St-Germain et 9204-9527 Québec inc. |
2013 QCCLP 2160 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 21 juillet 2012, madame Sandra St-Germain (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision d’une décision rendue par cette instance le 28 juin 2012.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette sa contestation et déclare qu’elle n’a pas subi de lésion professionnelle le 23 novembre 2011.
[3] Une audience est tenue à Drummondville le 26 février 2013 en présence de la travailleuse qui est représentée par avocat. La compagnie 9204-9527 Québec inc. (l’employeur) a avisé le tribunal de son absence à l’audience.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] La travailleuse demande de réviser la décision rendue le 28 juin 2012 puisqu’elle comporte un vice de fond de nature à l’invalider.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d'employeurs recommande de rejeter la requête en révision. La décision soulève la question de l’interprétation de la notion d’accident survenu « à l’occasion du travail ». L’interprétation retenue par le premier juge administratif s’appuie sur la preuve et correspond à une des issues possibles du litige.
[6] Le membre issu des associations syndicales recommande d’accueillir la requête en révision. Il est d’avis que l’interprétation retenue par le premier juge administratif n’est pas rationnelle. Le tribunal ne pouvait conclure que l’accident est survenu à l’occasion d’une activité de nature strictement personnelle.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision qu’elle a rendue le 28 juin 2012.
[8] Le législateur prévoit, à l’article 429.49 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), que la décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel assurant ainsi la stabilité, la sécurité juridique des parties :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[9] Il a aussi prévu un recours en révision ou en révocation pour un des motifs mentionnés à l’article 429.56 de la loi :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[10] La présente requête met en cause la notion de « vice de fond ». Cette notion est interprétée de façon cohérente par la Commission des lésions professionnelles comme signifiant une erreur manifeste de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur l’issue du litige[2].
[11] De plus, dans les décisions C.S.S.T. et Jacinthe Fontaine et C.L.P[3] ainsi que dans l’affaire C.S.S.T. et Touloumi[4], la Cour d’appel du Québec après avoir repris avec approbation les principes qui se dégagent des décisions de la Commission des lésions professionnelles, incite le tribunal à faire preuve de retenue lorsqu’il est saisi d’un recours en révision et en révocation. Elle indique qu’il « ne saurait s’agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit, une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première »[5]. La Cour d’appel ajoute que « le recours en révision ne doit pas être un appel sur les mêmes faits » et qu’une partie « ne peut ajouter de nouveaux arguments au stade de la révision »[6]. Ainsi, la Cour d’appel conclut que c’est la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur qui sont susceptibles de constituer un vice de fond de nature à invalider une décision. Le fardeau de preuve qui incombe à celui qui demande la révision ou la révocation d’une décision demeure donc relativement imposant.
[12] Ces paramètres étant établis, qu’en est-il en l’espèce?
[13] Le litige devant le premier juge administratif concerne l’admissibilité de la réclamation présentée par la travailleuse. Elle allègue que la fracture à la cheville droite, diagnostiquée le 23 novembre 2011, est une lésion professionnelle.
[14] Les faits qui sont à l’origine de cette réclamation ne sont pas contestés. Ils se résument comme suit :
[15] La travailleuse est caissière au restaurant St-Hubert Express dont l’employeur est propriétaire. Elle travaille entre 11 heures et 13 h 45.
[16] Le 23 novembre 2011, après son travail, elle emprunte la porte réservée aux employés et se dirige vers le stationnement du personnel pour récupérer sa voiture et retourner chez elle. La serrure de la portière de son véhicule est défectueuse. La travailleuse décide de retourner au restaurant pour demander l’aide des autres employés. Au moment où elle passe près de la table de pique-nique, elle glisse sur le sol glacé et chute. Aidée de ses collègues, elle se rend à l’intérieur du restaurant. Elle communique avec son conjoint qui viendra la chercher pour la reconduire chez le médecin.
[17] À l’audience, la travailleuse précise que la chute est survenue cinq minutes après la fin de son quart de travail. Elle n’était plus rémunérée. Elle affirme également que les employés ont l’obligation de stationner leur véhicule à la gauche des véhicules de livraison du restaurant.
[18] Le tribunal rejette la réclamation de la travailleuse et conclut qu’elle n’a pas subi de lésion professionnelle pour les motifs suivants :
[35] Ce que le tribunal doit décider, c’est si la lésion subie par la travailleuse le 23 novembre 2011 est survenue à l’occasion du travail qu’elle exerce chez l’employeur.
[36] Les termes « à l’occasion du travail » ne sont pas définis dans la loi. La jurisprudence du tribunal a établi qu’il est nécessaire d’évaluer la connexité de l’activité exercée au moment de l’accident avec le travail. Il faut se demander s’il existe un lien plus ou moins étroit entre l’activité à l’occasion de laquelle la lésion d’un travailleur survient et son travail3.
[37] Aussi, certains éléments peuvent être appréciés pour déterminer l’existence d’un lien suffisant avec le travail4 :
- le lieu de l’événement,
- le moment de l’événement,
- la rémunération de l’activité exercée au moment de l’événement,
- l’existence ou le degré d’autorité ou de subordination de l’employeur lorsque l’événement ne survient ni sur les lieux du travail ni durant les heures de travail,
- la finalité de l’activité exercée au moment de l’événement, qu’elle soit incidente, accessoire ou facultative aux conditions de travail du travailleur,
- l’utilité relative de l’activité du travailleur en regard de l’accomplissement du travail.
[38] La Commission des lésions professionnelles rappelle qu’il n’est toutefois pas nécessaire que tous ces éléments soient présents pour conclure à l’existence d’un lien de connexité avec le travail. Aussi, aucun d’eux n’est à lui seul décisif. Chaque cas doit être apprécié en fonction de l’ensemble des circonstances particulières5.
[39] Suivant l’analyse de la preuve en regard des éléments énoncés, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’accident subi par la travailleuse n’est pas survenu à l’occasion du travail.
[40] Il est vrai que la jurisprudence reconnaît un caractère professionnel à un accident qui survient pendant l’activité d’arrivée et de départ du travail lorsqu’il se produit en utilisant les voies d’accès usuelles mises à la disposition des travailleurs par un employeur6.
[41] La décision Olymel St-Simon et Auclair7 rappelle qu’il est aussi reconnu que le stationnement qu’utilise un travailleur pour garer son automobile, lorsque celui-ci est fourni par l’employeur, est considéré comme une voie d’accès au travail.
[42] Cette décision apporte cependant une nuance en ce que cette activité d’arrivée ou de départ ne doit pas être interrompue par une autre activité strictement personnelle.
[43] Lorsque l’unique raison pour laquelle un travailleur se trouve à un endroit est celle de quitter le travail, cela confirme qu’il n’a pas encore quitté la sphère du travail pour entrer dans la sphère personnelle. Ce principe est énoncé dans la décision Centre hospitalier Maisonneuve-Rosemont et Frédéric8 et le tribunal y souscrit.
[44] En l’espèce, l’activité exercée par la travailleuse le 23 novembre 2011 à 15 h 50 est d’aller chercher de l’aide pour régler son problème de serrure. Il s’agit de l’unique raison pour laquelle la travailleuse rebrousse chemin vers le restaurant. Elle n’est pas en train de quitter son travail dans un contexte plus large comme aimerait le voir reconnaître son représentant, mais elle s’affaire plutôt à chercher de l’aide pour un problème avec son véhicule personnel. Cette activité découle du choix de la travailleuse, en l’occurrence retourner au restaurant au lieu d’appeler une dépanneuse ou son conjoint, afin de régler un problème mécanique.
[45] La Commission des lésions professionnelles ne retient donc pas l’argument selon lequel la réparation de la serrure de la voiture de la travailleuse s’inscrit dans une interprétation élargie de l’activité de départ du travail.
[46] En effet, même si l’activité de départ est une activité accessoire au travail, celle d’interrompre cette activité et revenir vers le restaurant pour chercher de l’aide est pour sa part, incidente à cette activité de départ et non pas au travail. Ceci ne permet pas de reconnaître un lien de connexité suffisamment proche avec le travail pour admettre qu’il puisse s’agir d’un accident survenu à l’occasion du travail.
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3 Olymel Flamingo et Morier, 152565-62B-0012, 25 mars 2003. M.-D. Lampron, Hoang et CSSS du Cœur-de-l’île, C.L.P. 295273-61-0607, 6 décembre 2006, G. Morin.
4 Chouinard et Ville de Montréal, C.L.P. 113745-72-9903, 22 mars 2000, G. Robichaud.
5 Olymel St-Simon et Auclair, C.L.P. 290963-62B-0606, 26 juin 2007, N. Blanchard.
6 Provigo Distribution et Renaud-Desharnais, 753-60-8608, 30 septembre 1987, M.-C. Lévesque; Gagnon et Centre d’escompte Racine, C.L.P. 297387-31-0608, 12 janvier 2007, C. Lessard.
7 Précitée note 5, voir aussi Tremblay et Société des Alcools du Québec, C.L.P. 287024-62B-0604, 21 février 2007, N. Blanchard.
8 C.L.P. 216134-61-0309, 18 juin 2004, L. Nadeau.
[leur soulignement]
[19] Au soutien de sa requête en révision, le procureur de la travailleuse soutient que le premier juge administratif commet une erreur manifeste et déterminante en ce qu’elle conclut que l’activité découle du choix de la travailleuse, soit celui de retourner au restaurant pour appeler une dépanneuse ou son conjoint pour régler un problème mécanique. Or, la preuve n’a jamais établi que la travailleuse avait d’autre choix que celui de retourner au restaurant pour demander de l’aide. Il n’a en effet jamais été mis en preuve que la travailleuse aurait pu demander de l’aide, sans retourner au restaurant, en utilisant par exemple un téléphone cellulaire.
[20] Par ailleurs, la travailleuse estime qu’il est également déraisonnable de conclure que l’activité de départ a été interrompue par une autre activité strictement d’ordre personnel.
[21] Enfin, le raisonnement du premier juge administratif est déraisonnable et s’écarte d’une interprétation large et libérale de la loi et des critères jurisprudentiels reconnus en semblable matière.
[22] La Commission des lésions professionnelles rejette la requête en révision pour les motifs ci-après exposés.
[23] Afin de trancher le litige, le premier juge administratif devait interpréter les termes « à l’occasion du travail » qui se retrouvent dans la définition d’un « accident du travail ». En l’occurrence, la chute survient lors du départ du travail, sur les voies d’accès usuels mises à la disposition des travailleurs par l’employeur. Ces circonstances amènent le premier juge administratif à se questionner sur les raisons pour lesquelles la travailleuse se trouve à l’endroit où elle chute. De l’appréciation qu’elle fait de l’ensemble de la preuve, elle conclut que si la travailleuse a fait une chute à cet endroit précis, ce n’est pas parce qu’elle quitte le travail, mais davantage parce qu’elle cherche de l’aide pour réparer la serrure de sa voiture.
[24] Le raisonnement du premier juge administratif est clairement exprimé aux paragraphes [46] et suivants de sa décision. Elle est d’avis que l’activité de départ est accessoire au travail. En l’espèce, cette activité est interrompue parce que la travailleuse n’a pas accès à sa voiture. La serrure est défectueuse et elle doit trouver une solution à ce problème. C’est dans ce contexte que la travailleuse revient au bureau chercher de l’aide et c’est à ce moment que survient l’accident. Pour le premier juge administratif, la chute survient donc au moment où la travailleuse exerce une activité qui est accessoire à celle de départ et non au travail, d’où l’absence d’un lien de connexité suffisant pour créer « une occasion du travail ».
[25] Le tribunal ne peut souscrire à l’argument voulant que le premier juge administratif a commis une erreur manifeste et déterminante en mentionnant que l’activité exercée au moment de la chute est strictement personnelle et découle du choix de la travailleuse.
[26] Le fondement du raisonnement de la décision du premier juge administratif est qu’il y a eu une interruption de l’activité de départ en raison d’un problème personnel. Il importe peu que la travailleuse ait ou non d’autres choix pour régler ce problème, car la nature de l’activité exercée au moment de la chute demeure inchangée. Il s’agit d’une activité personnelle sans connexité suffisante avec le travail.
[27] Le tribunal ne peut que conclure qu’il s’agit d’une question d’appréciation de la preuve. En l’absence d’erreur manifeste et déterminante, le recours en révision n’est pas une occasion pour une des parties d’obtenir une nouvelle appréciation de cette preuve. En l’espèce, le premier juge administratif n’a pas commis d’erreur manifeste et déterminante. Elle a statué en appréciant l’ensemble de la preuve pertinente et a clairement exposé son raisonnement s’appuyant sur les dispositions légales pertinentes et la jurisprudence en semblables matières.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision de madame Sandra St-Germain.
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MARIE BEAUDOIN |
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Me François Parizeau |
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Représentant de la partie requérante |
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M. Kevin Goudreau |
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AON HEWITT |
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Représentant de la partie intéressée |
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AVIS :
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