le travailleur doit être aidé à s’adapter le mieux possible à sa situation et il n’est pas manifestement déraisonnable de conclure que la CSST qui est tenue de prendre toute mesure qu’elle estime utile pour atténuer ou faire disparaître les conséquences d’une lésion professionnelle (article 184.5) doit être tenue d’apporter son soutien comme l’énonce l’article 151 de la Loi mentionnée ci-dessus. Puisque Serge Corbeil a obtenu l’autorisation de consommer de la marihuana pour des fins médicales et qu’il a obtenu une licence de production dans ce but, la CSST doit le soutenir dans sa démarche. Il s’agit « d’aider le travailleur à surmonter les conséquences personnelles de sa lésion professionnelle » dans le même sens que concluait Me Sophie Sénéchal dans l’affaire Lefebvre. [13]

[62]            En outre, comme l’écrit la commissaire Cusson, elle doit tenir compte notamment de l’article 351, donc de « l’équité, du mérite réel et la justice du cas ».

[63]            La marihuana a longtemps été et est toujours l’objet de restrictions. Cependant, devant l’évolution des connaissances sur ce produit, la législation canadienne s’est adaptée dans le but de soulager et de venir en aide à ceux qui en ont besoin et ce, après avoir examiné chaque demande formulée. Chaque cas étant un cas d’espèce. Les décisions de l’administration doivent aussi s’adapter, voire se conformer, à la législation adoptée.

[64]            Le procureur de la CSST a soutenu que la décision Cusson n’est pas conforme à l’esprit de la Loi car, selon lui, le régime d’indemnisation prévu à la Loi possède les caractéristiques d’une mutuelle publique d’assurance et qu’à titre d’administration publique, la CSST « est bien fondée de veiller à ce que les prestations auxquelles peut avoir droit un travailleur soient versées conformément à la Loi ».

[65]            Le Tribunal reconnaît à la CSST l’obligation et le devoir d’agir en bon administrateur. Cependant, dans le même esprit, il ajoute que la Loi en est une à portée sociale comme d’ailleurs l’a souligné la commissaire Cusson et que cette Loi accorde des réparations, des avantages dans certaines conditions.

[66]            La Loi d’interprétation à son article 41 édicte :

41.               Toute disposition d’une loi est réputée avoir pour objet de reconnaître des droits, d’imposer des obligations ou de favoriser l’exercice des droits, ou encore de remédier à quelque abus ou de procurer quelque avantage.

Une telle loi reçoit une interprétation large, libérale, qui assure l’accomplissement de son objet et l’exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin.

[67]            L’interprétation large et libérale donnée par la commissaire Cusson pour en arriver à sa décision se concilie avec l’esprit et l’objet de la LATMP. La décision Cusson n’est donc pas manifestement déraisonnable et la requête en révision judiciaire de cette décision doit être rejetée.

LA DÉCISION BÉRUBÉ

[68]            La LATMP accorde à la CLP un pouvoir de révision. L’article 429.56 se lit ainsi :

429.56 La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu’elle a rendu :

1º lorsqu’est découvert un fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

2º lorsqu’une partie n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

3º lorsqu’un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

Dans le cas visé au paragraphe 3, la décision, l’ordre ou l’ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l’a rendu.

[69]            Le commissaire Bérubé en analysant la décision Cusson ne pouvait réévaluer la preuve entendue et appréciée par la commissaire Cusson. L’article 429.56 ne lui permettait pas de réviser ou de révoquer la décision rendue par la commissaire pour le motif que son interprétation de la législation et son analyse des faits auraient différé de celles de la première formation de la CLP. Le commissaire Bérubé écrit avec justesse:

32.        Par ailleurs, la jurisprudence constante de la Commission des lésions professionnelles, reprenant en cela les principes émis par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles dans son interprétation du recours en révision pour cause prévu à l’ancien article 406, rappelle que la requête en révision ou révocation n’a pas pour but de permettre au commissaire saisi de ce recours de substituer son appréciation des faits ou du droit à celle du premier commissaire ayant rendu la décision faisant l’objet d’une telle requête.

[70]            La question à examiner par le commissaire Bérubé se limite à déterminer si la décision Cusson est invalide en raison d’un vice de fond ou de procédure. Comporte-t-elle une erreur manifeste de droit ou d’appréciation des faits ayant un effet déterminant sur la décision rendue[14] et étant de nature à l’invalider?

[71]            Le commissaire Bérubé en déclarant que la décision Cusson n’entraîne pas une erreur révisable et qu’elle n’est pas manifestement déraisonnable, conclut dans le même sens que le Tribunal. Toutefois, bien que sa conclusion ne soit pas différente, il importe d’examiner la norme de contrôle que le Tribunal doit appliquer à cette décision qui est aussi contestée et pour laquelle on demande aussi la révision judiciaire.

[72]            En déterminant ci-dessus la norme de contrôle applicable à la décision Cusson, il a aussi été constaté que cette norme peut être différente pour une même instance administrative.

[73]            La question de la norme applicable dans le cadre de la révision par une instance d’une de ses décisions rendues précédemment a été largement analysée par Monsieur le juge Dalphond dans l’affaire Batiscan[15]. Citant un arrêt de la Cour d’appel[16], il écrit :

55.        Cet arrêt, en optant pour la norme intermédiaire quant à la réponse par le TAQ à la question « existe-t-il un vice de fond de nature à invalider la décision initiale » au sens de l’art. 154, al. 3, a écarté les arrêts Hamel et Épiciers Unis Métro-Richelieu, précités. Il a été suivi par la Cour dans les arrêts récents Bourassa c. CLP, J.E. 2003-1741 , Amar c. CSST, J.E. 2003-1742 et Bose c. CLP, J.E. 2003-1785 où la norme intermédiaire a été retenue à l’égard de l’exercice par la Commission des lésions professionnelles de son pouvoir de révision interne. L’arrêt Godin me semble représenter l’état actuel du droit sur le contrôle judiciaire de la réponse du décideur spécialisé à la question « existe-t-il un vice de fond de nature à invalider la décision antérieure ».

[74]            Et à la question: que signifie actuellement cette norme intermédiaire? Monsieur le juge Dalphond cite le juge Iacobucci :

La norme de la décision raisonnable simpliciter se rapproche également de la norme que notre Cour a déclaré applicable pour le contrôle des conclusions de fait des juges de première instance. Dans Stein c. « Kathy K » (Le navire), [1976] 1 R,C,S, 802, à la p. 806, le juge Ritchie a décrit la norme dans les termes suivants : « … il est généralement admis qu’une cour d’appel doit se prononcer sur les conclusions tirées en première instance en recherchant si elles sont manifestement erronées et non si elles s’accordent avec l’opinion de la Cour d’appel sur la prépondérance des probabilités. Même d’un point de vue sémantique, le rapport étroit entre le critère de la décision « manifestement erronée » et la norme de la décision raisonnable simpliciter est évident. Il est vrai que bien des choses erronées ne sont pas pour autant déraisonnables; mais quand le mot « manifestement » est accolé au mot « erroné », ce dernier mot prend un sens beaucoup plus proche de celui dut mot « déraisonnable ». Par conséquent, le critère de la décision manifestement erronée marque un déplacement, du critère de la décision correcte vers un critère exigeant l’application de retenue.[17]

[75]            Le commissaire Bérubé analyse la décision Cusson. Il écrit :

64.               Cependant, il n’appartient pas au commissaire soussigné de s’immiscer dans le processus décisionnel de la première commissaire et de substituer son interprétation du droit à celle retenue après une démarche jugée correcte et exempte de vices de fond.

(…)

67.              Encore là, la première commissaire explique rationnellement les motifs qui sous-tendent la décision.

 

 

68.              Elle précise, au paragraphe 49 de sa décision qu’il n’y a pas lieu de s’en tenir à une interprétation restrictive au paragraphe 3 de l’article 189 et conclut, à la lumière de l’ensemble des dispositions de la loi, qu’il faut inclure, aux fins de la reconnaissance de l’assistance médicale et de son accès, le remboursement des coûts relatifs à la culture de marihuana comme s’il s’agissait du coût d’achat du produit fini directement à un centre reconnu.

69.              Certes, il s’agit là d’une interprétation large et libérale des dispositions de l’article 189. Est-elle manifestement erronée et s’agit-il là d’une erreur manifeste et déterminante équivalant à un vice de fond de nature à invalider la décision?

70.              La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision est d’avis qu’il n’y a pas, dans cette interprétation, présence d’une erreur manifeste et déterminante équivalant à un tel vice de fond.

(…)

74.      De l’avis de la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision, la démarche décisionnelle de la première commissaire est rationnelle et cohérente, et sa conclusion, quant aux remboursements des frais et des coûts occasionnés par l’achat ou la culture de marihuana, s’inscrit dans un cheminement logique permettant de donner plein effet au premier élément de sa décision à l’effet que la marihuana constitue, pour le travailleur et dans le cas sous espèce, un médicament au sens de la LATMP.

[76]            La conclusion du commissaire Bérubé à l’effet que la démarche entreprise par la commissaire Cusson n’est pas entachée d’un vice de fond est une décision raisonnable. Le Tribunal ne peut conclure, comme le prétend le procureur de la CSST, que le commissaire Bérubé « n’a pas vu l’erreur manifeste dans la décision Cusson ».

[77]            En conséquence, il n’y pas lieu d’accueillir la requête en révision judiciaire en regard de la décision Bérubé.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

 

[78]            REJETTE la requête en révision judiciaire;

 

 

 

[79]            SANS FRAIS, chaque partie assumant ses frais selon la demande du procureur des intimés.

 

 

__________________________________

CLAUDETTE TESSIER-COUTURE, j.c.s.

 

Me Maurice Cloutier

Panneton Lessard

1199, rue de Bleury, 12ième étage

Montréal (Québec) H3B 3J1

Procureurs de la requérante

 

Me Claude Verge

Levasseur Verge

900, Place d’Youville, bureau 800

Québec (Québec) G1R 3P7

Procureurs des intimés

 

Monsieur Serge Corbeil

459, rang des Pistoles

Buckland (Québec) G0R 1G0

Mis en cause

 

Date d’audience :

26 avril 2004

 



[1] Caimaw c. Paccar of Canada Ltd, [1989] 2 R.C.S. 983 ; Yves Lancup c. La Commission des affaires sociales, [1993] R.J.Q. 1679 (C.A.)

[2] Barrie Public Utilities c. Association canadienne de télévision par câble, 2003 CSC 28

[3] Q. c. College of physicians and surgeons, 2003 CSC 19 , p. 237

[4] Barreau du Nouveau-Brunswick c. Michael A. A. Ryan, 2003 CSC 20 , p. 259

[5] Domtar c. Québec (Commission d’appel en matière de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S. 756

[6] Pasiechnyk c. Saskatchewan (M.C.B.), [1997] 2 R.C.S. 890

[7] Crevier c. Procureur général du Québec, [1981] 2 R.C.S. 220 , p. 237

[8] Domtar c. Québec (CALP), [1993] 2 S.C.R., 756

[9] General Motors du Canada Ltée c. André Bousquet, [2003] C.L.P. 1377 (C.A.)

[10] idem 3

 

[11] S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003, CSC 29

[12] Le Procureur général du Québecc. Forces motrices Batiscan et al, J.E. 2004-112 C.A.

[13] CLP 219710-04-0311, 26 mars 2004, Me Sophie Sénéchal

[14] Tribunal administratif du Québec c. Godin, J.E. 2003-1695

[15] Procureur général du Québecc. Forces motrices Batiscan inc., C.A.Q. 200-09-003978-027, 1er décembre 2003, Juges Thérèse Rousseau-Houle, André Rochon et Pierre J. Dalphond

[16] Tribunal administratif du Québec c. Godin, J.E. 2003-1695 (C.A.)

[17] Canada (Directeur des enquêtes et recherche) c. Southam inc., [1997] 1 R.C.S. 748

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.